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les mêmes circonstances sont données ; faisant abstraction de ces circonstances particulières, nous prononçons que, chaque fois

que le premier phénomène sera donné, le second suivra ; il n’y a là rien de bien mystérieux et ce principe de causalité est tout simplement obtenu par voie de généralisation et d’abstraction. L’idée de cause est donc quelque chose d’éminemment subjectif et nous ne voyons pas pourquoi on imagine une réalité extérieure à laquelle cette idée doit correspondre ; la science n’en demande pas tant. Mais les exigences auxquelles Cousin crut devoir soumettre la philosophie en demandaient bien davantage ; aussi ne devons-nous pas nous étonner de rencontrer dans une doctrine faite pour donner satisfaction et aux spéculatifs peu sérieux et aux théologiens un réalisme aussi grossier à côté d’un nominalisine beaucoup plus raisonnable. L’éclectisme, en ouvrant sa porte à toutes les doctrines, était contraint par la force des choses à traiter avec la même déférence les théories les plus opposées ; c’était peut-être poli, mais ce n’était guère philosophique.

— Littér. Le réalisme est le sentiment du réel et du vrai transporté dans les arts ou dans la littérature. Quoiqu’il n’y ait guère qu’une vingtaine d’années qu’on parle de réalisme et que l’on compte, dans la littérature française, une école de réalistes, il est bien évident que l’on n’a pas attendu jusqu’à une époque si rapprochée de nous pour découvrir ce sentiment. La nature, c’est-à-dire le vrai, a dû être et a été en effet le premier objet de l’étude des poètes comme des artistes ; mais, en passant de la réalité dans un livre ou dans un tableau, tout fait moral ou physique subit une transformation pins ou moins complète, suivant

l’organisation particulière de l’artiste ou du poëte. ; celui-ci ne se contente pas de transcrire, il traduit, et c’est cette transformation qui fait l’œuvré d’art. On conçoit fort bien qu’en traversant tant de siècles littéraires, à force d’être transformée et traduite, la réalité devienne méconnaissable. Les premiers postes traduisent avec génie ce qu’ils ont vu et ce qu’ils ont senti ; ceux qui viennent après eux, au lieu d’opérer de même, se contentent de traduire à leur tour ce qu’ils ont lu ; ils traduisent non la nature et la réalité vivante, mais les chefs-d’œuvre qui en étaient inspirés et qui sont passés ù l’état de types, de modèles dont l’homme de goût ne doit pas s’écarter, et, d’imitation en imitation, les littératures s’énervent et s’affadissent. Quand elles sont arrivées à un certain degré de décrépitude, il survient un écrivain qui rompt brusquement avec la tradition, délaisse les formules conventionnelles qui ont vieilli et, au lieu de copier des copies, retourne à l’observation directe de la réalité. S’il fait école, ce retour aux sources de l’inspiration primitive, qui est chose toute simple, passe pour un trait de génie ; toute une période de la littérature d’un pays se ressent de l’initiative qu’il a prise, et son réalisme tranche si fortement sur les œuvres précédentes qu’il semble obtenu par des procédés entièrement nouveaux, quoique ces procédés-soient aussi anciens que les plus vieilles littératures. Théocrite, en écrivant ses bucoliques tout imprégnées de la senteur des étables, en mettant en scène ses rudes bouviers aux mains calleuses et ses belles filles à peine débarbouillées, au moment où la poésie grecque se perdait dans les subtilités de l’école alexandrine, fit une œuvre d’un réalisme puissant, mais Homère est encore bien plus réaliste que lui. Si Théocrite ne tranche pas d’une façon aussi violente sur le fond général de la poésie grecque que certains auteurs contemporains, par exemple, sur la littérature du xvme siècle, c’qst que les Grecs n’abandonnèrent jamais complètement l’observation de la nature et le sentiment de la réalité pour l’étude et la reproduction des œuvres conventionnelles.

Toute la littérature antique, grecque ou romaine, est réaliste par quelques côtés, c’est-à-dire que tout en se mouvant dans la sphère des créations idéales, ce qui est le propre de la poésie, elle s’inspire sans cesse de la réalité vivante et la traduit, sans reculer devant les mots, dans ses détails les plus humbles et les plus familiers. Il faudrait ne lire Homère, Sophocle et Aristophane, Plaute, Catulle et Juvénal que dans les pompeuses traductions françaises du xvue siècle, pour rester persuadé que le réalisme est d’invention moderne. Toutefois, l’antiquité ne montre pas à. cet égard un parti pris systématique, et c’est ce parti pris qui constitua le réalisme moderne ou plutôt contemporain.

Chez les grands créateurs, comme Shakspeare et Gœthe, le réalisme n’exclut pas du tout l’idéalisation. Shakspeuro fait converser en langage trivial les savetiers et les charpentiers de Rome, avant de faire entrer en scène Brutus, Antoine et César ; il place des calembours et des quolibets grossiers dans la bouche des croque-morts et des musiciens qui entourent le cercueil de Juliette, mais cela n’empêche pas ses types historiques ou fantaisistes, Antoine et César, Roméo, Juliette, d’être de pures idéalisations ; il rend par ce mélange les aspects complexes de la vie. De même, le réalisme de Gœthe consiste à ne pas exclure de la scène ou du roman les petits, les humbles, les événements domestiques, les sentiments familiers, le lungage bourgeois ; sa Charlotte aux mains rouges,

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si active à’beurrer des tartines et à faire des confitures, est vivante comme une réalité et il en est ainsi de tous les types de femmes sortis de son imagination ; elle3 semblent appartenir moins à l’art qu’à la nature ; c’est le triomphe du réalisme.

En France, contrairement à ce qui s’est vu dans la plupart des autres pays, la tendance au réalisme a presque toujours été une sorte de réaction contre la littérature officielle, la convention académique. Cette tendance n est pas nouvelle. Villon, rompant avec le langage fleuri et courtisanesque de l’école de Charles d’Orléans, son contemporain, bannissant les locutions quintessenciées, les allégories et tout Je fatras poétique des cours d’amour pour enlever d’un trait vif, sur les boues de Paris, ses chenapans dépenaillés et ses filles de joie, Villon est l’ancêtre légitime des réalistes contemporains. Saint-Amand, non l’auteur boursouflé du Moïse, mais le poète des Goinfres, de l’Ode au fromage, de la Crevaille, fut une protestation contre l’école, de Malherbe, et grâce à lui le réalisme n’est pas complètement absent de la littérature du xvue siècle ; Diderot, Mercier et Rétif de La Bretonne sont les réalistes du siècle suivant. Ces esprits étonnants ou seulement singuliers marchaient contre le courant de leur époque. Cependant, à la fin du xvme siècle, un retour aux émotions simples et à l’observation de la nature était inévitable après que le goût exagéré de la noblesse et de la grandeur avait fini par bannir du théâtre et du livre, de la prose comme du vers, Îiresque tout ce qui est humain, pour n’y aisser que ce qui est héroïque ou supposé tel. À force d’éliminer comme bas, trivial, familier, indigne d’arrêter les yeux et l’esprit de l’honnête homme, de l’homme de goût, ce qui touche à la vie commune, ce qui arrive à tout le monde, on avait singulièrement rétréci le domaine de l’art, et personne, sauf deux ou trois excellents esprits, ne parais- ; sait s’en douter. Voltaire riait aux larmes de voir La Chaussée prétendre intéresser le public aux douleurs d’un père de famille qui ne fût pour le moins Cléon ou Thésée et aux aventures d’un fils rebelle qui ne s’appelât ni Etéocle ni Polyniee. Il aurait ri bien davantage, sans doute, de voir un vinaigrier promener sa brouette sur les mêmes planches que Phèdre et Jocaste. Le réalisme n’alla pas plus loin au xvme siècle ; c’est celui de Gœthe, accueillant les plus humbles personnages au même titre que les héros, pourvu qu’ils soient intéressants. Si de nos jours le réalisme a pris des proportions plus grandes, s’il est devenu une doctrine, c’est que le besoin de réaction contre les deux précédents siècles littéraires s’est montré plus violent ; le romantisme a été la première phase de cette réaction, le réalisme fut la seconde.

Mais no se paye-t-on pas de mots en faisant du réalisme une doctrine ? Champfleury, qui a fait un livre intitulé le Réalisme, après avoir bien examiné ce qu’il est et ce qu’il doit être, ce qu’on lui reproche et ce dont on le loue, avoue qu’il n’y comprend plus absolument rien, a moins qu’on ne-désapprouve dans les auteurs contemporains ce que l’on admire dans les œuvres de l’antiquité, à Nul doute, dit-il, qu’à un moment donné les critiques pris dans leur propre piège ne cherchent à diviser les écrivains en bons et en mauvais réalistes. » Champfleury se trompe, il n’y a ni bons ni mauvais réalistes ; on a ou l’on n’a pas le sentiment du réel et du vrai, mais il y a de bons et de mauvais écrivains, il y a de profonds observateurs et des observateurs superficiels. Quand Balzac, celui qui fieut passer à bon droit pour le chef des réaistes contemporains, fouille patiemment et minutieusement un caractère ; quand il nous fait comprendre un homme en noua le traduisant tout entier, habitudes, costume, langage, attitudes ; qu’il ne nous fait grâce ni d’un tic, ni d’une verrue, il est dans son droit ; du moment, ce que personne ne conteste, que l’homme, quel qu’il soit, est un objet digne d’étude, rien n’est inutile de ce qui peut faire connaître cet homme à fond. Lorsque Champfleury, avec beaucoup de talent, il est vrai, mais avec bien moins de profondeur que Balzac, esquisse des séries de personnages qui sont des silhouettes et non des types, que l’on reconnaît à leurs manières et non à leur caractère, il est bien moins réaliste que Balzac, tout en paraissant l’être davantage, puisqu’il ne voit qu’un côté et le plus petit côté des personnages qu’il met en scène. La loupe et le bégayement du père Grandet sont bien loin d’être tout le père Grandet, ce type d’avare qui peut être mis en parallèle avec Harpagon, c’est-à-dire avec 1 idéalisation la plus parfaite de l’avare ; dans les romans de Champfleury on pourrait citer par douzaines les individualités excentriques qui n’ont pour tout cachet qu’un tic, une verrue, une loupe ; c’est là tout l’homme. Un vieux bonhomme a pour trait distinctif, dans les Souffrances du professeur Delteil, de se mettre dans les cheveux tout ce qui lui tombe sous la main, des ciseaux, une paire de lunettes, un porteplume ; il traverse les quatre cents pages du roman, ayant toujours dans les cheveux quelque objet ; voilà son caractère, il n’en a pas d’autre. Un amateur de musique regarde les partitions à l’aide d’une lorgnette (les Trios des Chenizelles) ; tout le long du roman, il a sa lorgnette à la main et, comme il n’ouvre jamais la bouche, il est impossible de savoir

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ce qu’il est et si même il connaît un traître mot de musique. C’est l’enfantillage du réalisme.

Notre époque, rompant avec toutes Jes traditions que lui avaient léguées le xvn» et le xvme siècle, s’est tout à coup prise d’une belle passion pour l’exactitude ; elle dédaigne le convenu et l’appelle poncif ; elle a soif du vrai, au point qu’il a fallu le reproduire dans un genre qui jusqu’à nous n’avait été qu’un prétexte à idéalisations, l’histoire, Augustin Thierry et Michelet, ressuscitant les temps passés, chaque siècle, chaque fait, chaque homme, avec sa physionomie spéciale, donnant du relief aux détails les plus infimes, qui ainsi deviennent caractéristiques, ont introduit ce réalisme dans l’histoire ; à plus forte raison devait-on être conduit à l’introduire dans les genres purement fantaisistes, le drame, la poésie et le roman. Sans rechercher, ce qui serait parfaitement inutile, si la Princesse de Ciéves est supérieure, comme, roman, à Madame Bovary, nous dirons que la Princesse de Clèves était le roman approprié aux mœurs et aux goûts du xvue siècle, comme Madame Bovary est le roman approprié à nos goûts et à nos mœurs. Les littératures ce peuvent être condamnées à tourner éternellement dans le même cercle. Cette exactitude, dont on faisait fi autrefois et qui est recherchée aujourd’hui dans le roman comme dans l’histoire, a pu être poussée à l’excès par quelques écrivains contemporains sans que cela prouve rien contre le réalisme en lui-même. En érigeant en doctrine, qu’il n’y a de vrai que le laid, le commun et le trivial, en défendant même de poétiser la laideur et la difformité pour les rendre acceptables, comme a fait V. Hugo, par exemple, en créant ses types de Quasimodo, de Triboulet, de Gwynpluine, sous prétexte que cette idéalisation sort de la vérité, on rétrécirait le domaine de l’art tout autant que les idéalistes qui proscrivent le trivial et le familier comme contraires à la poésie. » La vie humaine, et c’est un réaliste, E. Feydeau, qui a écrit cela, la vie humaine ne se compose pas seulement d’ennuis, de douleurs, de vaines aspirations, d’appétits du corps et de l’âme, elle a aussi ses consolations, ses nobles instincts, ses aspirations vraies. L’humanité n’est pas toute pourrie ; comme le soleil, elle a ses taches, mais elle a son rayonnement, sa chaleur. C’est l’antagonisme du mal et du bien, le contraste du beau et du laid, des vices et des vertus qui constitue la vérité et l’intérêt dramatique. Celui qui dans la vie ne verraitque le mal et le laid se montrerait aussi dépourvu de discernement que son adversaire, celui qui ne voit que le bien et le beau ; l’un était borgne de l’œil droit, l’autre le serait de l’œil gauche. Celui donc qui entreprendra de peindre la vie dans ses livres, s’il est équitable, s’il est habile, la peindra telle qu’elle est, avec son éternel antagonisme ; et c’est par cela seul qu’il touchera, car c est par cela seul qu’il sera vrai. »

Ainsi ont toujours agi les maîtres, ceux dont les œuvres empreintes d’un réalisme puissant méritent d’être étudiées et approfondies. Ils n’ont fait en cela qu’appliquer avec plus de force des procédés communs à toutes les littératures anciennes et modernes, sauf à la littérature française du xvue siècle, en les relevant par cette précision dans l’observation, cette exactitude dans la recherche des détails qui est le caractère-littéraire de notre époque. Victor Hugo, si neuf dans l’invention, si réaliste, car il l’est parfois jusqu’à la brutalité dans l’expression, reste un idéaliste dans la conception de ses types principaux, qu’il crée Esméralda ou Quasimodo, les Thénardier, Fantine ou Javert. Balzac est tantôt d’un réalisme effrayant, tantôt d’un idéalisme effréné ; à la fois mystique, sensuel, matérialiste, plastique, tantôt il étudie les objets à la loupe et tantôt il se perd dans le monde de la pensée, de l’hallucination et du rêve ; il va de Svedenborg et de Saint-Martin à Rétif de La Bretonne et reflète avec la même vérité l’homme physique et l’homme moral. A leur suite, Champfleury, Gustave Flaubert, les frères de Goncourt, E. Feydeau, E. Zola et quelques autres ont, il est vrai, moins cherché à enseigner qu’à peindre ; ce sont eux que l’on accuse plus spécialement de réalisme, en prenant le mot en mauvaise part et en leur reprochant de faire trop prédominer le laid réel sur le beau idéal. Qu importe, si à force de vérité dans l’observation ils parviennent à intéresser ? On leur fait d’ailleurs une mauvaise querelle, car aucun d’eux n’a choisi exclusivement les sujets odieux ou grossiers, la peinture des choses basses, des vices, des difformités physiques et morales ; tes rencontrant sur leur chemin, en étudiant la société actuelle, ils les ont fait entrer dans l’ensemble de leurs peintures pour la part qui paraissait leur appartenir. Ils ont eu tort s’ils ont fait des livres sans style, sans intérêt, sans invention ; ils ont eu raison dans le cas contraire, car, quoi qu’on fasse, le principal mérite d’une œuvre d’art consistera toujours dans son exécution.

M. Champfleury s’est fait le champion des doctrines qui lui sont chères, dans le volume intitulé : le Réalisme (1857, in-12), dont nous avons parlé plus haut. C’est un livre assez insignifiant. Sous le titre de Réalisme et fantaisie dans la littérature (1861, in-18), M. G. Mcrlet a réuni une série d’articles parus originairement dans la Revue européenne

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et qui étaient principalement dirigés contre quelques-uns des romanciers contemporains : Champfleury et ce que l’auteur appelle le réalisme bourgeois ; G. Flaubert et le réalisme physiologique ; Feydeau et le réalisme byronien ; Murger et le réalisme imaginaire, etc. Ce qu’il y a de plus imaginaire dans tout cela, c’est la classification de M. G.’ Merlet.

— B.-arts. Nous ne saurions avoir la prétention de définir exactement ce qu’il convient d’appeler réalisme, au point de vue de l’art. Le prétendu inventeur du système de peinture auquel on a donné ce nom, Courbet, a déclaré ingénument, dans un manifeste publié en 1855, qu’il ne comprenait pas la signification de ce mot. « iLe titre de réaliste, a-t-il dit, m’a été imposé comme on a imposa aux homme3 de 1830 le titre de romantiques. Les titres, en aucun temps, n’ont donné une idée juste des choses ; s’il eu était autrement, les œuvres seraient superflues. Sons m’expliquer sur la justesse plus ou moins grande d’une qualification que nul, il faut l’espérer, n’est tenu de bien comprendre, je me bornerai à quelques développements pour couper court aux malentendus. J’ai étudié, en dehors de tout esprit de système et sans parti pris, l’art des anciens et l’art des modernes. Je n’ai pas plus voulu imiter les uns que copier les autres ; ma pensée n’a pas été davantage d’arriver au but oiseux de l’art pour l’art. Non I j’ai voulu tout simplement puiser dans l’entière connaissance de la tradition le sentiment raisonné et indépendant de ma propre individualité. Savoir pour pouvoir, telle fut ma pensée. Être à même de traduire les mœurs, les idées, l’aspect de mon époque selon mon appréciation ; être non-seulement un peintre, mais encore un homme ; en un mot, faire de l’art vivant, tel est mon but. » Pour ne pas savoir au juste ce que pouvait être le réalisme, Courbet n’en accepta pas moins bravement cette euseigne qu’on s’était avisé d’inscrire au-dessus de ses œuvres. Un de ses premiers prôneurs, Champfleury, qui aspirait de son côté à opérer en littérature une révolution analogue, fit, lui aussi, les réserves les plus complètes au sujet du mot nouveau : « Je n’aime pas les écoles, je n’aime pas les drapeaux, je n aime pas les systèmes, je n’aime pas les dogmes ; il m’est impossible de me parquer dans la petite Église du réalisme, dussé-je en être le dieu. Je ne reconnais que la sincérité dans l’art ; si, mon intelligence s’agrandissant, j’aperçois dans ce qu’on appelle réalisme des dangers, des rapetissements, des exclusions nombreuses, je

veux conserver toute ma liberté et donner le premier coup de pioche à la cabane qui ne me semblera pas devoir m’abriter. J’ai peut-être prononcé quelquefois le mot de réalisme et j’en ai menacé mes adversaires, comme d’une machine de guerre formidable, mais je l’ai fait dans un moment d’emportement, abasourdi par les cris de la critique qui s’obstinait à voir en moi un être systématique, une sorte de mathématicien calculant des effets de réalité et s’entêtant à restreindre ses facultés... J’ai toujours protesté contre ce mot, à cause de mon peu de goût pour les classifications. La meilleure enseigne d’un écrivain, n’est-elle pas son œuvre ? Tout homme qui se dit réaliste me parait aussi fat que celui qui ferait graver sur ses cartes de visite, à la suite de son nom : M. ***, homme d’esprit. ■ Courbet et Champfleury avaient ainsi jugé à propos de formuler des réserves en consentant à s’affubler du titre une leur avait décerné la critique : le premier voulut être réaliste, à la condition que réalisme signifiât interprétation des mœurs, des idées et des types de la société actuelle et vivante ; le second se résigna à une appellation qui lui paraissait barbare, en lui donnant pour sens t sincérité dans l’art. » Le public et la majeure partie des critiques ont donné au mot réalisme une acception tout autre ; ils ont désigné par là une méthode consistant non-seulement à prendre la réalité pour modèle exclusif, mais encore, mais surtout à choisir dans ta réalité les aspects1 les plus bas, les sujets les plusvulgaires, les types les plus ignobles ; ils ont dit réalistes, partisans exctusifs.de la Jnatière, adorateurs du laid, par opposition à idéalistes, enthousiastes de la poésie, amants du beau. Nous avons publié, dans la biographie de Courbet, de nombreux extraits des jugements plus ou moins acerbes qui ont désigné ce peintre comme une espèce de « chiffonnier de l’art, » crochetant la réalité dans la fange de la rue, n’élevant jamais ses regards au-dessus des immondices et des trivialités écœurantes, faisant commerce des guenilles les moins pittoresques, ne cherchant, en un mot, dans la nature que ce qu’il y a de plus repoussant pour les gens de goût. Le3 critiques qui ont ainsi bafoué le réalisme dans les œuvres du maître d’Ornans ont sinfulièrement exagéré ce qu’il y a d’un peu

rutal et d’un peu cra dans la manière dont cet artiste a traduit des scènes que raille autres avaient interprétées avant lui sans exciter la moindre répugnance. Les personnages qu’il a mis en scène sont pour la plupart des bourgeois de province et des paysans ; leur seul tort, si c en est un, est d’être profondément vrais et vivants, En fait d élégance, ils peuvent le céder aux nobles héros de l’art classique ; ils n’ont pas une grâce de convention, des attitudes surannées, cadencées, et des expressions académiques, mois ils