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Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 10, part. 2, Lep-Lo.djvu/332

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sec, hautain, impertinent ; et il eût cassé ses jouets. C’était un personnage funèbre au fond ; il parlait volontiers d’enterrement, et si on lui disait : « Un tel a la jambe cassée, » il se mettait à rire. Sa face était d’un croque-mort. Dans ses portraits d’alors, l’œil gris, terne, vitreux fait peur. C’est d’un animal à sang-froid. Méchant ? Non, mais impitoyable. C’est le néant, le vide, un vide insatiable, et par là très-sauvage. Devant ce monsieur blême, l’enfant eut peur, se sentit une proie. Il n’eut nulle bonté, nulle douceur, s’acharna en chasseur à ce pauvre gibier humain... »

Bref, ce fut un viol, et tout le château entendit les cris de l’enfant.

Nous demandons pardon aux lecteurs d’entrer dans de tels détails ; mais il n’est pas indifférent de rappeler à des générations oublieuses tous les excès du despotisme.

Et si nous osons plonger plus avant encore dans cet abîme de corruption et de boue, nous rappellerons que tous les contemporains ont cru à des incestes de Louis XV avec telles de ses propres filles, notamment Mme Adélaïde, mère présumée du fameux Narbonne... Mais le dégoût arrête ici notre plume.

Reprenons le récit succinct des faits. En 1749, au milieu de la détresse où se trouvait l’État après la guerre, le contrôleur général Machault établit l’impôt du vingtième sur le revenu, voulant l’étendre au clergé, auquel il demandait la déclaration de ses biens. C’était la corde sensible. Gorgée de richesses, la puissante corporation se souleva tout entière à la seule idée de contribuer au soulagement de la misère universelle. Contribuer aux charges publiques lui semblait le comble de l’horreur ; c’eût été, suivant elle, désobéir à Dieu. Suivant sa tactique habituelle, elle tenta une diversion en réveillant le fanatisme, en persécutant les protestants et les jansénistes, en reprenant la guerre contre le parlement, en agissant sur l’esprit du roi par tous les moyens, même les moins avouables, en employant enfin toutes les vieilles machines qui lui avaient toujours réussi. Finalement, la clergé gagna son procès et ne paya rien.

En 1756 éclate la guerre de Sept ans, où la France fait cause commune avec ces mêmes Autrichiens qu’elle venait de combattre, et soutient contre la Prusse une lutte que le génie de Frédéric II nous rend funeste. Il faudra les prodiges de nos phalanges de la Révolution et de l’Empire pour effacer la honte de Rosbach (5 novembre 1757). L’Angleterre, habile à saisir notre côté faible, profite de l’occasion pour détruire notre marine et faire main basse sur nos colonies. Le traité de Paris (10 février 1763) lui livre les possessions françaises des petites Antilles, du Canada, du Sénégal et de l’Inde. Cette guerre désastreuse, qui avait épuisé le trésor et coûté plus d’un million d’hommes à la nation, n’avait guère eu pour but que de venger Mme de Pompadour des quolibets de Frédéric II, qui avait donné à la courtisane le sobriquet de Cotillon II (la duchesse de Châteauroux était Cotillon Ier de même que la Du Barry fut Cotillon III).

Le duc de Choiseul, chef du cabinet (1758), se rendit maître de l’esprit de la favorite à force de prévenances et en fermant les yeux sur ses prodigalités ; à ce prix, il put faire quelque bien au milieu de beaucoup de fautes. Il conçut le Pacte de famille entre tous les souverains de la maison de Bourbon (1761), alliance qui avait été ébauchée précédemment ; amena le roi à expulser les jésuites (1762), et parvint à les faire chasser de l’Espagne, du Portugal, de Naples, et même à obtenir la dissolution de leur ordre par le pape Ganganelli, nommé sous son influence ; enfin il acquit la Corse (1767), encouragea les Polonais contre les Russes, rétablit notre marine, soutint les parlements et se montra favorable au progrès des idées nouvelles.

Au milieu de tant de hontes et de désastres, en effet, les idées se développaient avec une puissance qui a fait de ce siècle un des plus grands de notre histoire. Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot, Buffon et cent autres relevaient par leur génie l’humanité, que la société officielle plongeait dans la boue. Ce mouvement magnifique, entravé, mais irrésistible, ne s’arrêta plus jusqu’à la Révolution, qui fut le complet épanouissement de tout ce que ces grands et fiers esprits avaient semé.

En 1757, le roi, de plus en plus exécré et maudit, fut victime de l’attentat de Damiens, qui le blessa d’un coup de canif (légèrement d’ailleurs), et qui périt dans les supplices les plus affreux.

Mme de Pompadour mourut en 1764. Elle avait en réalité régné sur la France (v. Pompadour) ; mais à peine eut-elle les yeux fermés, qu’elle était oubliée déjà. Elle avait dévoré des millions, avili la France autant qu’il était en elle ; mais nous devions tomber plus bas encore. L’avènement de la Du Barry combla la mesure de la honte. Les intrigues de Cotillon III amenèrent la retraite de Choiseul, et l’avènement de médiocrités aventureuses qui ébranlèrent la monarchie par leur trop d’empressement à vouloir la sauver. Il s’agissait de combler un énorme déficit. Maupeou brisa le parlement, qui refusait d’enregistrer les nouvelles taxes ; l’abbé Terray et les rentiers. Il y avait là un ensemble de réformes avantageuses au pays ; mais la violence des moyens les lui rendit suspectes. On cria à la tyrannie et à la banqueroute. De son côté, le duc d’Aiguillon blessait la dignité nationale par un système de paix à tout prix dont la conséquence la plus honteuse fut l’inique partage de la Pologne (1772). En vieillissant, le roi voyait successivement tout mourir autour de lui : sa fille, l’infante de Parme (1759) ; son petit-fils, le duc de Bourgogne (1761) ; Mme de Pompadour, qui lui épargnait l’ennui des affaires ; puis le dauphin (1765), le roi Stanislas (1766), la dauphine (1767), enfin la reine (1768). Tant de coups réitérés frappèrent, non son cœur, car il était desséché d’égoïsme, mais son imagination pusillanime. Il devint de plus en plus sombre, ennuyé, superstitieux et débauché ; de plus, avare. Il se jeta dans la spéculation. En 1765, le contrôleur des finances Laverdy passa, au nom du roi, une convention avec Malisset et autres spéculateurs, tous grands fonctionnaires publics, dans le but d’emmagasiner les blés dans les bonnes années pour les revendre dans les mauvaises. Louis XV mit des sommes considérables dans cette affaire, dont il s’engraissa avec cent autres vampires, et qui produisit des famines, des émeutes cruellement réprimées. Cette spéculation fameuse a conservé, comme on le sait, le nom légendaire de pacte de famine.

La mort de Louis XV fut encore un dernier scandale qu’il légua à sa famille et à la monarchie. Une enfant à peine nubile avait été livrée à l’immonde vieillard ; elle portait en elle les germes de la petite vérole et les communiqua à son corrupteur, qui couvait en outre une maladie honteuse dans son sang vicié. Il mourut le 10 mai 1774, aux applaudissements de la France entière, car, suivant une observation de Chesterfield, il avait accumulé sur lui (destinée peu commune) autant de haine que de mépris. Ses restes putréfiés, qui empoisonnaient l’air, furent transportés au grand trot à Saint-Denis, salués par les malédictions de la foule qui bordait le chemin.

Il avait soixante-quatre ans d’âge et cinquante-neuf années de règne.

On peut consulter sur ce long et funeste règne : Journal de Barbier ; Précis du siècle de Louis XV, par Voltaire ; Mémoires du marquis d’Argenson ; Histoire philosophique du règne de Louis XV, par Tocqueville ; Vie privée de Louis XV, par Mouffle d’Angerville ; Mémoires de Choiseul, de Mme du Hausset, de Hénault, du duc d’Aiguillon, de Maurepas ; Correspondance du duc de Richelieu ; Histoire de France pendant le XVIIIe siècle, par Lacretelle ; Histoire de France, de Sismondi, t. XXVIII et XXIX ; de Michelet, t. XVI et XVII ; de Henri Martin, t. XV et XVI, etc.

Louis XV (vie privée de), par Mouffle d’Angerville (Londres, 1788, 4 vol. in-8o), un des livres les plus intéressants et les plus curieux qui nous aient été laissés sur le règne et la personne de Louis XV, Ce livre est une espèce de journal où se trouvent consignés, presque jour par jour, tous les bruits publics et toutes les anecdotes racontées. L’œuvre de Mouffle d’Angerville contribua dans de fortes proportions au scandale dans lequel s’effondra définitivement la vieille monarchie. Bien qu’il n’ait pas signé l’ouvrage, qui parut sans nom d’auteur, on le lui attribue généralement. En 1796, un certain Maton de La Varenne, ayant retouché le livre de Mouffle, le republia sous le titre de Siècle de Louis XV. Ce plagiaire prétendit avoir écrit sur les papiers d’Arnoult-Laffrey. Il ne se trouva personne parmi les contemporains pour protester, et le Siècle de Louis XV de Maton de La Varenne a joui longtemps d’une certaine célébrité. La Vie privée de Louis XV n’est pas seulement un livre très-précieux pour les informations et les renseignements qu’il contient, c’est encore un livre d’un véritable mérite littéraire, composé et écrit avec ordre et clarté. Les anecdotes fort nombreuses qui y sont racontées présentent le cachet de l’authenticité. Nos romanciers n’ignorent point ce livre et l’ont mis souvent à contribution ; il ne serait pas difficile de citer des pages entières qui, soigneusement démarquées, comme l’on dit, ont passé tout entières dans des œuvres contemporaines. L’auteur des Chroniques de l’Œil-de-Bœuf, Touchard-Lafosse, est un de ceux qui ont le plus mis à profit le livre de Mouffle d’Angerville ; bien souvent même il n’a fait que le copier.

Chacun des quatre volumes de Mouffle est accompagné de bon nombre de lettres et pièces justificatives qui confirment l’authenticité du texte.


LOUIS XVI (Louis-Auguste), né à Versailles le 23 août 1754, décapité le 21 janvier 1793. Il était le troisième fils du dauphin (fils de Louis XV) et de Marie-Josèphe de Saxe, et il reçut en naissant le titre de duc de Berry. Il fut élevé, comme ses frères puînés, sous la direction du duc de La Vauguyon, dans les principes d’une dévotion fort étroite. Son intelligence était médiocre, son caractère indécis, sa physionomie vulgaire, ses manières brusques et timides à la fois. Nous ne pouvons mieux faire, pour esquisser le portrait de ce malheureux prince, qui devait être le dernier roi de l’ancienne France, que de reproduire les traits suivants, empruntés à quelques-uns de nos principaux historiens. Ces appréciations se rapportent à l’époque où Louis XVI monta sur le trône.

« ......... Un mot de Louis XVI, encore dauphin, avait jeté une sorte de panique parmi les courtisans. Tandis qu’à Paris, par une sanglante épigramme contre son aïeul (Louis XV), on le surnommait Louis le Désiré, des seigneurs de la cour lui avaient un jour demandé quel surnom il préférait : « Je veux, répondit-il, qu’on m’appelle Louis le Sévère. » On redoutait donc à Versailles un règne dur et sombre. L’expression de brusquerie et de mauvaise humeur, qui était assez habituelle au jeune monarque, fortifiait ces appréhensions. L’éducation qu’il avait reçue de son gouverneur La Vauguyon avait augmenté sa sauvagerie naturelle, dont la cause n’était point dureté, comme on le supposait, mais timidité et répugnance pour les mœurs dont il était témoin. Qui eût examiné plus attentivement cette physionomie, d’où avait disparu la majesté mêlée d’élégance, le grand air bourbonien conservé par Louis XV jusque dans sa dégradation, y eût reconnu, sous une expression vulgaire, un fond de bonté et surtout de grande honnêteté. Ce n’étaient pas les traits qui étaient vulgaires, mais le port, le geste, l’obésité précoce, le maintien gauche et disgracieux, la parole hésitante et embarrassée. Il n’était à son aise qu’au milieu de ses livres, car il était instruit et il aimait fort les sciences naturelles, ou, mieux encore, dans son atelier de serrurerie ; s’il avait une passion, c’était le travail manuel ; il suivait les préceptes de l’Émile par goût, et non par système ; la nature lui avait donné les facultés d’un habile et probe artisan ; les lois humaines avaient fait de lui le chef d’un empire, pour son malheur et pour celui de son peuple. » (Henri Martin.)

« .......... Cependant, que faisait le roi ? Tandis que le comte de Maurepas, son Mentor, cherchait un aliment à des moqueries cyniques et souriait à la lutte établie entre des ministres réformateurs et des courtisans ; tandis que les philosophes révolutionnaires allaient à la conquête des esprits, et que, par des voies souterraines mais sûres, les mineurs s’avançaient jusqu’au pied de la monarchie, le roi chassait, il récitait des litanies ou des psaumes ; le roi faisait des serrures, heureux quand il avait contenté l’ouvrier Gamain, son maître, dont il redoutait fort la sévérité, ou bien lorsque, perdu dans l’ombre des corridors de Versailles et chargé des instruments de son travail favori, il était parvenu à gagner la chambre aux enclumes sans être aperçu de la reine !

« C’est qu’en effet Louis XVI n’avait rien d’un roi, et le voir suffisait pour le juger. Sa démarche indécise, ses manières lourdes, la mollesse de sa physionomie, sa brusque timidité, tout cela révélait son règne et permettait de lire dans sa destinée. On eût dit qu’afin de mieux encourager les futurs élus de la place publique à porter la main sur lui, Dieu l’avait d’avance dépouillé de tout prestige. En lui transmettant leur autorité, ses aïeux ne lui avaient rien laissé pour la défendre ; rien, pas même la domination du regard, pas même l’attitude et le geste du commandement. Dans lui, la dignité contenue de Louis XIV se trouva changée en embarras, et la grâce de Louis XV en bonhomie. On allait avec insulte frapper sa famille dans sa personne ; et le type de cette famille, il le reproduisait assez dégénéré pour que le peuple désapprit le respect. Roi, il représentait l’affaiblissement de son principe ; homme, il représentait le dépérissement de sa race...

« Louis XVI était instruit ; il possédait, en géographie et en histoire, des connaissances peu communes ; il avait un fond de bonté qui résista aux mauvais conseils du rang suprême... Mais quand les rois prennent leur point d’appui autre part que dans la bassesse humaine, il leur est si difficile de se maintenir que Louis XVI eut contre lui ses qualités mêmes. Sa faiblesse l’exposait au mépris du peuple ; ce qui lui attira le mépris des grands, ce fut l’honnêteté de ses mœurs. Séparé du peuple par ses fautes, et de la noblesse par ses vertus, il resta seul : étranger à la nation sur le trône, étranger à la cour dans un palais, et comme égaré au sommet de l’État...» (Louis Blanc.)

« .......... Louis XVI n’eut rien de la France, ne la soupçonna même pas. De race, et par sa mère, il était un pur Allemand, de la molle Saxe des Auguste, obèse et alourdie de sang, charnelle et souvent colérique. Mais, à la différence des Auguste, son honnêteté naturelle, sa dévotion, le rendirent régulier dans ses mœurs, dans sa vie domestique. En pleine cour, il était solitaire, ne vivait qu’à la chasse, dans les bois de Versailles, à Compiègne ou à Rambouillet. C’est uniquement pour la chasse, pour conserver ses habitudes, qu’il tint les états généraux à Versailles. S’il n’eût vécu ainsi, il serait devenu énorme, comme les Auguste, un monstre de graisse, comme son père le dauphin, qui dit lui-même, à dix-sept ans, « ne pouvoir traîner la masse de son corps, » Mais ce violent exercice est comme une sorte d’ivresse. Il lui fit une vie de taureau ou de sanglier. Les jours entiers aux bois, par tous les temps ; le soir, un gros repas où il tombait de sommeil, non d’ivresse, quoi qu’on ait dit. Il n’était nullement crapuleux comme Louis XV. Mais c’était un barbare, un homme tout de chair et de sang... Sous ses formes un peu rudes, le fond chez lui était la sensibilité aveugle, il est vrai, et sanguine, qui lui échappait par accès. Morne, muet, dur d’apparence, il n’en avait pas moins quelquefois des torrents de larmes. Quand, coup sur coup, son père, sa mère moururent, il eut ce cri : « Qui m’aimera ?... » (Michelet.)

Ses deux frères aînés étant morts en bas âge, le duc de Berry resta, après la mort du dauphin son père (1765), l’héritier présomptif de la couronne. Il avait, comme on le sait, deux autres frères, les comtes de Provence et d’Artois (depuis Louis XVIII et Charles X). Il n’avait pas seize ans révolus quand on le maria avec Marie-Antoinette (16 mai 1770). La jeune fille de Marie-Thérèse n’avait elle-même que quatorze ans. Il y eut à l’occasion de ce mariage des fêtes publiques d’une grande magnificence, qui se terminèrent de la manière la plus tragique, par l’étouffement de plusieurs centaines de personnes, à la suite du feu d’artifice, dans l’encombrement d’une foule immense à laquelle on n’avait pas préparé des débouchés suffisants.

Cet événement funeste eut lieu sur cette même place Louis XV où devait se dresser, vingt-trois ans plus tard, l’échafaud de Louis XVI !

Autre coïncidence plus singulière. Dès sa première jeunesse, ce prince se préoccupait déjà du sort de Charles I[[er}}, dont le nom et la destinée semblaient exercer sur son esprit une fascination lointaine. Il traduisit même de l’anglais l’histoire de ce prince, histoire lugubre dont il devait tant de fois méditer les péripéties au milieu des tempêtes de la Révolution et dans ses insomnies de la tour du Temple.

On sait que le mariage du dauphin de France avait été négocié par Choiseul, dans l’intérêt de l’alliance autrichienne. Les époux (d’ailleurs enfants tous les deux) ne s’aimaient point. Le dauphin, circonvenu par ses tantes et La Vauguyon, ne voyait dans sa jeune compagne qu’un instrument docile de Marie-Thérèse, au moyen duquel l’ambitieuse impératrice espérait peser sur la France. Les lettres de la mère et de la fille, récemment publiées à Vienne, ont prouvé que cette prévention était fondée.

Plus tard, Marie-Antoinette prit un grand ascendant sur son époux, mais sans détruire entièrement ses défiances ; on l’a vu par diverses pièces trouvées dans l’armoire de fer.

Ainsi, la rudesse de manières et les dispositions chagrines du dauphin ne purent encore être adoucies par les affections de famille, si puissantes sur les natures simples. Il fut longtemps avant de connaître les satisfactions de la vie privée. Tout entier à quelques études solitaires, et surtout à ses éternelles chasses, il revenait harassé au château, soupait trop abondamment, se fatiguait d’indigestions, se couchait de bonne heure, et souvent même s’endormait pesamment à table, pendant que Marie-Antoinette, nature légère et folle, cherchait à secouer son ennui au milieu des amusements les plus frivoles.

Une circonstance assez étrange contribuait encore à rendre les deux époux comme étrangers l’un à l’autre, c’est que le mariage fut longtemps avant d’être consommé.

Ici, nous touchons à un sujet assez délicat ; cependant, nous ne pouvons nous dispenser de l’aborder, ou au moins de l’effleurer le plus sobrement qu’il nous sera possible.

Pendant les premières années du mariage, on s’étonnait fort à la cour et dans le public de la stérilité de cette union. On paraît avoir été longtemps avant d’en soupçonner la cause ; sans cela, quelle pluie de chansons et d’épigrammes la verve gauloise, si peu respectueuse, surtout à cette époque, n’eût-elle pas prodiguée !

Plus tard, cependant, il circula des bruits étranges, et l’on parla tout bas d’une infirmité secrète dont le roi était atteint, d’un vice de conformation qui empêchait la consommation du mariage. Quelques-uns allaient même jusqu’à affirmer l’impuissance complète (comme on la soupçonnait chez le comte de Provence).

Ce qui est certain, c’est qu’après sept ans de mariage Marie-Antoinette n’avait pas encore le droit de concevoir l’espérance d’être mère. On savait déjà ce triste détail par Mme Campan ; on le connaît mieux aujourd’hui par la correspondance de la reine avec sa mère. La pauvre princesse revient constamment sur cet objet, qui fait à toutes deux leur constante et vive sollicitude.

Certes, la chose serait d’un haut comique et toucherait même à la farce, si l’intérêt dynastique et politique n’était ici en jeu.

Enfin, l’empereur Joseph II vint faire un voyage à Paris en 1777, et il paraît que l’intervention et les conseils de ce prince contribuèrent à amener un changement notable dans cette singularité matrimoniale.

On voit que la comédie se continue jusqu’au bout. À ce propos, Marie-Antoinette écrit à sa mère :

« On croit la comtesse d’Artois encore grosse ; c’est un coup d’œil assez désagréable pour moi, après plus de sept ans de mariage. Il y aurait pourtant de l’injustice à en avoir de l’humeur. Je ne suis pas sans espérance ; mon frère (Joseph II) pourra dire à ma chère maman ce qui en est. Le roi a causé avec lui sur ce chapitre avec sincérité et confiance... ! »

Sans entrer dans plus de détails sur ce su-