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peut être caractérisé au moyen de la doctrine même de l’auteur. Th. Carlyle est un penseur à la fois mystique et sceptique en philosophie ; en religion, c’est un puritain. Enthousiaste et grave, il aime l’ironie burlesque, la parodie, qu’elle soit de bon ou de mauvais goût. Ennemi de la France par nationalité et par croyance, il ne comprend pas la Révolution. Dans cette crise formidable, il ne voit que corruption, folie, bavardage, incrédulité, vanité, épicurisme, cannibalisme, explosion démoniaque, anarchie effrénée, etc. Il se moque de la théorie des droits de l’homme ; des événements du 9 thermidor, il fait un drame pittoresque en cinq actes. Tout ce qui est curieux, excentrique, l’attire : c’est l’Anglais implacable assistant à une lutte sanglante de boxeurs. Il reste froid ; il condamne tout en masse, son pessimisme ne fait grâce à rien. Si quelques personnages semblent épargnés, c’est qu’ils justifient à ses yeux sa théorie du gouvernement des hommes par les héros. Quant à la composition du livre, rien de plus hétérogène ; certains chapitres portent des titres d’un burlesque incroyable. Le style même, rempli de néologismes, reproduit le décousu fantasque de la méthode. Que conclure ? L’ouvrage est-il absurde ? Loin de là, et des critiques autorisés vont nous renseigner sur sa valeur.

« Rien n’est plus étrange, dit M. Em. Montégut, que la Révolution française racontée par Thomas Carlyle. L’une après l’autre se déroulent ces scènes dignes des dieux ou dignes des démons, tantôt dans une lumière rosée, tantôt dans des ténèbres sulfureuses, dans un Tartare et dans un Élysée. Par moments, on descend les cercles du Dante ; par moments, on se promène dans les rues et les allées de la Jérusalem céleste de Swedenborg. Le fond est noir, ténébreux comme un horizon qui porte les orages ; il laisse percer des éclairs et des jets de flamme, et aussi, mais vaguement et à de lointaines distances, d’idéales étoiles et la lumière bienfaisante qui viendra luire un jour sur les générations qui auront oublié les souffrances de leurs pères. Tous les personnages passent rapidement, chacun avec son tic, sa grimace caractéristique ; tous les événements se succèdent, chacun avec son trait principal, comme des personnages et des scènes peints sur un fond d’éternité, et, de fait, quand on enlève dans Carlyle les couleurs, les paysages, les attitudes grotesques et singulières des personnages, les caprices de lumière, on remarque que cette idée de l’infini du temps, que l’éternité, en un mot, est le fond sur lequel est peint le pays dans lequel se passent et se meuvent les scènes de la vie humaine et les acteurs de cette tragi-comédie. Faut-il s’étonner alors de cette indifférence profonde avec laquelle Carlyle raconte les scènes de la Révolution, que ce soient fêtes, meurtres, combats ou supplices ? » — « Si vous êtes philosophe, c’est-à-dire observateur sincère de l’humanité, dit M. Ph. Chasles, vous relirez plus d’une fois son ouvrage. Il vous charmera spécialement, si vous osez vous élever au-dessus des partis et des préjugés quotidiens. Ce n’est ni un livre bien écrit ni une histoire exacte de la Révolution française. Ce n’est pas une dissertation éloquente, encore moins une transformation des événements et des hommes en narration romanesque. C’est une étude philosophique mêlée d’ironie et de drame, rien de plus. Elle ne se concentre pas dans le cercle de la Révolution française. Elle s’attache au cours entier de la civilisation européenne, dont ce mouvement terrible est une des cataractes les plus imposantes. En l’écrivant, l’auteur s’est beaucoup plus occupé de la pensée que du mot ; il a médité son œuvre plus qu’il ne l’a élaborée. Il a presque toujours bien vu ; il a souvent mal dit… Au lieu de trouver un livre fait, une pensée accomplie, un plan mis en œuvre, comme c’est la loi et la juste loi en France, vous découvrez, accumulés dans un espace assez étroit, les éléments de la pensée, les suggestions les plus diverses, les points de vue les plus originaux, les excitations les plus vives de l’esprit. Ce travail, qui n’est pas achevé, tente et stimule toutes les capacités et toutes les facultés de votre intelligence. Tout ce que vous avez d’activité et de mouvement dans le cerveau s’ébranle et s’émeut à cette impulsion originale. Ce serait un chef-d’œuvre si Carlyle avait réalisé, par la grande perfection de la forme, la profondeur et la variété du sens que son livre contient… Une extrême valeur philosophique n’empêche donc pas l’ouvrage de Carlyle d’être incomplet et obscur. Mais que de talent, quelle sagacité dans ce livre obscur ! Cette admirable sympathie shakspearienne, qui voit tout de très-haut, qui est indulgente pour tout, qui est ironique pour tout, qui a des larmes pour les millions de douleurs humaines, qui a des sourires pour les innombrables folies de ce monde, se trouve comme raffinée philosophiquement et portée à son expression la plus haute dans l’intelligence de Carlyle. Il est impartial par ironie et par pitié… Son œuvre ultra-saxonne ne peut guère nous convenir. Elle est teutonique par le long et intuitif regard ; elle est anglo-normande par la connaissance des hommes et des affaires. Elle n’a rien de romain, rien de gaulois, rien de disciplinaire, rien d’extérieur ; allemande et anglaise, elle pèche par la mauvaise forme ; elle excelle par la sincérité de la profondeur. »

Un autre critique, M. L. Étienne, a jugé avec sagacité, dans la Revue européenne, l’ouvrage de Carlyle : « S’il ne voit pas les hommes d’un œil prévenu par la tendresse, du moins il voit les choses sans parti pris de les amoindrir. Il voit et il constate l’initiative que nous avons prise par la Révolution, quand même ce serait l’initiative d’un bien mêlé d’une notable partie de mal. Il n’est pas non plus grand admirateur de ce qu’il raconte. Il n’y a guère à tirer de son livre que des doutes, des sarcasmes et du mépris. Mais c’est beaucoup d’affirmer que, dans la Révolution, la vérité, la nature et la destinée ont parlé aux hommes. »

Il nous reste une citation à faire, c’est la réfutation du pessimisme du puritain Carlyle par M. Taine qui, après avoir reproduit les principaux griefs formulés contre la Révolution par l’historien écossais, lui dit : « Ajoutez donc le bien à côté du mal, et marquez les vertus à côté des vices ! Ces sceptiques croyaient à la vérité prouvée et ne voulaient qu’elle pour maîtresse. Ces logiciens ne fondaient la société que sur la justice et risquaient leur vie plutôt que de renoncer à un théorème établi. Ces épicuriens embrassaient dans leurs sympathies l’humanité tout entière. Ces furieux, ces ouvriers, ces Jacques sans pain, sans habits se battaient à la frontière pour des intérêts humanitaires et des principes abstraits. La générosité et l’enthousiasme ont abondé ici comme chez vous ; reconnaissez-les sous une forme qui n’est point la vôtre. Ils sont dévoués à la vérité abstraite comme vos puritains à la vérité divine ; ils ont suivi la philosophie comme vos puritains la religion ; ils ont eu pour but le salut universel comme vos puritains le salut personnel ; ils ont combattu le mal dans la société comme vos puritains dans l’âme ; ils ont été généreux comme vos puritains vertueux ; ils ont eu comme eux un héroïsme, mais sympathique, sociable, prompt à la propagande et qui a réformé l’Europe, pendant que le vôtre ne servait qu’à vous. » C’est précisément ce côté généreux de la Révolution que Th. Carlyle a volontairement laissé dans l’ombre.


Révolution française (HISTOIRE POPULAIRE DE LA) de 1789 à 1830, précédée d’une introduction contenant le précis de l’histoire des Français depuis leur origine jusqu’aux états généraux, par M. Cabet, ex-procureur général et député (Paris, 1830-1840, 4 vol. in-8o). Ce ne sont pas les histoires de la révolution française qui manquent ; mais, jusqu’à M. Cabet, on n’en avait encore écrit aucune au point de vue communiste et dans l’intérêt de cette cause. Il voulait donc combler une lacune. Suivant lui, les diverses classes de la société avaient eu leurs historiens : le peuple n’avait pas encore eu le sien. MM. L. Blanc et Michelet sont venus depuis ; mais, en 1840, ces deux histoires n’existaient pas. Elles eussent existé, au surplus, qu’elle n’eussent pas convenu à l’auteur, qui a un parti pris et ne connaît les événements révolutionnaires que par le Père Duchesne et les écrits de l’école de Babeuf, avec l’intention bien arrêtée de ne pas sortir de là. Voici comment M. Cabet apprécie au début de son livre les historiens qui ont avant lui entrepris la tache qu’il entreprend à son tour. C’est parce qu’il trouve ces historiens insuffisants, en raison du point de vue où ils se placent et de leur condition dans la société, que lui, Cabet, a voulu faire une histoire de la Révolution au point de vue populaire et communiste. « Celle de M. Thiers, dit M. Cabet, a certainement un grand mérite littéraire ; elle fut même, si l’on considère l’époque de sa publication, un véritable service rendu au pays ; mais c’est la révolution bourgeoise que l’auteur y défend ; il la défend contre les innovations de la démocratie tout autant que contre les usurpations de l’aristocratie ; l’historien s’y montre artiste et littérateur bien plus que moraliste et philosophe, et le talent de l’écrivain, l’illusion que produit une apparence d’esprit révolutionnaire, l’immense réputation dont jouit cette histoire, ne rendent que plus dangereuses les erreurs qu’elle renferme dans l’appréciation des faits et des hommes.

« J’en dirais presque autant de l’histoire de M. Mignet. Quant à l’histoire parlementaire de MM. Buchez et Roux, quoique démocratique dans son esprit, quoique infiniment utile et précieuse pour l’étude historique, elle est un recueil de documents parlementaires plutôt qu’une histoire proprement dite de la Révolution, et d’ailleurs son étendue la rend inaccessible à la bourse du peuple. »

L’histoire, telle que la comprend Cabet, est une œuvre de polémique. Il se déclare trop sincère ami du peuple pour le flatter ou le tromper ; plus il désire le triomphe de sa cause, plus il se fera un devoir de signaler les malheurs « qu’ont attirés sur lui l’impatience, la précipitation, l’excessive confiance, le courage sans discipline, les efforts partiels et isolés, l’intolérance et la division. »

Cela dit, il fait comme s’il n’avait rien dit et revient de suite à son tempérament, qui le porte à trouver mauvais tout ce qu’on a fait depuis le Ve siècle, de quelque part que cela vienne, y compris la plupart des actes accomplis en France à partir de 1789. Sa manière donne aux événements un attrait dramatique peu commun, aux dépens du mérite littéraire. La plupart du temps, il cite et met la situation sous les yeux du lecteur. On conçoit, néanmoins, qu’il y a plusieurs façons de citer. M. Cabet cite trop souvent les documents qui sont à l’appui de sa thèse et oublie les autres. Souvent on le croirait naïf, si l’on ne savait que le parti pris et l’aveuglement systématiques ont le don de faire croire à ceux qui en sont atteints les choses les plus incroyables.

Un des principaux attraits du livre est la couleur locale. Ce n’est pas l’auteur qui la met ; il la prend dans les journaux du temps, dans les pamphlets anonymes, les gazettes imprimées en secret, avec le style de poissarde qui émaille ces feuilles. Il entreprend de justifier les paroles suivantes de Marat dans une brochure ; l’Ami du peuple s’adresse au public ; « Cinq ou six cents têtes abattues vous auraient assuré repos, liberté, bonheur ; une fausse humanité a retenu vos bras et arrêté vos coups ; elle va coûter la vie à des millions de vos frères. Que vos ennemis triomphent, et le sang coulera à grands flots ; ils vous égorgeront sans pitié ; ils éventreront vos femmes et, pour éteindre à jamais parmi vous l’amour de la liberté, leurs mains sanguinaires chercheront le cœur dans les entrailles de vos enfants. »

Entre temps, M. Cabet professe le communisme. Il défend à outrance la loi du maximum. La loi, suivant lui, peut autoriser « le pouvoir à fixer le prix du pain, de la viande, etc. ; la loi, qui est souveraine, peut disposer et dispose de tout, de la liberté, du travail qu’elle ordonne ou qu’elle empêche, de l’argent qu’elle prend au contribuable, de la propriété qu’elle prend au propriétaire pour cause d’utilité publique, de la vie même du soldat ou du condamné. » La conspiration de Babeuf tient une place hors de proportion avec son importance dans le récit de M. Cabet. Arrivé à Bonaparte, il s’en donne à cœur joie, raconte le souper de Beaucaire, l’épisode où, général de l’armée d’Italie, il aurait fait tuer plusieurs soldats pour donner une distraction à sa maîtresse.

Lors de la mise en disponibilité de Bonaparte, après le 9 thermidor, l’historien appuie sur la détresse du général : « Bonaparte, dit-il, sans fortune, sans traitement, se trouve alors, malgré tous ses talents, réduit au plus entier dénûment, forcé de porter ce que les militaires appellent des bottes à soupapes, ne sachant où dîner, nourri par Junot qui, destitué comme lui, joue au Palais-Royal et conduit ses camarades au restaurant quand il gagne, et souvent par un huissier qui, voyant sa détresse, lui a offert de partager sa soupe… Malgré tous ses services, jeune homme de vingt-sept ans, officier d’artillerie n’ayant jamais assisté à une bataille rangée, ce n’est pas lui que l’ancienneté, la célébrité et l’opinion publique appellent à commander en chef l’armée d’Italie, qui compte une foule de généraux de division et de brigade plus anciens et plus connus ; aussi le Directoire veut-il nommer Moncey. Mais Barras, qui propose à Bonaparte la main de Joséphine (maîtresse dont Barras est las et qu’il ne veut pas jeter dans la rue sans un sou), le fait préférer à ses concurrents, et Bonaparte, marié le 9 mars, part le 21, laisse à Paris sa femme qui le rejoindra plus tard et arrive à Nice le 27. »

Tout ce qui touche au Consulat et à l’Empire est traité dans ce genre. Quand arrivent 1814 et 1815, M. Cabet est aux anges. L’occasion est belle, en effet. Rien n’est intéressant comme la platitude de toute cette valetaille politique, chamarrée, enrubannée, gorgée d’or et d’honneurs, qui acclame les Bourbons comme elle avait acclamé l’Empire et qui acclamerait le diable si le diable arrivait au pouvoir. L’un des plus amusants de ces courtisans de la fortune est le sieur Fontanes, grand maître de l’Université, que Napoléon avait comblé de ses faveurs. Il envoie une adresse à Louis XVIII, dans laquelle on lit : « L’Université hâte de tous ses vœux le moment où elle pourra présenter au descendant de saint Louis, de François Ier et de Henri IV l’hommage de son amour et de sa fidélité. » Pauvre Université ! C’est Talleyrand, le professeur de trahison, qui dit au comte d’Artois : « Monseigneur, le bonheur que nous éprouvons en ce jour de régénération (par les Cosaques) est au delà de toute expression, si Monsieur reçoit avec la bonté céleste qui caractérise son auguste maison l’hommage de notre religieux attendrissement et de notre dévouement respectueux. » On connaît ces dévouements et on pourrait les coter à la Bourse.

M. Cabet n’y tient plus : « Infâme flatteur ! s’écrie-t-il ; parler ainsi au parricide (sic) qui a perdu son frère, qui a donné le signal de l’émigration dès le 14 juillet 1789, qui depuis a déclaré la guerre à sa patrie, qui a suscité cotre elle toutes les coalitions, toutes les conspirations, toutes les trahisons, qui est la première cause de toutes les calamités de la France ! »

À mesure qu’il avance vers 1830, la colère de M. Cabet augmente. Il faut voir dans quels termes il qualifie le roi, les ministres, les Chambres, les partis. Suit un dithyrambe à l’adresse du peuple, qu’aurait pu envier Fontanes cité plus haut : « Qu’elle est belle cette insurrection populaire (la révolution de Juillet), assez longue pour constater le courage et le dévouement du peuple, assez courte pour éviter une trop grande effusion de sang ! Qu’il est admirable ce peuple si calomnié depuis le 9 thermidor, qui se montre aussi modéré que brave, aussi clément et généreux que dévoué, aussi désireux de l’ordre que de la liberté ! » Oui, mais on lui a pris la pomme au moment où il venait de s’en emparer, et le coupable c’est La Fayette, homme exécrable et funeste, dit M. Cabet ; c’est à désespérer de l’humanité. L’auteur termine en ces termes : « Quand on voit tant de révolutions depuis 1789, tant de corruption, tant de trahisons, et du côté du peuple tant de sacrifices perdus, tant de déceptions, tant d’oppression et tant de misère, tout cœur généreux se demande : Mais, est-ce donc là le sort inévitable de l’humanité ? N’y a-t-il aucun remède ? Et s’il en existe, quel est ce remède ? » Parbleu ! un bon petit voyage en Icarie ; lisez plutôt : « Nous entreprendrions l’examen de cette question si l’auteur du Voyage en Icarie ne l’avait pas discutée et résolue en présentant un nouveau système d’organisation sociale et politique. Partageant complètement les idées de l’auteur, nous ne pouvons que renvoyer à son ouvrage. » Et voilà un bout de réclame bien ajusté !

M. Cabet annonçait un cinquième volume à son livre, mais il n’a pas paru. L’ouvrage n’a d’ailleurs eu qu’une édition, en d’autres termes n’a eu que peu de succès, tant à cause des idées excentriques qu’il renferme en grand nombre au milieu de quelques aperçus parfois très-justes, qu’à cause du style de mauvais goût dont l’auteur s’est trop souvent servi.


Révolution française (HISTOIRE DE LA), par Louis Blanc (1847-1852, 12 vol.). L’un des derniers venus parmi les historiens de la Révolution, M. Louis Blanc avait à redouter de ses antécédents politiques une récusation contre laquelle il a protesté : « Le livre qu’on va lire, dit-il en tête de son travail, a été pendant dix-huit ans l’occupation, le charme et le tourment de ma vie. Ainsi que tant d’autres, j’aurais peut-être pu me concilier la faveur du plus grand nombre en paraissant adorer ce que le monde adore et en vilipendant tous ceux qu’il a vilipendés. J’aurais pu courtiser avec profit, par un étalage d’admirations banales et de haines toutes faites, ce que certains appellent la conscience publique. Mais ce qui gouverne ma pensée et commande à ma parole, ce n’est pas votre conscience ou la leur : c’est la mienne. À qui aime la vérité d’un amour digne d’elle qu’importe l’opposition de la terre entière si, sur un point donné, la terre entière se trompe ou

« J’ai été élevé par des parents royalistes. L’horreur de la Révolution est le premier sentiment fort qui m’ait agité. Pour porter le deuil et embrasser le culte des victimes, je n’avais nul besoin de sortir de ma propre famille, car mon grand-père fut guillotiné pendant la Révolution, et mon père eût été guillotiné comme lui s’il n’eût réussi à s’évader de prison la veille du jour où il devait passer en jugement. Ce n’est donc pas sans quelque peine que je suis parvenu à me faire une âme capable de rendre hommage aux grandes choses de la Révolution et à ses grands hommes. Maudire les crimes qui l’ont souillée n’exigeait certes de moi aucun effort. Je plains quiconque, en lisant ce livre, n’y reconnaîtrait pas l’accent d’une voix sincère et les palpitations d’un cœur affamé de justice. » Cette déclaration de principes n’était pas superflue, venant d’un homme qui avait présidé la commission du Luxembourg, après avoir écrit un pamphlet politique : l’Histoire de dix ans. Toutefois, Michelet n’a pas craint de contester la justesse des vues de son rival et l’exactitude des résultats obtenus par lui. Michelet tient pour Danton, et M. Louis Blanc se range du côté de Robespierre. Le premier historien fait observer au second que, pour comprendre les hommes et les événements de la Révolution, il ne suffit pas de consulter les documents du British Muséum, les notes de la diplomatie anglaise, qui tenait tous les fils de la politique continentale, mais qu’il est indispensable d’exhumer des archives françaises les témoins directs du passé, les pièces originales, parfois restées incomplètes, le mort ayant arrêté la main calme ou fiévreuse de l’écrivain sur le papier qui dépose pour ou contre lui. En vérité, ces griefs ne portent pas ; ils peuvent même être rétorqués contre Michelet, qui encourt de son côté le reproche d’avoir négligé les sources abondantes ouvertes par l’exil aux veilles studieuses de M. Louis Blanc. Tout ce qu’il est permis de savoir sur les grands acteurs de la Révolution est connu ; quelques révélations nouvelles ne sauraient modifier les traits caractéristiques de leur physionomie. Les choses changeraient peut-être d’aspect et les actes de signification si la postérité rentrait jamais en possession de toutes les pièces d’un procès « qui a été jugé, mais non entendu. » De qui émanent les témoignages invoqués par les défenseurs des parties adverses ? Des émigrés, des royalistes, de quelques girondins. Les montagnards n’ont pas laissé de confidences ; la mort, la déportation, une vieillesse indigente, la méfiance des pouvoirs monarchiques les ont empêchés d’écrire leurs commentaires. Quant au petit groupe de conventionnels ralliés au