Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 10, part. 4, Mard-Memmonium.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intéressée pour sa belle-sœur, qui le lui rendait bien.

Les années s’écoulaient ainsi pour Marie-Antoinette au milieu des petites intrigues de cour et des plaisirs. Dans cette période, il n’y aurait rien de bien intéressant à relater pour les lecteurs sérieux. On ne saurait imaginer d’existence plus frivole. Outre les courtisans de sa société intime, la reine s’attacha successivement à deux favorites, la princesse de Lamballe et la duchesse de Polignac, liaisons fameuses et sur lesquelles la méchanceté de cour fit courir des bruits infamants (v. Lamballe et Polignac). En 1778, Marie-Antoinette donna le jour à une fille, la duchesse d’Angoulême, puis, en 1781, à un fils. Elle avait dès lors beaucoup plus d’influence sur l’esprit du roi, et son action se faisait de plus en plus sentir ; mais, d’un autre côté, l’inimitié dont elle était l’objet n’avait fait que s’accroître. Tant de pamphlets meurtriers, les rumeurs répandues sur sa conduite, ses légèretés, ses dépenses lui avaient aliéné la plus grande partie de la nation. Elle s’en apercevait journellement à des signes non équivoques. Ainsi, en 1785, elle accoucha d’un second fils ; lorsqu’elle se rendit à Notre-Dame, après ses relevailles, elle ne fut accueillie sur tout son passage que par un silence glacial. Elle en fut consternée. Bientôt son attitude en face de la Révolution changera en exécration cette haine, encore atténuée par un reste de respect traditionnel.

Dans cette même année 1785, une aventure demeurée fameuse et qui eut un retentissement européen vint porter un nouveau coup à la réputation déjà si compromise de Marie-Antoinette : nous voulons parler de l’affaire du collier. Dans un article spécial, nous avons très-longuement raconté cet épisode et nous n’y reviendrons pas ici. Nous renvoyons le lecteur à l’article collier ; il y trouvera tous les détails désirables, avec une discussion complète de cette étrange affaire. Nous répéterons sommairement ici qu’il nous paraît que la reine a été plus ou moins mêlée à cette affaire, au moins dans le but de mystifier le cardinal de Rohan, dont l’acquittement la remplit de douleur, car cela semblait sa propre condamnation.

Aux approches de la Révolution, la reine montra de plus en plus ses sentiments absolutistes et combien elle était éloignée de comprendre cette France libérale et philosophique qui allait régner à son tour et créer une société nouvelle. D’ailleurs, malgré un séjour de près de vingt ans, elle ne connaissait de la France que les splendeurs de Versailles et de Marly et la caste brillante des courtisans et des privilégiés ; quant à la nation, elle était absolument étrangère à ses vœux comme à ses besoins et à ses droits.

Déjà elle avait manifesté son opposition contre la guerre d’Amérique, et, lors de la convocation de la première assemblée des notables, elle exprima son inquiétude de la tournure que prenaient les choses, et, dans ses lettres, elle accuse jusqu’à des archevêques de tendances à l’opposition contre l’autorité royale, et s’indigne contre tous ceux qui se montrent favorables à la moindre réforme.

Ici nous la trouvons dans son rôle vraiment historique et consacré, et nous comprenons bien la sévérité avec laquelle l’a jugée la conscience nationale. Le peuple, si souvent dupe des actions, ne s’est pas trompé cette fois, et il n’a jamais vu dans cette femme funeste que la grande ennemie de la France nouvelle et de la Révolution, le drapeau de l’aristocratie et de l’absolutisme. C’est alors que son surnom d’Autrichienne retentit de nouveau comme une injure avec un redoublement d’intensité. Parmi les accusations dont elle était poursuivie, il en était sans doute d’exagérées, car évidemment tout le mal ne venait pas d’elle ; mais sur divers points on peut dire qu’elle dépassa encore les préventions populaires. Ennemie déclarée de toutes les réformes, elle se fit de bonne heure le centre et le chef de la faction contre-révolutionnaire, l’appui de tous les ennemis des institutions nouvelles et de tous les conspirateurs.

Le 4 juin 1789, elle perdit son fils aîné ; mais cette grande douleur, qui lui donnait sa part des misères humaines après tant de prospérités, n’atténua en rien son orgueil et son inflexibilité, ne lui inspira pas plus de sympathie pour ces classes dont la souffrance était la vie même et dont la Révolution allait améliorer le sort. Elle resta la fille altière de Marie-Thérèse, opiniâtrement attachée au régime ancien et n’envisageant qu’avec mépris et colère toute amélioration, tout changement dans les institutions. Ses sentiments étaient bien connus, et l’on attribuait en partie à son influence et à ses conseils toutes les résistances de la cour et tous les complots de la faction. Aussi courut-elle des dangers sérieux dans les journées des 5 et 6 octobre : quelques furieux envahirent le palais de Versailles et cherchèrent son appartement pour la tuer. On sait que cet événement avait été provoqué par le fameux repas des gardes du corps, où la cocarde nationale avait été foulée aux pieds et où la reine et la famille royale étaient venues pour encourager par leur présence les manifestations factieuses des convives. V. octobre 1789 (journées des 5 et 6).

Après le retour forcé de la famille royale à Paris, Marie-Antoinette, qui se considérait comme captive, n’en eut que plus d’amertume et plus d’inimitié pour le nouvel ordre de choses. L’émigration des princes et des principales familles, l’indécision du roi, la sotte présomption des intrigants qui l’entouraient, l’énergie de l’Assemblée nationale et des patriotes, la puissance manifeste du mouvement révolutionnaire, tout contribuait à la convaincre de l’impuissance de son parti, et dès lors elle ne mit plus son espoir que dans une intervention étrangère où l’Autriche aurait la principale action. Toutes les pièces publiées depuis, ses lettres, ses dépêches et autres documents, sortis des archives secrètes de Vienne et d’ailleurs, ont mis en pleine lumière le rôle actif que les révolutionnaires l’accusaient de jouer. On y trouve la preuve des intrigues criminelles de ! a cour des Tuileries avec l’étranger ; on y voit que la reine est la voix qui conseille, la main qui pousse, le centre où tout aboutit, l’âme de la conspiration intérieure contre la France libre, contre la nation. Les soupçons et la haine des contemporains se trouvent ainsi justifiés. Qu’on lise les journaux du temps, et l’on sera étonné de la précision avec laquelle leurs accusations s’accordent avec les documents dont nous parlons.

Marie-Antoinette se fiait peu aux émigrés, qu’elle traitait parfois de lâches. « S’ils réussissent, disait-elle, ils feront longtemps la loi. » (Mme Campan.) Elle redoutait, en outre, Calonne et les princes, qui n’avaient d’autre plan que d’annuler son influence et de la mettre à l’écart. Son seul espoir était dans les armées étrangères. Elle aspirait d’ailleurs au premier rôle ; il y avait autour d’elle des gens qui la poussaient à s’emparer résolument de la direction suprême. Mirabeau, dès qu’il fut en relation avec la cour, travailla dans ce sens, et c’était naturellement l’idée du comité autrichien, des La Marck, des Mercy, des Thugut, des Montesquieu, des Breteuil, etc. Dans une lettre de La Marck au comte de Mercy, datée du 28 septembre 1791, nous voyons que Montmorin, ministre des affaires étrangères, était chargé par elle de surveiller Louis XVI, qui lui échappait souvent. « Il n’en serait pas de même, dit-il, si elle pouvait prendre le timon des affaires ; car c’est là qu’il faut en venir… Il faut dire le mot : le roi est incapable de régner, et la reine, seule peut y suppléer, le jour où elle sera secondée. » (Revue rétrospective, 2° série, t. II.) Elle était en correspondance continuelle, au sujet de l’intervention, avec son frère l’empereur Léopold et avec le comte de Mercy, ambassadeur d’Autriche.

Quelques jours après le vote de la loi sur le droit de paix et de guerre, qui faisait cependant la part si belle à la royauté, elle écrit à Mercy (12 juin 1790), gémit sur « l’horrible position » de la famille royale, cherche les moyens d’un emprunt de plusieurs millions pour pratiquer des corruptions en France, enfin indique les meilleures conditions d’une intervention armée, d’après les plans de Mirabeau, qu’elle approuve entièrement. La Prusse et l’Autriche devront intervenir « sous prétexte des dangers qu’elles peuvent courir elles-mêmes si jamais ceci se consolide (le régime constitutionnel) et comme trouvant fort mauvaise la manière dont on traite un roi ; » enfin pour appuyer les prétentions des princes allemands sur l’Alsace et la Lorraine. Elle ajoute que les troupes étrangères « pourraient alors parler avec le ton qu’on a quand on se sent le plus fort, en bonne cause et en troupes. » (V. Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II, 1866.) On sait que c’est un des deux recueils de lettres extraites des archives secrètes de la cour de Vienne et publiées par l’archiviste, le chevalier d’Arneth.

Le 17 février 1791, Marie-Antoinette écrit à Léopold II : « … L’Espagne nous a répondu qu’elle nous aiderait de ses forces si vous, le roi de Sardaigne et les cantons en faisiez autant et traitiez d’accord et directement avec nous cet objet. »

On a accusé les journalistes patriotes de violence parce qu’ils poussaient le cri d’alarme, et cependant ils étaient dans le vrai. Nous avons les preuves aujourd’hui que les projets de fuite étaient constamment à l’ordre du jour ; que les correspondances avec l’étranger, que les machinations se poursuivaient avec activité, enfin qu’on n’attendait que le départ du roi pour commencer à la fois la guerre étrangère et la guerre civile.

On sait qu’une première tentative de fuite, sous le prétexte d’un voyage à Saint-Cloud, échoua par la vigilance des Parisiens (18 avril 1791). Deux jours plus tard, la reine écrivait au comte de Mercy : « L’événement qui vient de se passer nous confirme plus que jamais dans nos projets… Il faut que nous ayons l’air de tout céder, jusqu’à ce que nous puissions agir… Avant d’agir, il est essentiel de savoir si vous pouvez faire porter, sous un prétexte quelconque, 15, 000 hommes à Arlon et Virton, et autant à Mons. M. de Bouillé le désire fort, parce que cela lui donnerait moyen de rassembler des troupes et des munitions à Montmedy… Il faut absolument finir dans le mois prochain. »

Après la fuite avortée de Varennes, aux préparatifs de laquelle elle avait pris une grande part, ces manœuvres criminelles se poursuivirent avec la même activité. Marie-Antoinette entra dès lors en relation avec Barnave et les Lameth ; mais elle les joua comme elle avait fait de Mirabeau, en feignant d’entrer dans leurs vues, et pour ce motif qu’ils voulaient une contre-révolution mitigée, possible, et qu’ils entendaient conserver quelques vestiges des créations de 1789.

Au moment où l’Assemblée allait présenter la constitution au roi, qui devait l’accepter, la jurer solennellement en attendant qu’il pût la détruire, la reine écrivait à Mercy (21 et 26 août 1791) : « C’est à la fin de la semaine qu’on présentera ta charte au roi… Ce moment est affreux ; mais pourquoi aussi nous laisse-t-on dans une ignorance totale de ce qui se passe dans l’extérieur ? Il s’agira à présent de suivre une marche qui éloigne de nous la défiance et qui en même temps puisse servir à déjouer et culbuter au plus tôt l’ouvrage monstrueux qu’il faut adopter… 11 n’est plus possible d’exister comme cela ; il ne s’agit pour nous que de les endormir et de leur donner confiance en nous pour les mieux déjouer après… Nous n’avons plus de ressource que dans les puissances étrangères ; il faut à tout prix qu’elles viennent à notre secours. Mais c’est à l’empereur à se mettre à la tête de tous et à régler tout, » etc.

Il serait superflu de multiplier les citations, car les preuves et les témoignages surabondent. C’est un fait parfaitement établi que, de concert avec le roi, elle mendiait sans cesse une intervention année des puissances pour amener la restauration de la monarchie absolue. Constamment elle se plaint des retards et des hésitations, et ses exigences sont telles, que les chefs de la coalition étaient obligés de la modérer. Dans une lettre du 16 février 1792, Mercy, en lui détaillant le plan de l’empereur, qui consistait simplement à faire table rase de tout ce qui s’était fait depuis 1789, lui insinue avec ménagement que ces choses énormes ne pourront peut-être pas s’accomplir d’un seul coup de violence, qu’il faudra procéder successivement, etc. Elle veut bien admettre qu’il serait difficile de rétablir intégralement du premier coup l’ancien ordre de choses. « Mais en même temps, ajoute-t-elle, rien de ce qui existe de celui-ci ne peut rester. » Cela est clair, net et précis. « Rien ! » tel est le dernier, tel est le seul mot de l’Autrichienne. Il ne reste qu’à livrer cela aux méditations des feuillants modernes, qui affectent de croire à la possibilité d’établir un régime constitutionnel quelconque avec des gens qui n’acceptaient pas même l’ombre d’une réforme, qui ne reconnaissaient aucun droit à la nation, rien que l’obligation d’obéir et de payer, de ployer docilement le cou, et à perpétuité, sous la domination d’une poignée de parasites.

Nous donnerons encore un exemple de cette série de trahisons qui avaient pour but de livrer la France à l’étranger.

Après la déclaration de guerre, Dumouriez soumit en conseil secret des ministres son plan pour la conquête de la Belgique. Mais ce plan était à peine communiqué, qu’il était aussitôt livré à l’ennemi. Par qui ? Il serait superflu de le demander.

Le 26 mars 1792, quelques jours après l’installation du ministère patriote, Marie-Antoinette, certainement d’accord avec Louis XVI, écrivait à Mercy, représentant de l’empereur en Belgique, comme on le sait, le billet suivant : « M. Dumouriez, ne doutant plus de l’accord des puissances par la marche des troupes, a le projet de commencer ici le premier par une attaque de Savoie et une autre par le pays de Liège. C’est l’armée La Fayette qui doit servir à cette dernière attaque. Voilà le résultat du conseil d’hier. Il est bon de connaître ce projet pour se tenir sur ses gardes et prendre toutes les mesures convenables. Selon les apparences, cela se fera promptement. » Ici, comme on le voit, ce ne sont plus seulement des demandes de secours : il y a violation des secrets de l’État, intelligence avec l’ennemi, haute trahison. Nous demandons à ceux qui s’apitoient si facilement sur le sort de la reine dans quel temps et dans quel pays un pareil crime eût été absous.

On sait aussi, par Mme Campan, que la reine calculait d’avance les étapes des armées ennemies et fixait approximativement le jour de leur arrivée à Paris.

Dans la journée du 20 juin, où le peuple envahit les Tuileries, elle subit quelques insultes, car la conviction qu’on avait de ses manœuvres et de ses trahisons était alors universelle ; mais il n’est pas établi qu’elle ait couru un danger sérieux. D’ailleurs, elle se savait bien l’objet de l’exécration publique, et depuis longtemps elle ne vivait plus que dans les angoisses et les tourments.

Au 10 août, dernier jour de la royauté, elle montra plus d’énergie que le roi, et elle voulait qu’on se défendît aux Tuileries ; mais Louis XVI, peu belliqueux de sa nature, acquiesça hâtivement au conseil de Rœderer et se réfugia prudemment avec sa famille à l’Assemblée nationale, pendant que ses derniers défenseurs se faisaient courageusement tuer pour défendre un palais vide et une cause abandonnée.

Le famille royale, comme on le sait, assistait dans une loge de journaliste à la séance où fut décrétée la suspension du roi, pendant qu’à deux pas, aux Tuileries, retentissaient la fusillade et le canon. Après trois jours de séjour au couvent des Feuillants, elle fut transférée à la tour du Temple, où, après trois ans de lutte, la Révolution écrouait la monarchie.

La vie de Marie-Antoinette au Temple fut celle de toute sa famille, vie de douleur, sans doute, mais dont on a fait des récits empreints d’une exagération manifeste. Certes, pour une femme si altière, tombée de si haut, cette existence était un supplice de tous les instants. C’était l’expiation. Toutefois, quoi qu’en aient dit les écrivains royalistes, le régime était largement convenable, à part les difficultés de l’installation. On en trouvera la preuve, notamment dans M. Louis Blanc (Histoire de la Révolution), avec tous les détails sur les dépenses, le service, la table, la linge, etc. On trouvera aussi des renseignements curieux sur les dépenses considérables faites pour l’entretien des prisonniers du Temple dans l’ouvrage d’un ultra-royaliste, M. de Beauchêne (Louis XVII). Un autre écrivain fort hostile à la Révolution, M. Campardon, constate (Histoire du tribunal révolutionnaire et Marie-Antoinette à la Conciergerie) que, pendant les deux mois et demi que la reine demeura à la Conciergerie, sa dépense personnelle, sans compter le service, s éleva à 1, 407 livres (qui feraient aujourd’hui près du double). Sa nourriture seule était comprise pour 1, 110 livres, c’est-à-dire près de 450 livres par mois. Pour le temps surtout, on conviendra que cette table était fort raisonnable pour une personne seule. La nourriture de la servante était comprise seulement pour 123 livres au total, soit 50 livres par mois.

Pour revenir au séjour du Temple, on a beaucoup parlé de la surveillance permanente des commissaires de la Commune. Sans doute, cette surveillance était gênante et vexatoire ; mais il faut considérer que la Commune avait la responsabilité des prisonniers, charge effrayante en un tel moment, et qu’il était bien naturel qu’elle prit ses précautions. Cela même n’empêcha pas Marie-Antoinette de nouer des relations au dehors et de racoler à sa cause jusqu’à des officiers municipaux chargés de sa surveillance. On ne sait combien de projets d’évasion furent ainsi ébauchés ; mais tous avortèrent. Après l’exécution de Louis XVI, la reine subit une nouvelle et cuisante douleur : tant de projets d’enlèvement et de complots journellement découverts avaient irrité le peuple et la Convention, et le comité de Salut public ordonna que le fils serait séparé de la mère, pensant bien que celle-ci ne partirait pas seule (3 juillet 1793).

Nous abrégeons le récit de toutes ces angoisses pour arriver au dénoûment de la tragédie.

Le 2 août 1793, Marie-Antoinette fut transférée à la Conciergerie, en vertu du décret de la Convention qui ordonnait son renvoi devant le tribunal révolutionnaire. L’instruction dura longtemps, et ce ne fut que le 14 octobre que l’accusée parut devant le terrible tribunal. Sa culpabilité était notoire, et nous en avons les preuves matérielles aujourd’hui dans les recueils de lettres et de pièces dont nous nous sommes bornés à donner quelques citations. Mais alors on aurait eu difficilement des preuves écrites ; car, longtemps avant le 10 août, la reine, plus prudente que son époux, na s’était jamais couchée sans brûler tous ses papiers compromettants ; ce qu’il en avait pu rester avait été détruit ou perdu après la suppression du tribunal du 17 août. Cependant on avait eu une pièce accablante, interceptée et transmise au comité des recherches : c’était une lettre du comte de Mercy à la reine, où l’on voit que les négociations étaient incessantes et qu’on n’attendait que le moment d’agir, en prenant l’Alsace et Strasbourg pour point central et en s’appuyant sur des insurrections royalistes fomentées dans le Midi, en Bretagne et ailleurs. L’ambassadeur d’Autriche esquissait ensuite d’un ton dégagé les conditions de l’intervention étrangère. Les puissances ne font rien pour rien : il faudra laisser prendre Genève au roi de Sardaigne, lui donner une extension de limites dans la partie française des Alpes et sur le Var ; mêmes sacrifices en faveur de l’Espagne et des princes allemands feudataires en Alsace ; en outre, l’invasion devrait être précédée de la fuite de Louis XVI et d’une guerre civile royaliste, etc. Cette pièce, que nous possédons dans les recueils en question, avait sans doute été soustraite ou égarée, car elle ne figura pas au procès,

Marie-Antoinette fut donc jugée et condamnée sur des présomptions et des indices, il est vrai, de la plus haute gravité, sur des faits notoires, mais à peu près sans preuves matérielles et juridiques. Hâtons-nous d’ajouter que les questions soumises au jury : manœuvres et intelligences avec les puissances étrangères, complot tendant à allumer ta guerre civile en France, que ces accusations étaient d’une exactitude absolue. Sans doute, la République eût pu se montrer clémente et se borner à reconduire cette malheureuse femme à la frontière ; mais qu’on songe aux périls et aux malheurs publics, aux colères légitimes des patriotes, aux luttes terribles dans lesquelles on était engagé, aux manœuvres infâmes des royalistes, à tout ce qui menaçait et attaquait la France nouvelle, et l’on comprendra, sans la justifier, cette implacable justice.

La reine fut digne et courageuse dans son procès, habile dans ses réponses. Elle s’éleva