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niénie. Piromalli obtint de grands suceès, convertit fin grand nombre de schématiques et d’eutychéens, se rendit ensuite en Géorgie et en Perse, puis passa, en qualité de nonce d’Urbain VIII, en Pologne pour y mettre un terme aux disputas, tomba entre les mains de corsaires algériens en se rendant en Italie (1654), recouvra la liberté au bout de quatorze mois, puis devint successivement archevêque de Naschivan (1G55) et évêque de Bisignano, dans le royaume de Naples (1664). On lui doit, entre autres ouvrages : Theantkropologia (Vienne, 1656, in-8°) ; Apologia de auplici natura Christi (Vienne, 1656, ia-8°).

PIROMI, dieu suprême de l’ancienne Égypte, lequel contenait en germe toutes les divinités.

PIRON s. m. (pi-ron — du bas latin ptro, pironis, que Delâtre rapporte au grec peronê, pointe de l’agrafe, esse ou cheville qui tient la roue attachée à l’essieu. Quant au nom de l’oison, on a cru pouvoir le tirer du nom d’homme Pierrot, comme le nom du moineau ; mais la forme nous semble trop éloignée). Techn. Espèce de gond.

— Agric. Batteur en grange novice ou mal placé.

■—jOrnith. Nom vulgaire de Toison, dans le Poitou.

PIHON (Aimé), poète bourguignon, né à Dijon en 1040, mort en 1727. Il était apothicaire et il devint échevin de sa ville natale. Doué d’un caractère ouvert et enjoué qui, vers la fin de sa vie, devint grave et morose, Aimé Piron se mita composer en patois bourguignon des poëmes, des chansons et un

nombre considérable de noBls, genre auquel il dut sa populuritô et dans lequel son ami La Monnoye le dépassa, mais sans faire oublier sa rondeur et sa naïveté. Les noëls de Piron parurent en quelque sorte périodiquement pendant plus de trente années. « L’a-propos de quelques saillies, dit Foisset, des rapprochements inattendus, une gaieté presque toujours bouffonne et des allusions qui nous échappent aujourd’hui font le mérite de ces pièces, qui tiennent du conte et du vaudeville, et dont un très-petit nombre a survécu aux événements qui leur avaient donné l’intérêt du moment. » Dans la plupart de ses pièces, Piron s’apitoie sur les souffrances des pauvres et prend la défense du peuple contre les vexations dont il est l’objet. Outre ses compositions en patois, il a écrit des vers latins et français qui sont loin de valoir ses ■ noels.

Sa gaieté, un peu crue et emportant la pièce, comme on dit, sa verve gauloise, l’agrément de sa conversation le rirent fort rechercher des princes de Condé, qui venaient fréquemment en Bourgogne. Piron était reçu à leur table, les égayait par ses vives reparties et célébrait en vers les fêtes qu’on leur donnait. A maintes reprises, il eut maille à partir avec Santeuii, le poète, qui avait accompagné le prince de Condé à Dijon, et sut presque constamment mettre les rieurs de son côté. De son second mariage avec Anne Dubois, fille d’un remarquable sculpteur dont les ouvrages décorent les églises de Dijon, il eut Alexis Piron, le célèbre auteur de la Métromanie. On raconte qu’un jour, voulant savoir ce que l’avenir réservait à ses trois fils, il les enivra. Quand ils furent complètement sous l’influence de la dive bouteille : « Toi, dit-il à. Tatné, tu as le vin d’un porc. » L’enfant s’était endormi après boire. « Toi, dit-il au cadet, tu as le vin d’un lion, à Le cadet avait cherché à se battre. Enfin, s’adressant au troisième : • Toi, tu as le vin d’un singe, à Ce troisième était Alexis, qui s’était répandu en une foule de saillies plus amusantes les unes que les autres. Ces prédictions, d’ailleurs, ne se vérifièrent qu’à demi. Le premier des trois frères entra dans l’ordre de l’Oratoire, le deuxième se consacra à la pharmacie, le dernier seulement eut une destinée conforme à celle qu’on avait augurée de lui.

PIRON (Alexis), célèbre poëte français, fils du précédent, né à Dijon le 9 juillet 1689, mort à Paris le 81 janvier 1773. Ce rival.de Voltaire eut une destinée bien moins brillante ; avec tout son esprit, c’est a peine s’il parvint jamais à vivre dans la plus modeste aisance, et, même après sa mort, il ne lui a pas été rendu pleine justice. Un péché de jeunesse lui a laissé un renom d’obscénité qu’il ne mérite pas, car ses mœurs furent meilleures que celles de la plupart de ses contemporains, et sa fécondité de reparties est cause qu’on a égayé sa biographie d’une foule d’anecdotes absurdes.

Ses premiers pas dans la vie furent pénibles. Son père n’avait pas de fortune, et, lorsqu’il eut terminé ses études tant bien que mal, il lui fallut gagner sa vie. On le plaça comme secrétaire chez un financier maniaque, faiseur de vers, qui l’employait à mettre au net ses élucubrations. « Vous n’aurez à copier que des vers, lui dit son protecteur.

— C’est une tâche facile, s’ils sont bons, répondit le jeune homme. — S’ils sont bons I Je le crois bien ; ils sont de moi I • disait superbement le financier, qui lui promit 200 livres par an. Mais Piron n’eut pas la patience d’atteindre la fin de l’année ; il quitta ce Turcaret métromane contre le vœu de sa famille et se rendit à Besançon pour y faire son droit.

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Il en revint avec le titre d’avocat (1710), titre bien inutile pour lui, Car il ne plaida jamais. Il s’était déjà essayé dans la poésie ; diverses pièces de vers, adressées à une beauté dijonnaife qu’il appelle Lysis et qui fut l’objet de sa première passion, durent être composées vers 1707 ou 1708. Elles sont assez fades et personne ne les croirait écrites de la même plume que l’Ode à Priape. Cette fameuse ode, qui a pesé sur toute 1 existence de Piron et qui poursuit même ses mânes, fut le produit d’un déli ; composée à table, entre jeunes gens, elle n’était pas destinée à la publicité, et Piron, après l’avoir écrite pour son ami Jehannin (plus tard président au parlement de Dijon), lui avait bien recommandé de la jeter au feu. Loin de là, Jehannin la communiqua a de jeunes conseillers ; elle courut la ville et fit scandale. Le procureur générai fit mander l’auteur, et il était même question de poursuites en règle ; heureusement pour Piron, le président Bouhier, un de ces vieux magistrats qui font leur régal des choses licencieuses, s intéressa h lui et ne craignit pas de lui suggérer un expédient bizarre. « Si le procureur général vous tourmente, dit-il un poBte, désavouez hardiment et déchirez que j’en suis l’auteur ; je ne vous démentirai pas. • C’est ce que fit Piron, et, quoiqu’on sût bien à quoi s’en tenir, l’affaire en resta là. Disons tout de suite que cette fameuse ode ne mérite pas sa réputation ; elle n’est qu’obscène, les gros mots y tiennent lieu d esprit, et Ton ne trouve pas, dans son lyrisme guindé, la verve à laquelle on s’attendait.

Une autre occasion fit briller d’une meilleure façon l’esprit de Piron, cet esprit de repartie qui le rendit plus tard si redoutable, et lui acquit une certaine célébrité, au moins dans sa province ; ce sont les petits événements qu’il a relatés dans son Voyage de Piron d Beaune, dont la première édition n’est pas bien connue, mais qui a été souvent réimprimé depuis, en dernier lieu par G. Peignot (Dijon et Paris, 1847, in-S°). Il y avait depuis longtemps, entre Beaune et Dijon, de ces querelles de clocher si fréquentes autrefois ; Piron les raviva et fut le héros de Tune d’elles. En 171 ! !, à propos d’un concours entre les sociétés rivales d’arquebusiers des deux villes, Piron, qui appartenait a celle de sa ville natale, se rendit à Beaune avec ses collègues. Les arquebusiers de Beaune furent vainqueurs. Pour venger la défaite des Dijonnais, .Pron cribla les Beaunois d’épigrammes, dont quelques-unes en action. Par exemple, il costuma un âne ea arquebusier et le promena par la ville ; le soir, au théâtre, un Beaunois s’étant écrié : « On n’entend pasl — Ce n’est pas faute d’oreilles ! » aurait répliqué Piron, et, à la suite de cette apostrophe, il aurait eu grand’peine àéchapperaux coups de canne et même aux coups d’épée. Le lendemain, on le rencontra dans un champ, décapitant des chardons. « Que faites-vous là ? lui dit un curieux. — Je suis en guerre avec les Beaunois, répondit-il ; je leur coupe les vivres. » C’est depuis ce tempslà que Ion dit : les ânes de Beaune ; ce qui agace beaucoup ces braves gens, qui n’ont pas encore pardonné à Piron. Il est probable que toutes ces anecdotes ont été arrangées après coup, comme la plupart de celles qu’on attribue à Piron, et, d’après Chevignard de La Pailne (les Anes de Beaune et les Frères Lasne, brochuresdijonnaises citées par M. Honoré Bonhomme), ce surnom A.’ânes de Beaune est bien plus ancien ; il proviendrait d’une vieille maison de commerce, celle des frères Lasne, dont les produits, répandus dans toute la région, donnèrent l’idée d’appliquer aux Beauno.s ce sobriquet facétieux. Piron ne lit que l’exploiter ; en tout cas, il en tira bon parti.

Piron vint à Paris en 1719. Il était recommandé comme un bel esprit du premier ordre par un président du parlement de Dijon, AI. de Rerbizey, et par le marquis de Montmain, à quelques personnes influentes, entre autres aux deux petits-fils du surintendant Fouquet, le comte et le chevalier de Belle-Isle. Ce dernier lui fit dire qu’il lui donnerait un emploi. Piron voulut se présenter et remercier ce bienfaiteur : « Je n’ai pas besoin de voir sa personne, répondit dédaigneusement le chevalier ; qu’il montre seulement son écriture. » L’emploi en question était celui d’un copiste à 40 sous par jour, et Ton installa Piron dans un grenier, en compagnie d’un garde-française livré à la même besogne, mais qui n’avait que 20 sous parce qu’il venait seulement à ses heures perdues. Il s’agissait de mettre au net un tas énorme de manuscrits du comte de Boulainvilliers sur l’art mil, taire ; il y en avait lii pour une dizaine d’itnnêes. Au bout de six mots de travail, Piron n’avait pas encore touché un sou ; il réclama d’une façon ingénieuse, au moyen d*e la lèvrette du maître, qui venait parfois le visiter et à qui il cojîîia un message. Le chevalier s’emporta, donna quelque argent, mais fit entendre à son copiste qu’il le trouvait bien indiscret. Piron quitta cette ingrate besogne et entra, en qualité de commis, chez un financier ; il ne s’y plut pas davantage. À cette époque, le théâtre de la foire Suint-Laurent brillait d’un certain éclat ; le poëte brocha quelques petites pièces et alla les porter à Francisque, l’entrepreneur de ce spectacle ; il fut éconduit. Le Sage, Fuselier ec d’Qxneval étaient ses fournisseurs attitrés,

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et il se souciait peu de les mécontenter pour un inconnu. Peu de temps après cependant, Francisque vint en personne solliciter Piron de venir à son aide. La Comédie-Française, réclamant son ancien monopole, venait d’obtenir un arrêt (1722) qui interdisait aux théâtres forains de jouer des pièces à plusieurs personnages. Le Sage et Fuselier refusèrent de travailler dans ces conditions, et Francisque, réduit à toute extrémité, se souvint du pauvre diable qu’il avait si dédaigneusement repoussé. Piron accepta et lui remit quelques jours après un opéra-comique en trois actes, à un seul personnage, véritable tour de force qu’il avait accompli en se jouant. C’est YArlequin-Deucalion (théâtre de la foire Saint-Laurent, 1722). La pièce eut un succès inouï ; la querelle de la Comédie-Française avec le théâtre forain avait eu du retentissement, et Ton était curieux de voir comment Francisque se tirerait d’affaire. L’esprit et la verve de ce monologue en trois actes mirent tous les rieurs du côté du petit théâtre, Piron avait bien choisi son sujet : Deucalion, échappé seul au déluge, allait à merveille à une pièce où un seul acteur pouvait parler. Les rôles de comparses fuient joués par des marionnettes : Polichinelle, Apollon, l’Amour, Pégase, etc. ; il y avait même un perroquet. Piron tira un excellent parti de cet assemblage bizarre ; les couplets ont de la verve, de l’imprévu, et Rameau, qui écrivit la musique, soutenait que le livret était un pur chef-d’œuvre. Le poëte toucha 600 francs et se vit sur le chemin de la fortune. Pendant une dizaine d’années, tantôt seul, tantôt en collaboration avec Le Sage, il continua de fournir le théâtre de Francisque de ces petites pièces improvisées qui ne rapportaient pas grand’chose, mais qui enfin le faisaient vivre ; les Trois commères, Colombine-Nilelis, Philomèie, ta Robe de dissension, l’Ane d’or, Atis, les Chimères, Crédit est mort, le Ctaperman, le Caprice, les Enfants de la joie, les Jardins de l’Hymen ou la Rose, l’Antre de Trophonius, VEndriague, l’Enrôlement d’Arlequin, etc. La plupart de ces pièces, opéras-comiques, parodies ou comédies, n’ont pas été imprimées.

Dès ce moment, Piron commençait à compter parmi les auteurs en vogue ; mais il lui manquait la consécration de la Comédie-Française. MUe Quinault, qui fut sa maltresse, à ce qu’on présume, l’y introduisit. Il y débuta, en 1728, par une comédie en cinq actes et en vers, dans le genre indécis que venait d’inaugurer La Chaussée, les Fils ingrats ; reprise sous le titre de l’École des pères (même année), elle eut vingt-trois représentations. Il s’essaya ensuite dans la tragédie et donna Callislhène (1730) et Gustave "Wasa (1733). Il y a une telle exagération de grands sentiments dans la première, que Voltaire disait ; ■ Pour que cette pièce eût du succès, il faudrait que tous les spectateurs fussent des Caton ou des Socrate. » Maupertuis prétendit de plus que ce n’était pas la représentation d’un événement en vingt-quatre heures, mais de vingt-quatre événements en une heure, tant l’action est chargée et surchargée d’incidents. Quant à Gustave Wasa, on y voit défiler toute l’histoire des révolutions de Suède en longs récits. Ces tentatives témoignaient d’un esprit original qui s’écartait des chemins battus, cherchait de nouvelles voies tant dans la tragédie que dans la comédie. Les Courses de Tempe, pas ? torale en un acte, et l’Amant mystérieux, comédie en trois actes et en vers, jouées le même soir (1734), obtinrent, la première un succès complet et la seconde une chute non moins complète, ce qui fit dire à Piron qu’il avait reçu un soufflet sur une joue et un baiser sur l’autre. Enfin, la Métromanie, comédie en cinq actes et en vers (1738), son chefd’œuvre et l’une des meilleures comédies du siècle, consacra la gloire du poëte. Une dernière tragédie, Fernemd Cartes, tomba (1744) et n’ajouta rien à sa réputation : Piron avait eu la trop ingénieuse idée d envoyer son héros découvrir le nouveau monde par amour pour une Dulcinée inconnue. C’est à propos de cette pièce et des retouches que lui demandaient les comédiens, alléguant la facilité de Voltaire à se plier à toutes leurs exigences, que Piron répondit le mot si connu : « M. de Voltaire travaille en marqueterie ; mais moi ; je coule en bronze. • Son grand défaut n’était pas la modestie.

Quelle que soit la valeur de son théâtre et surtout de sa Métromanie, Piron est moins connu comme auteur dramatique que comme homme d’esprit, à la repartie vive, à Tépigramme mordante, II avait la plaisanterie redoutable ; c’est l’effet qu’il produisit à tous ses contemporains. « Ceux qui penchent à considérer 1 homme comme une pure machine et comme de la matière organisée, ditGrimm, devaient se confirmer singulièrement dans leur opinion en fréquentant ce poète. C’était une machine à saillies, à ôpigrammes, à traits. En l’examinant de près, on voyait que ces traits s’entre-choquaient dans sa tête, partaient involontairement, se poussaient pêlemêle sur ses lèvres, et qu’il ne lui était pas plus possible de ne pas dire des bons mots, de ne pas.fuire des épigrammes par douzaine que de ne pas respirer. Piron était donc un vrai spectacle pour un philosophe, et un des plus singuliers que j’aie vus. Son air aveugle (Piron était très-myope et il devint aveugle k la fin de sa vie) lui donnait la physionomie

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d’un inspiré qui débite des oracles satiriques, non de son cru, mais de quelque suggestion étrangère. C’était, dans ce genre de combats à coups de langue, l’athlète le plus fort qui eût jamais existé nulle part. Il était sûr d’avoir les rieurs de son côté ; personne n’était capable de soutenir un assaut avec lui ; il avait la repartie terrassante, prompte comme l’attaque et plus terrible que l’éclair. Voilà pourquoi M. de Voltaire craignait toujours la rencontre de Piron, parce que tout son brillant n’était pas à l’épreuve des traits de ce combattant redoutable, qui les faisait tomber sur ses ennemis comme une grêle. •

Le café Proeope, rendez-vous de tous les beaux esprits, était son quartier général ; c’est de là qu’il fit pleuvoir sur tous ceux qui l’approchaient sa grêle d’épigrammes et de bons mots. C’est là qu’il écrivit ce joli dizain sur Voltaire :

Son enseigne est : A F Encyclopédie.

Que vous platt-ilî De l’anglais, du toscan ?

Vers, prose, algèbre, opéra, comédie ?

Poëme épique, histoire, ode ou roman ?

Parlez, c’est fait. Vous lui donnez un an ?

Vous l’insultez... En dix ou douze veilles,

Sujets manques par l’ainé des Corneilles,

Sujets remplis par le fler Crébillon,

Il refond tout, — Peste ! voici merveilles !

Et la besogne est-elle bonne ? — Ont nonl

Il y frayait surtout avec Duelos, l’adorateur de Mmii d’Epinay ; Fréron, le redoutable pamphlétaire ; Crébillon, Boucher, Rameau, Desfontaines. Ce fut contre Desfontaines que Piron lâcha une de ses plus sanglantes épigrammes, celle qui se termine ainsi :

Non. C’est l’eunuque au milieu du sérail ;

Il n’y fait rien et nuit a qui veut faire.

Desfontaines, comme on sait, avait une détestable réputation. Il ne se fâcha point, malgré la cruauté de la satire dirigée contre lui. Le Bourguignon trouva même le moyen de lui faire écrire sous sa dictée les vers que nous venons de citer. Mais, arrivé a celui-ci : Que fait le boue en si joli bercail ?

« Le bouc ! Moi, un bouc ! dit Desfontaines. Jamais je n’écrirai cela, mon ami. — Hé quoi t dit l’autre, vous reculez pour si peu ? Bouc est pourtant fort convenable. Allons mettez un b... suivi de points, et chacun cherchera ce que cela signifie. »

Il n’y a presque pas un seul de ses contemporains que Piron ait épargné. À ce inétier-lâ, on se fait peu d’amis, peu de protecteurs ; on blesse plus de gens qu’on n’en amuse ; aussi resta-t-il pauvre. Le théâtre ne l’avait pas enrichi ; il vivait dans un galetas et se morfondait, quand il était chez lui, dans la société d’un perroquet et d’une duègne maussade. Las de cette existence misérable, il se maria (1741) ; il avait près de cinquante-trois ans et celle qu’il épousait en possédait cinquante-quatre. C’était une de ses vieilles amies, qu’il avait connue chez la marquise de Mimeure dont elle était la tectrice, Thérèse Quenaudon, connue sous le nom de M’e de Bar (v. l’article ci-après). Les faiseurs d’unecdotes, ne pouvant croire que Piron s’était marié comme tout le monde, ont raconté que, le poète se trouvant chez l’épicier Gallet uu beau soir, Mi’e de Bar entra acheter des allumettes. Personne ne la connaissait. On la plaisanta ; on lui demanda si, par hasard, elle ne venait pas aussi chercher un mari. La pauvre demoiselle se mit à rire. Piron s’offrit en riant pour cet hymen improvisé ; la belle le prit au mot et, quelques jours après, le couple se faisait bénir à l’église. M. Arsène Houssaye, dans sa Galerie, du xvme siècle, lre série, a réédité cette bourde. Piron connaissait M’e de Bar vingt ans environ avant d’en faire sa femme. Elle apportait a Piron 2,000 éeus de rente et, lorsqu elle mourut, après dix ans de mariage, la gêne vint de nouveau accabler le poète. Heureusement, il rencontra quelques protecteurs dévoués : le marquis de Lassay, qui lui fit tenir jusqu’à sa mort une petite rente de 600 livres avec tant de discrétion, que Piron ignora toujours le nom de son bienfaiteur ; la marquise de Mimeure, chez qui il eut son couvert mis pendant vingt ansbjle duc de La Vrillière, Maurepas, le prin-c^Eharles, quelques autres encore, ne le laissèrent jamais dans le besoin. Mm* Geoffrin continua d’envoyer comme étrennes, à celui qu’elle appelait son ami dévoué, le sucre et le café pour toute Taunée ; elle joignait toujours si son envoi une culotte, qu’elle appelait spirituellement « la feuille de vigne de l’Ode à Priape. ■ Ce souvenir poursuivait Piron. L’Académie elle-même, dont il s’était tant de fois moqué, ne lui tint pas rancune et voulut faire quelque chose pour lui. Il fut dispensé des visites, qu’il n’aurait pas faites, et élu k la presque unanimité, en remplacement de Languet de Gergy (1753) ; mais Louis XV refusa de confirmer ce choix, et l’élection fut invalidée. C’était le résultat d’une intrigue ourdie, suivant Grimm, « par des gens de lettres fort décriés, dont un vieux cafard, le théatin Boyer, ancien évêque de Mirepoix, ne fut que l’instrument. » L’abbé d’Olivet alla porter « au vieux cafard ■ la trop fameuse Ode à Priape, et le pudibon3 Louis XV se rit un scrupule de permettre que son auteur tut de l’Académie. Fontenelle s’était montré plii3 accommodant : « S’ii a fait l’Ode, il faut le bien gronder et le recevoir, disait-il ; mais s’il ne Ta pas faite, Q ne faut pas l’admettre. • Pour adou-