Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 11, part. 3, Napp-Oct.djvu/322

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distinguent nettement l’une de l’autre, et comme objet et comme lieu de scène. Dans In première, il ne s’agit que de la Rome ancienne, et c’est le tombeau des Scipions qui voit se réunir dans ses salles funéraire : ; toutes ces ombres que Verri fait converser. Cieéron lui sert de gnitle ; on entend Brutus faire l’apologie du régicide et César se défendre d’avoii tué la république déjà morte, Murius et Svlla renouvellent leurs vieilles querelles ; il y a bien longtemps pourtant qu’ils doivent avoir fait la paix ; Pompée, Caton, Porcia, Octave, Antoine, reviennent Sur la scène avec toutes leurs passions et toutes leurs haines. Ce qui fait le charme de cette évocation d’outre-tombe et eût suffi, sans le prestige du style, au grand succès de l’ouvrage, c’est la science profonde de Verri, sa connaissance intime des personnages qu’il fait parler. Il avait vécu en esprit avec eux ; il savait par cœur Tite-Live, César, Salluste, Tacite. Aussi ses interlocuteurs semblent-ils doués d’une vie réelle. Dans leurs conversations familières et passionnées, les hommes, les mœurs, les institutions revivent ; on assiste aux grandes querelles des nobles et des plébéiens, des tribuns et des consuls, aux proscriptions de Sylla, au meurtre de César. C’est l’histoire vue, pour ainsi dire, par un côté fantastique et vrai en même temps. Il y a peu de pages plus solidement écrites dans toute littérature italienne que le tableau fait par César, dans une de ces Nuits, de la corruption romaine : les tumultes sanglants des comices, l’audace des tribuns, les consuls vendus a l’ennemi, les fraudes, les violences, la plèbe incessamment soulevée, Milon tuant Clodius, Quintus Metellus presque jeté du haut de la roche Tnrpéier.ne par le tribun Asinus. B.evact ce.tableau, très-vrai au fond et saisissant, apparaît l’opportunité de l’usurpation césarienne ; pourtant les luttes acharnées qui suivirent, les flots de sang répandus, Pompée à Pharsale, Caton k Utique, Labionus en Espagne, attestent la vitalité do cette république Si chancelante, de ces institutions si vermoulues, Ce fragment est la grande page de cette première partie des Nuits romaines.

Dans les trois autres Nuits, les morts de l’ancienne Rome parcourent la capitale du monde chrétien, la Rome papale. Leur hôte les promène du Colisée au Forum, des Thermes au Vatican. Moins attrayante comme sujet, cette seconde partie n’en renferme pas moins de grandes beautés ; les souvenirs viennent en foule se placer dans le réot, et l’histoire du passé ressuscite pour animer tous ces monuments déserts. Dans la première partie, comme épisode, Verri nous avait fait assister au supplice effrayant d’un parricide, cousu, suivant la vieille coutume romaine, dans une outre en cuir, avec un chien, une vipère, un coq et un singe, supplice que Cicéron a éloquemment commenté dans le Pro Roscio ; dans la seconde, poursuivant cette étude des pénnlilés en vigueur à Rome, arrivé au champ souillé (campus sceleratus), Verri décrit le supplice de la vestale, ensevelie vivante pour avoir enfreint son vœu de chasteté.

Le style de Verri est large sans emphase, quoiqu’un peu solennel. Certaines pages de Chateaubriand, dans les Martyrs, sont ce qui, dans notre littérature, donnerait le mieux l’idée de cette manière à la fois solide et poétique. L’abus de l’épithète en est le défaut dominant. Les Nuits romaines accomplirent en Italie, comme chez nous les Martyrs, une rénovation dans la langue. Verri a expliqué lui-même qu’il les écrivit dans le but de donner à la prose italienne les moyens de revêtir la pensée d’une enveloppe à la fois plus brillante et plus libre, et qui, décente autant que gracieuse, tint une sorte de milieu entre les atours voluptueux de Laïs et les haillons rebutants de Diogène. »

Les Notti romane ont été traduites dans toutes les langues. L’Estrade eu fit une excellente traduction française (1812), qu’il compléta plus tard (1S26, 2 vol. in-S»), les susceptibilités de la police impériale l’ayant contraint de retrancher, dans la première édition, outre bon nombre de passages disséminés dans toute l'œuvre, presque tout le dernier entretien, où il est question du gouvernement théocratique. Napoléon, qui songeait à abolir le pouvoir temporel, en avait tait rayer l’apologie par ses censeurs.

Nuits de Paris ou le Spectateur nocturne, par Restif de La Bretonne (1788-1794, 16 vol. in-12), un des plus curieux ouvrages de celui qu’on a surnommé le Rousseau du ruisseau. Il y retrace, dans une innombrable suite de chapitres, ses impressions de noctambule à travers les rues de Paris, durant une époque féconde en événements, la période* révolutionnaire. Avec un singulier talent d’observation, il saisit au vol la physionomie changeante des quartiers, des promenades, des cafés, raconte ses conversations, ses lectures, le fait du jour rapporté par les papiers-nouvelles, les idées qui lui surgissent en matière d’administration et de police, etc. Restif ne cache absolument rien ; c’était sa manière. Il se montre cyniquement dans son métier de rôdeur, tantôt sur le seuil d’un mauvais lieu, tantôt accostant une ouvrière qui rentre chez elle, observant des joueurs de billard, séparant des ferrailleurs ou assis à table avec des viveurs chez Grimod de La Reynière. Tout cela se suit sans ordre, d’après les hasards des rencontres ; mais il y a des parties saisissantes.

Les quatorze premiers volumes furent publiés sans interruption et forment une suite de trois cent quatre-vingts nuits. Restif voulait d’abord s’en tenir là ; après la table du dernier volume, on lit : fin de la xive et dernière partie. Les événements l’engagèrent il continuer. Le quinzième volume porte le titre de la Semaine nocturne, et, contient sept nuits ; il est surtout relatif à la physionomie du Palais-Royal en 1790 ; le seizième volume reprend le titre de Nuits de Paris (1794). On y trouve d intéressants détails sur la Révolution, vue de la rue, les exécutions, entre autres celle de Charlotte Corday, les massacres de Septembre et l’arrestation de Restif lui-même, emprisonné comme auteur de « libelles infâmes.

« Ce livre, dit Ch, Monselet, comprend l’histoire nocturne de la capitale pendant six années. Un jour viendra où les peintres, les graveurs et les historiens le rechercheront comme on recherche ces vieilles tapisseries où sont reproduits dans leurs plus petits détails les costumes- et les mœurs d’un autre âge. À l’époque où Restif du La Bretonne travaillait à cet ouvrage véhément, comme il l’appelle, il n’était pas rare de le rencontrer lé soir, adossé contre une borne, les bras croisés, l'œil fixé obstinément sur la lueur tremblante d’une fenêtre, cherchant à pénétrer ce qui se passait k l’intérieur : travail, souper ou agonie. Son instinct le portait de préférence vers les ruelles les plus sinistres, là où les réverbères étaient cassés, parmi les pantins et les catogans. Il ne redoutait rien. Le guet le connaissait et disait : « C’est Restif ! » puis le laissait faire. C’était le don Quichotte de passé minuit, le ramasseur des ivrognes gelés, le protecteur des femmes que leur mari ou leur amant venait de jeter à la porte : « Prenez mon bras, madame, et ne tremblez plus. » Il a su ainsi toutes les histoires espagnoles de Paris, toutes les jalousies, toutes les passions, tous les mystères… Dans le dernier volume des Nuits de Paris, volume très-rare, il raconte les désordres du peuple-roi avec une vérité d’épouvante k laquelle ont rarement atteint les mémoires contemporains. Il est vrai de dire qu’il joua souvent sa tête à ce jeu terrible de spectateur au premier rang. »

Nuit anglaise (la), roman satirique, par Belin de La Liborlière (1799, in-8°). L’auteur a voulu se moquer de Lewis, d’Anne Radcliffe et de tous ces romans dont les spectres, les apparitions, les bandits, les moines noirs et autres sont les terribles héros. Le titre complet peut faire apprécier l’esprit du livre : « la Nuit anglaise ou les Aventures jadis un peu extraordinaires, mais aujourd’hui toutes simples et très-communes de M. Darnaud, marchand de la rue Saint-Denis, à Paris ; roman comme il y en a trop, traduit de l’arabe en iroguois, de l’iroguois en samoyède, du samoyède en hottentot, du hottentat en lapon et du lapon en français, par le R. P. Spectroruini, moine indien (2 vol. in-12), se trouve dans les ruines de Palazzi, dans les caveaux de Sainte-Claire, à l’abbaye de Grasville, aux châteaux d’Udolphe, de Lindenberg, etc, en un mot dans tous les endroits où il y a des revenants, des moines, des bandits, des souterrains et une tour de l’Ouest. »

Le héros de ce roman est un bon Parisien, M. Darnaud, qui, après avoir fuit fortune, veut se distraire en lisant des romans. Retiré dans une terre qu’il vient d’acheter, il y reçoit un jour la visite d’un Parisien, qui lui apporte la riche collection des romans du jour : les Souterrains de Mazzini, l’Italien, les Mystères d’Udolphe, le Maine, etc. M. Darnaud lit avec admiration ces sublimes productions ; son imagination s’exalte, il a lui-même des révélations. Il est témoin d’apparitions, il voit des spectres de tout genre ; en une seule nuit il est accablé de tout le poids des merveilles dont les héros et les héroïnes des romans qu’il a admirés n’ont éprouvé chacun qu’une partie. Il est inutile d’analyser cette critique des romans noirs ; elle est amusante et présente une foule de tableaux comiques dans un cadre ingénieux.

Nuits (les), poésies d’Alfred de Musset (1S35-1840). Écrites dans une période de tristesse et de découragement, ces poésies sont empreintes d’une émotion peu ordinaire à la muse railleuse et ironique du poëte ; il les a intitulées : Nuit de mai, Nuit de décembre, Nuit d’août et Nuit d’octobre ; chacune d’elles marque une phase de sa pensée et est une étude psychologique sur lui-même. La première est toute désolée. Le poëte pleure son abandon, l’infidélité de sa maîtresse, et se laisse envahir par la mélancolie. En vain la muse veut le réveiller de sa torpeur, l’invite k prendre son luth, à chanter le printemps, la jeunesse, lui propose des sujets d’idylles, d odes, d’épopées, le poète ne répond que par de courtes strophes aux invocations passionnées de la voix qui lui parle.

Dans la seconde, la Nuit de décembre, il raconte une vision qui l’a suivi partout dans sa jeunesse et dans son âge mûr, toutes les fois que le malheur est venu le visiter ;

Partout où j’ai voulu dormir,
Partout où j’ai voulu mourir,
Partout où j’ai touché la terre,
Sur ma route est venu s’asseoir

Un malheureux vêtu de noir
Qui me ressemblait comme un frère.

Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse,
Pèlerin que rien n’a lassé ?
Dis-moi pourquoi je te trouve sans cessa

Assis dans l’ombre où j’ai passé.
Qui donc es-tu, visiteur solitaire,
Hôte assidu de mes douleurs ?

Et la vision répond :

Le ciel m’a confié ton cœur.
Quand tu seras dans la douleur,
Viens il moi sans inquiétude,
Je te suivrai sur le chemin.
Mais je ne puis toucher ta. main,
Ami, je suis la Solitude.

Cette Nuit est étrange comme un rêve et mystérieuse comme une voix de l’autre monde. Elle diffère essentiellement de la première, en ce que l’auteur s’y montre calme, froid, grave comme un prêtre interrogeant l’oracle pour lire dans sa destinée. Dans les autres compositions, au contraire, c’est la passion qui parle en lui et fait vibrer les cordes de sa lyre ; ici, le seul sentiment qui se manifeste est celui de l’inquiétude et de la curiosité. Cela n’empêche pas que la Nuit de décembre ne soit digne des trois autres. Dans la Nuit d’août, le poëte revient sur l’engagement qu’il avait pris de fermer son cœur à l’amour :

J’aime, et je veux chanter la joie et la paresse,
Ma folle expérience et mes soucis d’un jour,
Et je veux raconter et répéter sans cesse
Qu’après avoir juré de vivre sans maîtresse,
J’ai fuit serment de vivre et de mourir d’amour.
Dépouille devant tous l’orgueil qui te dévore,
Cœur gonflé d’amertume, et qui t’es cru fermé.
Aime, et tu renaîtras ; fais-toi rieur pour éclore ;
Après avoir souffert, il faut souffrir encore ;
Il faut aimer sans cesse, après avoir aimé.

Dans la Nuit d’octobre c’est le poëte qui, le premier, invoque sa muse. Il est guéri de sa douleur et veut reprendre ses chansons. Il est si bien guéri même qu’il veut raconter son amour, son délire et ses rêves. Mais le fiel malgré lui vient se mêler à ses discours, et il faut que la muse vienne l’apaiser et lui prêcher l’oubli.

« Les quatre pièces, dit Sainte-Beuve, qu’Alfred de Musset a intitulées Nuits sont de petits poëmes composés et médités, qui marquent la plus haute élévation de son talent lyrique. La Nuit de mai et celle d’octobre sont les premières pour le jet et l’intarissable veine de la poésie, -pour l’expression de la passion, âpre et nue. Mais les deux Nuits de décembre et d’août sont délicieuses encore, cette dernière par le mouvement et par le sentiment, l’autre par la grâce et la souplesse du tour. Toutes les quatre, elles forment dans leur ensemble une œuvre qu’un même sentiment anime, et qui a ses harmonies, ses correspondances habilement ménagées. Dans les Nuits, c’est du dedans que jaillit l’inspiration, la flamme qui colore, le souffle qui embaume la nature ; ou plutôt, le charme consiste dans le mélange, dans l’alliance des deux sources d’impressions, c’est-à-dire d’une douleur si profonde et d’une âme si ouverte encore aux impressions vives. Ce poste, blessé au cœur et qui crie avec de si vrais sanglots, a des retours de jeunesse et comme des ivresses de printemps. Il se retrouve plus sensible qu’auparavant aux innombrables beautés de l’univers, à la verdure, aux fleurs, aux rayons du matin, aux chants des oiseaux, et il porte aussi frais qu’à quinze ans son bouquet de muguet et d’églantine. Mais nulle part cette fraîcheur naturelle ne se marié heureusement comme ici avec la passion saignante et la douleur sincère. »


Nuits du Père-Lachaise, roman de Léon Gozlan (1849, in-8°). Le cadre et les développements de ce roman sont tout à fait fantastiques. L’auteur imagine un homme qui passe sa vie dans le cimetière à s’enquérir des causes de la mort de tous ceux que le corbillard y amène. Pour prouver à son interlocuteur la variété et la sûreté de ses renseignements, il lui propose de lui faire l’histoire de la première tombe venue ; celui-ci lui demande celle d’un magnifique mausolée qu’il lui désigne, celui de lady Glenmour. « Il est vide, répond l’amateur des nécropoles ; celle qu’on y croit inhumée est vivante ! » Et il enfile son histoire.

Il y avait à Londres un club appelé club des Dangereux ; tous ses membres devaient, sous peine de déchéance, réussir auprès de toutes les femmes. Deux d’entre eux, le comte de Madoc et lord Glenmour, sont amoureux de la comtesse de Wisby ; en même temps, ils font la cour à une actrice célèbre du nom de Mousseline, qui physiquement est le portrait vivant de la comtesse. Madoc réussit auprès de la comédienne et l’enlève ; son rival épouse la comtesse. Peu de temps après, obligé de faire un voyage, il confie sa femme à la garde d’un enfant de seize ans, Tancrède, le fils d’un de ses amis, sans se douter que cet enfant en est amoureux. Après son départ, un de ses amis se présente, un original, qui se donne le nom d’Achinbald Caskil ; il débute par embrasser sans façon la comtesse, lui fait boire du punch et met toute la maison sens dessus dessous. Lady Glenmour, habituée aux manières de gentleman de son mari, s’étonne d’abord, puis s’amuse de ce sans gêne. Le prétendu Caskil n’est autre que le comte de Madoc, désireux de prendre sa revanche. De concert avec Mousseline, qu’il fait habiller comme la comtesse, il mène tantôt l’une, tantôt l’autre femme au théâtre, de façon que, grâce aux excentricités calculées de la courtisane, tout le monde le croit l’amant de lady Glenmour. Le mari découvre la vérité, accourt et force sa femme à passer pour morte, afin de paraître avoir vengé son honneur. On l’enterre, et lord Glenmour tue le comte de Madoc en duel, près du tombeau où la comtesse attend sa délivrance, car son mari seul est dans le secret, et s’il avait été tué, elle périssait inhumée vive. Après le duel, les deux époux partent en voyage, et lord Glenmour a soin de défigurer sa femme d’un coup de poignard, afin que personne ne la reconnaisse.

Ce roman-excentrique ne manque ni d’intérêt ni de passion. Gozlan s’est abandonné, pour l’écrire, à toute la fougue de son imagination.

Nuits d’hiver (les), recueil de poésies posthumes de Henri Murger (1860, in-12). Le chantre de la bohème s’occupait k réunir ces souvenirs épars de sa jeunesse, ces vers intimes qu’il avait composés ça et la dans les hasards de sa vie aventureuse, chansons d’amour, rondes k boire, ballades, élégies, quand vint le surprendre la mort. Le recueil a été fait sous le titre et d’après le plan qu’il avait voulu lui donner.

Murger n’est pas un grand poëte ; il manque d’imagination et de lyrisme ; il n’est même pas bien maître de la langue poétique, n’a aucune nouveauté dans le rhythme et ne sait pas donner à sa pensée ces contours nets et précis, cette ciselure qui est la marque de la poésie contemporaine. Cependant ses vers plaisent ; ils ont une couleur à eux ; ils sont pleins d’émotion, de tendresse et de grâce ironique. Ces qualités leur ont valu d’être comparés à ceux d’Alfred de Musset, et quoiqu’on les mette nécessairement au-dessous, c’est déjà quelque chose que do rappeler, même d’une façon fugitive, ce chantre aimé de la jeunesse. Leur principal mérite, c’est de refléter une pensée intime, d’avoir été sentis et vécus.

Le-caractère général des pièces qui composent ce recueil est une sorte d’ironie funèbre qui, le plus souvent, fait mal. Le poëte, dès la dédicace, fait le mea culpa de sa vie et de son œuvre. Ce n’est point aux jeunes gens que Murger dédie son livre : c’est au lecteur qui le payera un écu sans marchander, et, loin de lui souhaiter les aventures de cette bohème qu’il chante, les caresses de ses héroïnes, il lui dit :

Que ton épouse reste économe et pudique,
Que le fruit de son sein soit ton portrait flatté,
Sans retouche… ; et pareille a la matrone antique,
Qu’elle marque le linge et fasse bien le thé.

S’il parle de ses amours, c’est pour raconter comment ils ont fini, et l’on sent tous ses regrets sous la gaieté factice dont il veut les étouffer. Une des plus jolies pièces de ce genre est le Requiem d’amour ; le poëte s’adresse à sa maîtresse et l’invite à chanter le psaume funèbre sur leur amour défunt. Chanter ; mais|sur quel air ? Il en essaye plusieurs, aucun ne convient à ces cœurs morts qu’il ne faut point réveiller. Alors, il évoque le passé, la petite chambre où ils ont été si heureux, quand ruisselait la pluie et soufflait le vent. Quel parfum d’amour et de gaieté on y sentait ! Puis vient le printemps et les riants passages de Meudon ; la saison se passe, et, quand fleurirent les roses, l’amour avait fui. Murger s’est, dit-il, habillé en notaire pour écrire ce Requiem, k la fin duquel il raille et se met k rire aux éclats :

Mais cette gaîté-là n’est qu’une raillerie ;
Ma plume en écrivant a tremblé dans ma main,
Et quand je souriais, comme une chaude pluie.
Mes larmes effaçaient les mots sur le vélin.

La Ronde de la vie de Bohème, la Jeunesse n’a qu’un temps sont d’une gaieté plus franche ; la note lugubre reparaît dans la Ballade du désespéré ; c’est une sorte d’appel k ta mort. La gloire, l’amour, la jeunesse, l’art, la poésie, la richesse frappent vainement h lu porte de Henri Murger ; il les repousse, il ne croit plus k leurs promesses mensongères ; arrive la Mort, elle est la bienvenue : la porte s’ouvre devant elle :

Entre, je suis las de la vie,
Qui pour moi n’a plus d’avenir ;
J’avais depuis longtemps l’envie,
Non le courage de mourir.

Dans le Testament, il s’est fait à l’idée de la mort ; il la regarde hardiment, à lu nargue ;

.. Le ciel n’a pas voulu

Que je pusse m’asseoir parmi le groupe élu

Des gens qui verront l’Africaine.

Je lègue tout mon bien, dit-il,

A celle dont le nom aux lèvres me revient

Comme un miel luit de plante umere. Vous lui direz ma mort......

Mais si dans sa claire prunelle Une larme tremblait, rieu qu’une seulement, Vous pourrez déchirer eu deux le testament,

Alors, ce ne serait pas elle...

  • Monsieur, dit un valet qui portait un plumeau,

Un monsieur du clergé vient avec son bedeau...

— Réponds-lui que j’ai lu Voltaire. » Quelques pièces d’une poésie plus saine, moins tourmentée et intitulée Chants rusti-