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geoisie, il devint la matière imposable et gouvernable.

Une autre cause d’impopularité pour le gouvernement de 1830 fut l’abandon de la Pologne, qui s’était soulevée au retentissement de notre révolution. Louis-Philippe, cependant, montra quelque bon sens à propos des affaires de Belgique : il refusa la couronne que les Belges révoltés lui offraient pour son fils le duc de Nemours, intervint à propos dans la lutte engagée par ce pays contre la Hollande, et assura l’indépendance de la Belgique par la prise d’Anvers (décembre 1832). En août de la même année, il avait marié l’une de ses filles au nouveau roi des Belges, Léopold Ier.

Le ministère Casimir Périer, obligé de lutter contre des émeutes assez fréquentes, avait un caractère franchement réactionnaire, mais parlementaire cependant, et quelquefois, par excès d'indépendance, moins libéral peut-être que ne l'eût été le roi, dont l'action personnelle était d’ailleurs permanente et qui présidait assidûment le conseil des ministres. Ce cabinet, dirigé par Un homme despotique et implacable (dont la capacité a été fort surfaite), proclama le principe de non-intervention pour les affaires extérieures, sévit contre les associations populaires, épura les administrations, c’est-à-dire en chassa les patriotes de Juillet, poursuivit les journaux, réprima impitoyablement les émeutes, aggrava les pénalités antérieures contre les attroupements, mais céda cependant au cri de l’opinion publique en consentant, quoique à contre-cœur, à l’abolition de l’hérédité de la pairie. Au reste, la monarchie n’y perdit rien ; les pairs restaient à la nomination du roi, qui pouvait toujours s’assurer la majorité dans la Chambre haute en créant ces fournées de pairs demeurées fameuses dans l’histoire des scandales monarchiques. On en créa jusqu’à 36 par une seule ordonnance.

Ce ministère avait encore choqué le sentiment national par sa politique extérieure, par ses concessions nombreuses aux rois de l’Europe. Non content d’abandonner la Pologne, il insulta publiquement à l’héroïsme et aux malheurs de ce peuple infortuné par des paroles qui semblaient une approbation donnée aux bourreaux. C’est ainsi qu’après le massacre de Varsovie, le général Sébastiani osa laisser tomber de la tribune les paroles trop fameuses : l’ordre règne à Varsovie ! (16 septembre 1831). Peu de jours après, le même ministre choqua avec une maladresse non moins grossière la fierté nationale, en déclarant textuellement : « Nous aurons la paix avec l’Europe si nous savons être sages. »

La discussion sur la loi fixant la liste civile du roi donna encore lieu à de vives récriminations, entretenues par les pamphlets mordants de Cormenin. Toutes ces questions d’argent mirent en pleine lumière la prévoyante avidité qui était comme le caractère de la maison d’Orléans, et rappelèrent à propos la précaution vénale de Louis-Philippe, qui, en montant sur le trône, avait transmis ses biens personnels à ses enfants, en s’en réservant l’usufruit, au lieu de les laisser retourner au domaine de la couronne, comme c’était la coutume consacrée dans la tradition monarchique.

En novembre 1831 éclata la terrible insurrection de Lyon, plus industrielle que politique ; les ouvriers affamés se soulevèrent en arborant la devise tragique : Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! Ce mouvement fut dompté, mais en laissant derrière, lui des ferments de haine contre la monarchie et l’état social. V. novembre.

L’année 1832 fut fertile en complots et en émeutes : l’affaire des tours Notre-Dame (janvier), le complot légitimiste de la rue des Prouvaires (février), les troubles de Perpignan, de Toulouse, de Clermont, de Grenoble, de Strasbourg, etc., vinrent témoigner du mécontentement public. Bientôt s’abattit sur la France un épouvantable fléau, le choléra, qui fit, à Paris seulement, 18,402 victimes. Pendant que les riches et les hauts fonctionnaires s’enfuyaient lâchement de la capitale, Louis-Philippe et sa famille restèrent courageusement à leur poste, visitant même les hôpitaux, et essayant de réparer par des services personnels les défaillances de la politique officielle.

On sait que Casimir Périer fut emporté par le fléau (10 mai 1832). Ce ministre personnel, qui voulait pratiquer à la lettre la maxime des doctrinaires : le roi règne et ne gouverne pas, avait souvent irrité Louis-Philippe en prenant l’initiative de mesures très-graves, sans consulter même la couronne. C’est ainsi que, quelques mois avant sa mort, pendant les mouvements insurrectionnels de l’Italie, il fit occuper militairement Ancône, pour contre-balancer l’influence des Autrichiens, qui étaient entrés à Bologne à la prière du saint-siége. Cette occupation hardie, qui surprit toute l’Europe, dura plusieurs années, mais sans résultat ; jamais le gouvernement français ne put obtenir du saint-siége les réformes qu’il s’était flatté d’imposer et qui avaient été promises par Grégoire XVI.

Parmi les événements qui suivirent, il en faut noter un qui fut assez important, la répression de l’insurrection vendéenne suscitée par la duchesse de Berry, et finalement l’arrestation de cette princesse, vendue au ministre Thiers par un de ses serviteurs, Deutz, et qui fut enfermée au fort de Blaye, où son accouchement couvrit de confusion sa famille et son parti. On sait qu’elle fut ensuite remise en liberté et conduite en Sicile.

C’est aussi après la mort de Casimir Périer que l’opposition publia ce fameux compte rendu, signé par 133 députés, et qui était comme le programme de la gauche et l’acte d’accusation du gouvernement.

Les légitimistes venaient à peine de succomber, que l’établissement de Juillet eut à lutter à Paris contre une formidable insurrection républicaine, qui éclata ù la suite des funérailles du général Lamarque (5 et 6 juin 1832. V. juin). Il en triompha après un combat terrible, mais il put juger, dès lors, de la vitalité et de l’énergie de ce jeune parti qui devait être son héritier, et qui ne craignait pas de lutter un contre mille. Après le combat, il y eut des mesures violentes, des arrestations, la dissolution des Écoles polytechnique et d’Alfort, l’état de siège, etc.

Il faut rappeler encore qu’à cette époque l’école saint-simonienne était dans la période de ses grandes luttes, de ses prédications et de ses excentricités.

Louis-Philippe avait déclaré qu’il voulait garder un juste milieu entre le mouvement et la résistance (d’où le sobriquet célèbre donné au système de Juillet). En réalité, bien loin de maintenir cet équilibre, qui est le rêve, ou plutôt le mensonge de tous les gouvernements, il inclina sensiblement à droite dès le début de son règne et s’engagea de plus en plus dans la réaction monarchique, et par le choix de ses ministres et par tous les actes de son gouvernement.

Le 19 novembre, en se rendant à la Chambre pour ouvrir la session, le roi fut l’objet d’une tentative d’assassinat ; un coup de pistolet fut tiré sur lui au débouché du pont Royal ; mais il ne fut pas atteint. Cette affaire resta d’ailleurs assez problématique ; deux accusés mis en jugement, Bergeron et Benoist, furent acquittés par le jury, faute de charges suffisantes (18 mars 1833).

La mort de Périer avait disloqué le cabinet, qui ne fut reconstitué cependant que le 11 octobre (1832), avec le maréchal Soult comme président et ministre de la guerre, Thiers à l’intérieur, Barthe à la justice, Broglie aux affaires étrangères, Guizot à l’instruction, etc.

La loi sur l’instruction primaire, due à l’initiative de M. Guizot, des procès contre la presse républicaine et les sociétés populaires, une première tentative avortée pour fortifier Paris, l’inauguration de la statue de Napoléon sur la colonne Vendôme, flatterie adressée aux préjugés populaires, la reconnaissance officielle d’Isabelle comme reine d’Espagne, la loi contre les crieurs publics et contre les associations furent les principaux actes de ce ministère, qui fut remanié par suite de la démission de M. de Broglie, mais sans changement notable.

Les républicains, souvent vaincus, mais jamais domptés, tentèrent de nouveau le sort des armes, à Lyon, à Paris, et dans quelques autres villes (v. avril 1834). La répression de ces mouvements fut accompagnée de scènes d’horreur dont les massacres de la rue Transnonain sont un des plus épouvantables épisodes. Ces débauches de sang furent naturellement suivies de mesures de réaction : loi contre les détenteurs d’armes, augmentation de l’effectif de l’année, la Chambre des pairs transformée en cour de justice, etc.

Le ministère, de nouveau remanié à plusieurs reprises, s’était enfin reconstitué sous la présidence de M. de Broglie, à peu près avec les mêmes personnages que le cabinet du 11 octobre (12 mars 1835). Dans l’intervalle, les élections, faites sous l’empire de la réaction qui avait suivi les insurrections d’avril, avaient été entièrement favorables. au gouvernement (juin 1834).

Le ministère Broglie fit voter la loi sur les caisses d’épargne et l’indemnité de 25 millions, réclamés depuis longtemps par les États-Unis, et, il faut le dire, avec plus ou moins de légitimité, car il s’agissait de saisies de navires sous le règne de Napoléon 1er.

Au milieu des embarras que causait au gouvernement le procès monstre des accusés d’avril, Louis-Philippe fut encore l’objet d’un nouvel attentat et faillit périr par l’explosion de la machine infernale de Fieschi, dans une revue passée sur les boulevards à l’occasion de l’anniversaire de la révolution (28 juillet 1835). Il échappa, cette fois encore, quand 18 victimes tombaient autour de lui, entre autres le maréchal Mortier. Cette tentative n’eut d’autre résultat que de déterminer un nouveau mouvement de réaction et de faire voter les fameuses lois de septembre, dirigées surtout contre la presse. V. septembre.

Pendant le cours de son règne, Louis-Philippe fut en butte à sept attentats contre sa vie. Outre les deux dont il a déjà été question plus haut, l’histoire enregistre encore ceux d’Alibaud (1836), de Meunier (1836), de Darmès (1840), de Lecomte (1846), de Henri (1846) (ces deux derniers n’avaient rien de politique). Il eut le bonheur d’échapper constamment aux balles des assassins. Mais il ne devait pas échapper aux fautes de son gouvernement, et sa décadence réelle commença précisément au moment où, ayant triomphé de tous les partis, il pouvait se croire assuré de l’avenir. Il était, d’ailleurs, dans une situation difficile, placé entre les républicains qui voulaient, naturellement, le renverser, la gauche, qui tendait à l’omnipotence du parlement, et les hommes d’État de l’école anglaise, qui voulaient qu’il régnât sans gouverner, laissant ainsi à un homme très-personnel le rôle inférieur d’une brillante inutilité. En outre, son système reposait sur une base extrêmement fragile, la domination exclusive, non pas même de la bourgeoisie, mais d’une caste électorale de bourgeois enrichis, qui devaient l’abandonner au premier danger sérieux, il était bien aisé de le prévoir.

La période où l’on était entré pourrait s’appeler l’ère des crises ministérielles. C’est ainsi qu’on vit passer successivement les cabinets :

Du 22 février 1836 (Thiers) ;
Du 6 septembre 1836 (Molé et Guizot) ;
Du 15 avril 1837 (Molé) ;
Du 31 mars 1839, après deux dissolutions de la Chambre ;
Du 12 mai 1839 (Soult) ;
Du 1er mars 1840 (Thiers)
Enfin, du 29 octobre 1840 (Guizot).

Les principaux actes et les événements les plus notables de cette période sont : quelques réformes dans le régime douanier ; l’abolition de la loterie ; l’inauguration de l’arc de triomphe de l’Étoile ; l’envahissement de Cracovie, contre laquelle M. Thiers ne trouva rien à dire ni à faire ; les tentatives insurrectionnelles du prince Louis-Napoléon, à Strasbourg (octobre 1836) et à Boulogne (août 1840) ; le rejet de la dotation proposée pour le duc de Nemours, si vigoureusement attaquée par les pamphlets de Cormenin ; l’amnistie de 1837 ; le mariage du duc d’Orléans, héritier présomptif, avec la princesse Hélène (mai 1837), attristé, comme les noces de Louis XVI, par l’étouffement accidentel d’un grand nombre de personnes aux fêtes du Champ-de-Mars (14 juin) ; l’inauguration du musée de Versailles ; le rétablissement du système décimal ; l’évacuation d’Ancône ; la prise de Saint-Jean-d’Ullon (novembre 1838) ; la naissance du comte de Paris ; la coalition contre le ministère Molé ; la répression de l’émeute républicaine des 12 et 13 mai 1839 (v. mai) ; l’inauguration de la colonne de Juillet ; la loi relative à la translation des cendres de Napoléon 1er en Erance (la cérémonie eut lieu en décembre 1840) ; enfin, les complications de l’éternelle question d’Orient qui faillirent nous précipiter dans la guerre et qui amenèrent la retraite de M. Thiers, par suite de dissentiments avec le roi.

Pour ces dix années de règne, on consultera avec fruit l’ouvrage de M. Louis Blanc, livre nécessairement partial et passionné, mais rempli de faits curieux et d’appréciations nettes et magistrales.

Dans cet intervalle, le gouvernement de Louis-Philippe avait continué la conquête de l’Algérie, commencée par Charles X. Nous n’avons pas à entrer ici dans les détails de cette conquête successive et de cette colonisation si pénible ; on en trouvera le résumé à l’article Algérie.

Avec le ministère du 29 octobre 1840 commence la dernière période du règne. Ce cabinet était d’abord présidé par le maréchal Soult ; mais M. Guizot, qui n’y figura longtemps que comme ministre des affaires étrangères, en était, en réalité, l’homme d’action et le chef. Louis-Philippe, engagé de plus en plus dans la politique de résistance et de réaction, s’imaginait avoir trouvé en M. Guizot le ministre modèle, l’homme qui savait combattre et résister à outrance, enfin la colonne de la monarchie nouvelle ; et telle était la puissance de ses illusions, que jusqu’à la dernière heure il s’opiniâtra à regarder comme un sauveur l’homme qui a le plus contribué à pousser l’établissement de Juillet aux abîmes.

Nous continuerons à résumer très-rapidement les faits de cette période, en renvoyant pour de plus amples détails aux articles Guizot, Duchâtel, etc. Cette époque est remarquable par le développement du mouvement industriel, et malheureusement aussi par le débordement de l’agiotage, de la corruption électorale et parlementaire, le gaspillage des finances, etc.

D’abord, on réalisa l’une des pensées du règne, l’embastillement de Paris, qui devait si mal protéger la dynastie. Les lois sur le réseau des chemins de fer (1842), sur le travail des enfants dans les manufactures, sur les caisses d’épargne, sur le sucre indigène, sur les brevets d’invention, et quelques autres qui réalisèrent des réformes utiles, obtinrent l’approbation générale. Ce n’est pas nous non plus qui ferons à ce gouvernement un reproche de ses efforts pour maintenir la paix ; seulement, il faut bien reconnaître que ce fut souvent aux dépens de la dignité nationale et en faisant de basses concessions pour maintenir l’entente cordiale avec l’Angleterre, entente assurément fort désirable, mais qu’il n’eût pas fallu payer d’un tel prix. C’est ainsi que l’amiral Dupetit-Thouars, ayant étendu notre influence dans l’Océanie et placé sous le protectorat de la France les îles Marquises et les îles de la Société (1842-1843), fut désavoué par le gouvernement sur les réclamations impératives de l’Angleterre, qui parvint également à obtenir la fameuse indemnité Pritchard (1845). La France eut également à subir la même influence à propos du traité sur le droit de visite, pour la répression de la traite, dans les affaires de Syrie et des chrétiens du mont Liban, etc. Une chose à noter, c’est que Louis-Philippe, qui sacrifiait volontiers les intérêts de la France pour conserver les bonnes grâces de l’Angleterre, savait bien résister, et trop-énergiquement, à cette puissance dès qu’il s’agissait de ses intérêts privés, du moins de ses intérêts de famille. C’est ainsi qu’il ne craignit pas de compromettre l’entente cordiale dans la question des mariages espagnols. Dans cette circonstance, il joua lord Palmerston et sa bonne alliée Victoria, sans ménagement comme sans scrupule, poursuivit ses négociations, malgré les Anglais, et parvint à marier son fils Montpensier avec la sœur de la reine d’Espagne, au risque de briser une alliance pour laquelle il avait plus d’une fois compromis la dignité de son pays.

D’ailleurs, c’était une de ses préoccupations, d’établir solidement ses enfants. Il maria une de ses filles au roi des Belges, une autre au prince Auguste de Saxe-Cobourg, son fils Joinville à la sœur de l’empereur du Brésil, etc. Ce qui ne l’empêchait point d’être inquiet de leur avenir et d’écrire avec découragement à M. Guizot, en 1845 : « Nous ne fonderons jamais rien en France, et un jour viendra où mes enfants n’auront pas de pain ! »

Les préoccupations d’argent avaient toujours été l’un des traits saillants du caractère des d’Orléans. Chez Louis-Philippe, la cupidité était arrivée à l’état de manie sénile et d’idée fixe. On voit par la citation ci-dessus que sa manière d’envisager la royauté ne différait pas beaucoup de celle d’un commerçant s’inquiétant de ses affaires et de sa maison.

Nous avons parlé des nombreuses tentatives d’assassinat contre le roi ; nous devons mentionner aussi l’attentat d’un nommé Quénisset, qui, le 13 septembre 1841, tira sur le duc d’Aumale, qui rentrait à Paris à la tête de son régiment. Le 13 juillet de l’année suivante, la famille royale fut frappée d’un malheur irréparable ; le duc d’Orléans périt victime d’une chute de voiture sur la route de Neuilly. Ce jeune prince était assez populaire, surtout dans l’armée, et peut-être eût-il empêché ou retardé la chute de la monarchie de Juillet.

On sait quelle était l’impopularité de M. Guizot vers la fin du règne ; il la méritait à tous égards, et pour la part qu’il avait prise dans les faits de corruption vénale qu’on reprochait au règne, et pour son mépris des justes réclamations de l’opinion publique, et pour sa résistance obstinée à toute espèce de réforme et de progrès politique et social ; mais ce qu’on ne doit pas oublier, c’est que Louis-Philippe eut une large part de responsabilité dans la détestable politique de son gouvernement. On a vu que dès son installation, avec une habileté cauteleuse, il s’était successivement affranchi de tous les hommes qui avaient pris au sérieux la révolution de Juillet, et qu’il avait choisi ses ministres dans des nuances d’opinion de plus en plus conservatrices. En vieillissant, nous le savons aujourd’hui, il était devenu excessivement opiniâtre, personnel, ne souffrait guère d’autre avis que le sien, n’écoutait que ce qui s’adaptait à ses idées, et, en réalité, ne se contentait pas de régner, mais gouvernait au delà de ce que comportait le régime constitutionnel. Aussi, même dans son entourage, quelques-uns l’accusaient-ils de fausser les institutions. Il était en parfaite communion d’idées avec M. Guizot, ce que plusieurs de ses enfants déploraient avec amertume, en songeant aux conséquences désastreuses que pouvait avoir, pour l’avenir de la monarchie, une politique aussi rétrograde et si notoirement en opposition avec le sentiment public.

On ne peut nier que ce régime, fondé sur la richesse, bien ou mal acquise, avait eu pour résultat de dégrader les caractères, de ruiner les convictions et de surexciter les appétits matériels, en ramenant tout au positivisme mercantile. La corruption avait passé des mœurs dans la politique. La Chambre des députés, où abondaient les fonctionnaires, la majorité, recrutée par des moyens inavouables, ne servaient plus qu’à couvrir d’une apparence de légalité la politique du pouvoir. Des tripotages honteux, révélés coup sur coup, détachèrent de plus en plus de ce gouvernement la partie honnête de la bourgeoisie. Ainsi on apprit par les déclarations d’un député journaliste, M. E. de Girardin, que le gouvernement avait vendu des privilèges de théâtre et des promesses de pairie. On vit un ex-ministre, M. Teste, condamné comme concussionnaire, un aide de camp du château surpris en flagrant délit de vol au jeu, un pair de France, un Choiseul-Praslin, assassiner sa femme, etc.

L’opposition, n’espérant plus rien d’une majorité servile et corrompue, lasse de demander inutilement aux pouvoirs publics, entre autres réformes, l’élargissement des bases électorales par l’abaissement du cens et l’adjonction des capacités à la liste des électeurs, prit le parti de s’adresser à l’opinion et organisa la mémorable campagne des banquets réformistes. L’agitation se communiqua à toute France. Le ministère, effrayé, fit insérer dans le discours de la couronne, à l’ouverture de la dernière session du règne, la fameuse phrase contre les passions ennemies et les entraînements aveugles. La lutte était engagée ; l’opposition voulut la soutenir et organisa le banquet du XIIe arrondissement, pour protester contre la politique gouvernementale et affirmer le droit de réunion, que