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1779) en défendit l’introduction dans le royaume, mais sans en empêcher la propagation. Enhardi par cette impunité, Raynal prépara une édition considérablement augmentée et passa ensuite en Suisse pour en surveiller l’impression. Pendant son séjour dans ce pays, il fit élever à ses frais, dans une île du lac de Lucerne, un monument à la mémoire des trois héros de l’indépendance helvétique, et il fonda trois prix pour autant de vieillards pauvres qui auraient donné l’exemple d’une vie de travail et de probité. À son retour, nous le voyons encore, lors de son passage à Lyon, remettre à l’Académie de cette ville, qui l’avait élu l’un de ses membres, une somme nécessaire pour fonder deux prix.

La nouvelle édition de l’Histoire philosophique parut en 1780 ; il y en eut deux impressions, l’une en 5 vol. in-4o, l’autre en 16 vol. in-8o. avec atlas. Raynal, qui avait publié les autres sans nom d’auteur, signa celle-ci et même l’orna de son portrait.

Cette fois, l’orage éclata, et l’administration relativement plus libérale de Louis XVI se montra plus sévère que l’administration despotique de Louis XV. Une main perfide plaça sur le bureau du roi un volume de l’ouvrage relié de telle sorte, qu’il s’ouvrait aux endroits les plus violents, aux passages où la religion et le despotisme étaient le plus attaqués. Louis XVI fut indigné ; il tança les ministres et ordonna des poursuites.

Néanmoins, les idées philosophiques avaient fait tant de progrès, que tout se borna à de pures formalités.

L’avocat général Séguier avertit l’auteur, le ministère ferma les yeux, et Raynal eut tout le temps de mettre en sûreté sa fortune et sa personne. Il partit fort tranquillement de sa maison de Courbevoie et alla se réfugier à Spa, où la plus brillante société de l’Europe l’accueillit comme on accueillait alors les princes de l’esprit.

Le parlement, en mai 1781, ordonna que l’Histoire philosophique fût brûlée par la main du bourreau et que l’auteur fût arrêté et ses biens séquestrés. Cela ne tirait pas à conséquence, puisque Raynal avait été mis à même de prendre toutes les précautions convenables. De Spa, il passa en Angleterre, puis en Allemagne, et fut partout reçu d’une manière distinguée par les souverains, dont ses publications sapaient les trônes. C’est encore une des bizarreries de ce temps, où l’on voyait s’incliner devant la philosophie ceux-là mêmes qui devaient le plus souffrir de ses conquêtes. Puissance de l’esprit et des idées ! les dominateurs mêmes courtisaient ceux dont les travaux allaient les dépouiller de la domination.

Frédéric le Grand, toutefois, qui avait gardé rancune de certain passage de l’Histoire philosophique, montra quelque froideur envers l’écrivain, qui en fut dédommagé par la réception brillante que lui fit Catherine II.

En 1787, les amis de Raynal obtinrent son rappel en France. Il revint habiter Saint-Geniez, sa patrie, le séjour de Paris ne lui étant pas permis encore. Bientôt, il fut attiré en Provence par Malouet, qui était intendant de marine à Toulon. Il signala encore cette époque de sa vie par une œuvre philanthropique. Ayant remarqué la misère et le découragement des campagnes, il mit à la disposition de l’assemblée provinciale de la haute Guyenne une rente perpétuelle de 1,200 livres pour être répartie entre les petits cultivateurs qui auraient le mieux exploité leurs terres. Lors de la convocation des états généraux en 1789, Raynal fut élu député par le tiers état de Marseille ; mais son grand âge ne lui permit pas d’accepter, et il fit reporter les suffrages sur son ami Malouet.

À cette époque, il avait d’ailleurs renié la plupart de ses idées philosophiques, et dans le moment même où elles passaient de la théorie dans les faits ; aberration de vieillard dont il y a d’ailleurs de nombreux exemples dans l’histoire des idées. Une brochure anonyme, dans laquelle la Révolution et les réformes étaient combattues avec âpreté, lui fut attribuée par quelques personnes. Les patriotes la déclaraient apocryphe, ne pouvant croire à une telle palinodie de la part du collaborateur de Diderot, de l’auteur de l’Histoire philosophique. Peut-être cet écrit n’était-il pas, en effet, de Raynal ; mais le doute sur son changement de principes ne fut plus permis quand on le vit, le 31 mai 1791, adresser à l’Assemblée nationale, par l’intermédiaire du président Bureaux de Puzy, une lettre qui n’était qu’une complète rétractation des idées qu’il avait si longtemps propagées et dans laquelle il dressait en quelque sorte l’acte d’accusation de la Révolution et de la philosophie. Le malheureux vieillard espérait sans doute, par cette démarche insensée, ramener l’opinion publique au fétichisme du passé. Les ennemis des institutions nouvelles, qui l’avaient poussé, attendaient un grand effet de cette manifestation faite par un vétéran du XVIIIe siècle ; mais l’Assemblée, sur la proposition de Robespierre, passa dédaigneusement à l’ordre du jour. André Chénier, Anacharsis Cloots et quelques autres publièrent des brochures véhémentes contre Raynal, qu’ils ne désignaient plus que sous le nom d’apostat de la philosophie et de la liberté. Dans ces écrits, on allait même jusqu’à affirmer qu’il s’était enrichi dans la traite des noirs et qu’il avait autrefois rendu des services à la police. Mais ce n’étaient là sans doute que des exagérations de la colère, des inventions de la haine trop facilement accueillies par les témoins de cette mémorable palinodie. Pour caractériser l’état de sénilité du vieux philosophe, des caricaturistes le représentèrent sous la figure d’un enfant, avec un bourrelet et des lisières.

Au reste, suivant Montgaillard, il aurait reçu du roi, pour son libelle contre-révolutionnaire, 24,000 livres, dont il signa quittance (Histoire de France, tome II, p. 329).

Raynal se survécut encore plusieurs années. Pendant les orages de la Révolution, il vécut retiré au village de Montlhéry et mourut d’une crise catarrhale pendant un petit voyage qu’il avait fait à Paris. Il venait d’être nommé membre de l’Institut. Dans ses derniers jours, il préparait une nouvelle édition de son grand ouvrage, expurgée de tous les morceaux qui précisément en avaient fait le mérite et le succès. Mais il n’eut pas le temps d’accomplir cette mutilation.


RAYNAL (Jean), historien français, né à Toulouse en 1723, mort à Argeliers (Aude) en 1807. Il se fit recevoir avocat au parlement de Toulouse (1755), devint, en 1767, capitoul de cette ville, puis subdélégué de l’intendant du Languedoc, et fut envoyé à Versailles en 1772, pour présenter au roi les cahiers des états de la province. On a de lui : Histoire de la ville de Toulouse, avec une notice des hommes illustres, etc. (Toulouse, 1759, in-4o).


RAYNAL (Paul Chaudru de), administrateur français, né à Bourges en 1797, mon k Paris en 1845. Il devint sous-intendant militaire de première classe et professeur d’administration militaire k l’École d’état-major. On a de lui : De la domination française en Afrique (Paris, 1832, iu-8°) ; Pensée ?, essais et maximes de J. Joubert (Paris, 1842, 2 vol. in-8o), réimprimé avec des additions en 1850.


RAYNAL (Louis-Hector Chaudru de), historien et magistrat français, frère du précédent, né à Bourges eu 1805. D’abord avocat k Bourges (1829), il entra dans la magistrature sous le règne de Louis-Philippe et devint successivement avocat général près la cour de sa ville natale, procureur général k Caen (1849), avocat général près la cour de cassation (1852) ; enfin, il succéda eu 1871 à M. Bonjean comme président de chambre k cette cour. M. Raynal a publié : Annuaire du lierry (1840 et suiv.) ; Êistoire du Berry depuis les temps tes plus anciens jusqu’en 1739 (Bourges, 1844-1847, 4 vol. in-8"), ouvrage estimé, qui a obtenu le prix Gobert en 1847, etc.


RAYNAUD (Théophile Rainaudo, en français), jésuite et laborieux écrivain italien, né k Sospello (comté de Nice) le 15 novembre 1583, mort k Lyon eu 1663. Il s’adonna ’ k l’enseignement, devint, en 1631, confesseur du prince Maurice de Savoie et refusa, en 1637,1’évêohé de Chambéry. Ayant fait des démarches en faveur de son ami le Père Mpnod, emprisonné k Moulméliau, il fut lui-même jeté en prison par ordre de Richelieu et détenu pendant quelques mois. À plusieurs reprises, il se rendit k Rome, où il professa la théologie en 1647, et liuit par se fixer à Lyon.

Il a écrit, dans un style prolixe et trivial, un très-grand nombre d’ouvrages de théologie, d’histoire, de piété, de polémique, etc., qui néanmoins eurent du succès. Tiraboschi les compare c à un de ces vastes magasins encombrés de marchandises de toute espèce, bonnes et mauvaises, anciennes et modernes, utiles et iuutiles, parmi lesquelles chacun peut rencontrer, avec du goût et de la patience, quelque chose qui lui convienne. > Ses œuvres ont été réunies et publiées k Lyon (1665-1669, 20 vol. in-fol.)

RAYNEVAL (Joseph-Matthias Gérard de), publiciste et diplomate français, né k Massevuùx (haute Alsace) en 1746, mort à Paris en 1812. D’abord secrétaire interprète à la légation française près la cour palatine, il devint successivement chargé d’affaires k Ratisbonne, résident et consul k Dantzig, premier commis au ministère des affaires étrangères (1774), conseiller d’État (1783), et prit part à plusieurs négociations, notamment k celles du traité de commerce avec l’Angleterre en 1786. En 1792, il perdit ses emplois, rentra dans la vie privée et fut appelé, en 1804, à faire partie de l’Institut comme membre correspondant. Le grand-duc de Bade lui ayant demandé un projet de constitution, Rayneval se rendit k Carlsruhe. À son retour en France, Bonaparte donna l’ordre de l’arrêter et l’ancien diplomate fut enfermé k Vincennes comme prisonnier d’État. On lui doit ; Institutions du droit public d’Allemagne (Leipzig, 1766) ; Institutions du droit de ta nature et des gens (Paris, 1803, in-8o ; nouv. édit., 1832, 2 vol. in-8») ; De la liberté des mers (1811, 2 vol. in-S").

RAYNEVAL (Fran’çois-Maximilien Gérard de), diplomate, fils du précédent, né h Versuilles en 1778, mort k Madrid en 1836. Il entra dans la carrière diplomatique sous le Directoire et fut successivement attaché aux légations de Suède, de Russie et de Portuful. Chargé d’affaires k Lisbonne après le rusque rappel de l’ambassadeur, le général Junot, il eut ordre de présenter k la cour de Portugal un ultimatum auquel le roi Jcau VI

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répondit par un refus (1807). Rayneval revint alors à Paris, suivit, comme premier secrétaire d’ambassade, de Caulaiucourt hSaint-Pétersbourg’et occupa ce poste jusqu’à la

déclaration de guerre en 1812. Deux ans plus tard, il accompagna comme secrétaire de légation et directeur du protocote le même diplomate au congrès de Cbàtillon, qui n’aboutit k aucun résultat. Sous la Restauration, Rayneval fut premier secrétaire d’ambassade à Londres, directeur des chancelleries au ministère des affaires étrangères (1S15), sous-secrétaire d’État (1820), ministre plénipotentiaire en Prusse (1821), en Suisse (1&25), ministre des affaires étrangères par intérim (1828) et ambassadeur k Vienne (1829).Un an auparavant, il avait reçu le titre (le comte. La révolution de 1830 le fit rentrer dans la vie privée ; mais, dès 1832, Casimir Périer le nomma ambassadeur en Espagne, où il fit tous ses efforts pour diminuer les maux delà guerre civile, et lui donna, cotte même année, un siège k la Chambre des pairs. Pendant un voyage qu’il fit pour aller rejoindre la reine Christine, Rayneval fut atteint d’une fluxion de poitrine et mourut au milieu même des scènes sanglantes de la Granja. Sans avoir été un diplomate du premier ordre, Rayneval avait du jugement, de la prudence, une grande facilité de travail, des connaissances solides et variées. En 1832, il donna une nouvelle édition, revue et enrichie de notes, des Institutions du droit de ta nature et- des gens, publiées par son1 père.

RAYNEVAL (Alphonse Gérard de), diplomate, fils aîné du précédent, né k Paris en 1813, mort dans la même ville en 1853. A vingt-trois ans, il devint chef du cabinet de Mole, ministre des affaires étrangères, puis fut nommé secrétaire d’ambassade k Rome (1839), premier secrétaire d’ambassade et chargé d’affaires k Saint-Pétersbourg (1844) et ministre plénipotentiaire auprès du gouvernement des Deux-Siciles (juin 1849). Après la fuite du pape à Gaëte, il fut chargé de représenter le gouvernement de la République française près de Pie IX, en même temps qu’un plénipotentiaire français, M. Ferdinand de Lesseps, était envoyé en mission près du triumvirat qui gouvernait la République romaine. Il prit part aux conférences diplomatiques de Gaëte, dont il rédigea les procès-verbaux, entra à Rome k la suite de notre armée (3 juillet 1849) et devint alors seul représentant officiel de la France. En 1851, de Rayneval reçut le titre d’ambassadeur. l’artisan déclaré du pouvoir temporel, adversaire de la nationalité italienne, il rédigea pour son gouvernement, le 14 mai 1856, un mémoire dans lequel il demandait le maintien de l’occupation et quelques timides améliorations de détail. Ce mémoire, dans lequel le peuple italien était jugé avec un sentiment d’hostilité évident, fut publié quelques mois après par le Daily News de Londres, auquel les amis des cardinaux l’avaient sans doute adressé. L’année suivante (18 août 1857), de Rayneval fut nommé ambassadeur k Saint-Pétersbourg ; mais la mort le surprit avant qu’il eût pu se rendre k ce nouveau poste. U succomba k une attaque de goutte héréditaire.

RAYNOUARD (François-Juste-Marie), poë te, auteur dramatique et philologue français, né à Brignoles (Var) le 8 septembre 1761, mort k Passy le 27 octobre 1836. Lorsqu’il eut fait sas études de droit k Aix, il se fit’inscrire au barreau de cette ville. Entraîné par ses goûts littéraires, Raynouard se rendit, en 1784, k Paris, mais il ne tarda pas k revenir en Provence et exerça avec talent la profession d’avocat. La Révolution trouva en lui, sinon un adepte enthousiaste, du moins un partisan déclaré de la liberté. Elu, en 1791, député suppléant k l’Assemblée législative, il ne joua qu un rôle effacé ; mais il sentit renaître en lui sa passion pour les lettres et la poésie et resta k Paris après la session. À l’époque des grandes luttes de 1k Convention, d’aynouard, qui était attaché au parti des girondins proscrits, retourna en Provence, mais fut arrêté, reconduit k Paris et enfermé k l’Abbaye. Rendu k la liberté après le 9 thermidor, il composa une tragédie, Cuton d’Utique, dont il ne fit tirer que.40 exemplaires pour ses amis (1794). Dans cette œuvre, où l’on remarqué beaucoup d’inexpérience dramatique, on trouve de beaux vers, un accent viril et un très-vif sentiment de la liberté. Raynouard n’essaya r point de faire ^jouer sa tragédie. Voyant qu’il lui serait bien difficile de" vivra de sa plume k Paria, il retourna dans le Var, y reprit sa profession d’avocat et, grâce k son talent, k son éloquence, k l’estime dont il jouissait, il fut chargé de nombreux procès.et, au bout de quelques années, il avait amassé une petite fortune qui lui permit de vivre & Paris. On était alors sous Te Consulat. Un petit poème, écrit avec art et intitulé Socrate au temple d’Aglaure, remporta, en 1802, le prix de poésie.» l’Institut et fut imprimé l’année suivante (in-^o)., Vers ’cette1 époque, il présenta au Théâtre-Franc, ais d eux tragédies qui furent reçues, mais enterrées dans les cartons, Éléonore de Bavière et les Templiers. Raynouard commençait a désespérer de voir •jouer ses œuvres lorsque, en 1805, Bonaparte apprit par hasard que la Comédie-Française. possédait une tragédie en cinq actes intitulée les Templiers. Il voulut la lire, fut frappé de l’énergie toute cornélienne, de l’élévation des

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caractères, du stylé ferme et précis de cette œuvre, mais néanmoins ne fut point entièrement satisfait îlé la façon dont avait été compris le sujet. Ayant fait venir Raynouard, « Pourquoi, lui dit-il, uVvoir pt«, montré cas moines guerriers, braves, mais ambitieux, riches, intrigants, voluptueux, comme les rivaux de la royauté, ennemis du uone et justement suspects à Philippe le Bel, qui avait le droit de les frapper ? — Sirej répondit le poète, je n’aurais eu pour moi ni l’autorité de l’histoire ni la sanction du public ; on bien il aurait fallu que Votre Majesté me donnât tin parterre de rois. » Bonaparte lui conseilla do remplacer la réponse du grand maître à l’aveu de Marîgny par ces simples mots : « Je le sais, • ce que fit Raynouard, et il ajouta ces paroles qui peignent bien le despote s" « Prenez garde que Philippe le Bel, en menaçant les templiers, ne parle d’échafaud. Un princepeut se servir de la. chose, jamais il ne prononce le mot. » Pur ordre de Napoléon, les Templiers furent représentés en 1805 et, bien que la pièce ne fût pas irréprochable (v. templiers), iis obtinrent un éclatant succès, quene purent amoindrir les acerbes critiques de Geoffroy. Deux ans plus tard, en 1807, l’Académie française appela Raynouard k occuper le fauteuil de Leortm-Pindard, et ? Institut, dans son rapport de 1810 sur les prix décennaux, signala les Templiers coinrnéêfaiit la seule pièce digne de remporter la plus haute récompense. À cette époque, .du.reste^Raynouard avait remanié son œuvre, modifié l’action, supprimé des longueursydés’ personnages inutiles et retouché te Style, Une autre tragédie du même auteur, les Etals de Blois (v. EtaTS DE Blôîs), représentée k Saint-CIouil k l’occasion du mariage de Marie-Louise, déplut k Napoléon et ne put être jouée k Paris. ’ ;

En 1806, sur la présentation du Sénat, Raynouard avait été nommé membre du Corp.s législatif ; il s’y fit remarquer par son aptitude aux affa, ires : et par sa connaissance approfondie de la législation. D’après de Phngerville, Bonaparte eut un instant l’idée do lui donner la présidence de cette àsseinblèé. Après une conversation qu’il eut avec lui, -il hésita et dit à Fontanes :« Qu’est-ce donc que votre confrère Raynouard ? — C’est, répondit celui-ci, un homme de bien, d’un grand sens, Provençal, brutal, original. » Ce n’était point une de ces nutures de courtisan, souples et-prêtes k tout, qui convenaient au despote, ; aussi Raynouard ne fut-il point nommé président. En 1813, ’il fit partie de la fiuneûse commission extraordinaire du 5 novembre qui, pour la première fois, fit résonner aux oreilles de Napoléon dans un rapport les noms dé paixet de liberté. Bonaparte interdit l’impression du rapport et ajourna le Corps législatif. Pendant les Cent-Jours, ’ Raynouard refusa le mandat de représentant, l’emploi de conseiller de l’Université, même le portefeuille de la justice que lui offrait Carnot. Soi) dernier acte politique est un acte d’indépendance. Nommé secrétaire perpétuel dé l’Académie en 1817, il donna sa démission en 1826, lorsque la ministère eut proposé aux Chambres un projet de loi contra la presse, et fut un des plus ardents promoteurs de l’adressé courageuse envoyée k Charles X par ce corps savant.

Raynouard ’lie s’était point borné k écrire les pièces que nous avons citées. I) en composa plusieurs autres, Scipion, Don Carlos, Débora, Charles Ier, Jeanne Dara à Orléans ; mais aucune ne fut représentée, et il se borna, k diverses reprises, a en lire des fragments k l’Académie. Dès le temps de l’Empire, du reste, il avait k peu près renoncé au théâtre pour se livrer avec son ardeur habituelle k des études de linguistique et de philologie, qui le firent nommer, le 20 octobre 1815, membre de l’Académie des inscriptions. —Il s’attacha k chercher’l’origine des langues néo-latines dans la langue romane, qu’il étudia dans ses origines, dans ses transformations, dans les écrits des troubadours ; mais, emporté par son imagination’, ’ il lui arriva souvent dé perdre pied, de se lancer dans les conjectures et de manquer de critique, de sorte qu’on a pu l’accuser, non sans raison, d’avoir indiqué une langue imaginaire plutôt que d’un avoir démontré l’existence. Simple, de mœurs austères, désintéressé, san3 fiel et sans vanité, Ruynouurd était un véritable philosophe pratique. «Son abord rude, son air distrait, son débit entrecoupé, vif et que l’accent méridional n’adoucissait pas, dit Pongerville, ne prévèuuient guère en sa faveur ; les mouvements de toute sa personne décelaient une activité incessante.. Petit de taille, robuste, pétulant, il ne restait’ jamais cinq minutes assis ou debout k la même place. Peut-être pourrait-on trouver dans cette mobilité nerveuse et intellectuelle la cause de ces brusques transitions, de cèg. phrases hachées qui lont perdre au discours la liaison progressive qui donne de la puissance et du charme aux pensées. • Raynouard passa les dernières aimées de sa vie k Passy, près de Paris, dans la retraite, visité de temps k autre par de jeunes lettrés k qui il donnait dé judicieux conseils. Deux traits peindront mieux que tout ce qu’on pourrait dire le caractère de cet homme intègre. Étant avocat k Draguignan, il consentit k se charger d’un procès dans lequel étaient engagés des intérêts considérables et qui offrait de grandes difficultés. U gagna son procès, et

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