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pour la faire agréer au roi quand il fut convaincu qu’elle était réelle. « Il est vrai que Mlle de La Fayette m’est bien chère, dit Louis XIII, mais si Dieu l’appelle en religion, je n’y mettrai point d’empêchements. » Leurs adieux s’effectuèrent au château de Saint-Germain. Le monarque pleura ; il parla même d’entrer aussi dans un cloître. Dès qu’elle fut enfermée au couvent des Filles de Sainte-Marie (19 mai 1637), il voulut la revoir, et il eut avec elle un long entretien de trois heures. Pendant les quatre mois qui suivirent, il la revit de même et entretint avec elle une correspondance assidue qui inquiéta Richelieu. Afin d’être le maître des secrets du roi, le cardinal acheta le valet chargé de porter les lettres, Boisenval, et toute la correspondance passa par ses mains. En supprimant quelques lettres, en altérant les autres par l’intercalation de mots qu’il savait les blesser tous deux, il refroidit leur amour et finit par les brouiller. Leur dernière entrevue (décembre 1637) mérite d’être relatée. On assure que Mlle de La Fayette y pressa Louis XIII de se réconcilier avec la reine, et c’est le soir même que, rentrant au Louvre, où il n’était pas attendu, il accepta l’hospitalité chez Anne d’Autriche. Il en résulta Louis XIV.

La favorite délaissée prit le voile sous le nom de mère Angélique. Elle mourut à l’âge de cinquante ans, supérieure du couvent de la Visitation, à Chaillot.


La Fayette (Mlle DE), roman de Mme de Genlis (1813, in-8o). L’auteur n’a guère fait que raconter, d’après les mémoires, la vie de son héroïne et mettre en dialogues ce qui était en récit. On ne trouve dans ce livre ni faits nouveaux, ni inductions originales, pas même ce que la lecture attentive des documents peut fournir sur cette intrigue de cour et de confessionnal, ce qu’ils ont révélé, par exemple, à M. Cousin. Personnages et caractères sont envisagés de haut, d’ensemble, à un point de vue de sentimentalité vertueuse et dévote qui n’est pas le véritable. Mlle de La Fayette est une La Vallière avant la faute, un modèle de vertu, de pudeur et de discrétion, bon à proposer aux jeunes pensionnaires ; Louis XIII joue tant bien que mal son rôle d’amant et de roi fainéant ; Richelieu est le fourbe et Boisenval le traître de mélodrame. Il y a quelques peintures assez vraies de la cour de Louis XIII, des portraits plutôt prétentieux que réussis et perdus dans les teintes grises d’un style fade et sans chaleur. Il y a pourtant quelque délicatesse dans la peinture des sentiments contenus et dissimulés des deux héros. Non-seulement Louis XIII et Mlle de La Fayette n’ont pas entre eux de scène d’amour, mais ils ne prononcent pas même ce mot criminel, et s’adorent tout en se déguisant à eux-mêmes leurs propres pensées. On ressent, en lisant ces pages, qui ont terriblement vieilli, tout l’ennui que la fille d’honneur d’Anne d’Autriche devait éprouver aux conversations languissantes du monarque, et, en ce point, le roman est aussi vrai que l’histoire.


LA FAYETTE (Marie-Madeleine Pioche de La Vergne, comtesse de), une des femmes les plus célèbres du XVIIe siècle, née à Paris en 1634, morte en 1693. Elle était la fille de Aymar de La Vergne, maréchal de camp et gouverneur du Havre. Son père, homme d’esprit, la fit étudier d’abord sous sa propre direction, puis il lui donna pour précepteur Ménage et le P. Rapin, qui cultivèrent ses heureuses dispositions. Ils lui enseignèrent les lettres françaises, le latin, l’italien, et ils en firent une des étoiles de l’hôtel de Rambouillet. Ménage la célébra, sous son nom de Mlle de La Vergne et sous le nom latin de Laverna, dans des madrigaux en toutes langues, où il laissait apercevoir pour son élève un enthousiasme qui ressemblait à de l’amour. C’est assez visible dans ce joli madrigal italien :

    In van, Fili, tu chiedi
      Se lungamente durara l’ardore
      Che ’l tuo bel viso mi desto nel core ;
      Chi lo potrebbe dire ?
      Incerta, o Fili, è l’ora di morire.

« C’est en vain, Philis, que tu me demandes si longtemps durera l’amour que ton beau visage a éveillé dans mon cœur. Qui pourrait le dire ? L’heure de la mort, Philis, est incertaine. »

En 1655, Mlle de La Vergne épousa le comte de La Fayette, frère de la belle Louise de La Fayette, qui s’éteignait à cette époque au couvent de Chaillot, sous le nom de mère Angélique. En allant visiter celle qui, dans le monde, eût été sa belle-sœur, Mme de La Fayette entra en relation avec la reine déchue Henriette d’Angleterre, et ce fut l’origine de sa faveur près de la seconde Henriette, lorsque celle-ci devint duchesse d’Orléans (1661). Madame, nom sous lequel cette sympathique princesse est toujours désignée, en fit une de ses dames d’honneur et eut toujours pour elle la plus grande affection, quoiqu’il y eût entre elles dix années de différence d’âge. « Mlle de La Trémouille et Mme de La Fayette, dit cette dernière en parlant d’elle-même à la troisième personne, étaient du nombre des personnes qui voyaient souvent Madame. La première lui plaisait par sa bonté et par une certaine ingénuité à conter tout ce qu’elle avait dans le cœur, qui ressentait la simplicité des premiers siècles ; l’autre lui avait été agréable par son bonheur, car, bien qu’on lui trouvât du mérite, c’était une sorte de mérite si sérieux en apparence qu’il ne semblait pas qu’il dût plaire à une princesse aussi jeune que Madame. »

Ce qui distingue, en effet, Mme de La Fayette, c’est que, outre la délicatesse et la grâce dont toutes les femmes de cette époque de galanterie étaient douées, elle possédait la ferme raison, la solidité d’esprit et le sérieux jugement sans lesquels se perdent dans le vide toutes les qualités aimables. Aussi les esprits frivoles de l’époque, Gourville et Bussi-Rabutin, l’ont-ils représentée comme une figure morose et acariâtre ; mais Mme de Sévigné, Segrais, Huet, La Fontaine surent apprécier toute sa valeur et la mirent au-dessus des femmes les plus distinguées : Comme écrivain, elle avait le goût fin et délicat ; elle estimait, dans le style, la brièveté et la concision, peut-être outre mesure, car elle disait qu’une page qu’on parvient à retrancher dans un livre vaut au moins un louis, et un mot dans une phrase un franc. Ses lettres à Mme de Sévigné ne sont quelquefois que d’une ligne ou deux, et encore écrivait-elle rarement ; elle disait qu’elle aimerait mieux mourir que d’avoir un amant qui la forcerait de lui écrire tous les jours. Elle se complaisait surtout à la littérature romanesque, celle qui met en scène des passions extraordinaires et subites, des ressemblances et des méprises entre les héros, des aventures invraisemblables pour un médaillon, un portrait de femme, pour la conquête d’un bijou, d’un ruban. C’est dans ce genre, voisin de la Clélie et de l’Astrée, qu’elle écrivit, mais avec beaucoup plus de sobriété, ses premiers essais, la Princesse de Montpensier (1661), Zaïde (1670). La mort de Madame, arrivée à cette époque, fut sa première douleur ; comme elle avait coutume d’écrire brièvement, sous forme de journal, ses impressions, elle composa, sur ses notes, l’Histoire de Madame Henriette d’Angleterre, qu’elle garda manuscrite et qui ne fut imprimée que longtemps après sa mort. Elle avait profité des conseils de Segrais pour tracer le plan et l’ordonnance de Zaïde ; ce fut La Rochefoucauld qu’elle prit pour collaborateur de la Princesse de Clèves, son œuvre capitale (1678). Ils étaient étroitement liés depuis une dizaine d’années, et la mort seule put les séparer ; ils mirent en commun, pour écrire ce petit chef-d’œuvre, l’une ce qu’elle avait encore de jeunesse et de grâce dans l’esprit, l’autre sa science de la vie et son morose scepticisme.

« Il est intéressant de rechercher, dit Sainte-Beuve, dans quelle situation particulière naquirent ces êtres si charmants, si purs, ces personnages nobles et sans tache, ces sentiments si frais, si accomplis, si tendres ; Mme de La Fayette mit là tout ce que son âme aimante et poétique tenait en réserve de premiers rêves toujours chéris, et M. de La Rochefoucauld se plut sans doute à retrouver dans M. de Nemours cette fleur brillante de chevalerie dont il avait trop mésusé, et, en quelque sorte, un miroir embelli où recommençait sa jeunesse. Ainsi, ces deux amis vieillis remontaient par l’imagination à cette première beauté de l’âge où ils ne s’étaient pas connus et où ils n’avaient pu s’aimer. »

La Princesse de Clèves eut un retentissement considérable dans la haute société du XVIIe siècle ; il en parut des réfutations et des critiques : Lettres à madame la marquise de X*** sur le sujet de la Princesse de Clèves (1678), attribuée au P. Bouhours, et qui est de son élève, Valincourt ; Conversations sur la critique de la Princesse de Clèves (1679, in-12), etc.

Mme La Fayette et La Rochefoucauld depuis longtemps souffraient ; ils sentaient peu à peu la vie se retirer d’eux et se demandaient tristement lequel resterait seul pour pleurer l’autre. Ce fut elle qui resta. Dans la nuit du 16 au 17 mars 1680, La Rochefoucauld mourut. « J’ai la tête si pleine de ce malheur et de l’extrême affliction de notre pauvre amie, écrit Mme de Sévigné, qu’il faut que je vous en parle… Où Mme de La Fayette retrouvera-t-elle un tel ami, une telle société, une pareille douceur, un agrément, une confiance, une considération pour elle et pour son fils ? Elle est infirme ; elle est toujours dans sa chambre ; elle ne court point les rues. M. de La Rochefoucauld était sédentaire aussi : cet état les rendait nécessaires l’un à l’autre ; rien ne pouvait être comparé à la confiance et aux charmes de leur amitié. Songez-y, ma fille, vous trouverez qu’il est impossible de faire une perte plus considérable, et dont le temps puisse moins consoler. Je n’ai pas quitté cette pauvre amie tous ces jours-ci. »

Mme de La Fayette languit encore treize ans, toujours maladive et souffrante. Dans la réclusion à laquelle elle s’était condamnée, elle composa ses Mémoires de la cour de France pour les années 1688 et 1689, des Portraits, l’Histoire de Madame Henriette d’Angleterre, une nouvelle, la Comtesse de Tende, et quelques autres ouvrages qui se sont perdus. Son fils, l’abbé de La Fayette, prêtait libéralement tous les manuscrits de sa mère, et sa facilité est cause que les Mémoires, ouvrage assez précieux, ne nous sont parvenus que tronqués et défigurés. Ce fut surtout pour remplir son existence si vide depuis la mort de son ami qu’elle continua d’écrire, et l’on retrouve à peine, dans ses derniers ouvrages, les qualités qui distinguent les premiers. Bientôt la lassitude et l’ennui l’emportèrent. Dans ses dernières années, elle s’était jetée dans la religion. Son confesseur eut quelque peine à la détacher des « vanités » du monde, et il lui écrivait sévèrement : « Il est important, madame, de vous nourrir d’un pain plus solide que ne sont des pensées qui n’ont point de but, et dont les plus innocentes sont celles qui ne sont qu’inutiles ; et je croirais que vous ne pourriez mieux employer un temps si tranquille qu’à vous rendre compte à vous-même d’une vie déjà fort longue, et dont il ne vous reste rien qu’une réputation dont vous comprenez mieux que personne la vanité… En vain l’on se défend, en vain on dissimule ; le voile se déchire à mesure que la vie et ses cupidités s’évanouissent et l’on est convaincu qu’il en faudrait mener une toute nouvelle quand il n’est plus permis de vivre. Il faut donc commencer par le désir sincère de se voir soi-même comme on est vu par son juge. Cette vue est accablante… On sent qu’on a vécu jusque-là dans l’illusion et le mensonge ; qu’on s’est nourri de viandes en peinture ; qu’on n’a pris de la vertu que l’ajustement et la parure, et qu’on en a négligé le fond, parce que ce fond est de tout rapporter à Dieu et au salut et de se mépriser soi-même en tous sens, etc. »

Voilà ce que devenaient la poésie, les joies de la gloire littéraire sous les lourdes et brutales mains de ce prêtre !


La Fayette (MÉMOIRES DE Mme DE), V. MÉMOIRES DE LA COUR DE FRANCE.


LA FAYETTE (Marie-Jean-Paul-Roch-Yves-Gilbert de Motier, marquis DE), célèbre général et homme politique français, né à Chavaniac d’Auvergne (Haute-Loire) le 6 septembre 1757, mort le 20 mai 1834. Son père, colonel aux grenadiers de France, fut tué à la bataille de Menden ; sa mère mourut en 1770, pendant qu’il faisait ses études, le laissant héritier d’une immense fortune. On le maria, à l’âge de seize ans (1774), à Mlle de Noailles, et le maréchal de ce nom fit tous ses efforts pour le pousser dans les hauts emplois de la cour. Mais son caractère indépendant le rendait peu propre à ce genre de service, et il ne se prêta qu’avec une répugnance visible au désir de sa nouvelle famille. Gagné de bonne heure aux idées libérales et philosophiques, il s’enthousiasma pour la cause de l’indépendance américaine. « À la première connaissance de cette querelle, a-t-il dit, mon cœur fut enrôlé, et je ne songeai qu’à rejoindre mes drapeaux. » Il était alors capitaine de cavalerie.

Malgré une infinité d’obstacles, les prières de sa famille, les ordres des ministres, il s’embarqua, le 26 avril 1777, sur un bâtiment frété par lui. Le Congrès lui donna le grade de major général et le commandement d’une poignée d’hommes, qui reçut le nom pompeux d’armée du Nord. Blessé à la première affaire, il continua de combattre avec la bravoure la plus brillante, pendant le cours de la guerre, mérita l’amitié de Washington et l’admiration enthousiaste des Américains, qui lui décernèrent une épée d’honneur, et revint en France, en 1779, pour solliciter des secours. Il fut accueilli, fêté à Versailles et à Paris, et jouit avec ivresse de sa popularité. Le jeune marquis républicain séduisit toutes les imaginations, comme une piquante nouveauté. La reine même, qui, plus tard, devait si violemment le détester, céda à l’engouement général et lui fit donner un régiment de dragons.

La Fayette, cependant, n’oubliait pas les intérêts de l’Amérique et se multipliait pour obtenir des secours. Il obtint enfin qu’un corps auxiliaire de 6,000 hommes serait envoyé. Ces forces, commandées par Rochambeau, ne furent prêtes qu’au commencement de 1780. Le jeune enthousiaste prit les devants et arriva le premier à Boston. Dans cette nouvelle période de la guerre, où désormais la France était engagée, et dans le détail de laquelle nous ne pouvons entrer, il se conduisit avec autant de capacité que de bravoure, et il la termina, pour ainsi dire, en remportant la victoire de York-Town, qui mit le sceau à sa réputation et produisit une immense sensation en Amérique et en Europe.

En résumé, son courage, ses talents militaires, son dévouement désintéressé, l’activité prodigieuse qu’il déploya pour obtenir des secours de la France et le concours de l’Espagne, l’ont fait saluer comme l’un des libérateurs des États-Unis.

De retour en France, il reçut de Louis XVI le titre de maréchal de camp dans les armées françaises, et, par décision du Congrès, les ministres américains de toutes les cours de l’Europe durent prendre l’avis de La Fayette pour toutes les négociations relatives à l’arrangement avec l’Angleterre.

En 1784, il fit aux États-Unis un nouveau voyage, qui fut un triomphe continuel, et alla passer un mois auprès de son ami, l’illustre Washington. Les Américains exprimèrent leur reconnaissance pour lui en donnant son nom à des villes, en lui dressant des statues, en lui donnant le titre de citoyen américain pour lui et ses descendants, etc.

Dans les années suivantes, il parcourut les contrées de l’Europe, étudiant les peuples, les hommes et les gouvernements. Désigné, en 1787, pour faire partie de l’assemblée des notables, il proposa les plus larges réformes et poussa à la convocation des états généraux. « Quoi ! lui dit le comte d’Artois scandalisé, vous demandez les états généraux ! — Oui, monseigneur, et même mieux que cela. »

Ce qu’il voulait, en effet, c’était une assemblée nationale qui eût une action directe sur les destinées du pays.

En 1789, il fut élu, par la noblesse d’Auvergne, député aux états généraux. Gêné d’abord par son mandat impératif, il se dégagea cependant rapidement, et répondit à l’attente de la nation par ses motions patriotiques et son initiative libérale. Ce fut lui qui proposa le premier la Déclaration des droits de l’homme (base de celle qui fut adoptée par l’Assemblée), et ce fut lui encore qui fit décréter le principe que, quand la nation est opprimée, l’insurrection est le plus saint des devoirs. Lors des grandes journées de juillet, il présidait l’assemblée, et, pendant trois jours, il reçut dignement les députations de Paris révolutionnaire, et fut au nombre des commissaires envoyés dans la capitale pour annoncer l’éloignement des troupes. Acclamé, à l’hôtel de ville, chef de la milice nationale, improvisée de la veille, il tira son épée et jura, en présence du peuple, de consacrer sa vie à la défense de la liberté. Il était alors dans toute la fleur de sa gloire, de sa jeunesse et de sa popularité ! Un mot de lui calmait le peuple, et pendant toute cette période il fut réellement l’idole de la France et le roi de Paris. Maintenu dans son commandement par la Constituante et par le roi, il voulut que son élection fût confirmée par le suffrage des citoyens. Les soixante districts le consacrèrent à la presque unanimité comme commandant général de la garde nationale, qu’il s’occupa dès lors d’organiser régulièrement. Lors du voyage de Louis XVI à Paris (17 juillet), il alla à sa rencontre à la tête de 200,000 hommes et le conduisit à l’hôtel de ville. Bailly avait remis au roi la cocarde bleue et rouge, adoptée lors de la prise de la Bastille ; mais il se trouvait que les couleurs de la ville étaient précisément celles de la livrée d’Orléans. La Fayette, dans une pensée de conciliation, proposa d’unir l’ancienne couleur française aux couleurs de la Révolution, et c’est en présentant à la garde nationale cette cocarde, qu’il prononça les paroles tant de fois citées et que nous rapportons ici intégralement : « Je vous apporte une cocarde qui fera le tour du monde, et une institution à la fois civique et militaire qui sait triompher des vieilles tactiques de l’Europe, et qui réduira les gouvernements arbitraires à l’alternative d’être battus s’ils ne l’imitent pas, et renversés s’ils osent l’imiter. »

Retenu dans Paris en ces journées orageuses, il n’assista pas à la mémorable nuit du 4 août ni aux délibérations législatives de ce moment ; mais on n’ignorait point que son suffrage appartenait au grand parti national et révolutionnaire.

Dans les émeutes populaires de Paris, il fut assez heureux pour arracher quelques victimes à la mort ; cependant il ne put sauver Foulon et Bertier, et donna sa démission après ces tragiques exécutions, mais il dut la retirer devant les supplications de la municipalité et des citoyens.

Au 5 octobre, quand les femmes et le peuple marchèrent sur Versailles, La Fayette fut entraîné dans le mouvement avec plusieurs bataillons, capitaine involontaire d’une émeute que probablement il désapprouvait. Il fit tous ses efforts pour préserver la famille royale, bien qu’il en fût détesté et qu’il na l’ignorât point, et l’escorta lors de son retour à Paris.

À cette époque, d’ailleurs, il était déjà dépassé. Telle est la marche inexorable de la Révolution. La bourgeoisie était encore à lui, mais le parti révolutionnaire commençait à l’attaquer, à cause de son caractère indécis et flottant. Ses amis mêmes, les constitutionnels, les Duport, les Lameth, se refroidirent singulièrement à son égard, et fondèrent la société des Jacobins en dehors de son influence.

Sa situation était singulière : républicain de sentiment, de théorie, il n’en soutenait pas moins la royauté, tout en appréciant la famille royale à sa juste valeur. Mais il croyait qu’avec les mœurs et le passé de la France, la monarchie (tempérée, constitutionnelle) était un rouage nécessaire. Et puis il pensait que sa destruction n’eût profité qu’au duc d’Orléans, qu’il méprisait. En outre, il avait été quelque peu mortifié d’être mené à Versailles, tout en paraissant conduire ses meneurs. Enfin, c’était le moment où les révolutionnaires de sa nuance commençaient à hésiter entre le parti de la cour et le peuple, qu’ils craignaient également. Quelques lois de réaction furent votées sous cette impression, entre autres la triste loi martiale, contre les attroupements.

La fête de la Fédération, en 1790, fut encore une grande journée pour La Fayette ; il se vit tellement acclamé, fêté par les gardes nationaux de la province, qu’on eût dit une apothéose.

Lors de la fuite de Varennes, il se laissa complètement tromper par la fausse bonhomie du roi, qui lui donna sa parole que les bruits de fuite étaient entièrement faux. Aussi