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avec un génie heureux, puisque ceux qu’il maltraite sont obligés de l’approuver comme ceux qu’il loue. Si tous les auteurs qu’il a attaqués ne font son éloge, ils achèveront de se décrier. Pour moi, qui n’ai pas sujet d’en être satisfait, puisqu’on passant il ma donné quelque atteinte, je ne laisse pas de louer la main d’où me vient le coup. « Il ajoute assez plaisamment, en convenant de l'infériorité des poètes de province : « S’il n’était permis de travailler qu’aux ouvriers parfaits, que ferions-nous dans les provinces ? L’architecte du Louvre ne viendra pas en Dauphiné pour bâtir des cabanes ; Mignard voudrait-il quitter Paris pour venir faire ici le portrait de ma maîtresse ? Baptiste (Lulli) abandonner la cour pour venir lui donner une sérénade ? Et quand j’aurai besoin d’une satire contre mon rival, M. Boileau viendra-t-il à Grenoble pour me la faire ? »

Cette soumission complète désarma Boileau, qui ne lança plus d’épigrammes contre Le Pays. Celui-ci continua d’écrire « selon son génie » et n’en fit pas pour cela de meilleurs vers. Son œuvre se compose, outre Amitiés, amours et amourettes, de : Zélotide, histoire galante (Paris, 1665, in-12) ; Nouvelles œuvres, contenant lettres, églogues, sonnets, élégies, stances, etc. (Paris, 1672,2 vol. in-12 ; Leipzig, 1738, 2 vol. in-8o) ; Pièces choisies des œuvres de Le Pays (La Haye, 1680) ; le Démêlé de l’esprit et du cœur (Paris, 1688, in-12). Ces ouvrages ne sont recherchés que par les bibliographes. On raconte de ce singulier poète quelques anecdotes bizarres qui méritent d'être conservées. Le Pays avait une très-vive aversion pour le chevalier de Linières ; certain jour, il s’oublia jusqu’à lui dire : « Vous êtes un sot en trois lettres. » Sur quoi l’autre lui répliqua avec infiniment d’esprit : « Et vous en mille que vous avez écrites. » Les rieurs furent du côté du chevalier.

Quand Louis XIV fit rechercher les faux nobles, Le Pays écrivit facétieusement à Dugué, intendant du Lyonnais et du Dauphiné, que sa muse était d’antique noblesse, qu’elle descendait en ligne directe d’Homère, par la branche de Voiture.

Un jour que Le Pays voyageait dans le Languedoc pour le recouvrement des gabelles, il descendit dans une hôtellerie et, s’étant retiré dans une chambre, compulsait ses papiers, tout en faisant rôtir devant sa cheminée une poularde destinée à son repas du soir. Survient le prince de Conti, gouverneur de la province, qui s’était un peu éloigné de son monde en chassant et qui demande à l’hôtelier s’il n’y a personne chez lui. L’hôtelier lui répond qu’il y a là-haut un galant homme qui était occupé à faire rôtir une poularde. Le prince monte, s’approche de la cheminée et frappant sur l’épaule de Le Pays, qui avait le nez dans ses paperasses, lui dit : « La poularde est cuite, il faut la manger. » Le Pays, qui ne reconnut aucunement le gouverneur et qui d’ailleurs était peu soucieux de partager son dîner, répondit sèchement : « Je vous dis qu’elle n’est pas cuite. » Le prince réitéra son affirmation, et le financier sa négation absolue. La dispute allait s’échauffant, lorsque survinrent les officiers de la suite du prince, et Le Pays, reconnaissant sa bévue, se jeta aux genoux de l’Altesse en criant d’une voix lamentable : « Monseigneur ! elle est cuite ! elle est cuite ! » Le prince, qui était spirituel et affable, se contenta de lui répondre : « Eh bien ! puisqu’elle est cuite, il faut la manger ensemble. » Cette aventure rappelle un autre trait du même prince, qui savait se faire aimer par sa bonté familière. Ayant trouvé sur l’enseigne d’une hôtellerie de sa province le distique suivant :

Je m’appelle Jean Robineau, Qui toujours bois mon vin sans eau,

le prince prit un charbon et écrivit au-dessous :

Et moi le prince de Conti, Qui de même le bois aussi.

Le Pays mourut presque du chagrin que lui causa la restitution de deniers dont nous avons parlé plus haut.

Ce plaisant personnage ne laissait pas d’être un zélé et excellent fonctionnaire. L’Académie d’Arles l’admit au nombre de ses membres (1668), et le duc de Savoie le nomma chevalier de son ordre de Saint-Maurice, deux ans après.

LE PAYS DE BOURJOLLV (Jean-Alexandre), général français, né à Saint-Domingue en 1791, mort en 1865. Amené à Paris sous le Consulai, il fut placé parmi les pages de Louis Bonaparte. Sous-lieutenant en 1807, puis aide de camp des maréchaux de Bessières et Soult, il assista comme chef d’escadron aux batailles de Toulouse et de Waterloo. Mis en demi-solde à la rentrée des Bourbons, il reprit du service en 1830, passa en Algérie et fut nommé lieutenant général en 1845. Lors de l’établisseThent du second Empire, Le Pays de Bourjolly fut appelé à la présidence du comité consultatif de cavalerie, nommé sénateur, puis grand officier de la Légion d’honneur. On* lui doit quelques écrits militaires : Colonies de l’Algérie (1849, in-8o) ; Du mode de gouvernement en Algérie (1850, in-8») ; De l’armée en 1848 (1853, iu-8«).

LEPE, bourg d’Espagne, prov. et à 42 ki-Iora. O. d’Huelva, avec un petit port de commerce au fond d’une anse formée par l’océan

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Atlantique ; 3,024 hab. Pêche de thons et de sardines. Ce bourg est l’ancienne ville de Lepu ou Leptis, qui figure dans les guerres civiles de César et de Pompée.

LÉPÉCH1N s. m. (lé-pé-chain). Ichthyol. Espèce de truite de la Sibérie.

LÉPÉCHINIE s. f. (lé-pé-ki-nî — du gr. lepis, écaille ; eçhinos, hérisson). Bot. Genre de plantes, de la famille des labiées, tribu des stachydées, comprenant plusieurs espèces qui croissent au Mexique.

LEPECQ DE LA CLOTURE (Louis), médecin français, né à Caen en 1736, mort en 1804. 11 enseigna d’abord la chirurgie dans sa ville natale, où il s’était fait recevoir docteur, et alla ensuite habiter Rouen. Lepecq s’occupa d’une façon toute particulière de 1 étude des maladies épidémiques, sur lesquelles il a laissé de remarquables ouvrages. Louis XVI, en récompense de ses travaux, lui donna des lettres de noblesse (1781). Nous citerons de lui : Observations sur tes maladies épidémiques (Paris, 1776, in^4°) ; Collection d’observations sur les maladies et constitutions épidémiques (Paris, 1778, in-4o).

L’HPÉE (Charles-Michel, abbé de), célèbre instituteur des sourds-muets, né à Versailles le 25 novembre 1712, mort à Paris le 23 décembre 1789. Fils d’un expert des bâtiments du roi, Charles-Michel de L’Epée fit de bonnes études et se sentit de bonne heure du goût pourlôtat ecclésiastique. Il fut appelé à recevoir les premiers ordres ; mais imbu des idées jansénistes partagées alors par un grand nombre d’esprits généreux, il refusa de signer le fameux formulaire d’Alexandre VII, imposé par l’archevêque de Paris, et se vit fermer la carrière à laquelle il se croyait destiné. Il se fit alors recevoir avocat au parlement, mais sans aucune espèce de goût pour cet état, auquel il ne se résignait que malgré lui. L’évêque de Troyes, qui avait lui-même du penchant pour les idées auxquelles le jeune de L’Epée avait sacrifié son avenir, l’appela dans son diocèse, l’ordonna prêtre et lui accorda un canonicat. Malheureusement, l’évêque hérétique vint à mourir ; sou jeune protégé ne put pactiser avec l’administration orthodoxe qui lui succéda et dut revenir à Paris, où les fonctions ecclésiastiques lui furent presque aussitôt interdites par l’archevêque, M. de Beaumont, à cause de ses liaisons suspectes d’hérésie avec Soanen, évêque de Senez. Cette sorte de mise hors la loi dut être cruelle pour le fervent abbé ; mais elle rendit à l’humanité un des services les plus signalés dont l’histoire ait gardé le souvenir.

À cette époque, l’abbé Vanin, un philanthrope dont l’histoire a. à peine conservé le nom, avait tenté l’instruction de deux jeunes sœurs jumelles, sourdes-muettes. Il se servait dans ce but d’images graduées, destinées à éveiller dans l’esprit de ses disciples des idées de plus en plus compliquées. L’abbé Vanin vint à mourir ; l’abbé de L’Epée demanda et obtint la permission de continuer son œuvre. La méthode de l’abbé Vanin lui parut tout à fait insuffisante ; il y substitua, avec le plus grand bonheur, un système de gestes qu’il sut combiner avec un art merveilleux et qui assura dès lors l’instruction complète des sourdsmuets. L’alphabet manuel, qui permet de leur apprendre à lire et à écrire et qui leur ouvre la voie de toutes les sciences humaines, n’était qu’une conséquence facile et naturelle du système de l’abbé de L’Epée. Encouragé par un premier succès, il recueillit ce qu’il put trouver de sourds-muets, les installa chez lui, consacra à leur entretien un revenu de 7,000 livres qui composait toute sa fortune. Admiré de tous, mais abandonné à ses propres ressources, il dut, pour mener son œuvre à bien, s’imposer les plus cruelles privations. Les secours arrivèrent enfin, secours bien minces qui lui furent mesurés avec parcimonie, mais qui lui permirent, en s’aidant de la plus stricte économie, d’agrandir son établissement.

Les succès éclatants obtenus par le zélé philanthrope attirèrent les regards des souverains étrangers. Catherine U lui offrit une riche subvention, qui fut repoussée avec une fierté patriotique, et n’obtint que la faveur de faire élever par l’abbé de L’Epée un de ses sujets ; Joseph II plaça auprès de l’instituteur des sourds-muets un prêtre qui eut mission de s’instruire de sa méthode et alla ensuite fonder et diriger à Vienne une institution qui eut un plein succès. Mais tandis que l’étranger suivait avec intérêt et mettait à profit la méthode du prêtre français, le gouvernement de son pays ignorait ou feignait d’ignorer les tentatives du pauvre abbé et le laissait se débattre dans une sorte de misère. Pour comble de malheur, l’abbé de L’Epée s’engagea dans une affaire désastreuse, où il fut poussé par l’ardeur de son zèle philanthropique, mais qui épuisa sans résultat la plus grande partie de ses ressources. Ayant recueilli en 1773, à l’Hôtel - Dieu, un malheureux sourd-muet trouvé sur la route de Péronne, dont nul ne connaissait l’origine, il l’instruisit avec soin et, sans cesse préoccupé de lui trouver une famille, il finit par découvrir qu’il appar’ tenait à la maison des comtes de Solar. De là procès avec les héritiers, pour- réclamer les biens immenses auxquels sa naissance lui donnait droit. Enfin, après des plaidoiries qui avaient semblé devoir être interminables, les droits du sourd-muet furent

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reconnus parle Chàtelet ; mais la famille des Solar eut le crédit de faire différer la solution de l’affaire, et finalement obtint une nouvelle sentence qui infirmait celle des premiers juges (1793). Le malheureux Joseph, qui avait déjà alors perdu son zélé protecteur, s’engagea de désespoir dans un régiment de cuirassiers et mourut peu de temps après dans un hôpital.

On a contesté à l’abbé de L’Epée l’invention de la méthode d’instruction des sourdsmuets ; il est certain que de nombreuses tentatives, dont quelques-unes se rapprochent singulièrement de la sienne, avaient été faites avant lui ; il est certain que quelques éducations remarquables avaient été réalisées ; nous nous bornerons à énuinérer les essais suivants, les uns dans le domaine de la pure théorie, les autres mis sérieusement en pratique : Jean de Beverley, archevêque d’York (vue siècle) ; Rodolphe Agricola, professeur à Heidelberg (xve siècle) ;.Jérôme Cardan (xvic siècle) ; Pedro de fonce, bénédictin espagnol (xvi« siècle) ; Juan-Pablo Bonnet, bénédictin espagnol (xvie siècle) ; John Bulwer(xvii»siècle) ; RodriguePereira(xvi ; i«siècle), etc. Mais 1 abbé de L’Epée a affirmé, et la chose est sûre, qu’il avait ignoré tous ces essais lorsqu’il travaillait à sa méthode. D’ailleurs, il est parfaitement certain qu’aucun de ces nombreux inventeurs n’avait appliqué son système à un nombre un peu considérable d’élèves, etl’abbé de L’Epée ne fût-il pas le véritable promoteur de l’instruction des sourdsinuets, on ne peut lui contester la gloire d’avoir fondé l’enseignement qu’on leur donne universellement aujourd’hui. Considérés jusqu’à lui comme des êtres disgraciés, peu différents des animaux, les malheureux privés de l’ouïe et da la parole, qui ne peut exister sans l’ouïe, ont pris, grâce à lui, dans la société un rang égal à celui des autres citoyens, supérieur peut-être par l’intérêt qui s’attache à leur infirmité et le souvenir même de l’homme généreux qu’elle rappelle.

L’Assemblée constituante, rendant enfin justice aux services éminents de l’abbé de L’Epée, fonda en 1791 l’Institution nationale des sourds-muets de Paris et décréta que la digne prêtre avait bien inérijé de la patrie. Ses restes furent découverts en 1838 dans l’église Saint-Eoch, et placés en 1841 sous un monument qui lui fut élevé dans cette église et que surmonte un beau buste en bronze par M. Préault. La ville de Versailles lui a élevé une statue en 1843.

L’abbé de L’Epée a laissé quelques écrits : Itelalion sur la maladie et la guérison miraculeuse opérée sur Marie-Anne Pigalle (1757, in-12) ; Institution des sourds et muets ou Recueil des exercices soutenus par les sourds-et muets pendant les années 1771, 1772, 1773 et 1774, avec tes lettres qui ont accompagné les programmes de chacun de ces exercices (Paris, 1774, .in-12) ; Institution des sourds et muets par la voie des signes méthodiques (Paris, l"7G, in-12), réédité sous ce titre : la Véritable manière d’instruire les sourds-muets, confirmée par une longue expérience ; Projet d’un dictionnaire général des signes employés dans la langue des sourds-muets. Ce projet n’a été exécute que plus tard par l’abbé Sieard.

LEPEINTRE (Charles-Emmanuel), dit Lepciuiro « : ué, acteur français, né à Paris le 5 septembre 1785, mort en la même ville le 5 avril 1854. Engagé dés l’âge de douze ans au théâtre des Jeunes-Artistes de la rue de Bondy, il parcourut plus tard la province et joua avec succès à Marseille, ;< Bordeaux et à Lyon. À la retraite de Potier, il fut choisi pour combler le vide laissé aux Variétés par le départ de ce grand acteur (1818), et ses créations dans le Soldat laboureur et ('Auberge du grand Frédéric le mirent en grande faveur auprès des habitués du théâtre. Quittant les Variétés pour le Vaudeville, Lepeintre, par son excellent rôle dans Monsieur Botte, devint aussi populaire à la rue de Chartres qu’il l’avait été au boulevard Montmartre. Sa carrière au Palais-Royal, où il entra dans la suite, ne fut pas moins prospère. En mai 1845, il revint aux Variétés et s’y montra longtemps comme l’un des meilleurs acteurs survivants de l’ancienne école ; il rappelait aux amateurs des Variétés de Brunet cette brillante galerie de talents qui avaient fait les délices des Parisiens et dont il ne restait plus guère debout que Vernet et Odry. Malgré une voix peu distincte et un débit assez lourd, Lepeintre, s’il ne faisait pas oublier Potier, était cependant un acteur remarquable par son entrain naturel et la vivacité de son jeu. Il soutint avec esprit, finesse et talent le rôle si difficile de l’Essoufflé du Bénéficiaire, une des meilleures créations de Potier.

Lepeintre aîné n’était pas seulement célèbre comme acteur ; il l’était encore comme faiseur de calembours. « Vous êtes ambitieux, dit-il à Talma un jour qu’il rencontra le fameux tragédien avec une Heur à sa boutonnière ; vous n’êtes pas satisfait d’être Talma, vous désirez être fleuri (allusion au comique éiriinent de ce nom). » Il disait encore de lui-même qu’il portait l’abondance partout où il allait, puisqu’on y voyait le pqin traîner (Lepeintre aîné). C’était surtout un homme plein de cœur et d’intelligence, bon et généreux, et rien ne faisait prévoir qu’il finirait par le suicide (on sait qu’il se précipita dans le canal Saint-Martin en revenant de voir jouer le

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Pendu). Un de ses frères, non pas Lepeintre jeune, mais un autre, vint à Paris avec sa femme et accepta un engagement aux Folies-Dramatiques. Lepeintre invita le couple,

lors de son arrivée, à dîner avec lui dans la maison d’un de ses amis, près du boulevard du Tempie. Le jeune acteur et sa femme se trouvèrent au lien indiqué à l’heure dite ; leur frère les reçut lui-même à la porte et leur dit qu’en l’absence de son ami il leur ferait les honneurs de la maison. Alors il leur montra une petite salle à manger, un salon, une ’ chambre à coucher, une cuisine, plus une cave parfaitement garnie. « Tout est vraiment confortable, dit le cadet, mais il est temps que notre hôte paraisse. — Vous êtes l’hôte, reprit son frère, et ce petit établissement est à vous. Puissent vos talents l’embellir et le rendre encore plus confortable t »

LEPEINTRE (Emmanuel-Augustin), dit Lepoimro jeune, célèbre acteur du Vaudeville et des Variétés, frère du précédent, né à Paris en 178S, mort dans la môme ville en 1847, Aulu-Gelle, parlant quelque part d’un comédien fameux du temps de Néron, dit : « C’était un petit homme gros, qu’il était impossible de regarder sans rire ; il faisait les délices de la populace, qu’il amusait par son obésité. ■ Ce comédien, nommé Bulbus Pinguis Pictor, compte très-certainement parmi les ancêtres de Lepeintre jeune, de fabuleuse mémoire. On se rappelle avec étonnement cette impossibilité physique dont on avait fait un acteur bon gré mal gré. Il y eut un temps où l’emploi des Lepeintre jeune fut on ne peut plus à la mode dans les provinces. Plus l’homme était gros, plus l’acteur était goûté. Une boule de chair, avec deux mains sur les côtés et deux pieds qui sortaient par-dessous, voilà Le- • peintre jeune. Maintenant qu’il a disparu, Ealstatf n’est pour nous qu’un bonhomme hypothétique, Sancho un type contesiabie. Et

pourtant, si l’on en croit la tradition, l’excellent Lepeintre jeune avait dans sa jeunesse une bouche mignonne, des joues rosées, l’œil bleu et doux, une chevelure bouclée qui lui donnait l’air d’un "chérubin, le corps d’uno guêpa ; si bien qu’on le chargea de jouer les amoureux. C’était au théâtre de Versailles, où il resta pendant quinze ans ; las de soupirer aux pieds de la beauté sensible, il choisit un beau jour les tyrans et les traîtres du mélodrame ; puis, trouvant qu’en fin de compte il gravissait bien lentement l’échelle de la renommée, il entreprit comme suprême ressource d’engraisser. À dater de ce moment, sa gloire grandit et bientôt elle n’eut plus de rivale. Engagé au Vaudeville, il devint Une des curiosités de la capitale, et le père qui du fond de sa province envoyait son fils à Paris ne manquait pas de lui dire en le mettant à la diligence : « N’oublie pas d’aller voir la colonne Vendôme et M. Lepeintre jeune. »

Au Vaudeville, dont il fit longtemps la fortune avec son compère Aruai, Lepeintre jeune se montra infatigable ; on l’a vu souvent représenter quatre rôles différents dans la même soirée ; son apparition seule suffisait pour assurer la bonne humeur de l’auditoire, auquel il ne cessait de présenter ses respects dans Henaudin de Caen, un de ses triomphes avec la Famille de L’apothicaire. Son enga- " génient aux Variétés augmenta encore sa popularité. Cependant les rôles qu’on lui confiait étaient rarement importants. Sa voix était devenue si peu distincte qu’on le comprenait à grand’peine ; il est vrai que moins on le comprenait, plus il faisait rire. Sa face, son regard, ses manières étaient si drôles I On lui taisait jouer particulièrement des rôics de jockeys ou d’écervelés régence. Dans ce cas, c’était le grotesque du contre-sens élevé à la dernière puissance. Un contemporain anonyme nous a laissé de Lepeintre jeune un portrait achevé. « C’est, dit-il, quelque chose de gros, de court, de rond, de pejunt : ce n’est pas un homme, ce n’est pas un acteur, c’est une outre, une boule, un poussait, ou plutôt c’est Lepeintre jeune. Un jour, j’ai vu faire un Lepeintre jeune fort ressemblant avec quatre concombres, une citrouille et un melon. Seulement, je me demandais comment la citrouille n’écrasait pas les melons d’en bas. Cette masse s’avance tout essoufllée, toute rouge, toute souriante, les bras dans les épaules, les jambes dans le ventre, cherchant son équilibre ; elle se remue, elle souffle, elle siftle, elle bourdonne, elle rit, et le public de rire aux éclats. Que si vous me demandez quels sont les rôles de Lepeintre jeune, je vous répondrai qu’il remplit tous les soirs le rôle de Lepeintre jeune. U n’en a pas d’autre, il ne peut pas en avoir d’autre. Le premier acteur venu, Lafont par exemple, qui est un homme, sera, de près ou de loin, eu changeant d’habits, quand il voudra, paysan, dandy, soldat, grand seigneur, parce qu’il est un homme ; mais, quoi que vous fassiez, Lepeintre jeune sera toujours Lepeintre jeune, parce qu’il n’est pas un homme, mais bien Lepeintre jeune, une chose qui n’a pas d’autre nom, qui ne ressemble à personne, qui ne ressemble a rien, qui, partant, ne peut rien copier, rien imiter, rien représenter, qui ne peut être, encore une fois, que Lepeintre jeune, un phénomène, un monstre qui revient de droit à M. Geoffroy’ Saint-Hilaire. »

Lepeintre jeune a eu, comme son frère, la réputation d un faiseur de bons mot», il avait été une manière d’auteur, et l’on a de lui deux ou trois vaudevilles insensés, joués nus