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MORAÏTE s. et adj. (mo-ra-i-te). Géogr. Habitant de la Morée : qui a rapport à ce pays ou à ses habitants : Les MoraÏtes. La population moraïte.

MORAL, ALE adj. (mo-ral, a-le — lat. moralis ; de mores, mœurs). Qui a rapport aux mœurs, à la conscience : Réflexions morales. Études morales. Philosophie morale. Théologie morale. La conscience morale, est ce tribunal intérieur qui siège au dedans de nous, inflexible comme Rhadamante. (Platon.) La conscience morale est le Verbe éternel qui parle à toutes les nations le même langage. (Malebranche.) La beauté physique sert d’enveloppe à la beauté intellectuelle et à la beauté morale. (V. Cousin.) Le sentiment moral est l’écho de tous les jugements moraux et de la vie morale tout entière. (V. Cousin.) Le mal moral est, de tous les maux, le plus hideux à contempler. (Guizot.) || Considéré au point de vue des mœurs : La conscience est l’instinct de l’homme moral. (Sanial-Dubay.)

— Qui a de bonnes mœurs : Homme moral. || Qui est conforme aux bonnes mœurs : Conduite morale. Vie morale. Ce qui n’est pas juste n’est pas moral et ce qui n’est pas moral n’est pas juste. (Ch. Dollfus.) || Qui est propre à favoriser les bonnes mœurs : Un livre moral. Une comédie morale, La seule obligation du théâtre, pour qu’il soit moral, c’est d’être vrai. (Rigault.) Le stoïcisme était une doctrine morale et populaire. (Lacordaire.) L’amour a quelque chose de moral qui vivifie le cœur et le porte à ta vertu. (A. Martin.)

— Intellectuel, spirituel, par opposition à physique : Le monde moral et le monde physique. La société dépend moins des convenances physiques que des relations morales. (Buff.) Je ne connais qu’un sens auquel rien de moral ne se mêle : c’est le goût. (J.-J. Rouss.) Le tact et le goût du beau, dans la littérature et les arts, sont un véritable sens moral. (Boiste.) Dans le monde moral, comme dans le monde physique, il est une sorte de beauté qui vient des oppositions et des contrastes. (Frayssinous.) Il y a chez les nations des besoins moraux plus impérieux que les besoins physiques. (Chateaub.) La nature matérielle est beaucoup plus bornée que la nature morale, soit pour jouir, soit pour souffrir, (St-Marc Girard.) || Qui affecte l’âme, l’esprit, et n’atteint pas les sens : La gloire est une récompense morale accordée par la société aux actions et aux vertus d’éclat. (Duclos.) Le pouvoir matériel est bien peu de chose s’il n’est soutenu par le pouvoir moral. (Dupin.) Ce sont des idées, des influences morales qui se cachent sous les accidents de la force et règlent le cours des sociétés. (Guizot.)

— Philos. Qui est fondé, non point sur un raisonnement ou des faits rigoureux, mais sur des convenances ayant quelque chose de nécessaire : Certitude morale. Preuves morales. Impossibilité morale. Il y a une impossibilité morale qui détruit la possibilité mathématique. (Buff.) || Sens moral, Faculté intellectuelle qui nous fait distinguer le bien du mal moral : On peut avoir beaucoup d’idées et ne pas avoir du tout le sens moral. (L.-J. Larcher.)

— Théol. Vertus morales, Vertus qui ont pour fondement les lumières de ! a raison ou l’instinct de la conscience : Les vertus chrétiennes ont la religion pour fondement ; les vertus morales n’ont d’autre fondement que la conscience et la raison. || Sens moral des écritures, Sens découvert par voie d’interprétation et qui n’est pas littéralement celui du texte : Le sens moral est souvent fort éloigné du sens littéral.

— Littér. Contes moraux, Contes destinés à faire ressortir une idée morale : Les contes moraux de Marmontel.

— s, m. Ensemble des facultés humaines qui se rapportent à la sensibilité et à l’activité : Avoir le moral affecté. Relever le moral de quelqu’un. Si le physique va trop bien, le moral se corrompe. (J.-J. Rouss.) Le physique gouverne toujours le moral. (Volt.) Dans la culture du moral, faites toujours marcher l’éducation du cœur avant celle de l’esprit. (Lepelletier de la Sarthe.) Le moral n’est que le physique considéré sous certains points de vue plus particuliers. (Cabanis.) Tout être humain est l’artiste de sa propre personne au moral et au physique. (G. Sand.) Les hommes diffèrent beaucoup plus au moral qu’au physique. (Maquel.) Toute grimace cache une imperfection au moral comme au physique. (A. d’Houdetot.) L’homme, au moral comme au physique, n’est que ce que la femme le fait. (Le P. Ventura.)

MORAL-DE-CALATRAVA, ville d’Espagne, province et à 20’kilom. de Ciudud-Real ; 4, 520 hab. Commercé de vins, laine et huiles. C’était autrefois une commanderie de l’ordre de Calatrava.

MORALE s. f. (mo-ra-le — rad. moral). Science ou doctrine qui donne des règles de conduite fondées sur la notion du bien et du mal moral ; Une saine morale. Une fausse morale. Morale sévère. Morale relâchée. La morale est la science par excellence ; c’est l’art de bien vivre et d’être heureux. (Pase.) Voulez-vous apprendre la morale ? — La morale ? — Oui.Qu’est-ce qu’elle dit cette morale ? Elle traite de la félicité, enseigne aux hommes à modérer leurs passions, et….Non,.. laissons cela : je suis bilieux comme tous les diables, et il n’y a morale qui tienne, je veux me mettre en colère tout mon soûl,’quand il m’en prend envie. -(Mol.) La bonne politique n’est pas distinguée de la bonne morale. (Mably.) Il n’y a guère de maxime de morale dont on ne fit un aphorisme de médecine. (Dider.) La morale route encore plus sur les devoirs que sur les vertus actives. (Turgot.) Avec la liberté, la. morale améliore la-religion ; avec l’esclavage, la religion fausse la morale. (B. Const.) Par la morale des intérêts, l’âme humaine perd sa beauté, la vertu ses leçons, l’histoire ses exemples. (Chateaub.) La morale est la base de la société. (Chateaub.) La morale est une, puisqu’il existé pour toute’l’espèce humaine des lois qui ne sauraient être impunément violées. (Droz,) La morale n’est qu’une déduction et une application de la psychologie. (Damiron.) La morale générale est le rapport de la liberté avec la raison. (Mesnard.). La morale est la science du devoir et des devoirs. (Gérùzaz.) Les principes de la morale sont des axiomes immuables comme ceux de la géométrie. (V. Cousin.) La morale est la pierre sur laquelle repose toute chose. (Bûchez.) Il est évident aujourd’hui que la morale existe indépendamment des idées religieuses. (Guizot.) La morale est une plante dont la racine est dans le ciel, et dont les fleurs et les fruits parfument et embellissent la terre. (Lamenn.) La seule science de l’homme est la morale, et la morale est tout, entière dans les passions. (Senancour.) La morale ne doit pas nous demander plus que nous ne pouvons, sous peine d’obtenir moins que nous ne devons. (Nisard.) La morale est aussi nécessaire à l’homme que l’air qu’il respire. (Pariset.) La morale est l’hygiène de l’âme. (Ch. Dollfus.) La morale n’a de sanction quelle-même. (Proudh.) La morale a le beau privilège de réunir en un même sentiment tous les esprits honnêtes’(Renan.) Il n’y a pas une morale pour ta vie privée et une morale pour la vie publique. (3. Simon.) La morale n’est autre chose que la jurisprudence de notre destinée. (E. Pelletan.) Les principes de la morale sont des vérités absolues. (H. Taine.) ; La morale est un champ fertile Que jamais nous n’épuistrons.


Il Application pratique des règles de la science des mœurs ; conduite dirigée par ces règles : Les bienséances sont la sauvegarde de la morale publique. (Laharpe.) Il y a des gens qui n’ont de la morale qu’en pièce ; c’est une étoffe dont ils ne se font jamais d’habit. (J. Joubert.) Nous trouvons toujours le moyen d’ajuster notre morale à nos goûts et même à nos passions. (Mme de Salm.) Plus on a de morale en paroles, moins on u de mœurs en réalité. (Palissot.) Les deux grands moyens d’avancer la civilisation sont de propager la morale et l’industrie. (Droz.) L’opinion publique, c’est la conscience de touç, la morale collective. (V. Cousin.) Il n’y a pas de vertu sans sacrifice et p<i* de morale sans effort sur soi-même. (S. de Sacy.) U suffit d’une âme honnête et simple pour pratiquer la morale. (Çormen.) Nulle société ne peut se passer de morale. (Vacherot.) La morale se purifie à mesure que la science grandit. (E. Liuré.) La morale suffit pour donner à la vie un sens et un but, (Renan.) La morale inébranlable est celle qui ne dépend que d’elle-même et découle directement de l’idée du bien. (E. About.) Mère du vrai bonheur et base d’un empire, 0 momie/ avec toi tout fleurit, tout respire. Fa. de Neufchâteau. À quoi sert de parler comme une pastorale. Et quel profit croit-on qu’en tire la morale f Ponsard. — Fam. Réprimande, leçon mêlée de reproches : Faire la morale à quelqu’un. La morale hors de propos est chose fort ridicule. (Dupin.) Voilà comme ils sont tous, ces faiseurs de morale.’ Al. Duval.

|| Exhortation, conseils pratiques : Je voulus bien prendre une petite dose de morale ; je m’en trouvai assez bien. (M° » « de Sév.) Une morale nue apporte de l’ennui ; Le conte fait passer le précepte avec lui. La Fontaine.

— Par anal. Ce qui tend à persuader la pratique de la sagesse, en quelque point que ce soit : L’indigestion est chargée par le bon Dieu de faire de la morale aux estomacs. (V. Hugo.)

Morale indépendante, Expression nouvelle par laquelle on désigne la morale ou la notion du bien et du mal comme une idée nécessaire, supérieure et antérieure a toute loi révélée ou positive.

— Législ. Offense à la morale publique, Délit consistant dans l’émission en public, par voie de" presse ou autrement, de propositions jugées contraires aux bonnes mœurs.

— Littér. Conclusion pratique qu’un écrivain a voulu faire tirer de son ouvrage :La morale d’un apologue, d’une fable. La morale d’un discours, d’une pièce de théâtre. La morale est bien mieux placée à la fin qu’au commencement de la fable. (Lamotte.)

— Philol. Traité de morale t La morale d’Aristote.

— Encycl. Philos. I. Aperçu historique. Kant, après de longues hésitations et de nombreux détours, en était venu à placer la morale à la base de la philosophie tout entière, et à fonder sur elle une véritable théodicée, nous pourrions presque dire une théologie. Ce n’est pas ici le lieu de discuter cette doctrine originale qui fonde sur l’idée du droit et du devoir l’existence de Dieu, considérée comme un i postulat de la raison pratique ; • nous voulons seulement faire remarquer ce fait véritablement frappant, que la morale, par un privilège unique dans l’histoire de la philosophie, a réuni l’assentiment, on peut dire unanime, de tous les philosophes ; si bien que, d’accord sur le fait principal, ils ne se sont guère livrés, à son sujet, qu’à des discussions purement théoriques, ce qui autorisait Kant à voir dans la morale un terrain solide sur lequel il pouvait asseoir tout son édifice philosophique. Le principe est en effet à’peu près incontesté,’et les dissidences qui se sont produites au sujet de la morale tombent sur des questions purement spéculatives, qui s’évanouissent quand il s’agit de préciser l’application. Le but est le même pour tous, la manière de le justifier est seule différente.

Enumérons les points qui forment l’acepjd des philosophes, nous signalerons ensuite ceux qui les divisent.

Le bien est la règle unique de l’activité humaine. Il n’est donc pas douteux que le bien existe, au moins subjectivement, puisque l’homme agit. L’existence du mal Vest pas moins cortaino, car, avant d’agir, l’homme réfléchit, hésite, choisit, et souvent, après l’acte, il regrette et se repeiit. Le bien qui nous paraît désirable, et dont la recherche constitue la morale, peut être personnel à l’agent ou exister en dehors de lui ; dans un cas comme dans l’autre, les philosophes s’accordent à dire, sans s’accorder sur les moyens de le prouver, que cette recherche du bien est obligatoire et constitue le devoir ; ils ajoutant, en le prouvant également par des raisonnements divers et même contradictoires, que le droit peut atteindre autrui et devenir corrélatif du devoir. Parmi les devoirs de cette dernière catégorie, ils distinguent les devoirs de famille et les devoirs de société, c’est-à-dire ceux qui obligent les sujets envers l’État et réciproquement.

L’accord presque unanime que nous venons de signaler sur les divers points énoncés n’est point né du temps et des circonstances, il exista aux âges les plus reculés que nous fasse connaître l’histoire. La morale a toujours et universellement été reconnue comme la base nécessaire de toute association. Sans remonter aux origines orientales qui, tout imparfaitement connues qu’elles" soient, ne laissent pas de porter des, traces d’une morale élevée, la Grèce, du plus loin qu’elle nous est connue, nous révèle des principes de morale dont la sagesse a fait à bon droit l’admiration de toutes les générations. « Connais-toi toi-même, • disait Chilon ; et cette maxime, inscrite dans un des temples les plus vénérés de l’antiquité, peut être considérée comme la base nécessaire de toute sagesse. S’étudier pour arriver’à se connaître, fouiller sa conscience pour y trouver le secret de sa dignité et de sa faiblesse, le germe unique de tous les droits et de tous les devoirs, on ne saurait donner à la personne humaine un conseil plus profond et plus fécond. • Rien de trop, » disait Solon à son tour. La mesure, c’est en effet toute la vertu grecque, et c’est généralement par le défaut de mesure que pèchent les morales religieuses qui lui ont succédé. Le stoïcisme, qu’on admire encore de nos jours sous le nom de morale chrétienne, bien que la morale chrétienne soit précisément sortie de la mesure, dérive en droite ligne de la fameuse maxime de Solon, dont il n’est que le développement pratique.

Mais à ces deux grands préceptes, qui ont une apparence personnelle, égoïste, et qui ne semblent régler que les devoirs envers soi-même, la Grèce joignait des pratiques morales dont plusieurs se sont notablement affaiblies. Nous nous contenterons de citer : l’esprit de famille, qui fut favorisé dans les temps anciens par l’égalité des sexes, oubliée plus tard ; le respect pour la vieillesse, c’est-à-dire pour la faiblesse, pour l’expérience acquise et pour les services rendus ; la pratique de l’hospitalité, qui créait de véritables liens de parenté ; l’amour de la liberté, le legs le plus admirable qu’aucune société ait jamais t’ait au monde, la véritable source des vertus viriles ; le respect des lois, l’amour de la gloire, etc., etc. Et pourtant, chose bien singulière, et qui prouve quelque peu selon nous l’inanité de la théorie, tant de vertus si noblement pratiquées coexistaient chez les Grecs avec une croyance qui aurait dû les détruire, toutes : la croyance au destin. Aucune morale, en effet, n’est pratiquement possible avec le dogme du fatalisme. Si les actions humaines sont nécessaires, inéluctablement réglées par une volonté supérieure à la volonté humaine, si le libre arbitre n’est qu’une illusion, aucun effort humain n’est utile, aucune vertu n’est praticable, et l’homme qui s’efforce de lutter contre la volonté divine ou de provoquer son accomplissement est tout aussi ridicule que le fou qui se buterait à la terre pour l’empêcher de tourner ou pour accélérer son mouvement. Cette inconséquence des fatalistes grecs est loin de leur être particulière ; aucune voix, pas même celle de la superstition et du fanatisme, ne peut étouffer la voix mystérieuse de la conscience, qui nous pousse vers le bien. Le Coran, si plein de sentences fatalistes qui nient la liberté humaine, contient plus encore de précoptes moraux qui supposent l’usage de la même liberté. La philosophie elle-même n’échappe pas à ces contradictions. Socrate, qui identifie la vertu et le savoir, Socrate, partisan avoué du déterminisme, s’oublie à tous moments à donner des conseils qui supposant la liberté et affirme plus d’une fois la liberté elle-même.

Après des variations, faciles à comprendre chez un peuple si raisonneur, les Grecs finirent par aboutir au stoïcisme, forme élevée, forme redoutable, pourrions-nous dire «, mais séduisante en même temps, de la morale philosophique. Le stoïcisme fut la morale de Rome et semblait, bien que d’origine grecque, créé tout exprés pour cette race d’Hommes impassibles, que le patriotisme élève dès l’origine au-dessus de tout sentiment humain. On reproche toutefois au stoïcisme dès tendances outrées et antinaturelles ; la christianisme, qui l’adopta, exagéra ce vice en créant la vertu surnaturelle. La morale du sacrifice, la morale de la virginité, le renoncement mystique à tous les sentiments humains, telle fut à l’origine la morale chrétienne ; et cette morale, qui répondait à une erreur assez générale de l’esprit humain, l’amour de l’étrange, de l’outré, cette morale s’exagéra de plus en plus dans le silence mystique des cloîtres. Longtemps soumise et domptée par la foi, la raison philosophique n’osa lutter ouvertement contre la morale religieuse, et ce respect superstitieux est loin d’être même aujourd’hui complètement éteint. Bien des esprits, définitivement dégagés des liens du dogme, demeurent les esclaves volontaires de la morale chrétienne et ne se permettent d’en parler que pour en faire un éloge irréfléchi. Nous ne reviendrons pas dans cet article sur la question de la morale révélée ; mais les principes que nous exposerons sur la nature et le but de la morale naturelle suffiront, croyons-nous, pour en faire la critique.

— II. Nature, but et origine de la morale. L’amour du bien, nous l’avons déjà dit, existe dans le cœur de tous les hommes ; et cette "proposition, non-seulement n’est pas contestable, mais n’est même pas bien loin d’être une tautologie, car dire que l’homme aime ou désire, c’est dire qu’il est des choses qu’il trouve désirables, c’est-à-dira bonnes, il est plus difficile d’affirmer qu’il est des choses bonnes en soi, indépendamment du désir de l’homme, qu’il existe en un mot un bien absolu. Il est certain, du moins, qu’on remarque, dans l’appréciation du bien, une diversité qui suppose, si le bien absolu existe, de fréquentes erreurs de jugement. La difficulté s’aggrave encore si, distinguant le bien moral du bien en général, nous faisons observer que le bien moral est celui dont’la conscience perçoit la recherche comme obligatoire. Le plaisir, que plusieurs confondent avec le bien, est, sauf des exceptions relativement rares, à peu près le même pour tous ; nous percevons, à peu près de la même façon les jouissances des sens ; mais le bien moral, au moins dans ses détails, est sujet à des variations nombreuses, « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà. » Si donc il existe un critérium du bien moral, il serait essentiel de l’indiquer ; et s’il n’existe pas, sur quoi est basée la morale ? Quelques-uns lui donnent pour fondement l’habitude ; mais comme l’habitude varie, là morale n’a alors plus rien d’absolu ; tous les actes, justifiés ou condamnés par la coutume, peuvent tour à tour devenir bons ou mauvais ; — la vertu, dans ce système, consiste à faire comme tout le monde. Libre aux partisans de ce système de définir ainsi la vertu et la morale ; mais alors il restera au fond de l’âme un sentiment inexpliqué, gentiment qui mesure les actes humains sur un tout autre patron, qui les déclare bons pu mauvais indépendamment de l’opinion des hommes, qui prononce même, en des cas assez nombreux, que pour faire le bien il faut se mettre en contradiction presque avec tout le monde, qui, par exemple, exalte le désintéressement, bien que le désintéressement ne soit guère pratiqué ; on pourrait à cette voix particulière ôter le nom de conscience, et aux actes qu’elle approuve le nom de vertu, et à la pratique de ces actes le nom de morale ; mais comme nous ne voyons aucune utilité à changer les mots, puisqu’on ne peut supprimer les faits, nous demandons la permission de ne rien changer du tout.

Nous avons donc placé dans la conscience le principe de là morale, et c’est là qu’on s’accorde à le placer en effet. Mais ce principe est-il spontané, est-il inné dans la conscience ? Les idéalistes le croient. Non pas qu’ils prétendent que l’idée du bien se trouve dans la conscience avec les développements qu’elle comporte ; non pas que la morale ne soit pas à leurs yeux, comme toutes les facultés intellectuelles et affectives, susceptible d’une véritable éducation ; mais le penchant au bien leur paraît immanent ; c’est pour eux un germe auquel les circonstances extérieures donneront l’accroissement, mais dont l’existence est indissolublement unie & celle de la conscience elle-même. Les idéalistes rencontrent deux classes d’adversaires : les théologiens d’abord, qui prétendent que la connaissance du bien est un fait révélé,