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un bateau au secours de sa femme ; Gaston sacrifie sa vie à l’honneur de Clotilde, et il est englouti dans les eaux avec le pavillon. Clotilde meurt de chagrin, mais, avant de succomber, elle s’assure une vengeance. Ses mandataires, instruments de cette vengeance posthume, sont deux amis de Gaston, un notaire, Calixte Ermel, et un marinier, Claude Rioux, qui a préféré se laisser condamner aux galères comme voleur plutôt que de trahir le secret de Clotilde ; car M. de Varni l’avait surpris essayant d’aller porter secours à Gaston dans le pavillon. À partir de ce moment, le roman traîne le lecteur à travers des scènes de meurtres et de carnage. M. de Varni, après avoir vu déshonorer et frapper tous les siens par l’infernale habileté de Claude, est, avec la femme de son fils, la victime de cet implacable ministre de haine. Ni le sexe ni l’âge ne trouvent grâce devant ce terrible justicier, qui voit succomber sa femme ar suite de ses machinations, sans être un instant ébranlé. Il se tue lui-même, après avoir fait jurer à son fils une haine éternelle aux Varni. Moins cruel que lui, Calixte Ermel, l’autre exécuteur testamentaire de Clotilde, cherche à entraver cette vendetta héréditaire, et fait enfermer en prison le dernier des Varni pour l’arracher à la vengeance du fils de Claude. Rendu à la liberté, Charles de Varni va s’unir à une femme qu’il aime, lorsque Simon Rioux lui tire un coup de pistolet, qui ne le tue pas, mais qui tue le notaire. Charles tire à son tour sur Simon et le tue. La vendetta est terminée et le roman avec elle. Ce genre de littérature sanglante est bien passé de mode.

Mémoires d’un mort, roman d’Eugène Sue (1851). L’auteur ne s’est proposé dans ce livre que l’étude quelque peu paradoxale d’un caractère ; il a voulu peindre un homme qui, sans être méchant ni féroce, ne fait que le mal, soit par hasard, soit par faiblesse.

Fernand Duplessis, son héros, a deux amis, Hyacinthe Durand et Jean Raymond ; au collège, on appelait Raymond Brutus et Hyacinthe Mademoiselle. Emmené par Raymond chez sa mère, Fernand en devient amoureux, raconte sa passion à un camarade qui fait partie de la police secrète, et par la même occasion lui raconte qu’un homme se cache dans la maison. C’était un oncle de Raymond, soupçonné de complot républicain. Trahi par l’indiscrétion maladroite de Fernand, le proscrit se voit condamné à mort et n’échappe que grâce au courage de quelques amis. Mme Raymond est punie de deux ans de prison pour lui avoir accordé l’hospitalité. Voilà pour l’adolescence de Fernand Duplessis.

Plus tard, il retrouve Durand marié à une femme dont il s’éprend. Il ne voudrait pas trahir l’amitié, mais la faiblesse de son caractère l’emporte. Il devient l’amant de Césarine, et Durand, frappé au cœur, meurt en pardonnant aux coupables, à la condition qu’ils s’uniront ; mais Fernand abandonne aussitôt Césarine.

Deux ans plus tard, fatigué de la vie de garçon, il se laisse marier à une femme supérieure, Albine Chevrier. Raymond, son ancien camarade, encore une fois conspirateur malheureux, vient lui demander asile avec sa mère ; Fernand l’accueille généreusement et sent se réveiller plus violente que jamais sa passion pour Mme Raymond. Il s’aperçoit que sa femme aime Raymond, et, jugeant les autres d’après lui, il se croit trahi. Pour se venger, il tente de faire violence à la mère de son hôte. Il échoue dans cette tentative, dont la victime ne veut pas rester plus longtemps sous son toit. En fuyant, Raymond et sa mère sont arrêtés. Une explication a lieu entre Albine et Fernand, qui comprend alors tout ce qu’il y a de noblesse et de grandeur dans le cœur de sa femme qu’il a méconnue. Mais il est trop tard : tandis qu’il va essayer de délivrer Raymond et sa mère, que la Révolution de 1830 fait mettre en liberté, Albine expire de douleur, croyant Raymond mort sur l’échafaud. Fernand reste seul, ayant à peu près causé la mort de tous ceux qui l’aimaient ; c’est là son expiation.


Mémoires de Bilboquet, recueillis par un bourgeois de Paris (1854, 3 vol. in-18). Deux ou trois hommes d’esprit, qui ont voulu garder l’anonyme, se sont amusés à parodier sous ce titre les Mémoires du docteur Véron. Le personnage épique des Saltimbanques, celui qui dit si bien : « Sauvons la caisse ! » ou : « Cette malle n’est à personne, elle doit être à nous, » était un type tout trouvé pour patronner une satire irigée surtout contre les agioteurs et les banquistes, qui pullulaient dès les premières années du règne de Napoléon III}. Bilboquet cingla, sur les épaules de l’inventeur de la pâte Regnault, tous les puffistes et faiseurs de réclames. C’est là un des côtés du livre. Mais la satire des mœurs actuelles n’était guère possible dans ce temps-là, et, profitant de ce que les Mémoires d’un bourgeois de Paris étaient tout à fait rétrospectifs, c’est aussi en arrière que Bilboquet affecte de regarder ; en racontant sa vie, il ne parle tout naturellement que de la Restauration et du règne de Louis-Philippe. Comme le docteur, il nous fait entrer surtout dans les cafés, les théâtres et les antichambres des journaux. Les temps n’étaient pas tellement changés, à certains égards, que la société du second Empire ne pût se reconnaître dans ces industriels qui annoncent à grand fracas la mise en action des tiges de bottes pour l’alimentation publique, et dans ces fondateurs de journaux qui calculent, non pas la portée politique d’une feuille, mais ce qu’elle peut contenir d’annonces. La charge est poussée jusqu’à l’excentricité dans les Mémoires de Bilboquet ; les événements et les personnages s’y déforment et prennent une tournure grimaçante ; mais cette vive satire amuse comme un dessin de Cham ou de Daumier.


Mémoires du comte de Comminges, roman de Mme  de Tencin. V. Comminges.


Mémoires du comte de Gramont, par Hamilton. V. Gramont.


Mémoires de deux jeunes mariées, roman par H. de Balzac. V. Scènes de la vie privée.


Mémoires d’un journaliste, par M. de Villemessant. V. journaliste.


Mémoires de M. Joseph Prudhomme, roman de Henri Monnier. V. Prudhomme.


Mémoires du marquis d’Argenson, de Carnot, de B. Cellini, Dangeau, secrets sur le règne de Louis XIV, etc., par Duclos, de Dumouriez, de Duplessis-Mornay, sur la Révolution française par Mme Elliot ; de Mme d’Épinay, de l’Estoile, de Franklin ; de Frédéric II, de Mme de Genlis, de Goethe, de Mme du Hausset, de Jefferson, de Joinville, de Joly, du roi Joseph ; de Levasseur de la Sarthe, de Loménie de Brienne, de Louis XIV, de Luther, du duc de Luynes, de J. de Maistre, de Mallet-du-Pan, de Marguerite de Valois, sur la vie privée de Marie-Antoinette par Mme Campan ; de Marmont duc de Raguse, de Marmontel, de Mathieu Molé, de Maximilien ; de Mlle de Montpensier, de Mme de Motteville, d’Antonio Perez, de la marquise de Pomponne, de Psalmanasar, du cardinal de Retz, du cardinal de Richelieu, du maréchal de Richelieu, de Mme Roland, de Rostopchine, de Saint-Simon, de Sheridan, de lady Stanhope, du maréchal de Tavannes, etc. V. ARGENSON, CARNOT, B. CELLINI, DANGEAU, LOUIS XIV, etc.


MÉMONDAR s. m. {mé-mon-dar). Officier persan chargé d’accueillir et de faire héberger les étrangers.


MEMOR (Scaeva), poëte latin, né à Arunca. Il vivait au Ier siècle de notre ère. Sidoine Apollinaire n’hésite point à le citer auprès de Catulle et de Lucrèce. Il avait composé plusieurs tragédies, entre autres un Hercule, dont Fulgentius Planciades nous a transmis un vers dans son livre De prisco sermone ; Saumaise lui attribue la tragédie d’Octavie, comprise parmi celles de Sénèque.


MÉMORABLE adj. (mé-mo-ra-ble — lat. mémorabilis ; de memoria, mémoire). Qui est digne de rester dans la mémoire des hommes : Une action mémorable. Un fait mémorable. Une journée mémorable. Plus d’une victoire mémorable a été gagnée par des recrues qui n’avaient jamais vu le feu. (E. de Gir.)


MÉMORABLEMENT adv. {mé-mo-ra-ble-man — rad. mémorable). D’une manière mémorable : Un commandant qui s’est mémorablement défendu.


MÉMORANDUM s. m. (mé-mo-ran-domm — mot lat. qui signifie : Chose qu’on doit se rappeler) ; Note diplomatique adressée par un gouvernement à un ou plusieurs gouvernements étrangers, dans le but d’exposer l’état d’une question, et de justifier les mesures qu’on a prises ou qu’on se propose de prendre : Adresser un mémorandum à la Russie.

— Note qu’on prend d’une chose qu’on veut ne pas oublier || Carnet sur lequel on inscrit des notes de ce genre.

— Encycl. Cette expression n’a commencé à être employée dans la langue diplomatique que depuis le règne de Henri IV, époque où les lois internationales commençant à être mieux définies, et les relations entre les gouvernements devenant plus régulières, on comprit le besoin d’une langue unique pour la diplomatie, et l’on créa des expressions nouvelles pour désigner des idées politiques nouvelles.

Le mémorandum est un mémoire, une note diplomatique qui se distingue des autres notes diplomatiques par son importance. Ce n’est pas une simple communication de cabinet à cabinet ; c’est l’exposé de l’état d’une question et des raisons qui ont déterminé un gouvernement à prendre telle ou telle attitude, telles ou telles mesures pour soutenir son droit. Jadis les mémorandums n’étaient pas livrés à la publicité ; mais, dans les pays où l’opinion publique est passée à l’état de puissance, les mémorandums sont mis le plus souvent au grand jour, car ils ne s’adressent pas moins au pays au nom duquel on parle qu’à la puissance avec laquelle on négocie. Un mémorandum doit être écrit avec le plus de simplicité et le plus de clarté possible, de façon que chacune des expressions y soit utile à l’objet que l’on a en vue et ne prête à aucune équivoque.


MÉMORATIF, IVE adj. (me-mo-ra-tiff, i-ve — du lat. memorare, rappeler). Qui concerne la mémoire : La faculté mémorative n’est pas toujours subordonnée à la volonté. (Alibert.)

— Qui a la mémoire d’une chose, qui se souvient : Il est bien tard, soyez mémoratif. (Volt.)

— s. m. Ce qui aide à rappeler une chose : Je vous avertis de tout cela afin que vous vous munissiez de toutes ces pièces, dont l’envoi de temps à autre servira de mémoratif qui ne sera pas inutile. (J.-J. Rouss.)


MÉMORER v. a. ou tr. (mé-mo-ré — lat. memorare ; de memoria, mémoire). Se rappeler. || Peu usité.


MÉMORIAL, ALE adj. (mé-mo-ri-al, a-le — du lat. memoria, mémoire). Qui a rapport à la mémoire. || Peu usité.

— s. m. Mémoire servant à l’instruction d’une affaire diplomatique : Présenter un MÉMORIAL au gouvernement anglais. On a présenté plusieurs MÉMORIAUX à la cour de Madrid.

— Ouvrage, monument historique, dans lequel sont consignés certains faits mémorables : Le MÉMORIAL de Sainte-Hélène.

— Théol. Signe, figure qui rappelle une chose : L’eucharistie est le MÉMORIAL de la passion de Jésus-Christ.

— Hist. Nom donné, dans l’ordre de Malte, à l’extrait des preuves de noblesse qu’on devait présenter pour être reçu chevalier. || Nom que portaient les bas officiers des archives impériales du Bas-Empire.

— Administr. Registre sur lequel, dans les chambres des comptes, on transcrivait les lettres patentes des rois : MÉMORIAUX de la chambre des comptes. || Mémorial administratif, Recueil des actes administratifs d’une localité.

— Fin. Journal sur lequel les négociants et les banquiers inscrivent leurs affaires à mesure qu’elles se font.


Mémorial de Gouverneur Morris, ministre plénipotentiaire des États-Unis en France, de 1792 à 1794, publié par J. Sparks (1833 ; trad. franç. abrégée, Paris, 1841). Ces mémoires ont une importance particulière entre toutes les relations historiques relatives à la Révolution française. On y voit une intelligence d’élite pour qui la science politique semble n’avoir point de secrets, qui trouve dans l’appréciation des causes la révélation des effets, et qui, dès 1789, déchirant le voile de l’avenir, devina la marche de la Révolution à l’allure de ses premiers pas, en signala les écarts, en indiqua les crises, en prédit les résultats. Gouverneur Morris a mieux jugé la Révolution à son début qu’aucun Français de la même époque. Personne, il est vrai, n’était mieux placé que cet Américain pour observer et juger un si grand événement. Étranger aux intérêts de ses auteurs, ainsi qu’à leurs passions et à leurs préjugés, citoyen de l’État le plus libre du globe, personne ne savait mieux que lui par quels moyens on peut acquérir et conserver la liberté, par quelles fautes on risque de la perdre. Ses fonctions diplomatiques ne durèrent que deux ans, mais son séjour remontait à l’année 1789, et son départ pour l’Amérique n’eut lieu qu’en 1799. Pendant ce laps de temps, Morris vit tout, comprit tout, et jugea avec beaucoup de sagacité les hommes et les événements. Pour en donner une idée, nous citerons quelques-uns de ses jugements. À propos de Necker, il s’exprime ainsi : « Il a une tournure de comptoir et des manières qui contrastent beaucoup avec son habit de velours brodé. Son salut, sa démarche semblent dire : « C’est moi qui suis l’homme !… » Si c’est réellement un grand homme, je serai trompé ; cependant mon jugement peut être téméraire ; mais je serais également trompé, si ce n’était pas un homme laborieux. » Quinze jours ayant l’ouverture des états généraux, Morris écrivait : « Si la cour essaye de se dédire maintenant, il est impossible de prévoir ce qui arrivera. Les chefs du parti patriote sont allés trop loin pour pouvoir reculer sans se compromettre. Si la nation à réellement quelque vigueur, le parti dominant dans les états généraux pourra, à sa volonté, renverser, non-seulement le roi, mais la monarchie elle-même, surtout si Louis XVI compromettait son autorité dans une lutte avec l’Assemblée. La cour est d’une mollesse extrême et les mœurs y sont si corrompues, qu’elle ne pourrait tenir contre une opposition bien organisée, à moins toutefois que la nation entière ne fût aussi dépravée. L’évêque d’Autun passe la soirée avec nous, chez Mme de Flahaut. C’est son ami intime. Cet homme me paraît fin, froid, rusé, ambitieux et méchant. Je ne sais pourquoi mon esprit tire de ce personnage des conclusions aussi désavantageuses ; mais c’est comme cela, et je ne saurais qu’y faire. La Fayette m’ayant dit qu’il voudrait qu’il y eût deux Chambres comme en Amérique, je réplique qu’une constitution américaine ne convient pas à ce pays, et que deux Chambres semblables n’iraient pas à une nation où il y a un pouvoir exécutif héréditaire ; que chaque pays doit avoir une constitution appropriée à sa condition, et que le caractère de la France exige un gouvernement plus relevé que celui de l’Angleterre. Je vais dîner chez Mme de Staël. Elle n’est pas encore rentrée. J’y trouve l’abbé Sieyès. Il disserte avec beaucoup de suffisance sur la science du gouvernement, méprisant tout ce qui a été dit sur ce sujet avant lui. Mme de Staël dit que les écrits et les opinions de l’abbé formeront une nouvelle ère en politique comme ceux de Newton en physique. » Le 21 janvier 1794, Morris écrivait à Jefferson : « Les succès de la République française feront plaisir aux amis de la France ; car, quelles que puissent être les opinions à l’égard d’un gouvernement susceptible de recevoir encore une douzaine de transformations, le pays n’en inspire pas moins d’intérêt, et les faits démontrent que le plan de démembrement dont je vous ai parlé depuis longtemps existe en réalité : ce projet perd les alliés. »

Circonspect et prudent, cet homme d’esprit et cet honnête homme brave le péril et défie les menaces, quand pour lui il y a nécessité et devoir. Sa maison devient un sûr asile pour les proscrits ; sa générosité porte remède à de grandes infortunes ; il pourvoit au salut du jeune duc d’Orléans (Louis-Philippe) et obtient de l’Autriche la reddition de La Fayette. Sympathique à la cause populaire, conseiller judicieux de la monarchie mourante, pris de pitié pour une aristocratie déracinée et décimée, il trouve un accès facile dans les salons et dans les clubs. Il signale les erreurs, les illusions, les fautes ; il donne à chacun les meilleurs avis. Puis il écrit ses réflexions, qui sont toujours des présages ; la date s’y trouve ; et sa pénétration est en avance sur les événements d’une ou deux années.

« Morris est un observateur précieux, dit M. Philarète Chasles ; jamais la Révolution française ne fut jugée par un témoin aussi impartial, par un homme venu de l’autre monde pour assister à ce grand drame, par un Américain, membre du congrès où siégèrent Franklin et Washington. Démocrate de fait et non de théorie, il sait par expérience comment se fonde la liberté. Il n’en appelle pas au souvenir de Rome et d’Athènes ; ses propres souvenirs lui suffisent… Il ajuste assez de puritanisme américain pour ne pas excuser le moindre vice, et assez d’expérience du monde pour ne pas être dupe d’un seul faux-semblant. Ajoutez à cela qu’il ne fait point de portraits brillants dans l’intention d’être admiré ou de s’admirer lui-même ; aussi son opinion, qui n’est ni exagérée ni dénigrante, est-elle singulièrement redoutable. »


Mémorial de Sainte-Hélène ou journal où se trouve consigné, jour par jour, tout ce qu’a dit et fait Napoléon pendant dix-huit mois, par Las Cases (Paris, 1823, 8 vol. in-8o). Très-attaché à Napoléon dont il était chambellan, l’auteur de cet ouvrage obtint, après Waterloo et la seconde abdication, l’autorisation d’accompagner à Sainte-Hélène le despote déchu. Il devint alors son secrétaire et resta auprès de lui jusqu’au 27 novembre 1816, jour où, sur la demande du gouverneur anglais, il fut arrêté et expulsé de Sainte-Hélène. Durant son séjour de dix-huit mois auprès de Napoléon, il avait consigné, jour par jour, tout ce qui avait trait à l’existence de ce dernier et les conversations familières dans lesquelles l’empereur tombé, revenant sur son passé, jugeait les événements de sa carrière et les hommes au milieu desquels il avait vécu. Ce fut cette suite de notes qu’il publia quelques années après son retour en France. Il n’y a point de composition proprement dite dans le Mémorial de Sainte-Hélène ; les sujets les plus divers y sont traités presque simultanément, et la division du livre par mois n’empêche pas l’auteur de mêler le passé au présent.

Quelque décousu qu’il soit, le Mémorial n’en est pas moins un ouvrage curieux et intéressant. On y trouve des vues politiques quelquefois neuves et profondes, de vastes projets, des tableaux dignes de l’histoire, des portraits de personnages qui sont présentés sans masque, des souvenirs intéressants et instructifs, des anecdotes curieuses, des récits d’événements dont l’influence se fait encore sentir. Le livre est d’une lecture attachante ; mais il est utile, lorsqu’on fait cette lecture, de se prémunir contre l’enthousiaste admiration que Las Cases professe pour Napoléon, de ne pas se laisser aller à l’entraînement et de chercher l’enseignement qui ressort de la conduite de Bonaparte. Or, ce qui frappe tout esprit judicieux et élevé, c’est l’égoïsme monstrueux de celui que Proudhon appelait « un grand virtuose de batailles ; » c’est son ambition démesurée et fatale ; c’est l’action funeste et désastreuse qu’il a exercée sur les destinées de la France en faisant dévier la Révolution de sa voie, en faisant appel aux masses pour implanter un despotisme odieux.

Naturellement, Las Cases ne veut voir dans l’Empire que la gloire des armes, dans Bonaparte que le génie du conquérant. Son but est de réhabiliter le tyran, « l’ogre de Corse. » Il a la prétention de faire connaître ce qu’il croit la vérité, de mettre à nu le cœur, l’âme de Napoléon, qui disait, sur son rocher solitaire, en se faisant une profonde illusion : « Chaque heure me dépouille de ma peau de tyran… Ma mémoire gagnera tous les jours… Quand les écrivains, les orateurs voudront être beaux, ils me rendront justice ; ils me loueront, etc. » Le confident du potentat détrôné ne se doute pas qu’il pose devant la postérité, qu’il se donne, peut-être à son insu, un rôle nouveau. Napoléon prend ici une attitude de philosophe, de monarque libéral. À l’entendre, s’il n’a pu réaliser ses