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objections ; nul n’éludait une difficulté avec plus d’adresse, un argument avec plus de dextérité. Au pouvoir, il se distingua par le rare talent d’écouter, par l’esprit d’ordre et par une immense aptitude pour embrasser les détails des affaires. Administrateur habile, ii continua l’œuvre laborieusement commencée par ses prédécesseurs, MM. Roy et Corvetto ; il apporta de nombreuses améliorations dans les finances, perfectionna la comptabilité et établit l’ordre et l’économie dans la gestion du Trésor. Comme ministre dirigeant, il était supérieur à tous ses collègues ; mais ses vues n’embrassaient qu’un horizon borné ; ses idées, essentiellement pratiques, se mouvaient dans une sphère étroite ; sa politique, circonscrite aux intérêts du moment, était incapable de sacrifier à une pensée grande, généreuse, ou à une vue d’avenir. En un mot, M. de Villèle était un homme d’affaires, bien plus qu’un homme d’État. » Voilà le ministre. Veut-on maintenant connaître l’homme ? Lamartine l’a admirablement peint dans les lignes suivantes :

« M. de Villèle n’avait rien dans l’extérieur qui attirât sur sa personne la faveur ou même l’attention de la multitude. La nature n’avait doué que son intelligence. Petit de taille, étroit de forme, maigre de corps, courbé et vacillant d’attitude, inaperçu au premier aspect dans les foules, s’insinuant plutôt que se posant aux tribunes, c’était une de ces figures qu’on ne regarde pas avant de savoir qu’elles ont un nom. Son visage, où dominait comme trait principal une grande puissance d’attention, n’était remarquable que par la perspicacité. Ses yeux, pénétrants, ses traits aigus, son nez mince, sa bouche fine sans astuce, sa tête penchée en avant comme une tête d’étude, ses bras grêles, ses mains qui feuilletaient sans cesse les papiers, ses gestes rares, où le mouvement indicateur du doigt qui démontre prévalait presque toujours sur 1'ampleur du mouvement qui entraîne, tout, jusqu’au timbre nasal et guttural de la voix, semblait contrarier en lui la puissance oratoire nécessaire au premier ministre d’un gouvernement de parole. Mais l’intelligence se révélait en lui sans autre organe qu’elle-même. Sa pensée créait sa physionomie, son élocution suppléait sa voix, sa conviction illuminait son geste, sa lucidité intérieure s’insinuait entre toutes les parties de son discours et contraignait ses auditeurs à suivre malgré eux un esprit qui voyait si juste, qui marchait si droit et qui, sans éblouir jamais, éclairait toujours. On s’étonnait de tant de lueur dans une nature en apparence si terne ; on commençait par l’indifférence et par l’inattention, on passait à l’estime, on arrivait à l’admiration. Tel était M. de Villèle, homme de seconde impression, mais homme d’une seconde impression qui ne s’effaçait plus et qui s’approfondissait toujours. »

Villéliade (la), poème héroï-comique en six chants, dirigé contre le ministre Villèle, par MM. Barthélémy et Méry. Cette satire politique eut un succès immense (1826). Le titre complet est celui-ci : la Villéliade ou la Prise du château de Rivoli. L’allégorie du château de Rivoli représente le ministère Villèle, que M. La Bourdonnaye veut prendre d’assaut dans un combat homérique, imité du Lutrin de Boileau. D’abord, la Villéliade ne comprenait que quatre chants ; les deux derniers furent ajoutés postérieurement. Elle dut son immense retentissement au moins autant à son mérite littéraire qu’aux passions politiques du moment. C’était d’ailleurs un véritable acte de courage de la part de deux jeunes poètes d’oser tenter seuls le renversement du ministère que soutenait la Chambre introuvable.

Un article de six colonnes d’Étienne, dans le Constitutionnel, lança la Villéliade, qui arriva, en moins d’une année, à sa quinzième édition et valut aux auteurs, encore tout jeunes, à peu près inconnus, 25,000 francs comptant de leur libraire. Immédiatement traduit en plusieurs langues, ce poëme répandit dans toute l’Europe les noms de Barthélémy et Méry.

La Villéliade porta un rude coup au ministre Villèle, le héros du poème ; mais, ainsi que toutes les œuvres de circonstance improvisées pour servir une cause politique, elle a perdu aujourd’hui la plus grande partie de son intérêt. On ne la lit plus de nos jours, et elle n’est connue que comme tradition. Dans ce poëme, on remarque une forme pour ainsi dire accomplie et parfaite, beaucoup de vivacité et de mordant. C’est Méry qui en avait écrit les trois quarts ; on s’en aperçoit à l’extrême facilité du vers et au ton plus moqueur qu’énergique de cette satire. Quelques extraits feront apprécier au lecteur la valeur de cette œuvre spirituelle.

Sur les pas des Gascons, les troupes gastronomes
S’avancent gravement en braves gentilshommes.
Leur ventre, qui sur terre est un pesant fardeau,
Les soutient sur le fleuve et leur sert de radeau.

Qui n’a reconnu à ce spectacle les satisfaits, les ventrus de la Chambre ? S’agit-il de M. de Villèle lui-même, c’est autre chose ; on ne saurait s’armer trop sérieusement contre le chef des ennemis ; aussi les auteurs redoublent-ils de verve et de fine ironie. Quoi de plus spirituel que de faire énumérer à M. de Villèle lui-même toutes ses fautes comme autant de titres à la gloire et à la reconnaissance du peuple ? Nous terminerons par une citation empruntée à ce mordant résumé des hauts faits du ministère Villèle :

Depuis plus de douze ans quel autre ministère
Se montra plus que moi constamment populaire ?
Dois-je vous retracer tous les faits éclatants
Qui de mon règne heureux ont illustré le temps ?
J’ai pour donner le calme à l’Espagne alarmée
En cordon sanitaire allongé mon armée.
Et si les Castillans ont reconquis leur roi,
Leurs couvents, leur misère, ils le doivent à moi ;
C’est moi qui, pour sept ans signant vos privilèges,
Ai dressé mes préfets à former ces collèges
Où, pour être assuré de l’effet du scrutin,
Le nom du candidat est inscrit de ma main.
La Chambre a, par mes soins, accordé sans scandale
Un large milliard à la faim féodale.
Rothschild a fait jaillir de mon cerveau pensant.
Sur les débris du cinq, l’illustre trois pour cent.
L’État n’a plus besoin d’une armée aguerrie ;
Aussi n’ai-je songé qu’à ma gendarmerie ;
Ces braves cavaliers par nombreux régiments
Inondent tout Paris et les départements.
J’ai donné sans regret à ces soutiens du trône
Le cheval andalous et la culotte jaune.
Sous le feu roi Louis, comme sous Charles dix,
J’ai peuplé mes bureaux de maigres cadédis ;
Vous avez vu placer, grâce à mes apostilles,
Les plus bas rejetons de vos nobles familles.
Par l’organe pieux de mon garde des sceaux,
J’ai remis au clergé la hache et les faisceaux.
L’Église avant mon règne expirait de famine :
Quel prélat aujourd’hui n’a son chef de cuisine,
Et dans son diocèse, apôtre bien dodu,
Ne peut se promener en un char suspendu ?


VILLEMAIN (Abel-François), célèbre écrivain et professeur, ancien ministre de l’instruction publique, né à Paris en 1790, mort dans la même ville le 8 mai 1870. Élève du lycée Louis-le-Grand, alors lycée impérial, il se distingua de bonne heure aux yeux de ses maîtres par son extrême facilité dans l’étude des langues. On rapporte qu’à l’âge de douze ans il jouait avec perfection, en grec, le rôle de Philoctète dans la tragédie de Sophocle, et que trente ans après il ne l’avait pas oublié. En rhétorique, il inspirait une telle confiance à son professeur, Luce de Lancival, que celui-ci n’hésitait pas à se faire suppléer par lui à l’occasion. Néanmoins, le jeune prodige fut malheureux au concours général, où il n’eut ni prix ni mention. L’avenir devait l’indemniser avec usure de ce peu de faveur de la fortune. Il se mit à étudier le droit, et, tout en suivant les cours, il allait déjà dans le monde, où son esprit et l’extrême facilité de sa parole ne tardèrent point à lui faire une réputation de causeur. Fontanes, grand maître de l’Université qu’on venait de fonder, lui proposa d’emblée la suppléance d’une chaire de rhétorique au lycée Charlemagne (1810). Le nouveau suppléant n’était âgé que de vingt ans ; mais ses débuts furent si brillants, qu’il obtint bientôt le titre de maître de conférences de littérature française et de versification latine à l’École normale. On venait de rétablir le discours latin dans l’Université à propos de la distribution des prix du concours général ; ce fut Villemain qui recommença cette tradition et il se fit applaudir. L’année suivante (1812), il obtint un succès plus sérieux. L’Académie française avait mis au concours l’Éloge de Montaigne ; Villemain fut couronné, quoiqu’il eût pour concurrents des gens de mérite et rompus aux exercices de ce genre : Victorin Fabre, plusieurs fois lauréat de l’Académie ; Droz, futur membre de cette assemblée ; Jay, écrivain distingué et déjà connu, etc. Cette victoire était considérable ; elle ouvrit à l’auteur de l’Éloge de Montaigne les meilleurs salons d’une époque où les salons exerçaient en France une grande autorité, en l’absence de la tribune et de la presse. Suard, le comte de Narbonne, la princesse de Vaudemont, Benjamin Constant lui firent les avances les plus flatteuses et en quelques mois lui créèrent une véritable notoriété. Villemain était dans son élément. Sa nature vive et primesautière, sa verve inépuisable, ses manières polies et insinuantes, son goût pour l’anecdote, les applaudissements qu’il recueillait, tout contribuait à lui rendre ce milieu agréable. Tous ceux qui l’ont entendu causer à cette époque de sa vie le proclament un phénomène. Lui-même conserva de cette phase enchantée de sa jeunesse des souvenirs attrayants et une disposition bien naturelle à considérer les salons comme une des causes de notre supériorité littéraire. « L’esprit de la société polie, dit-il (De M. de Féletz et de quelques salons de son temps), le langage des honnêtes gens, comme on disait au xviie siècle, en un mot cet art naturel de la conversation, toujours à la mode en France, et qui fut à certaines époques la principale et qui pourra bien être la dernière liberté du pays, si elle lui reste, avait alors à Paris plusieurs salons très-justement renommés. »

Il y avait, entre autres, des sociétés particulièrement aristocratiques où régnait, d’une manière prédominante, le goût de l’esprit et du savoir, où les hommes de toute opinion, distingués dans les lettres et les arts, étaient accueillis avec un empressement marqué, où la politique proprement dite n’était admise que sous la condition du talent, où le gouvernement représentatif était fort bien venu, à cause de ses orateurs, mais où la littèrature française et étrangère, la poésie, les sciences d’érudition même, pourvu que la forme en fût piquante et curieuse, avaient toute faveur. » C’étaient ces derniers que Villemain fréquentait de préférence et où il aimait à laisser pleuvoir les étincelles de son esprit sur une assistance éblouie. « Là, dit-il, un poëme de Byron, Lara ou le Giaour, dans le premier éclat de la nouveauté, était un grand événement ; une Méditation ou une Harmonie de M. de Lamartine un grand triomphe ; lui-même quelquefois, durant ses passages à Paris à ses retours de la légation de Florence, était attiré à quelque inauguration de sa gloire, et rien n’égalait le tressaillement d’admiration, la flatterie sincère dont il était environné, lorsque le soir, dans un salon de cent personnes, au milieu des plus gracieux visages et des plus éclatantes parures, dans l’intervalle des félicitations ou des allusions jetées à quelques députés présents sur leurs discours de la veille ou du matin, lui, bien jeune et reconnaissable entre tous, debout, la tête inclinée avec grâce, d’une voix mélodieuse que nul débat n’avait encore fatiguée, récitait le Doute, l’Isolement, le Lac, ces premiers-nés de son génie, ces chants qu’on n’avait nulle part entendus et que la langue française n’oubliera jamais. »

Après l’admiration du génie venait la causerie, et le tour de Villemain arrivait. Il faisait souvent plus d’effet que Lamartine, et tout le monde se retirait enchanté. Mais revenons un peu en arrière. Si l’Empire avait duré, Villemain n’aurait pas manqué de faire dans l’administration une fortune rapide. M. de Narbonne l’avait recommandé à l’empereur ; mais la chute de celui-ci ferma cet horizon, La Restauration avec le régime parlementaire et la réaction littéraire en train de s’accomplir allaient d’ailleurs beaucoup mieux au tempérament de Villemain et lui promettaient un avenir plus éclatant et plus solide. Il en avait le pressentiment, et il le montra lors du couronnement de son mémoire intitulé Avantages et inconvénients de la critique. C’était le 21 avril 1814. Contrairement à l’usage, le jeune lauréat fut autorisé à lire son œuvre dans l’enceinte de l’Académie française, en présence d’un public dont les émigrés tenaient le premier rang. Les états-majors des armées alliées assistaient à la cérémonie. Le roi de Prusse et l’empereur Alexandre avaient tenu à honneur d’être de la fête. Villemain crut devoir leur adresser quelques compliments avant de commencer la lecture de son mémoire. Ce qui l’excuse, si l’on veut, c’est que dans ces jours néfastes qui suivirent immédiatement la chute de l’Empire, au milieu des douleurs de l’invasion, les gens qui se sentaient délivrés de la tyrannie impériale oubliaient volontiers les maux du pays en songeant aux bienfaits de la paix qui allaient les cicatriser. En 1816, Villemain fut couronné une troisième fois pour son Éloge de Montesquieu. On lui avait donné récemment la chaire d’histoire moderne à la Sorbonne, où il suppléait Guizot. Il se trouva là un peu dépaysé ; malgré ses qualités solides, il était plutôt littérateur qu’historien, ce que lui fit comprendre Royer-Collard, qui le détermina à échanger sa chaire contre celle d’éloquence française. Il garda cette dernière durant dix ans (1816-1826), sauf quelques interruptions très-courtes, et pendant cette longue période s’occupa exclusivement de nos lettres nationales au XVe, au XVIe et au XVIIe siècle. Son court passage à la chaire d’histoire moderne lui avait laissé le goût des travaux historiques et valut au public son Histoire de Cromwell, d’après les mémoires du temps et les recueils parlementaires (Paris, 1819, 2 vol. in-8o). En 1819, on se croyait sous Charles II. Cromwell, c’était Bonaparte, et l’état politique de la France avait de nombreuses analogies avec l’état politique de l’Angleterre au sortir du protectorat. Guizot et d’autres allaient écrire sur la révolution d’Angleterre ; elle préoccupait la plupart des hommes d’État. Il fallait l’étudier pour comprendre les nécessites du moment. L’Histoire de Cromwell est donc une œuvre de circonstance. Villemain connaissait l’antiquité à fond, surtout l’antiquité grecque. Le moyen âge et l’esprit des races chrétiennes et germaniques lui étaient moins familiers. Il raconte spirituellement et en une prose excellente les menus faits de la révolution d’Angleterre ; mais on lui reproche de n’avoir pas d’idées générales, de ne rien entendre aux causes multiples de la fureur religieuse au souffle de laquelle la Grande-Bretagne bouillonna comme un volcan, de laisser dans l’ombre les mobiles moraux qui faisaient mouvoir les acteurs du drame dont Cromwell est le héros, de ne jamais faire ressortir les conséquences politiques ou religieuses des événements. Sous la Restauration, les écrivains hostiles à Villemain le comparaient à Marmontel et plaçaient l’Histoire de Cromwell au même rang que les Incas. Ce livre fut cependant traduit en plusieurs langues et ouvrit à Villemain une carrière politique. Louis XVIII le nomma chef de la division de l’imprimerie et de la librairie au ministère de l’intérieur. Sous le ministère Decazes, il devint maître des requêtes au conseil d’État. Il s’était dès lors attaché au parti qu’on appelait doctrinaire, et ce fut sous l’influence des idées de ce parti qu’il contribua à la rédaction des lois sur la presse édictées par la Restauration. Il avait été décoré de la Légion d’honneur en 1820, et en 1821, à peine âgé de trente et un ans, il fut élu membre de l’Académie française, où il succéda a de Fontanes, son ancien protecteur.

L’insurrection grecque provoquait alors un enthousiasme général en Europe. Byron, Casimir Delavigne, Lamartine, Chateaubriand venaient de chanter les exploits de ce petit peuple héroïque, pour lequel l’opinion s’est beaucoup refroidie depuis, mais que les souvenirs de l’ancienne Grèce recommandaient à tous les esprits cultivés. Villemain s’éprit comme tout le monde d’un amour généreux pour les défenseurs de l’indépendance hellénique. Lascaris ou les Grecs du xve siècle (1825, in-8o) et l’Essai sur l’état des Grecs depuis la conquête musulmane (1825, in-8o) sont deux études, l’une littéraire, l’autre historique, qui émurent vivement les imaginations. Lascaris est une idylle dont le héros est un Byzantin fugitif, échappé en 1453 de la main des Turcs et qui vient raconter en Occident les malheurs de sa patrie. La donnée historique de l’ouvrage est contestable. Ce ne sont pas quelques lettrés de Byzance qui ont fait la Renaissance ; elle était en bonne voie quand ils sont venus, et les Byzantins avaient été mis depuis longtemps en communication avec l’Occident par les croisés, puis par les Génois et les Vénitiens qui emplissaient une partie de Constantinople. Lascaris ne peut donc pas être une sorte de Christ littéraire envoyé par la Providence pour sauver l’Occident de la barbarie. L’essai de Villemain n’est qu’un poëme en prose et il est inutile de le prendre pour autre chose. Par contre, son étude sur les Grecs depuis la conquête musulmane est un récit intéressant d’événements peu connus et dont la révélation contribua beaucoup à populariser en France la cause des Hellènes.

Villemain était depuis plusieurs années, comme on a vu plus haut, un adepte des idées doctrinaires. Sous le ministère Villèle, il s’éloigna peu à peu du gouvernement pour se rapprocher de l’opposition. En 1827, il accentua son attitude. Chargé par l’Académie française de rédiger, de concert avec Lacretelle et Chateaubriand, la supplique à Charles X contre le rétablissement de la censure (loi du 24 juin), il s’acquitta consciencieusement de sa tâche, mais dut résigner ses fonctions de maître des requêtes au conseil d’État. Il fut amplement dédommagé de cette disgrâce par la popularité qu’elle lui valut, et sous le ministère Martignac il put avec Guizot et Cousin développer dans sa chaire de la Sorbonne toutes les qualités de son rare talent. Tous les trois, à des titres divers, traitèrent du xviiie siècle, et c’était, sous la Restauration, du libéralisme transcendant. Les philosophes de l’école théologique, Bonald, de Maistre, Lamennais, l’avaient bruyamment condamné et stigmatisé. Villemain, comme ses deux collègues, s’occupa de le juger. Le Globe appelait ses leçons un des événements intellectuels les plus importants de l’époque. Dès 1825, il faillit être destitué ; mais l’opposition grandissait et il ne pouvait que gagner à une destitution. Aussi ne s’inquiéta-t-il que médiocrement de l’effet de sa parole sur le gouvernement. Indépendamment de son attitude, son enseignement avait une valeur que l’on apprécie encore au même degré que les contemporains. « Pour l’ensemble et le détail de cette critique littéraire conçue au point de vue historique, dit Sainte-Beuve, et comme telle si neuve et si largement comprise, que de richesses ! quelle étendue ! quelle fertilité ! J’y vois quelque chose qui me rappelle cette vaste intelligence de Cicéron s’appliquant aux lettres, qui la rappelle non-seulement pour la capacité et l’étendue, pour l’agrément de l’invention et la belle économie de la mémoire, pour ce fleuve sinueux de la parole et pour les fleurs perpétuelles du chemin, mais aussi pour de certains faibles qui ne sont pas sans grâce. Cet esprit de nette et rapide justesse, dont un mot d’éloge senti et vivement accordé serait tout un suffrage, est lui-même sensible à l’approbation des autres, comme s’il n’avait pas en soi un jugement supérieur qui le tranquillise. En un temps où les hommes éminents ne pèchent point, en général, par trop de méfiance d’eux-mêmes, c’est là un trait presque touchant. » À côté de l’éloge, le blâme. Le même critique reproche à Villemain de beaucoup exposer et de peu conclure : « Ainsi, dans ce tableau littéraire du xve siècle, lorsqu’il a la Henriade à juger, il donne toutes Les bonnes raisons de ne pas l’admirer, de ne la ranger à aucun degré à côté des œuvres épiques qui durent : mais quand il faut conclure formellement, il recule, il fléchit ; le juge se dérobe, et en quatre ou cinq endroits tout à fait évasifs il essaye d’espérer que la Henriade traversera les siècles, qu’elle est, après tout, une œuvre durable, qu’elle tient un rang à part, une première place après les œuvres originales. Il y revient à quatre ou cinq reprises, au lieu de trancher net et dans le vif une bonne fois, comme son propre jugement l’y autorisait. Il y a là un côté faible chez ce rare esprit. »

Quoi qu’il en soit, son cours eut un immense retentissement, et au commencement de l’année 1830 Villemain fut élu membre de la Chambre des députés par le collège électoral d’Évreux. Ses électeurs l’envoyèrent naturellement siéger dans les rangs du parti libéral, et il signa la fameuse adresse des 221, La révolution de Juillet, arrivée sur ces en-