Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 10, part. 3, Lu-Marc.djvu/206

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MAIN

— Substantiv. Bien des personnes : Maints ont le chef plus rempli que la panse.

Mme Desuoulièkes.

— Syn. Mntm, piuiicnrs. Maint ne se dit guère dans la conversation que dans un petit nombre de locutions consacrées, comme mainte et mainte fois. Les écrivains, et surtout les poètes, l’emploient encore quelquefois, et alors il a une étendue de signification comprise entre plusieurs et beaucoup. Quand notre grand fabuliste dit :

Après maint ! quolibets coup sur coup renvoyés, il nous fait penser à un plus grand nombre de quolibets que s’il faisait usage du mot plusieurs ; car ce dernier mot ne suppose rigoureusement qu’un seul quolibet renvoyé

après un autre, tandis que maints quolibets équivaut presque à beaucoup de quolibets.

MAINTENANCE s. f. (main-te-nan-serad. maintenir). Conservation, défense, protection, il Vieux mot.

— Jurisp. âne. Confirmation, par autoritéde justice, de la possession d’un héritage ou

d’un bénéfice.

MAINTENANT adv. (maiû-te-nan — de main et de tenir, proprement pendant qu’on y tient la main). À l’époque où nous sommes, aujourd’hui : La littérature ne peut rien produire de grand maintenant sans la liberté. (Mme de Staél.) La passion de l’égalité est maintenant indéracinable. (Bignon) Lascience et la vérité ne sont plus rien ; ce que l’on adore maintenant, c’est la boutique. (Proudh.) Les guerres maintenant ne sont plus de peu pie à peuple, mais de peuple à roi. (E. de Gir.) il Au moment actuel, à l’heure présente : Hors vous et moi, monsieur, je ne crois pas que personne s’avise de courir maintenant tes rues. (Mol.)

Vous chantiez ; j’en suis fort aise ;

Eh bien l dansez, maintenant.

La Fontaine.

De maintenant, Du jour actuel : Les jeunes gens de maintenant. Les modes de maintenant, La littérature DE maintenant.

— Loe. conjonct. Maintenant que, En ce moment où, à présent que : Maintenant qu’il est parti, vous pouvez vous expliquer.

Maintenant que le ciel a mûri mes désirs, J’aime mieux mon repos.......

Bon. eau.

Maintenant que la mort a rallumé la flamme, Maintenant que la mort a réveillé ton âme, Tu dois te souvenir.

V. Hugo.

— Substantiv. Époque actuelle, temps présent : Par un seul maintenant, Dieu emplit le toujours. (Montaigne.) Il Inus.

— Syn. Maintenant, actuellement, aujourd hui, à protcut, préKontement, V. ACTUELLEMENT.

MAINTENEUR s. m. (main-te-neur — rad. maintenir). Celui qui maintient, qui soutient, qui défend quelque proposition.

— Hist. litt. Titre des instituteurs des Jeux floraux de Toulouse : Les sept mainteneurs.

— Encycl. Hist. littér. Mainteneurs des Jeux floraux. Les sept premiers membres de la célèbre Académie de Toulouse s’étant constit-uéyjuges du concours de poésie par lequel furent inaugurés les Jeux floraux, en mai 1324, ils prirent le nom de-mainteneurs des Jeux, et ce nom est resté depuis à leurs successeurs. L’histoire littéraire a conservé leurs noms ; c’étaient Bernard de Parnassac, damoiseau ; Guillaume de Lobra, bourgeois ; Bélanger de Saint-Plancat, Pierre de Meranaserra, bourgeois ; Guillaume de Gontaut, Pierre Canon, marchand, Bernard Oth, notaire de la cour du viguier de Toulouse. Le titre de mainteneur ne s’éteignit pas avec ceux qui le portèrent les premiers ; il passa successivement aux sept membres principaux du Collège de ta gaie science. Sous le règne de Charles VI, le faubourg des Augustmes, où étaient situés le palais et, le jardin des sept mainteneurs, fut détruit ; ceux-ci se réunirent dès lors au capitule. Les fonctions des mainteneurs sont également restées lesmêmesjce sonteux quijugent, en comité secret, les pièces de vers envoyées aux concours et qui président à la distribution des fleurs. V. Jeux floraux.

MAINTENIR v. a, ou tr. (main-te-nirde main et de tenir. Se conjugue comme tenir). Tenir dans un état de fixité : Maintenir une poutre à l’aide de crampons. Maintenir avec des étais un mur ébranlé. La clef d’une voûte maintient la voûte entière.

— Fig. Paire durer ; laisser subsister : Maintenir la sécurité publique. Maintenir sa santé. Maintenir des abus. Il Laisser d’une façon permanente : La société maintient irrémissiblement en dehors d’elle deux classes d’hommes : ceux qui l’attaquent et ceux qui la gardent. (V. Hugo.) il Conserver, assurer l’existence de : Nos ancêtres, moins occupés à dissiper ou à grossir leur patrimoine qu’à le maintenir, le laissaient entier à leurs enfants. (La Bruy.) Il n’y a point de forme de gouvernement qui suffise à maintenir une Église., (Guizot.) Il Défendre et conserver, soutenir : Maintenir l’ordre. Maintenir les bonnes mœurs. Quand les lois ont égalisé les familles, il leur reste à maintenir l’union entre elles, (Montesq.) Les erreurs humaines conservent toujours leur empire sur tous ceux qui ont intérêt à les maintenir, (Dumarsais.) Quand un

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honnête homme maintient ses justes intérêts, il fait un acte de défense personnelle. (V. Cousin. )Lavertuest l’énergieavec laquelle l’homme maintient sa dignité. (E. Scherer.) La fonction du gouvernement est de maintenir l’ordre. (Guizot.) L’hygiène maintient la santé dans ses conditions normales. (Raspail.) Il Conserver dans un certain état ou dans certaines dispositions : Dieu vous maintiiînne en bonne santé. L’honneur maintient le cœur incorruptible au milieu de ta corruption. (Chateaub.) Que le ciel vous maintienne en ce dessein louable.

RÉGN1EK.

— Soutenir, affirmer avec persévérance : Maintenir sondire. Les métaphysiciens maintiennent que toute action se réduit à mouvement et pensée, et que celle-ci est l’origine de celui-là. (Baudelaire.)

— Véner. Maintenir le change. Continuera poursuivre la bête après l’avoir lancée, en parlant des chiens.

Se maintenir v. pr. Être maintenu, durer, persévérer : Mien de ce qui ne se maintient que par te crime ne peut longtemps subsister. (Leuiontey.) Il Rester dans le même état : Ma santé SE Maintient sans s’améliorer. Ces digues se sont maintenues contre l’inondation.

— Fig. Conserver sa position : Une garnison qui se maintient contre les attaques de l’ennemi. Le prince élevé, par les grands a plus de pane à SE MAINTENIR que Celui qui a dû son élévation au peuple. (Machiavel.) Il n’est pas étrange qu’on se conserve en pliant, et ce n’est pas proprement se maintenir. (Pasc.)

Contre les coups du sort cherche à te maintenir.

BoiLEtu.

Il Rester dans les mêmes dispositions d’esprit : L’âme d’Ésope se maintint toujours libre et indépendante de la fortune. (La Font.)

— Syn. Maintenir, soutenir. Maintenir veut dire conserver, il suppose une chose bien établie qui a seulement besoin qu’on en assure la durée. Soutenir, c’est défendre ce qui est attaqué, servir d’appui à ce qui tombe ou menace de tomber, La même différence existe quand les deux verbes se rapportent au discours : on maintient ce qu’on a déjà dit quand on continue de l’affirmer ; on le soutient quand on donne de nouvelles raisons ou quand on se tient prêt à en donner pour détruire tous les doutes.

MAINTENON s. f. (main - te - non — de j/me de Maintenait, qui portait une croix de ce genre). Modes. Petite croix que les femmes portaient à leur cou.

MAINTENON, bourg de France (Eure- et-Loir), ch.-l. de canton, arrond. et à 18 kilom. N.-E. de Chartres, au confluent de l’Eure et de la Voise ; pop. aggl., 1,2S0 hab.

— pop. tôt., 1,768 hab. Fabrication de bas, Sabots ; plâtreries ; commerce de grains et de farines. Ce bourg est situé dans une belle vallée, sur le chemin de fer de Paris au Mans. La célébrité de cette petite ville date du jour où Louis XIV acheta, en 1674, pour Françoise d’Aubigné, le château de Maintenon, qui était la propriété du marquis de Villeroy. Ce château avait été construit par Jean Cottereau, trésorier des finances sous les rois Louis XI, Charles VIII, Louis XII et François Ier. Les armes de Jean Cottereau sont sculptées sur les deux tourelles qui flanquent la porte d’entrée. Lorsque Mme de Maintenon maria sa nièce au duo d’Ayen, fils du maréchal de Noailles, elle lui fit don de sa terre, qui, depuis lors, n’a pas cessé d’appartenir à la famille de Noailles. Les réparations modernes et les changements successifs faits au château de Maintenon en ont modifié l’aspect, sans cependant lui faire perdre les caractères de son ancienne origine. Le château actuel est environné de larges et profonds fossés d’eaux vives, alimentés par l’Eure et par la Voise. » Mme de Maintenon, dit M. Joanue, fit construire l’aile droite du château, entre la grosse tour carrée et l’entrée principale ; puis l’aile gauche reliée à la chapelle et une longue galerie attenante à la chambre et au cabinet du roi, par laquelle il allait entendre la messe. (M. le duc de Noailles a fait décorer magnifiquement cette galerie.) Ladépense de ces constructions s’éleva à HO,000 livres. Une antichambre, où dînait la célèbre épouse de Louis XIV, précède la chambre à coucher, tendue en étoffes du temps et que M. le duc de Noailles a fait restaurer avec le plus grand soin. Le lit se dresse au fond ; l’ameublement est complété par un portrait de la marquise et par ceux des d’Aubigné. »

Racine séjourna longtemps à Maintenon, lorsqu’il fut chargé d’écrire pour les demoiselles de Saint- Cyr les deux tragédies à’Esther et à’Athalie. L’une des avenues du parc, où le grand poste se promenait souvent, porte encore le nom d’allée Racine. Charles X, en quittant Rambouillet après son abdication, y vint passer la nuit avec toute sa famille. Le roi y occupa la chambre de Mme de Maintenon. Là chapelle du château, primitivement église paroissiale, est due à Jean Cottereau. M, le duc de Noailles l’a fait magnifiquement restaurer. C’est un gracieux édifice dans lequel on remarque d’admirables vitraux peints représentant diverses scènes de la Passion. Le parc est superbe. Le Notre y dessina un parterre, construisit le grand canal passant sous l’aqueduc et planta les deux grandes avenues qu’on y voit encore. Trente ponts

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jetés sur les canaux et sur la Voise et l’Eure relient entre elles de larges prairies, ombrafées çà et là par des massifs et par des arres de haute futaie. Mais la principale curiosité de ce parc, ce sont les restes du gigantesque aqueduc sur lequel Louis XIV

voulait faire passer les eaux de l’Eure pour les amener à Versailles, « Cet aqueduc, dit M. Joanne, destiné à réunir les deux collines entre lesque+les s’étend la vallée de Maintenon, devait être construit en maçonnerie, sur une longueur d’environ 4,600 mètres. Au plus profond de la vallée, il devait s’élever sur trois rangs d’arcades ; le premier rang, le seul qui ait été construit, est composé de 47 arcades de 13 mètres d’ouverture chacune sur 14>n, G0 de profondeur et 975 mètres de longueur totale. La hauteur des arches varie suivant l’inclinaison du sol ; les’ plus hautes atteignent 25 mètres. Les piles sont armées d’un contre-fort de 2 mètres de saillie sur 8 mètres de hauteur. L’élévation totale de ce premier étage est de 30 mètres. Le deuxième rang aurait été composé de 195 arcades, ayant environ 4,000 mètres de longueur ; elles auraient eu la même profondeur et la même largeur que les 47 premières, sur 27 mètres d’élévation. Le troisième rang devait compter, sur 4,645 mètres de longueur, 390 arcades, ayant seulement 14 mètres de hauteur et dont 2 auraient répondu pour la. largeur aune arcade des rangs inférieurs. L’élévation totale de l’édifice aurait été de 72 mètres. C’est au troisième étage, dans un canal de 2 mètres de largeur et de 1 mètre de ^profondeur, que devait couler la rivière. Des corridors bordés d’un parapet se seraient étendus de chaque côté de ce canal, qui aurait été couvert d’une voûte de pierre sur-toute sa longueur. Les fondations de ce colossal monument ont 5 mètres de profondeur. Ces immenses travaux furentcouimencésen 1684 et continués avec la plus grande activité jusqu’en 1688. 30,000 ouvriers y furent employés ; un tiers seulement était composé de maçons et d’ouvriers ordinaires, le reste de soldats, que Louis XIV voulait occuper, pendant la paix, à des travaux utiles, pour les tenir en haleine et les préserver des dangers de l’oisiveté. Un grand nombre y périrent, « pour.avancer de quelques années les plaisirs du roi, » a dit Mi’e de La Fayette. La guerre de 1688 interrompit heureusement l’exécution de cet aqueduc, dont les travaux abandonnés ne fuient jamais repris. Louis. XV entreprit de démolir l’aqueduc pour en employer les matériaux, dans les environs de Lieux, au château de Crécy, qu’il donna à M<"<> de Pompadour. Il fit détruire ainsi les trois premières arcades, dont il ne reste que les piles. Toutes les autres mutilations ont été faites pendant et depuis la Révolution.

MAINTENON (marquis de), branche de la maison d’Angennes. Elle a pour auteur Louis d’Angennes, sixième fils de Jacques d’Angennes, seigneur de Maintenon, et d’isabeau Cottereau. Ce Louis, conseiller d’État, grand maréchal des logis et ambassadeur extraordinaire en Espagne, mort en 1601, avait épousé Françoise d’O, dont vinrent, entre autres, Jacques d’Angennes, évêque de Bayeux ; Louis d’Angennes, tué au siège de l’Écluse en 1604 ; Henri d’Angennes, dit le chevalier de Maintenon, seigneur et prieur de Moustiers, et Charles d’Angennes, marquis de Maintenon, baron de Meslay, marié à Françoise-Julie de Rochefort. De ce mariage est issu Louis d’Angennes, marquis de Maintenon, bailli et capitaine de la ville de Chartres, père de Charles-François d’Angennes, qui vendit le marquisat de Maintenon à Françoise d’Aubigné, veuve Scarron, maîtresse, puis femme de Louis XIV.

MAINTENON (Françoise d’Aubigné, marquise deJ, née à Niort le 27 novembre 1635, morte à Saint-Cyr le 15 avril 1719. Son père, Constant d’Aubigné, fils de l’illustre poète protestant Agrippa d’Aubigné, était détenu au donjon de Niort, comme accusé d’entretenir des intelligences avec l’Angleterre ; il avait mené la vie à la diable, tué sa première femme, si l’on en croit le témoignage d’Agrippa d’Aubigné, et s’était remarié avec la fille d’un de ses geôliers, Jeanne de Cardillac, fille du gouverneur du château Trompette, à Bordeaux, où il avait aussi été incarcéré. Jeanne de Cardillac fut la mère de la future marquise de Maintenon. Constant d’Aubigné était sur le point de partir pour la Caroline avec sa femme, lorsque ses accointances avec les Anglais parurent louches et lui valurent une lettre de cachet ; Jeanne de Cardillac accoucha dans la prison d’État. En 1639, il obtint sa liberté et partit pour la Martinique, où il mourut ; sa femme revint en France avec deux enfants, Françoise d’Aubigné et un fils qui fut, comme son père, un fort mauvais sujet. La jeune fille avait été élevée dans la religion protestante ; pauvre, orpheline à douze ans et ne rencontrant d’appui que parmi les catholiques, elle abjura pour se faire recevoir au couvent des Ursulines. Déjà une dame de Heuillant, désireuse d’arracher cette âme à la perdition, l’avait recueillie chez elle, par ordre d’Anne d’Autriche, et l’avait soumise à la plus rude discipline, sans parvenir à la faire plier. Au sortir du couvent, la jeune Françoise retourna chez sa mère, rue d’Enfer. Elle avait quinze ou seize ans. Sa vie fut-elle bien pure à cette époque ? Des libelles, au temps de sa grandeur, lui prêtèrent quelques aventures galantes, citèrent des noms. « Je ne suis pas étonnée, écrivait-elle en 1709, qu’on soupçonne ma jeunesse : ceux qui parlent ainsi en ont une très-déréglée ou ne m’ont pas connue. Il est fâcheux d'avoir à vivre avec d’autres gens que ceux de son siècle ; et voilà le malheur de vivre trop longtemps. » Faut-il la croire sur parole ? Il y a contre elle un témoignage positif, celui de Ninon de Lenclos. Non-seulement elle fréquentait la célèbre courtisane et voyait le même monde qu’elle, mais elle partageait quelquefois son lit : c’était alors la mode. En outre, Ninon raconte qu’elle lui prêta un jour sa chambre jaune, pour un rendez-vous avec Villarceaux ; mais elle ajoute qu’elle ne croit pas que les choses aient été poussées bien loin et qu’elle la trouvait trop gauche pour l’amour.

Le poète burlesque Scarron était le voisin, rue d’Enfer, de Mme d’Aubigné ; il s’intéressait à l’orpheline, et tout estropié qu’il était, cloué par la paralysie sur son fauteuil, il la demanda en mariage. Il offrait même, si elle le refusait, de payer sa dot dans un couvent, afin de la soustraire à d’imminents dangers. Françoise d’Aubigaé préféra cette sorte de mariage de raison ; elle venait de perdre sa mère et se trouvait absolument sans ressource. Elle épousa Scarron en juin 1652, à dix-sept ans. Scarron, très-honnête homme au fond, d’un esprit original et fertile, très-gai au milieu des infirmités qui l’accablaient, réunissait chez lui une excellente société. Sa maison était le rendez-vous de tout ce que la cour et la ville avaient de plus aimable, de plus distingué : Vivonne, Renault, Marigny, Pellisson, Grammont, de Beuvron, de Villars, bien d’autres encore aimaient à se réunir autour de la chaise longue du cul-de-jatte. Sa jeune femme fit là ses premières connaissances sérieuses, et plus tard elle en rendit témoignage. « Lorsque je fus, dit-elle, avec ce pauvre estropié, je me trouvai dans le beau monde, où je fus recherchée et estimée. Les femmes m’aimaient, parce que j’étais douce dans la société et que je m’occupais beaucoup plus des autres que de moi-même. Les hommes me suivaient parce que j’avais de la beauté et les grâces de la jeunesse. J’ai vu de tout, mais toujours de façon à me faire une réputation sans reproche. Le goût qu’on avait pour moi était plutôt une amitié générale, une amitié d’estime que de l’amour. Je ne voulais point être aimée en particulier de qui que ce fût ; je voulais l’être de tout le monde, faire prononcer mon nom avec admiration et respect, jouer un beau personnage et surtout être approuvée par des gens de bien. C’était mon idole. Il n'y a rien que je n’eusse été capable de faire et de souffrir pour faire dire du bien de moi. Je me contraignais beaucoup, mais cela ne me coûtait rien, pourvu que j’eusse une belle réputation. C’était ma folie. Je ne me souciais pas de richesses ; j’étais élevée de cent piques au-dessus de l’intérêt, mais je voulais de l’honneur. » Dès cette époque, Mme Scarron était connue par son esprit ; c’est le temps où elle faisait oublier le rôti à ses convives en leur racontant une anecdote, et les gens haut placés qu’elle connut autour du pauvre estropié, comme elle l’appelle, la servirent volontiers lorsque, Scarron étant mort (1660), elle retomba dans la plus grande détresse. Scarron ne vivait que de pensions, et elles s’éteignirent avec lui. Il en avait entre autres une fort bizarre, celle de malade en titre de la reine mère. Françoise d’Aubigné en sollicita la survivance ; Mazarin répondit d’un ton goguenard : « Est-elle malade ? Non. Eh bien, comment voulez-vous, qu’étant en bonne santé, elle ait la charge de malade en titre ? » Pourtant Anne d’Autriche lui fit transmettre une rente de 2,000 livres, au moyen de laquelle elle se réfugia aux Ursulines, ce qui ne l’empêcha pas de continuer à aller dans le monde. Elle était surtout assidue aux réunions de l’hôtel d’Albret et de l’hôtel Richelieu, où ses adorateurs la poursuivirent, espérant avoir enfin raison de sa froideur. Elle tint tout le monde à distance par sa dignité fière ; tout le monde était surpris, comme le raconte l’intendant Bâville, qu’on pût allier tant de vertu à tant de pauvreté et de charme. Un certain marquis de C... lui offrit sa main ; elle la refusa. Voici ce qu’elle écrivit à ce propos à l’une de ses amies : « Que pensez-vous de la comparaison qu’on a osé me faire de cet homme à M. Scarron ? Grand Dieu ! quelle différence ! Sans fortune, sans plaisirs, il attiroit chez moi la bonne compagnie ; celui-ci l’auroit haïe et éloignée. M. Scarron avoit cet enjouement que tout le monde sait et cette bonté d’esprit que personne ne lui a contestée. Celui-ci n’a l'esprit brillant, ni solide, ni badin ; s’il parle, il est ridicule. Mon mari avoit le fond excellent ; je l’avois corrigé de ses licences ; il n’étoit ni fou ni vicieux par le cœur ; d’une probité reconnue, d’un désintéressement sans exemple. C... n’aime que ses plaisirs et n’est estimé que d’une jeunesse perdue ; livré aux femmes, dupe de ses amis, haut, emporté, avare et prodigue ; au moins m'a-t-il paru tout cela. »

Ces sentiments dénotent un esprit élevé ; mais l’ambition, du jour où il lui fut possible d’aspirer à de hautes destinées, vint bientôt obscurcir cette conscience honnête et lucide, lui faire trouver droites les voies les plus tortueuses et la plier, elle si fière, aux louches pratiques de l’hypocrisie. À l’hôtel d’Albret,