Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 12, part. 4, Ple-Pourpentier.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

1240

POES

mille surprises à l’admiration. Personnifications naturelles, élégantes, animées, inattendues : importance et force des caractères ; vraisemblance des fictions ; peinture naïve et frappante des objets, tout s’y trouve réuni.

Passant en revue, la Bible à la main, les divers genres de poésie, l’auteur anglais prouve que les poètes hébreux ont surpassé tous les poètes profanes dans l’élégie, dans la poésie pastorale, dans l’ode surtout, dont ils ont parcouru tous les tons, épuisé tous les caractères. Leurs compositions, aux beautés simples et touchantes, graves et sublimes, portent en elles une clarté et un sentiment qui exemptent le lecteur de connaissances préliminaires, indispensables pour l’entière intelligence des œuvres d’Homère, de Théocrite ou de Virgile. Le poème de Job, par lequel l’auteur termine son livre, réunit tous les genres de poésie, et cependant il suffit d avoir une ârae pour le comprendre.

On reconnaît dans ces Leçons un homme profondément versé dans la connaissance du texte biblique, moins écrivain que philologue, réunissant l’enthousiasme de l’admirateur à la sagacité du critique. Le-style, énergique et souvent précis, a peu d’agrément et de variété. Blair loue beaucoup cet ouvrage, oui est encore estimé. Il compte deux traductions françaises, celles de Sicard (Lyon, 1812, 2 vol. in-8») et celle de Roger (1813, 2 vol. in-8°).

Pocsié anglaise (HISTOIRE DE LA), par Warton (1774-1790). L auteur a versé tous les trésoi’s de l’érudition dans cet ouvrage, riche magasin de faits relatifs à l’ancienne littérature anglaise. Cet inventaire commence à la fin du xie siècle et s’arrête brusquement au règne d’Elisabeth. Il est précédé de deux dissertations, l’une sur l’origine de la Action romanesque en Europe, l’autre sur la restauration des lettres en Angleterre. Warton a adopté l’ordre chronologique comme le plus propre à montrer, sans transposition, le progrès graduel de la poésie anglaise et le développement de la langue. Le mouvement

historique, considéré dans sa suite de causes et d’effets, n’existe plus, si on l’étudié d’une manière arbitraire-, si l’ordre méthodique se substitue à l’exposition simple et naturelle des faits successifs. Ilyaune image éloquente dans Florus, qui compare l’histoire du peuple romain, à la vie d’un homme arrivé au déclin de l’existence, après avoir traversé l’enfance, la jeunesse et l’âge mùr. La littérature d’un pays reproduit les diverses phases de ses destinées politiques et sociales ; l’ordre chronologique sera toujours la meilleure méthode d’exposition à appliquer aux ouvrages d’histoire. Il y a donc lieu de s’applaudir du plan auquel "Warton s’est judicieusement arrêté. Ce pian permet de suivre l’essor physiologique de l’esprit anglais. La conquête normande introduit de lorce des éléments étrangers dans le corps anglo-saxon ; Chaucer et Gower représentent cette première période de formation. De 1400 à 1558, second âge et âge de raison, aucun nom saillant, excepté celui de Jacques Ier, roi d’Écosse ; la, poésie anglaise s’essaye avec Barclay, Skelton, Surrey, Wyatt, Tusser, et la muse écossaise avec Henryson, Dunbar, Douglas,

Lyndsay. De 1558 à 1049, on est en pleine jeunesse, en pleine floraison du génie anglais : Gascoigne, Spenser, Sbakspeare, Marlowe, Raleigb, Ben Johnson, Beaumont, Fletcher. Herbert, DruinmonJ, etc., précèdent les deux grands poètes de l’âge suivant, Milton et Dryden, et ceux de l’âge classique, Addison, Prior, Swift, Pope, Gay, Ramsay, qui ne leâ surpasseront ni en éclat, ni eu iorce, ni en originalité. L’ouvrage de Warton, resté inachevé, finit par une vue générale sur le caractère de la poésie au temps de la reine Elisabeth. Il est fâcheux qu’il ait exclu de son plan l’histoire du drame, l’une des plus riches sources de la littérature d’iînuginution et dont l’épanouissement correspond à la fécondité luxuriante du théâtre espagnol à la même époque.

Warton a commis quelques erreurs et laissé subsister de nombreuses lacunes ; inai3 s’il reste quelquefois au-dessous de son sujet ou s’il le surcharge de détails étrangers, il faut toutefois se rappeler qu’il a été le premier explorateur d’une vaste région, parcourue depuis avec succès grâce à son initiative. L’infatigable industrie de l’historien a accumulé une masse de matériaux également précieux et curieux. Plusieurs parties du livre sont exécutées avec un grand tnlent, car Warton était lui-même poète ; outre l’érudition et le goût, il avait la verve de l’écrivain nô pour écrire. Son livre, regardé comme un monument de critique par les Anglais, réunit l’intérêt à la science.

Poésie liétiruique (la), par Herder (1782, in-8°). Ce célèbre ouvrage est en même temps une œuvre de poésie, de linguistique, d’histoire et de philosophie. La ferveur pour l’étude de l’hébreu qui, au siècle dernier, éclata en Allemagne, comme une sorte de pressentiment du grand mouvement philologique qui devait signaler le xixe siècle, captiva de bonne heure l’esprit et l’imagination de Herder. Il fut surtout poussé à cette étude par cet énigmatique Hamujin, qui est mort sans s’être fait comprendre de personne, pas même peut-être de Herder, qui 1 admirait beaucoup. Herder accumula près de lui les matériaux dont il composa plus tard l’ouvrage dont nous

POES

nous occupons, qui eut immédiatement un grand retentissement en Allemagne. Il n’embrasse l’histoire hébraïque que jusqu’à la fln de la captivité : considérant, dès lors, l’histoire d’Israël comme terminée. Le plan du livre est ingénieux ; il se compose de deux parties. La première est en dix dialogues, dont chacun se propose un objet déterminé. Le premier dialogue roule sur la langue ; le second sur les idées primitives, sur Dieu ; le troisième sur le ciel et la terre ; le quatrième sur l’examen du livre de Job ; le cinquième sur le même sujet ; le sixième sur le paradis terrestre ; les quatre derniers traitent de l’empire des morts, des idées primitives sur la Providence, des patriarches et du déluge. Chacun de ces dialogues est augmenté d un supplément, formé d’une ou plusieurs poésies de Herder conformes au sujet traité dans le texte criLique. Cette exposition du plan de Herder suffit à montrer que samèthode était en même temps scientifique et poétique. Ce grand esprit ne pensait pas qu’il fallût traiter l’histoire, œuvre de la liberté humaine, comme les choses de la nature, qui obéit fatalement à des lois qu’elle ne discute point ; il pensait que, pour comprendre le passé, il fallait, un moment, le ressusciter en soi et y vivre.

La seconde partie offre la même disposition, bien quel auteur ait abandonné la formedialoguée. Elle a pour objet la poésie des Hébreux, dont elle expose l’origine et la nature. La vocation des prophètes, les institutions de Moïse, les psaumes y sont tour à tour soumis h la critique de l’auteur. L’ouvrage se termine par jin chapitre intitulé : Vues de l’avenir, composé d’extraits des psaumes ou des prophètes qui présagent l’arrivée du royaume de Dieu, et par une hymne : L’âge d’or à venir, une vision de prophète. Les principales idées émises par Herder dans la Poésie hébraïque, sa critique de l’hébreu, sa théorie du parallélisme qui a fait beaucoup de bruit, ses opinions sur les idées religieuses et morales du peuple hébreu et sur leur formation, sur les institutions de Moïse, qu’il présente comme un grand législateur démocratique, etc., idées qui semblèrent douteuses d’abord, ont été pleinement confirmées ; d’autres ont eu un sort moins heureux.. Mais la Poésie hébraïque est un de ces livres que la critique scientifique ne peut annihiler en entier ; car, lors même que chacune de ses parties serait niée l’une après l’autre, il lui resterait le souffle généreux qui l’anime ; détruit comme livre de science, cette œuvre resterait une œuvre de poésie.

Poésie nnï*e et la poésie de sentiment

(traité sur la), par Schiller (1796). L’auteur a complété cet essai en 1802 par ses Pensées sur l’emploi du commun et du bas dans l’art, qui ont été réunies au volume dans les éditions postérieures. Dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, il avait déjà établi ce qu’il pensait de l’art et quel pas il donnait & la culture esthétique sur la culture morale. Une fois la théorie du beau établie et développée, Schiller se sent pressé d’en déduire la théorie particulière de la poésie. De l’esthétique, il passe à la poétique. Une des parties de ce sujet, le tragique, l’avait également occupé au commencement de ses travaux de philosophie et lui avait donné l’occasion d’étudier la Poétique d’Aristote. Il s’agissait, dans sa nouvelle œuvre, d’embrasser le sujet tout entier et d’y répandre les lumières qu’il devait à liant et à ses propres méditations. Dans ce traité, que Gœthe trouva fort a son goût, Schiller soutient que le but de la poésie ne peut être que « de donner à l’humanité son expression ia plus complète possible, c’est-à-dire de représenter l’idéal esthétique, qui est la. nature humaine dans l’accord parfait de ses forces, dans l’heureuse harmonie des facultés sensibles et intellectuelles, harmonie qui soustrait l’homme a toute influence prédominante et, par là, lui assure la vraie liberté. » L’homme, par son origine, est destiné à l’état de perfection où toutes ses forces et ses aptitudes se pondèrent et s’accordent ; mais les conditions de la vie réelle, les nécessités de son existence, la culture artificielle que reçoit son esprit altèrent la primitive harmonie et mettent une différence sans cesse croissante ’ entre l’homme tel qu’il est et l’homme tel qu’il doit être. L’idéal esthétique vit dans l’homme, soit à, l’état de nature, — soit à l’état de désir. Le sentiment esthétique, qui fait le fond du sentiment poétique, a toujours pour objet la belle nature et 1 humanité heureuse. Ou bien il en jouit comme d’une réalité qui existe ; où il aspire ardemment vers elle, comme vers un idéal qui devrait exister. Dans le premier cas, il est naïf ; dans le second, sentimental ; et puisque 1 idéal esthétique est le but de toute poésie et qu’il peut être ressenti de deux manières, naïvement et sentimentalement, il en résulte deux genres très-différents de poésie. Si donc la poésie n’a qu’à rendre ce qu’elle voit, ce qui est, si la belle nature est une réalité vivante et qu’il suffise de la copier avec fidélité, ou rappelle la jtoésie naïue ; si, par contre, il faut qu’elle imagine, qu’à la réalité il faut qu’elle substitue ses aspirations, on l’appelle la poésie idéale ou, pour se servir de l’expression de Schiller, la poésie de sentiment. Cette harmonie qu’elle cherche, le monde réel ne peut pas la lui offrir ; elle n’eu a pas l’expérience, mais seulement le désir et le sentiment. De

POES

là son nom. Schiller montre en quoi diffèrent ces deux genres de poésie, quel est le caractère propre de chacun d eux, et de ce point de vue ressort, a. ses yeux, la diversité de l’antique et du moderne, du classique et du romantique. Il passe alors à la distribution des genres et y développe une foule d’idées ingénieuses et d’aperçus brillants. Toute poésie sentimentale est ou satirique ou élégiaque. La poésie satirique a évidemment pour but de représenter le monde tel qu’il est en face de l’idéal, c’est-à-dire en face des aspirations du poète, car le monde tel qu’il doit être ne se trouve que dans l’imagination et dans la croyance du poète, Schiller, en faisant de la liberté esthétique le but et l’origine de l’art, était logiquement amené à donnera l’art comique une valeur plus grande qu’au tragique, car le but de celui-là est une complète liberté esthétique. « Si d’un côté, dit-il, la tragédie part d’un point plus important, de l’autre il faut avouer que la comédie marche vers un but plus élevé, et, si elle l’atteignait, elle rendrait toute tragédie inutile et impossible. Son but ne fait qu’un avec le but suprême vers lequel l’homme doit tendre à travers tant de combats, et qui est d’être affranchi des passions, de jeter autour de lui et en lui-même un regard toujours clair et toujours tranquille, de trouver partout plutôt le hasard que la fatalité et de rire plutôt de la sottise humaine que de s’irriter contre la méchanceté ou d’en pleurer. • La poésie sentimentale devient satirique, tragiquement ou comiquement, quand sou ton général est négatif vis-à-vis de la réalité ; mais il peut devenir positif en tant qu’il est une affirmation de l’idéal. Dans ce cas, la poésie sentimentale devient élégiaque. Le premier plan, dans la poésie sentimentale, est formé par la réalité vue à la lumière de l’idéal ; dans la poésie élégiaque, c’est l’idéal qui fait ce premier plan en opposition avec le monde réel qui sert, pour ainsi dire, de fond au tableau. Mais le monde idéal lui-même peut être représenté de deux manières, soit comme un pur idéal qui n’existe pas ou qui n’existe plus, soit comme une réalité heureuse qui a été autrefois ou qui sera un jour. Dans ie premier cas, le poëte contemplera mélancoliquement le rêve de sa fantaisie ; dans le second, il regardera joyeusement l’idéal réalisé. La disposition mélancolique et douloureuse fait le poste élégiaque dans le sens restreint du mot ; la disposition joyeuse le rend idyllique. Toute poésie sentimentale, en résumé, est donc ou satirique ou élégiaque ; la satire est tragique ou comique ; l’élégie est ou élégiaque ou idyllique. L’idylle est plus rapprochée de la comédie, l’élégie l’est pius de la tragédie ; enfin l’idylle est plus naïve, l’élégie plus sentimentale, et voilà comment Schiller revient à sa grande division de la poésie en deux genres qui correspondent pour la prose à deux méthodes de l’esprit humain. Dans la première, c’est l’esprit d’observation extérieure qui domine ; dans la seconde, c’est une spéculation morale ; l’une fait les réalistes, 1 autre les idéalistes.

Un esprit sévère, logique, rigoureux, ne sera peut-être pas satisfait des conclusions de Schiller ; mais un mérite que personne ne saurait lui contester, c’est la beauté de la forme, l’aisance oratoire et poétique avec laquelle il traite ces matières arides et ardues. Le style est noble et pittoresque ; l’expression, pourtant, n’est pas toujours rigoureusement juste, et, quelle que soit l’habitude que Schiller avait à cette époque du langage philosophique, il règne encore dans ce traité

une certaine confusion, qui est moins le résultat de la non-coordination des idées que d’une certaine négligence dans le choix des termes.

Poésie française au jwi8 siècle (TABLEAU historique et critiqoe DE la), par Sainte-Beuve (1828). En 182S, l’Académie française, sans se rendre bien compte de ce qu’elle demandait, avait mis au concours le tableau de la langue et de la littérature au xvio siècle. Captivé par cette étude nouvelle, aussi étrangère aux académiciens qu’aux futurs lauréats, Sainte-Beuve se laissa entraîner par son sujet aux plus patientes recherches, qu’il finit par circonscrire dans le cercle de la poésie et du théâtre. Au lieu de présenter un discours aimable, mais insignifiant, comme celui de M. Saint-Marc Girardin, ou bien une étude générale, philologique et historique, comme celle de M. Philarète Chasles, il donna directement au public un livre de critique et de polémique. Une guerre civile, née à propos du romantisme, divisait alors en deux camps la république des lettres. Sainte-Beuve entreprit de légitimer par l’histoire l’école romantique, de réconcilier les novateurs avec les amis du passé, de rattacher les poëtes du Cénacle à ceux de la Pléiade. Son livre était à la fois un manifeste de partisan et un travail de critique rétrospective. Il y avait, en effet, à retrouver les origines de notre poésie moderne : le xvuo siècle, qui avait répudié l’héritage littéraire du xvie, le lisait peu (La Fontaine et Molière furent presque les seuls à feuilleter Murot, Montaigne, Rabelais et Régnier) ; le s.vme siècle avait perdu de vue son aïeul, condamné par Boileau, et le xix8, aussi dédaigneux, avait enjambé la Renaissauce pour s’aventurer en plein moyen âge. Il y avait encore à signaler des rapports ca POES

ractéristiques de but et de forme, de tendance et d’exécution entre le mouvement lyrique de la Restauration et i’essor lointain de I école de Ronsard. Contre le gré de l’historien critique, la similitude se prolongea ; la parenté s’accusa de plus en plus par l’identité des défauts et la communauté de l’insuccès ; anciens et nouveaux réformateurs ont échoué par le manque de sobriété et de correction par la diffusion des idées, par la prodigalité des images. Il a donc fallu reviser la procédure, tenir compte de l’enseignement des faits et enregistrer les espérances déçues à côté des résultats positifs. Sans altérer l’économie de son travail, Sainte-Beuve a dû modifier, çà et là, son jugement ; de plus, il l’a rendu plus exact et plu(s complet. La seconde édition du livre (1843, in-is) est, en définitive, celle qui reste. L’histoire de la Pléiade occupe le premier plan du tableau, et la partie plastique de la poésie y tient une place plus large que la partie doctrinale. Après avoir caractérisé les postes qui ont illustré le règne de François Ier, notamment Marot et Saint-Gelais, et constaté dans leurs médiocres imitateurs le dépérissement de la littérature, l’auteur fait connaître les préliminaires de la révolution poétique. Elle s’annonça comme un véritable complot ; les acteurs se distribuèrent les rôles et Du Bellay lança le manifeste de cette autre Réforme. Du Bellay lui assignait un mouvement légitime et un but glorieux ; des conseils salutaires et une langue forte recommandent encore VftliUtration. Ronsard, royauté déchue, est digne d’une réhabilitation au moins partielle ; le poSte épique n’a pas justifié l’admiration enthousiaste des contemporains, mais cet Homère non avenu s’est dédoublé en an Anacréon, poBte gracieux et délicat qui a donné autre chose que ce qu’il promettait. Rémi Belleau, autre gracieuse figure du groupe, a laissé la charmante chanson d’Avril, dont le rhythme a fait fortune. L’école de Ronsard se continue par une double filiation : d’Aubigné et Du Burtas, entre lesquels il y a une grande différence à établir, accusent plus fortement les^éfauts de l’école ; Desfiortes et Bertant 1 énervent en l’épurant. A a rigueur, on pouvait passer aux poètes de la Pléiade le pédantisme, la diffusion, l’uniformité, erreurs de goût rachetées par l’originalité et la souplesse du rhythme et de la versification ; mais le génie de la langue française ne pouvait leur pardonner une imitation tout extérieure de 1 antiquité et l’abandon de la veine originale de 1 ancienne poésie gauloise. Marot uvait tenu compte de la tradition nationale ; Régnier, qui ne doit rien à Ronsard, tout en se réclamant de lui, et Malherbe, qui lui doit beaucoup, tout en le reniant, ont repris cette tradition. Malherbe a constitué, avant Boileau, le nouveau régime de la poésie française ; il fit oublier Régnier, mais son œuvre de législateur a rendu un plus grand service que le beau poème qu’il n’a pas fait. À côté de la poésie, le roman et le théâtre ont inauguré des destinées séparées ; le Gargantua de Rabelais annonce Gît Hlas ; Larrivey précède, non sans honneur, l’inimitable Molière ; Jodelle, Hardy et Garnier prépurent la scène tragique de Corneille. Après avoir rappelé le rôle de ces divers auteurs et déterminé leur influence respective dans le mouvement général, Sainte-Beuve trace le caractère individuel de plusieurs d’entre eux ; ces études particulières complètent le tableau. Daus cette œuvre de critique exacte et fine, on sent circuler une tendra sympathie pour.les oubliés, ce qui rend le livre aussi attachant qu’instructif.

Poésie épique (HISTOIRE DE LA), par M. Edgar Quinet (1838, in-8°). L’auteur parcourt toute la carrière de l’épopée, depuis Homère jusqu’aux poèmes Scandinaves, et sème la ruute d’une foule d’aperçus hardis, fort contestés au moment de l’apparition du livre et qui, depuis, n’ont pas tous été ratifiés par les progrès de la science mythologique et philologique. On n’ignore point combien de questions soulève cette question de l’épopée, et combien elle se ramifie à travers toutes les sciences historiques. M. Quinet, dont l’esprit a toujours été très-curieux des religions et des épopées, qui, le premier, en 1830, signala l’existence de l’élément celtique dans l’épopée bretonne et démontra que le grand cycle épique du xne siècle appartenait en propre à la France, a condensé dans ce livre toutes les réflexions qui lui ont été suggérées sur ce sujet par ses études mythologiques et historiques. À l’encontre de ceux qui nient dans ces créations primitives la personnalité de l’artiste au profit de l’inspiration de la masse, M. Quinet revendique les droits du poète et cherche à démontrer, contre l’école de Wolf, que c’est une personnalité qui a, sinon inventé Je sujet de Ylliade, du moins coordonné et composé dans une unité les diverses traditions épiques de la Grèce. • Avec la théorie de Wolf, dit-il, beaucoup d’autres chancellent qui vont tomber d’une chute commune ; le temps approche où disparaîtront, sans doute, de triomphantes hypothèses qui, partout, mettant des forces abstraites à la place de l’homme, abolissaient partout la vie dans l’histoire et dans l’art, j> On remarquera que, dans notre article sur la poésie populaire, nous avons soutenu la thèse contraire ; les deux

F oints de vue sont également vrais, suivant âge auquel ou prend la poésie. Dans le dé-