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Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 2, part. 1, B-Bd.djvu/127

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Allons 1 allons 1 la terre retentit ; la fusillade commence, partout la terreur, partout le sang : ici la fuite, là la blessure... Ils ont tué le Klepbte.

Les voisins désolés, et la tête découverte, le rapportent à pied. Ils chantent tous ensemble :

« Le Klephte vit libre ;

Il meurt libre aussi ! ■

Trad. de Margelles.

LA FONDATION DE SCHDAR.

Trois frères, Wukaschin le roi, Ugljescha le vayvode, et Gojko, se réunissent pour bâtir une citadelle à Scudar ; mais la Willa (ou fée des forêts) s’oppose à cette fondation, et renverse les remparts à mesure qu’ils s’élèvent. Consultée par les trois frères, elle déclare qu’ils ne parviendront à élever la citadelle que lorsqu’ils auront trouvé deux frères appelés Stojoin et Stojoina (c’est-à-dire demeurant et demeurante), et lorsqu’ils les auront ensevelis sous les fondations de leur forteresse. Les trois frères cherchent vainement Stojoin et Stojoina pendant trois ans ; enfin, ne pouvant les rencontrer, ils s’adressent de nouveau à la Willa, qui leur dit : > Il reste un second moyen de bâtir votre citadelle, c’est d’enfermer dans ses fondations celle de vos femmes qui, demain, viendra la première apporter la nourriture aux maçons, près de la Bajona où vous construisez. » Les trois frères se promettent réciproquement de ne point avertir leurs épouses et de laisser le sort désigner celle qui doit périr ; mais Wukaschin le roi et Ujglescha oublient leur serment ; Gojko seul y est fidèle, et n’avertit point son épouse...

Lorsque l’aube matinale apparut, diligemment les trois frères se levèrent et se rendirent aux constructions sur la Bajona. Voyez : du logis sortent deux nobles jeunes femmes, les femmes des deux aînés. L’une porte sa toile à blanchir ; elle veut l’étendre encore une fois Sur la prairié ; elle porte sa toile au blanchissoir ; mais elle s’arrête là, et ne va pas plus loin. La seconde porte une belle cruche de terre rouge ; elle porte la cruche aux eaux fraîches de la fontaine ; elle cause un moment avec les autres femmes, s’arrête quelque peu, mais ne va pas plus loin. La seule qui soit encore au logis, c’est l’épouse de Gojko ; car elle a un petit enfant au berceau, un nourrisson qui n’a encore vu qu’une lune. Cependant, l’heure du repas du matin arrive ; la vieille mère de Gojko se lève ; elle veut appeler les deux jeunes servantes, et porter avec elles le déjeuner sur la Bajona ; alors la jeune épouse de Gojko lui dit : « Demeure en paix, ma vieille nière, et berce l’enfant dans le berceau, afin que je porte moi-même le repas à mon seigneur. Ce serait grand péché devant Dieu, et pour moi grande honte devant les hommes, si, au lieu de nous trois jeunes femmes, tu portais le mangerI » La jeune épouse arrive aux constructions, et est livrée à Rad, le maître constructeur. En souriant, l’aimable et nouvelle mariée les regardait et pensait qu’ils voulaient rire. Mais, comme il s’agissait d’édifier la forteresse, les trois cents compagnons jetèrent, à la hâte, pierres sur pierres autour d’elle et des arbres en quantité, de sorte qu’elle en avait déjà jusqu’aux genoux. En souriant, la svelte et nouvelle mariée voyait cela ; elle espérait toujours qu’ils sejouaiententreeux ; etilsjetaient en hâte, les trois cents compagnons, pierres sur pierres autour d’elle et des arbres en quantité, de telle sorte qu’elle en eut bientôt jusqu’à la ceinture. Ainsi entourée de pierres et de bois, la pauvrette vit alors le destin qui l’attendait. Douloureusement irritée, elle s éerie alors avec désespoir, elle implore sesbeaux-frères. Mais ses prières restent sans

résultat. Alors, voyant qu’il faut mourir, elle s’adresse à Rad, le maître constructeur : « O toi, mon frère en Dieu, cher maître, laisse une petite fenêtre à la hauteur de ma mamelle, afin que, lorsque mon nourrisson viendra, mon doux Johan, je lui donne sa nourriture. » Et, conjuré au nom de Dieu, il prit pitié, le maître, et lui laissa une petite fenêtre à la hauteur de sa mamelle, afin qu’elle pût à. son nourrisson Johan, quand il viendrait, présenter sa nourriture. Une fois encore, elle implora le maître : «’Je te conjure, mon frère en Dieu, laisse une petite fenêtre devant mes yeux, que je voie de loin ma belle demeure, quand on m’apportera mon fils Johan et quand on le reportera au logis. » Et, comme un frère, le maître s’attendrit ; il lui laissa une petite fenêtre devant les yeux, afin qu’elle pût voir de loin sa belle demeure, quand on lui apporterait Johan et quand on le remporterait au logis.

Ce fut de cette manière que fut bâti Scudar, On apporta l’enfant à la place indiquée ; la mère l’allaita toute une semaine, une semaine... alors, sa voix s’éteignit ; mais il demeura de la nourriture pour l’enfant, et, durant toute une année, sa mère l’allaita. Et comme il était alors, il est encore aujourd’hui. •Les mères qui ont vu tarir leur lait visitent ce lieu pour le miracle et pour leur salut ; elles y viennent pour apaiser leur enfant.

LE BAN DE CROATIE.

Il y avait un ban de Croatie qui était borgne de l’œil droit et sourd de l’oreille gauche. De son œil droit, il regardait la misère du peuple ;

de son oreille gauche, il écoutait les plaintes des vayvodes ; et qui avait de grandes richesses était accusé, et qui était accusé’ mourait. De cette manière, il fit décapiter Humanay - Bey et le vayvode Zambolich, et il s’empara de leurs trésors. À la fin, Dieu fut irrite de ses crimes, et il permit à des spectres de tourmenter son sommeil. Et toutes les nuits, au pied de son lit, se tenaient debout Humanay et Zambolich, le regardant de leurs yeux ternes et mornes. À l’heure où les étoiles pâlissent, quand le ciel devient rose k l’orient, alors, ce^qui est épouvantable à raconter, les deux spectres s’inclinaient comme pour le saluer par dérision ; et leurs têtes, sans appui, tombaient et roulaient sur les tapis ; et alors le ban pouvait dormir. Une nuit, une froide nuit d’hiver, Humanay parla et dit : « Depuis assez longtemps, nous te saluons ; pourquoi ne nous rends-tu pas notre salut ? » Alors, la ban se leva tout tremblant ; et, comme il s’inclinait pour les saluer, sa tête tomba d’ellemême et roula sur le tapis.

Trad. de P. Mérimée.

ILJA LE BOJAR ET LE BRIGAND ROSSIGNOL.

Au sein des épaisses forêts de Murom, dans le village de Karatshajeff, était assis Ilja le bojar. Immobile comme un enfant nouveau-né, il resta trente ans sur son siège sans changer de place. Son père, d’une voix sévère, lui reprochait cette paresse où le jeune homme

s’obstinait. Il lui disait en vain : à Lève-toi ; apprends à agir, à travailler ! » Ni ses bras ni ses pieds ne remuaient ; on eût dit qu’il était né décrépit et caduc. Mais le ciel voulait que ce grand guerrier recueillît et concentrât toutes ses forces dans un profond et redoutable silence ; il voulait que ce courage, dont l’avenir devait s’étonner, se préparât ainsi dans le repos. Trente ans viennent de s’accomplir. Ilja se lève de son siège. Il est debout ; bojar gigantesque, il fait la joie et l’étonnement de ses parents : « Donne-moi un

cheval, mon père, dit-ilj voici assez longtemps que je reste assis ; je veux voir le pays.

— Mon fils, je n’ai point de cheval à te donner ; celui que j’ai est mauvais et vieux. Reste à la maison, crois-moi ; apprends à travailler ! Pourquoi veux-tu ainsi courir les champs ? » Le jeune bojar persiste. Il demande le vieux cheval, dont il veut faire son coursier de bataille ; c’est un animal hors de service. Pendant trois nuits, il le monte et le mène sur une prairie devant le village, où il le baigne dans la rosée matinale, et le frotte avec l’herbe humide. Le cheval caduc reprend des forces ; il est capable d’entreprendre un long voyage. Ilja se présente alors devant ses parents, qu’il supplie de lui accorder leur bénédiction. Cette bénédiction sera son glaive ; elle ceindra ses reins et les fortifiera. Il prend congé d’eux avec tendresse, se tourne vers les quatre points cardinaux, s’incline humblement et prie ; puis il s’élance gaiement sur son coursier, et quitte le sol natal. Ilja frappe son cheval de grands coups de son kantsnug enrichi d’or : aussitôt, le cheval prend un élan de cinq verstes ; son second élan embrasse un plus grand espace encore. Le bojar se dirige droit vers Kiew, à travers les sombres forêts de Brinsk et le marais profond de Smolensk. Il a résolu d’arriver à Kiew, en dépit de tous les obstacles. Depuis trente ans, un brigand hardi obstruait la route ; terreur des voyageurs, il se plaçait sur le sommet des arbres, d’où il poussait de longs sifflements j on le nommait le Rossignol. flja poursuivait paiement son chemin, quand ces sifflements trappèrent son oreille. Bientôt ce qui ressemblait a un seul coup de sifflet se change en une multitude de sifflements affreux, qui parais^ sent lancés par les dards enflammés de cent serpents ; puis ces bruits se transforment en longs hurlements, comme ceux que cent loups feraient entendre. Le cheval s’effraye et se cabre ; le bojar reste immobile et gronde son cheval : > "Vieille rosse 1 ne reconnais-tu pas le sifflement des oiseaux ? Le sifflement des serpents t’effraye-t-il ? Les hurlements du loup te font-ils trembler ? Où est-il, ce brigand ? Où le vois-tu ? » Il veut avancer ; alors, roule du haut des cimes de neuf vieux chênes enlacés le Rossignol, le brigand qui s’oppose au passage du guerrier. ■ D’où viens-tu, jeune homme ? Où vas-tu à travers ces bois ? Voici trente ans que je m’oppose à ce que l’on passe par cette route, et il en sera ainsi éternellement.—Si tu m’avais parlé avec plus de bienveillance et d’honnêteté, répliqua le bojar, je te répondrais de même ; mais ton arrogance ne mérite pas d’autre réponse que celle-ci : Hors de mon chemin ! Range-toi, brigand, devant mon cheval et son maître 1 » Le Rossignol, aussi leste que le jeune oiseau, remonte sur la cime des arbres, et de là il lance au guerrier de Murom une flèche inutile. Le bojar alors saisit son arc puissant ; sa flèche vole et ne manque pas son but ; elle traverse neuf puissants rameaux de chêne, et va s’enfoncer dans l’œil droit du brigand, qui tombe et roule à terre en gémissant. Ilja lui jette un lacet autour du cou, l’attache en travers sur sa selle et l’entraîne. Plus loin, bien plus loin dans les ténèbres de la forêt, au sein d’un fort qui résiste à l’attaque, habitent la femme du Rossignol et ses fils. Du haut de cette forteresse, son œil perçant a vu la défaite de son époux. Elle court vers ses enfants, éperdue et noyée de pleurs : • Mes enfants, vite, armez-vous, secourez votre père ; courezI Un

étranger, un bojar l’a fait prisonnier ; il l’emmène sur son cheval. » Et les fils, — ils étaient neuf, — tous vaillants guerriers, saisissent leurs épées, revêtent à la hâte une armure notre et sombre. À la hâte, ils couvrent leur chevelure d’un bonnet sous forme d’une tête de corbeau au bec menaçant. On dirait qu’ils volent à travers la forêt comme une troupe , de noirs oiseaux ; ils courent délivrer leur père ; la menace sur les lèvres, ils réclament sa liberté. La femme s’approche aussi ; mais elle, suppliante, apporte l’or et les pierres précieuses pour racheter son époux. Ilja dit : « Vos menaces, j’en fais autant de cas que des croassements des corbeaux ; votre or, je n’en ai pas besoin, et il appartient de droit au vainqueur. Quant au Rossignol, quant à ce brigand, je l’emmène avec moi à Kiew, où le bon roi Wladimir le jugera. Je me le suis juré ; j’accomplirai mon serment. ■ Il dit, pousse son cheval, qui vole comme le faucon, et disparaît comme l’éclair. Ilja arrête son bon coursier dans la large cour du knjas ; il l’attache aux piliers de chêne, s’avance vers la salle gaie et splendide, fait sa prière devant l’image du Sauveur, et salue ensuite le knjas et sa femme. Wladimir, le knjas, est à table, entouré de ses puissants bojars. Il ordonne ; les serviteurs apportent une coupe pleine de vin, et la présentent au guerrier étranger. Cette coupe a la forme et la profondeur d’une outre. Ilja la saisit d’une main et la vide d’un coup. Le knjas Wladimir parle ensuite : « Bojar étranger, ton nom, ta race ? Apprends-lesmoi ; que je puisse te nommer par ton nom et te traiter selon la noblesse et la puissance de ta tribu. — Je suis Ilja de Murom, du village de Karalshajeff. Je suis venu de là, en droite ligne à Kiew pour t’offrir mes services. — En droite ligne ! s’écrient tous les bojars. Bon prince Wladimir, voici un étranger qui nous dit des folies : il prétend être venu de chez lui en droite ligne jusqu’ici, et depuis trente ans le Rossignol, ce fameux brigand, obstrue le chemin ! — Soleil lumineux, répond le bojar de Murom, knjas Wladimir, regarde par cette fenêtre élevée, et vois ce que j’ai fait, moi étranger : dans ta cour se trouve le brigand lui-même, le Rossignol ; je l’ai vaincu et enchaîné... Regarde 1 » Le knjas Wladimir et les bojars descendent dans la cour. Ilja parle en ces mots au brigand : « Rossignol, siffle comme un oiseau, siffle comme un serpent ; puis, pour amuser le knjas, tu mugiras comme mugissent les taureaux. » Rossignol obéit ; il siffle ; il siffle, et vous diriez l’ouragan dans une forêt de grands chênes. Il redouble d’efforts, il mugit ; le knjas et les bojars pâlissent. a Écoute, dit alors le knjas Wladimir, serviteur vaillant, serviteur nouveau, je reçois tes services avec joie ; viens, assieds-toi à ma table, reste dans mes salles, bois le vin de mes coupes, sois mon ami et l’ami de ma race. » Et Ilja, guerrier de Murom, qu’on a vu assis durant trente ans, immobile et silencieux comme l’enfant nouveau-né, devient, à la cour du knjas Wladimir, un vaillant et célèbre bojar, qui triompha de plus d’une armée, renversa plus d’une forteresse et sur les exploits duquel on a chanté plus d’une chanson, celle-ci entre autres.

L’accent national respire au plus haut degré dans ce poème-ballade. Le bojar Ilja, trente ans assis au foyer de son père, immobile et imbécile comme un nouveau-né, figure admirablement la Russie elle-même et sa longue enfance ignorée de l’Europe. Le géant Rossignol qui lui barre le chemin, c’est l’héroïque Pologne. La route de Murom à Kiew, c’est la route du Midi ; c’est celle qui mène de Saint-Pétersbourg à Paris et à Rome, à Athènes et à Constantinople. Le cheval qui se cabre et qui recule en frissonnant d’épouvante, ne serait-ce pas l’armée russe défaite et repoussée par Kosciusko et Poniatowski ? Rossignol vaincu, attaché en travers sur un cheval russe et emmené en servitude, malgré les trop faibles menaces et les larmes de sa famille, ne serait-ce pas la Pologne vaincue après tant de combats et lâchement opprimée ?

Ballade à la lune (la), poésie d’A. de Musset. V. Contes d’Espagne et d’Italie.


balladelle s. t. (ba-la-dè-le — dim. de ballade). Petite ballade. Il Inusité.

BALLADER v. n. ou intr. (ba-Ia-dé). Pop. Flâner. V. balader.

BALLADOIRE adj. (ba-la-doi-re — rad. ballader). Chorégr. Qualification d’une danse licencieuse, autrelois usitée le premier de l’an et le premier de mai : Danse balladoire. Il Fêtes balladoires, Fêtes de village avec bals champêtres.

BALLAGE s. m. (ba-la-ie). Métall. Corroyage qu’on fait subir au fer avant de l’étirer définitivement. Cette opération consiste à réunir en paquets ou trousses les barres de fer puddlé, débitées en morceaux de deux décimètres, à chauffer ces paquets jusqu’au

blanc soudant^puis à les faire passer sous les trains du laminoir, il On dit aussi réchauffage.

BALLAINV1LLERS (le baron de), magistrat et littérateur, né en 1760, mort en 1835. Il était, avant la Révolution, conseiller d’État, fut chargé de missions secrètes par Louis XVI, devint intendant général de l’armée des princes pendant l’émigration, puis de nouveau conseiller d’État et chancelier du comte d’Artois lors du retour des Bourbons. Il a traduit

Horace en vers français et publié des œuvres diverses parmi lesquelles on remarque Montaigne aux Champs-Élysées, dialogue en vers.

BALLAN s. m. (ba-lan). Ichthyol. Poisson du genre labre, qui se trouve sur les •■otes de la Grande-Bretagne.

BALLANCHE (Pierre-Simon), philosophe mystique, membre de l’Académie française, né à Lyon en 1776, mort en 1847, fut d’abord imprimeur dans sa ville natale, et fit paraître ses premiers essais littéraires dans le Bulletin de Lyon, dont il était éditeur. Dès 1802, il publiait à part : Du Sentiment dans ses rapports avec la littérature, petit livre fortement empreint de sentiments religieux, et que Ch. Nodier comparait à une ébauche de Michel-Ange. Sa jeunesse avait été troublée par un amour malheureux, et sa figure portait les traces de l’opération du trépan, nécessitée par une maladie douloureuse. Dans ses Fragments, qui parurent en 1808, il poussa vers le ciel des accents mélancoliques et résignés. Pendant un séjour que Mme Récamier fit à Lyon en 1812, Ballanche lui fut présenté par Camille Jordan. Il fut subjugué par le charme de cette femme incomparable, qui, elle-même, avait reconnu le génie sous les allures simples et rustiques du typographe lyonnais. Dès lors il s’établit entre eux un lien sympathique que la mort seule devait rompre. Pressé par elle de venir à Paris, il s’y rendit l’année suivante, après avoir vendu son imprimerie. L’apparition de Ballanche dans les salons de la capitale y causa quelque étonnement ; mais son mérite le plaça bientôt au premier rang des esprits distingués qui formaient le brillant cénacle de l’Abbaye-au-Bois. (V, ce mot.) La restauration de l’ancienne dynastie, avec les concessions qu’elle avait dû faire au droit nouveau, lui parut une conciliation de l’autorité et de la liberté, du droit divui et de la démocratie. Imbu des doctrines des philosophes allemands, il les interprétait au point de vue chrétien. L’humanité, déchue par le péché originel, lui apparaissait, à travers l’histoire, se réhabilitant par des épreuves et des expiations providentielles, dont le dernier terme était la Révolution françaisé et l’Empire. Par le jeu des institutions libérales conservées dans la Charte, le monde, obéissant à l’initiative de la France, devait arriver, sans secousses, à une transformation complète. L’un des premiers, Ballanche a senti et proclamé que 1 époque au milieu de laquelle nous vivons est une époque de transition à un ordre nouveau, une époque de rénovation sociale, et l’idée de la palingénésie individuelle que Ch. Bonnet avait conçue, Ballanche la transporta à l’espèce humaine, aux nations, aux formes politiques et sociales. Il réduisit cette idée en système et la développa dans les ouvrages suivants : Antigène (1815) ; Essai sur les institutions sociales (1818) ; le Vieillard et le jeune homme (1819) ; Y Homme sans nom (1820) ; Essais de palingénésie sociale, puis Orphée, la Ville des expiations et la Vision d’Hébal. Ces livres ne s’adressaient qu’aux penseurs. Le style en est brillant et poétique, mais l’idée se dérobe souvent à l’analyse. Génie mélancolique et profondément religieux, Ballanche a laissé dans ses ouvrages l’empreinte d’un mysticisme symbolique dont l’ortginalité ne compense pas toujours l’incertitude et l’obscurité. La révolution de 1830 mit ses théories en défaut. Il écrivit alors à Mme Récamier : « Quant à moi, ma thèse est bien faite ; j’ai renoncé à une de mes idées, celle qui a rempli ma vie : j’ai cru à la possibilité du progrès par la voie dévolution ; mais je vois à présent qu’il n’en est pointainsi dans les choses humaines, et qu’elles procèdent par voie de révolution. Ainsi, les cataclysmes ne peuvent s’éviter dans le monde social, pas plus que dans le monde physique.» Le parti légitimiste libéral, qui s’intitulait alors la jeune France, le reconnut pour un de ses chefs, mais seulement à titre de théoricien. Vers cette époque, il s’occupait beaucoup de mécanique, et il crut un moment avoir trouvé un nouveau moteur pour les machines à vapeur. Il dépensa ainsi en essais infructueux plus que ses ressources ne le lui permettaient. M. Guizot, ministre de l’Instruction publique, lui accorda, en 1833, une pension littéraire de 1,800 francs. En 1842, il fut appelé à remplacer Alexandre Duval à l’Académie française. Sa santé était déjà fort délabrée ; depuis deux ans, il ne vivait plus que de laitage et de légumes, et il se vit obligé de prier M. Mignet de lire son discours de réception. Il n’était soutenu que par cet amour platonique qu’il nourrit jusqu’au dernier moment pour Mme Récamier. Il l’avait accompagnée à Rome en 1824, et, pour ne plus la quitter, il prit un appartement tout en face de l’Abbaye-au-Bois. « Vous êtes mon étoile, lui disait-il, ma destinée dépend de la vôtre. Si vous veniez à entrer dans votre tombeau de marbre blanc, il faudrait bien vite me faire creuser une fosse ; mais je ne crois pas que vous passiez la première, à En effet, il mourut avant elle. Elle ne le quitta point pendant son agonie. Il fut enterré dans la tombeau de son amie, et il repose auprès d’elle.

Les Œuvres complètes de Ballanche ont été réunies en 1830-32,6 volumes in-18.

> Ballanche, dit quelque part M. Sainte-Beuve, a eu en partage une douce gloire, et il en a joui. Il me rappelle ce verset de l’Écriture : Beati mites, quoniam ipsi possidebunt terraml Ce n’est pas qu’il n’y eût, par moments, bien de l’ambition et un gros orgueil au fond de ce doux Ballanche : il se croyait par éclairs