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brassant, ce mot célèbre, qui explique et justifie sa politique : II n’y a plus de Pyrénées. Dans ses Pensées, 1. Joubert a commenté ainsi le mot de Louis XIV :

« Cette phrase : II n’y a plus de Pyrénées, manque de justesse. Ce n’est pas là ce qui a rendu l’Espagne et la France amies ; c’est plutôt la conquête 6e la Franche-Comté, qui, n’ayant plus laissé entre les deux nations aucun sujet de discorde, a fait rentrer l’Espagne dans les limites naturelles où nous n’avions rien a lui envier. L’Espagne et îa France sont donc et doivent rester unies, précisément parce qu’if y a des Pyrénées. s Le mot de Louis XfV a enrichi la langue d’une locution pittoresque, qui sert à faire comprendre qu’une fusion s’est opérée entre des familles, des peuples, des nationalités, des institutions, des idiomes, et que les barrières qui les séparaient ont cessé d’exister. ■ Dès son point de départ dans la vie, Voltaire est l’homme universel ; c’est l’homme nature, c’est l’homme raison, c’est l’homme poésie, c’est l’homme humanité. Il est armé dé l’esprit français, mais il parlera à toutes les nations. Pour lui, il n’y a plus de Pyrénées : le Rhin n’a pas deux rives ennemies, les Alpes ne sont pas des barrières, l’Océan ne divise pas le monde. »

Arsène Houssaye.

« À force de vouloir tout ignorer, don Raymondo en arrivait souvent à ne pas même savoir parler ; il ne parlait plus ni en espagnol ni en français ; il empruntait à ces deux langues des phrases qu’il arrangeait de son mieux, pour son usage particulier ; il n’y avait plus de Pyrénées dans son langage, où les deux peuples disparaissaient quelquefois dans une confusion presque barbare. » Louis Lurine.

t Une députation des Espagnols présents à Paria venait d’exprimer au gouvernement provisoire toutes ses sympathies. M. de Lamartine lui répondit :

« Il y a bii : n longtemps qu’on a dit : Il n’y a plus de Pyrénées, et votre démarche sympathique prouve bien que cette vérité reste inscrite dans le cœur des Espagnols, comme elle vit toujours dans le cœur desFrançais. » (Extrait du Moniteur, 1848.) Pjrénéc* {paix des), conclue entre la France et l’Espagne le 7 novembre 1659, et qui termina la longue et sanglante querelle de ces deux puissances par le mariage de Louis XIV avec la tille de Philippe IV. Déjà, en 1656, l’Espagne avait manifesté le désir de mettre fin aux hostilités, et des conférences eurent lieu à ce sujet entre de Lyonne, envoyé de Mazarin, et don Luis de Haro, ’ premier ministre de Philippe IV. On était même d’accord sur les points principaux ; mais la restauration du prince de Condé dans tous ses biens et dignités, exigée par l’Espagne, refusée opiniâtrement par la France, mit brusquement fin aux négociations. Cependant elles ne furent pas tout à’fait sans conséquences ; car de Lyonne en profita pour insinuer l’idée du mariage du roi de France avec l’infante, idée irréalisable alors ; Philippe IV n’avait pas encore d’héritier mâle et il frémissait à la pensée qu’un jour les couronnes d’Espagne et de France pouvaient se réunir sur la même tête. En 1657, la reine lui avait donné un fils et elle se trouvait encore enceinte, ce qui semblait écarter toute éventualité menaçante pour l’Espagne et pour l’Europe. Aussi la cour de Madrid ne craignit-elle pas de faire de sincères avances pour la paix, grâce, toutefois, à un habile stratagème auquel eut recours Mazarin pour vaincre les scrupules de son orgueil. Il feignit de vouloir hancer Louis XIV a la princesse Marguerite de Savoie, et, pour faire croire à ce projet, il arrangea, en 1658, une entrevue entre le jeune roi et la princesse, que sa mère conduisit à Lyon, où Anne d’Autriche avait également amené son fils. Le lendemain soir, Mazarin entra tout joyeux dans le cabinet de la reine mère : « J’apporte à Votre Majesté, lui dit-il en souriant, une nouvelle à laquelle elle ne s’attend guère.-La paix ? s’écria la reine. — Mieux que cela, madame, la paix et l’infante. • Voici ce qui était arrivé, La cour de Madrid s’était émue de la nouvelle d’un mariage possible entre Louis XIV et la princesse de Savoie, et tandis que celle-ci entrait par une des portes de Lyon, arrivait par une autre porte un des secrétaires d’État du roi catholique, don Antonio Pimentel, avec une lettre de fhilippe IV pour Anne d’Autriche, lettre dans laquelle il offrait sa fille à Louis XIV. La princesse de Savoie s’en retourna tristement dans son pays, en se consolant du moins par cette pensée qu’elle était sacrifiée à la politique, tandis que l’envoyé espagnol suivait la cour de France à Paris, où le 7 mai 1659 il signa une suspension d’armes provisoire et, le 4 juin suivant, les préliminaires de la paix. Les discussions furent longues néanmoins, surtout en ce qui concernait le prince de Condé ; mais Pimentel céda enfin, et il fut convenu que Mazarin se rendrait à Saint-Jean-de-Luz, et don Luis de Haro à Saint-Sébastien, frontière des deux royaumes, pour s’entendre avec plus de promptitude nar ce rapprochement

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sur le lieu où se tiendraient les conférences définitives. Us choisirent d’un commun accord l’île des Faisans, qui s’élève dans la rivière de Bidassoa, laquelle, sortie dés Pyrénées, se jette dans le golfe de Biscaye. Pour prévenir toute difficulté, Mazarin et don Luis de Haro reconnurent cette Ile comme mitoyenne entre les deux royaumes, et on y construisit un bâtiment qui la divisait en deux parties égales, l’une réservée aux Français, l’autre aux Espagnols. Au milieu se trouvait une salie qui avait deux portes, affectées à la même destination. Cette salle elle-même était meublée moitié par don Luis et moitié par le cardinal ; deux tapisseries la coupaient par le milieu, et sur le bord de la séparation se trouvaient de chaque côté une table et une chaise pour chacun des deux plénipotentiaires, lesquels se trouvaient néanmoins, l’un sur la terre de France, l’autre sur la terre d’Espagne.

Les conférences, qui s’ouvrirent le 13 août, furent au nombre de vingt-cinq ; la dernière se tint le 12 novembre, après la signature du traité dont nous allons exposer les principaux articles.

Ces articles sont au nombre de cent vingt-quatre ; -les trente-deux premiers portent exclusivement sur les intérêts commerciaux

des deux puissances ; de part et d’autre, les sujets devaient jouir des privilèges accordés aux Anglais et aux Hollandais dans chaque pays ; ils ne pourraient fournir aux ennemis de l’une ou de l’autre nation des marchandises de contrebande, et comme telles étaient considérées les armes offensives et défensives, les munitions de guerre, les chevaux, leurs équipages et les divers attirails servant à la guerre, à l’exception des vivres ; ces marchandises de contrebande étaient passibles de la contiscation, qui n’était pas étendue toutefois aux vaisseaux et aux marchandises libres qu’ils pourraient contenir ; en cas de rupture, les sujets des deux royaumes auraient six mois pour se retirer et emporter leurs effets ; toutes les lettres de représailles étaient révoquées, et il n’en serait plus accordé qu’au cas où il y aurait déni de justice, ce dont les poursuivants devaient fournir la preuve.

L’article 33 arrêtait le mariage du roi de France avec l’infante. On y convint, — ainsi que dans le contrat rédigé solennellement à cet effet, que le roi d’Espagne donnerait en dot a Tintante Marie-Thérèse la somme de 500,000 écus d’or payable en trois termes ; qu’au moyen du payement de cette somme 1 infante ne pourrait former aucune prétention à la revendication ultérieure du trône espagnol ; qu’elle renoncerait à cet héritage avant de se marier et qu’elle confirmeraitencore cette renonciation conjointement avec le roi après la consommation du mariage ; que l’infante et les infants qui naîtraient de son mariage avec le roi de France seraient exclus de toute succession aux États du roi d’Espagne, à quelque titre que ce pût être.

Cet échafaudage de précautions, laborieusement édifié par le ministre espagnol, devait s’écrouler un jour devant cette clause en apparence anodine que de Lyonne, le véritable négociateur, du traité, avait eu l’adresse de glisser dans les préliminaires ; c’était que ’ la renonciation de l’infante à l’héritage paternel aurait lieu « moyennant le payement desdits 500,000 écus aux termes fixés. « Malgré sa finesse, don Luis de Haro laissa passer cet article inaperçu. C’est ici qu’il faut s’incliner devant la rouerie diplomatique : si de Lyonne avait fait ressortir que cette renonciation n’aurait lieu que moyennant ledit payement aux termes fixés, oh ! alors, le piège eût crevé les yeux du plus inexpérimenté ; mais ici la forme, bien que Brid’oisoa n’en eût pas encore vanté l’excellence, la forme sauva tout. Et voilà souvent à quoi tient la guerre entre deux pays.

Vint ensuite la longue série des cessions, des restitutions et des échanges territoriaux.

La France conservait le comté d’Artois, savoir : les villes d’Arras, Hesdin, Bapaume, Béthune, Lillers, Sens, Thérouanne, le comté de Saint-Pol avec Pas et généralement tout l’Artois, à la réserve de Saint-Omer et Aire ; dans le comté de Flandre, Gravelines, Bourbourg, Saint-Venant et leurs dépendances ; dans le comté de Hainaut, Landrecies et Le Quesnoy avec leurs bailliages et annexes ; dans le duché de Luxembourg, Thionville, Montmédy, Damvillers, Ivoy, Chavancy, Marville et leurs dépendances ; enfin Marient bourg, Philippeville et Avesnes, entre Sam-breet Meuse. On pourrait s’étonner de ne pas voir Cambrai figurer sur cette liste de cession ; on en trouverait peut-être l’explication dans ce fait, mentionné par les mémoires de Brienne, que le roi d’Espagne favoriserait la promotion de Mazarin à la papauté après la mort d’Alexandre VII, s’il pouvait obtenir que la cour de France se contentât d’Avesnes au lieu de Cambrai.

Du côté des Pyrénées, l’Espagne cédait à la France les comtés de Éoussillon et de Conflans, à la réserve des lieux situés dans les Pyrénées du côté de l’Espagne ; la partie du comté de Cerdagne située dans les Pyrénées du côté de la France. Les Pyrénées devaient servir de limites entre les deux États, limites plus spécialement déterminées par une convention en date du, 12 novembre 1660 (art. 35 à 41).

Plusieurs des articles suivants concernent

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les restitutions à faire au roi d’Espagne dans le comté de Bourgogne, dans les Pays-Bas, en Italie, dans les comtés de Cerdagne et da. Catalogne.

Par l’article 60, le roi de France s’engageait à ne fournir, ni directement ni indirectement, au royaume de Portugal, aucune

aide ni assistance publique ou secrète, en hommes, armes, munitions, vivres, vaisseaux, argent, etc. Cet article comblait les. vœux de la cour d’Espagne, qui se montra plus coulante sur plusieurs points du traite. Vainement Mazarin avait-il feint de vouloir consentir a ta restitution de toutes les conquêtes de la France si l’Espagne laissait le roi de Portugal en paisible possession de son royaume. Cette offre ne devait pas tenter les Espagnols, qui espéraient bien soumettre facilement les Portugais une fois que la paix avec la France serait conclue.

Les articles 62 à 78 concernent la < restitution au duc Charles de Lorraine > de son duché, à la réserve de Moyenvie, duduchéde Bar, du comté de Clermont, de Stenay, Dun et Jametz, qui étaient incorporés à la France. Louis XIV, avant de rendre Nancy, en ferait raser les fortifications, que le duc ne pourrait pas rétablir. Ce prince répudierait toute ligue organisée ou à organiser contre la France et accorderait libre passage aux troupes de cette couronne. S’il ne ratifiait pas le présent traité ou s’il manquait dorénavant à ses engagements, le roi de France se réservait tous les droits acquis par lui et le feu roi son père sur les États de Lorraine aux termes des traités antérieurs. Le roi de France ne devait restituer la Lorraine, que lorsque l’empereur aurait ratifié tous les articles relatifs au duc Charles.

À l’article 78 commençait la « restitution du prince de Condé. » L’Espagne rendait en son propre nom et au nom du prince les places de Condé, Rocroy, Le Catelet et Linchamp, occupées par les gens de Condé. Celui - ci devait désarmer sous deux mois ; Louis XIV s’engageait alors à le faire revenir à sa cour, à le rétablir dans tous ses biens, honneurs et dignités ; il lui rendait même le domaine de Stenay, Jametz et Clermont-en-Argonne ; mais au lieu du gouvernement de la Guyenne, que le prince avait auparavant, il recevait celui de Bourgogne et de Bresse ; le duc d’Enghien, . son fils, héritait de son ancienne charge de grand maître de France. Amnistie, mais sans restitution de charges ni offices, était octroyée aux amis, adhérents et domestiques du prince et à la garnison d’Hesdin. Ces amnistiés furent indemnisés en argent par l’Espagne. Les arrêts rendus contra Condé et ses adhérents étaient annulés.

La France rendait à l’Espagne : en Flandre, Vpres, Oudenarde, Dixmude, Fumes et les forts des canaux voisins, Merville, Comines, Menin ; en Lombardie, Valenza et Mortara ; en Franche-Comté, Saint-Amour, Bletterans, le fort de Joux et tout ce qui n’avait pas été repris par les Espagnols durant la Fronde ; pins le domaine utile du comté de Charolais.

L’article 89 renouvelait les articles 21 et 22 du traité de Vervins, concernant la réserva des droits du roi de France sur le royauma de Navarre.

De l’article 91 à l’article 99 étaient traités les intérêts des ducs de Savoie et de Modène, qui avaient été alliés à la France contre l’Espagne. Ces princes étaient complètement rétablis dans l’état où ils se trouvaient avant la guerre.

En vertu des articles 100 à 103, les deux puissances contractantes convenaient d’employer leurs bons offices pour arranger à l’amiable tes contestations qui s’étaient élevées : 1° entre le pape et le duc de Parme ; 2» entre les puissances du Nord ; so entre les cantons suisses, catholiques et protestants ; 40 entre les Grisons et leurs sujets, les habitants de la Valteline.

L’article 104 rétablissait immédiatement le prince de Monaco en la paisible possession de tous les biens, droits et revenus qui lui appartenaient et dont il jouissait avant la guerre dans le royaume de Naples, le duché de Milan et les autres pays soumis à l’obéissance espagnole.

La date du traité est ainsi rédigée : « Fait à l’Ile des Faisans, située au fleuve de Bidassoa, à un demi-mille du bourg d’Andaye, dans la province de Guyenne et à la même distance d’Iran, dans lu province de Guipuscoa, dans la maison construite pour cet effet dans ladite lie, le 7 novembre 1659. »

" Est-il besoin, dit M. Henri Martin, d’insister sur l’immense résultat moral que devaient avoir pour la France les conventions des Pyrénées, qui complétaient les triomphes diplomatiques de Munster et d’Osnabruek ? Lesdftux têtes de l’aigle autrichienne avaient été abaissées l’une après l’autre ; la monarchie de Charles-Quint et de Philippe II s’avouait vaincue et cédait les lambeaux de son domaine à la conquête française, comme naguère à. la révolte, hollandaise. La suprématie ’ de la France sur le continent européen éclatait désormais à tous les yeux. L œuvre de Henri IV et de Richelieu était consommée ; un étranger avait achevé de réaliser la pensée des deux -grands génies politique^ de la France. Mazarin, ainsi que 1 observe un sagace historien, avait conquis le droit de dire que, « si son langage n’était pas français, son cœur l’était. » La Ff**"» peut pardonner

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bien des travers et même des vices à L’homme qui a fait de telles choses pour elle. » Ajoutons, pour rendre une égale justice à tous, que, dans cette circonstance, Mazarin avait été puissamment servi par trois grands diplomates français : de Lyonne, d Avaux et Servie».

Pyrénées (voyage adx), par M. H. Taine, illustré par Gustave Doré (Hachette, Paris, 1859, in-8u). Ce volume est un des ouvrages qui commencèrent la réputation de M. Taine et le firent connaître du gros public. Son nom n’avait guère retenti que dans le monde universitaire à la suite de l’Essai sur Tite-Live et des Philosophes français du xixe siècle. Le récit de ce voyage, plein de souvenirs historiques heureusement encadrés, de descriptions brillantes, d’idées philosophiques et même de paradoxes un peu hasardés, fit grande sensation. Venu après tant d’autres et parlant de choses si souvent décrites, M. Taine sut être intéressant à force d’érudition, d’humour et d’originalité quelquefois cherchée. Un des passages les plus remarqués, un de ceux qui commencèrent le succès du livre, et qui, d’ailleurs, avait été fait a cette intention, c’est celui de la réhabilitation du cochon : « Pourquoi ne parlerais-je pas de l’animal le plus heureux de la création ? Un grand peintre, Karl Dujardin, l’a pris en affection ; il l’a dessiné dans toutes les poses, il a montré toutes ses jouissances et tous ses goûts. La prose a bien le droit de la peinture, et je promets aux voyageurs qu’ils prendront

filaisir à regarder les cochons. Voilà, le mot âché. Maintenant, songez qu’aux Pyrénées ils ne sont pas couverts de fange infecte comme dans nos fermes ; ils sont roses et noirs, bien lavés et vivent sur les grèves sèches auprès des eaux courantes. Ils font des trous dans le sable échauffé et y dorment par bandes de cinq ou six, alignés ou serrés dans un ordre admirable. Quand on approche, toute la masse grouille ; les queues en tirebouchon frétillent fantastiquement ; deux yeux narquois et philosophiques s’ouvrent sous les oreilles pendantes ; les nez goguenards s’allongent en flairant ; toute la compagnie grognonne ; après quoi on s’accoutume a 1 intrus, on se taitj-.on se couche, les yeux se ferment "d’une façon béate, les queues rentrent en place et les bienheureux coquins se remettent à jouir du soleil. Tous ces museaux expressifs semblent dire fi aux préjugés et appeler la jouissance ; ils ont quelque chose d’insouciant et de moqueur ; le visage entier se dirige du côté du groin et toute la tête aboutit à la bouche. Leur nez allongé semble aspirer et recueillir dans l’air toutes les sensations agréables. Ils s’étaient si complaisamment à terre, ils remuent les oreilles avec des mouvements si voluptueux, ils font des éjaculations de plaisir si pénétrantes, qu’on en prend de l’humeur. O vrais épicuriens ! si parfois en sommeillant vous daignez réfléchir, vous devez penser, comme l’oie de Montaigne, que le monde a été fait pour vous, que l’homme est votre serviteur et que vous êtes les privilégiés de la nature. Il n’y a dans toute leur vie qu’un moment fâcheux, celui où on les saigne ; et encore, il passe si vite qu’ils ne le sentent pas I » Le morceau est achevé, mais il a quelque chose de factice. Un autre passage qui est également caractéristique de la nature du talent de l’auteur, c’est la description suivante : «Au sommet croissent les mousses. Battues par les vents, desséchées par le soleil, elles perdent la teinte verte et fraîche qu’elles ont dans les vallées, au bord des sources. Elles se roussissent de tons fauves, et leurs filaments lisses ont le reflet des poils du loup. D’autres, jaunies et pâles, couvrent de leurs couleurs maladives les crevasses qui saignent. Il y en a de grises, presque blanches, qui poussent comme des restes de cheveux sur les rochers chauves. De loin, sur le dos de la montagne, toutes ces teintes se fondent, et ce pelage nuancé jette un éclat sauvage. Les derniers végétaux sont des croûtes rougeâtres, collées aux parois des rochers, qui semblent faire partie déla pierre, et qu on prendrait, non pour une plante, mais pour une lèpre. Le froid, la sécheresse et la hauteur ont par degré transformé et tué la végétation. » Comparez cette description k une de celles de Chateaubriand, et vous verrez la différence des deux procédés ainsi que des deux natures de talent. L’ouvrage tut illustré par Gustave Doré en 1859, et sous cette forme il a obtenu plusieurs éditions successives, dont la dernière est de 1873. À l’époque où il à fait ce travail, l’artiste se donnait la peine de travailler ses compositions ; le sujet d’ailleurs convenait merveilleusement à son genre ; il excelle à reproduire les légendes, les scènes du moyen âge, les paysages tourmentés et fantastiques des Pyrénées. Aussi ce volume, qui n’est pas un de ses plus importants, est un de ses meilleurs, un de ceux où il a le mieux rendu la pensée de l’écrivain.

Pyrénées (vue des). Iconogr. Si l’on en croyait les fanatiques du classicisme, il n’y aurait qu’en Italie, dans la-fameuse campagne romaine, qu’on trouverait de beaux sites, des paysages dignes d’être reproduits sur la toile. L’école romantique a découvert un beau jour que la France n’avait rien à envier aux autres pays ; d’audacieux rapins ont prétendu que les vieux chênes et les rochers de Fontainebleau, sans aller plus loin, avaient