Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 2, part. 1, B-Bd.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous passerons ensuite à l’examen de ses dogmes et de ses doctrines politiques et sociales.

I. — Histoire du babysme. Le fondateur de cette secte est un Persan de Schiraz, nommé Mirza-Aly-Mohammed, qui, vers l’année 1843, alors qu’il était à peine âgé de dix-neuf ans, commença sa mission religieuse. Mirza-Aly-Mohammed portait le titre de seyd, c’est-à-dire, qu’à tort ou à raison, il prétendait descendre de la race du prophète arabe, de Mahomet. M. de Gobineau en fait le portrait suivant : « Renfermé en lui-même, toujours occupé de pratiques pieuses, d’une simplicité de mœurs extrême, d’une douceur attrayante, et relevant ces dons par son extrême jeunesse et le charme merveilleux de sa figure, il attira autour de lui un certain nombre de personnes édifiées. Il ne pouvait ouvrir la bouche, assurent les hommes qui l’ont connu, qu’il ne remuât le fond du cœur. S’exprimant du reste avec une vénération profonde sur le compte du prophète des imans, il charmait les orthodoxes sévères, en même temps que, dans des entretiens plus intimes, les esprits ardents et inquiets se réjouissaient de ne pas trouver en lui aucune roideur dans la profession des opinions consacrées. Au contraire, sa conversation leur ouvrait tous ces horizons infinis, variés, bigarrés, mystérieux, ombragés et semés çà et la d’une lumière aveuglante, qui transportent d’aise les imaginations de ce pays-là. »

Ses préoccupations religieuses commencèrent de bonne heure, et se développèrent au contact des idées chrétiennes, guèbres, mosaïques, et des spéculations des sciences occultes. Après avoir fait, très-jeune, le pèlerinage de la Mecque, il se sépara radicalement de l’islamisme, et c’est après avoir visité la mosquée de Koufa qu’il songea à créer une nouvelle foi destinée a supplanter l’islamisme. Les résultats immédiats de son double pèlerinage furent la composition de deux livres, qui inaugurèrent sa mission de novateur : le premier est le récit de son voyage, et le second un commentaire sur une des sourates du Coran, celle de Joseph. Dans ce commentaire, « la polémique et la dialectique tenaient, dit M. de Gobineau, une grande place, et les auditeurs remarquaient avec étonnement qu’il découvrait, dans le chapitre du livre de Dieu qu’il avait choisi, des sens nouveaux, et qu’il en tirait surtout des doctrines et des enseignements complètement inattendus. » Dès lors, sa popularité commença et ne fit plus que s’accroître dans des proportions extraordinaires ; tous se pressaient autour de lui ; il parlait dans les mosquées, et, dans ses discours, le clergé musulman, représenté par les mollahs, était très-vivement attaqué. Les mollahs sentirent le danger qui les menaçait, et essayèrent de le conjurer en se réunissant pour confondre les doctrines prêchées par le jeune Mirza-Aly-Mohammed. Mais celui-ci réduisit au silence tous ses contradicteurs, le Coran à la main. Cette victoire redoubla la popularité d’Aly-Mohammed, qui, tout en continuant à faire sa propagande publique, commença à réunir autour de lui un noyau de partisans dévoués, auxquels il dévoila les principes fondamentaux de sa doctrine. C’est alors qu’Aly-Mohammed prit son premier surnom, qui, depuis, servit a désigner sa secte ; il se fit appeler Bab (la porte), parce qu’il était la porte par laquelle seule on pouvait arriver a connaître Dieu ; ses adhérents lui donnaient plus souvent, par respect, le titre de Hezrèté-Ala, altesse sublime. Les choses arrivèrent à un point tel que le clergé musulman, réduit au silence, écrivit à Téhéran pour informer le gouvernement de ce qui se passait et réclamer son intervention directe. Le gouvernement persan, qui n’était pas lui-même grand protecteur du clergé, eut recours à une demi-mesure, et, après avoir renoncé à l’idée qu’il avait eue un moment de mander le Bab pour lui faire exposer ses doctrines, il se détermina, à le consigner jusqu’à nouvel ordre dans sa maison. Mais la propagande, quoique occulte, n’en fut pas moins active, et le Bab, révélant enfin son véritable caractère, fit connaître à ses disciples qu’il était le Nokteh (le point), c’est-à-dire le générateur même de la vérité, une émanation divine, une manifestation de la toute-puissance. Il transféra alors le titre de Bab à l’un de ses plus fervents adhérents, un prêtre du Khorassan, nommé Housseïn-Boushrewyèh, qui devait imprimer au babysme une vigoureuse impulsion et lui donner cette énergique activité qui en fit un parti politique redoutable.

Housseïn-Boushrewyèh, après avoir emporté les ouvrages du maître et probablement des instructions orales, se mit en marche pour prêcher la nouvelle religion et la répandre dans la Perse entière. Après s’être créé des adhérents à Ispahan et à Kachan, il se rendit à Téhéran ; mais le gouvernement lui intima l’ordre de quitter immédiatement la capitale. Cependant, d’un autre côté, deux émissaires babys continuaient l’œuvre de la propagande ; c’était d’abord Hadji-Mohammed-Aly-Balfouroushy, qui opérait dans le Mazenderan ; ensuite une femme nommée Zerryn-Tadj (la couronne d’or), et surnommée Gourret-oul-Ayn (la consolation des yeux), une des figures assurément les plus extraordinaires de l’histoire du babysme. Sa beauté, son esprit, son éloquence, sa science, son exaltation singulière, sont restés dans la mémoire de tous les témoins de ce drame. Chacun des propagateurs de la foi nouvelle se réserva une partie de la Perse : Gourret-oul-Ayn eut l’ouest, Balfouroushy le nord, et Housseïn, expulsé de Téhéran, se dirigea vers l’est, c’est-à-dire vers le Khorassan ; le sud avait déjà été parcouru avec succès. Après des événements divers qu’il serait trop long de raconter, Housseïn, à la tête d’une troupe d’adhérents, aux aspirations belliqueuses, entra dans le Mazenderan, et s’y réunit avec plusieurs autres chefs de la secte. Un grand concile fut tenu à Bedecht, petit village sans importance ; parmi ceux qui y assistaient, on remarquait Gourret-oul-Ayn et Mirza-Jahya, jeune enfant de quinze ans, qui devait être reconnu plus tard comme le chef de la secte après la mort du fondateur. Gourret-oul-Ayn prononça un discours demeuré célèbre, qui valut au babysme une foule de nouveaux adhérents accourus de toutes parts. Après quelques luttes sanglantes, Housseïn vint s’établir avec tous ses disciples dans une localité montagneuse et boisée, connue sous le nom du pèlerinage du cheykh Tebersy. Il y construisit une espèce de château fort et s’y retrancha solidement. Alors, les prédications recommencèrent avec une nouvelle ardeur et prirent une couleur politique de plus en plus accentuée ; toutes les populations du Mazenderan se levèrent à cette voix et vinrent se grouper autour du château fort, qu’ils environnèrent ainsi d’une espèce de camp improvisé. Tout le monde était surexcité et n’attendait qu’une occasion de verser son sang pour la cause sainte.

On s’émut à Téhéran ; une première expédition fut envoyée contre les babys et échoua complètement, après avoir été en partie détruite. On envoya alors un schahzadè, un prince du sang en personne, nommé Mehdy-Kouly-Mirza, avec des forces imposantes : même insuccès. Une troisième expédition ne fut pas plus heureuse ; seulement, Housseïn fut mortellement blessé dans le combat ; mais les babys ne se laissèrent pas un instant décourager par la perte de leur chef et continuèrent la lutte avec une nouvelle énergie. Enfin, on organisa une quatrième expédition, et l’on envoya de l’artillerie, canons, mortiers, etc. Néanmoins, les babys firent une résistance héroïque, et, malgré le manqué de vivres, tinrent pendant quatre mois ; enfin, les babys ayant été presque tous tués, les troupes royales parvinrent à s’emparer de la place. Deux cent quatorze babys, hommes, femmes et enfants, seul débris de la garnison, furent faits prisonniers, et, malgré la parole qu’on leur avait donnée, on leur ouvrit le ventre, et, détail caractéristique, on trouva dans leurs entrailles des racines et des herbes crues, leur seule nourriture. Cet échec, loin de détruire le babysme, fut l’occasion d’un redoublement d’enthousiasme, qui se traduisit par de nouvelles luttes, plus opiniâtres encore que les premières. Zendjan, capitale de la province de Khamseh, se souleva. L’insurrection fut terrible ; elle avait à sa tête un jurisconsulte très-distingué, Mohammed-Aly-Zendjany. La résistance fut longue et acharnée, et l’insurrection ne succomba que sous le nombre ; il fallut concentrer sur ce point des forces considérables pour en avoir raison. Les quelques prisonniers qu’on fit furent tués à coups de baïonnettes ou attachés à la bouche des mortiers. Mais ces deux épisodes sanglants, loin d’arrêter les progrès du babysme, ne firent que les accélérer. Le gouvernement, ne sachant à quelle résolution s’arrêter, prit le parti de supprimer le chef de ce mouvement menaçant ; cependant, il est avéré que le Bab n’avait pris aucune part directe à toutes les entreprises de ses partisans, et une accusation formelle était impossible. Mais la justice asiatique ne s’embarrasse pas pour si peu. Le Bab et deux de ses disciples furent amenés à Tébriz, et, à la suite d’une instruction sommaire, condamnés à mort. Après avoir été promenés dans toute la ville et exposés aux derniers outrages, le maître et son disciple — un autre l’avait renié — furent suspendus à des cordes le long d’un mur très-élevé. En ce moment, on entendit distinctement le disciple qui adressait au Bab cette simple phrase : « Mon maître, est-ce que tu n’es pas content de moi ? » Aussitôt une compagnie de soldats, chargés de l’exécution, les coucha en joue et tira. Le disciple fut tué roide ; mais le Bab, dont la corde avait été coupée par une balle et qui n’avait pas été atteint, retomba à terre et se réfugia dans un corps de garde voisin, où il fut immédiatement massacré.

Le Bab mort, le babysme n’en devint que plus redoutable. Le jeune Mirza-Jahya remplaça le chef défunt et prit le titre de Hezrèté-Ezel (altesse éternelle). Mirza-Jahya quitta immédiatement la capitale pour se dérober aux persécutions officielles, et aussi pour parcourir les provinces et affermir ses partisans. En 1852, les babys répondirent à l’exécution de leur chef saint par un acte de réciprocité qui montre jusqu’où va leur détermination. Trois babys essayèrent de tuer le roi, mais ne parvinrent qu’à le blesser. Immédiatement saisis, ils proclamèrent hautement leur doctrine, et résistèrent avec un courage extraordinaire à toutes les tortures. De nombreuses arrestations furent opérées à cette occasion à Téhéran parmi les personnes suspectes. Gourret-oul-Ayn fut de ce nombre, et ayant courageusement refusé de renier sa foi, elle fut condamnée à être brûlée vive. On procéda ensuite à l’exécution des autres prisonniers, parmi lesquels se trouvaient beaucoup de femmes et d’enfants. Plusieurs des principaux personnages de la cour, pour montrer leur zèle, en firent périr un grand nombre de leurs propres mains, avec des raffinements inouïs de cruauté. Les autres furent exécutés en effigie. On vit alors dans les rues et au milieu des bazars de Téhéran, un spectacle que la population n’oubliera jamais. On vit s’avancer, entre les bourreaux, des enfants et des femmes, les chairs ouvertes sur tout le corps, avec des mèches allumées fichées dans les blessures. On traînait les victimes par des cordes et on les faisait marcher à coups de fouet ; enfants et femmes s’avançaient en chantant ce verset : « En vérité, nous venons de Dieu et nous retournons à lui.  » Leurs voix s’élevaient éclatantes au-dessus du silence de la foule. Quand un de ces malheureux tombait et qu’on le faisait relever à coups de fouet ou de baïonnette, pour peu que la perte de son sang, qui ruisselait sur tous ses membres, lui laissât encore un reste de force, il entonnait avec un surcroît d’enthousiasme le verset cité plus haut. Plusieurs enfants expirèrent dans le trajet. Les bourreaux jetèrent leurs corps sous les pieds de leurs pères, qui marchaient froidement dessus sans leur donner un seul regard. Un des bourreaux imagina de dire à un père que, s’il n’abjurait pas à l’instant même, il couperait la gorge à ses deux fils sur sa propre poitrine. C’étaient deux jeunes garçons, dont l’aîné avait quatorze ans, et qui, rouges de leur propre sang, les chairs calcinées, écoutaient froidement le dialogue ; le père répondit en se couchant par terre, et l’aîné des enfants, réclamant avec exaltation son droit d’aînesse, demanda à être sacrifié le premier. Enfin, on acheva d’égorger ces martyrs, et la nuit tomba sur un amas de chairs informes ; une foule de têtes étaient attachées par groupes aux poteaux de justice, et les chiens accouraient des faubourgs par troupes pour se repaître de ces débris sanglants.

« Cette journée, continue M. de Gobineau, donna au babysme plus de partisans secrets que bien des prédications n’auraient pu faire. Dès lors, il est vrai, la nouvelle doctrine cessa d’exister au grand jour, et prit les allures bien plus menaçantes d’une société secrète, qui aujourd’hui embrasse la Perse entière. Les partisans du babysme sont actuellement innombrables et se recrutent dans tous les rangs de la société ; c’est un danger positif pour le gouvernement contemporain, un danger impossible à conjurer, et qui peut se traduire d’un jour à l’autre par quelque explosion terrible, capable de changer singulièrement les destinées de l’Asie centrale et de venir compliquer d’une façon inattendue la situation respective de la Russie et de l’Angleterre, déjà en présence de ce côté. C’est pour cette raison que nous avons cru devoir attirer l’attention de nos lecteurs sur cette grave question, dont l’importance politique n’échappera à personne. Ajoutons que le babysme a envahi la province de Bagdad et pénétré même dans l’Inde musulmane. »

II. — Exposition de la doctrine babyste. La doctrine babyste est contenue dans des livres prohibés qui circulent de main en main d’un bout à l’autre de la Perse, et principalement dans un livre arabe, composé en 1848 par le Bab et qui a pour titre Biyan (L’exposition). Le dieu du babysme est unique et éternel comme celui des musulmans ; mais ce monothéisme, semblable en apparence et par la formule à celui de l’Islam, en est au fond et par l’esprit très-différent. Entre les deux conceptions de l’unité divine, il y a la distance qui sépare la psychologie religieuse des races aryennes de celle des races sémitiques. Pour l’unitarisme sémitique (judaïsme, mahométisme), Dieu est une personne dans toute l’énergie de ce mot ; il a l’unité absolue, exclusive, indivisible de l’individualité personnelle ; rien ne sort de cette unité parfaitement simple et inféconde, rien n’y rentre et ne s’y absorbe ; elle est renfermée en elle-même, absolument et à jamais séparée du monde, qui est une manifestation arbitraire et tout extérieure de sa puissance, et non un produit, une extension de sa vie. Pour le babysme, Dieu est un en ce sens qu’il n’y a pas deux puissances divines étrangères l’une à l’autre ; cette unité est substantielle et compréhensive ; elle tend essentiellement à sortir d’elle-même, à se répandre, à se communiquer, à produire. Créer, pour le dieu sémitique, c’est faire acte de souveraineté et de bon plaisir ; pour le dieu babyste, c’est vivre et donner la vie : le premier crée parce qu’il veut ; le second parce qu’on ne peut le concevoir autrement que vivant et agissant. « Dieu, dit le Bab est l’unité primitive, d’où émane l’unité supputée » ; en d’autres termes, Dieu est l’unité qui échappe à la détermination numérique, qui n’est pas limitée par d’autres unités, qui ne fait pas partie d’une totalité ; il peut répandre la vie sans éprouver ni diminution ni fractionnement ; émanées de lui, les individualités créées sont, au contraire, des unités supputées, c’est-à-dire soumises à la loi de quantité et dont la vie s’épuise en se communiquant. Cette distinction entre le créateur et la créature ne constitue pas une séparation complète, définitive ; il n’y a rien ; à vrai dire, en dehors de Dieu qui, dans le Biyan, s’écrie lui-même : « En vérité, ô ma créature, tu es moi. » Au jour du jugement dernier, toutes les créatures se réuniront à Dieu, se réabsorberont dans l’unité dont elles viennent, et toutes les choses seront anéanties, moins la nature divine. On voit que nous avons affaire à une religion panthéiste. « Le dieu des babys, dit M. de Gobineau, n’est pas un dieu nouveau, c’est celui de la philosophie chaldéenne, de l’alexandrinisme, d’une grande partie des théories gnostiques, des livres magiques, en un mot de la science orientale de toutes les époques. Ce n’est pas celui que confesse le Pentateuque, mais c’est bien celui de la Gemara et du Talmud ; ce n’est pas celui que l’Islam a cherché à définir d’après ce que Moïse et Jésus lui en avaient pu apprendre ; mais c’est très-bien celui de tous les philosophes, de tous les critiques, de tous les habiles gens qu’il a nourris dans ses écoles. En un mot, soufys, guèbres sémitisés, c’est-à-dire tous les guèbres depuis les Sassanides, et avant eux l’Orient tout entier, ont confessé et cherché ce dieu-là, depuis que la science a commencé dans ces contrées. Pendant des séries de siècles, l’Orient l’a honoré à sa manière, et après la longue interruption amenée par la domination chrétienne et musulmane, interruption qui n’a rien fait oublier, le Bab n’a fait autre chose que de le tirer de son obscurité, de le reprendre, de le restaurer. »

Passons à la théorie babyste de la création. Pour créer, le dieu des babys se sert de sept lettres sacrées représentant sept attributs, sept vertus divines : la force, la puissance, la volonté, l’action, la condescendance, la gloire et la révélation. Dieu en possède encore une infinité d’autres, mais ce sont les seules qui aient été mises en exercice dans la création de l’univers actuel. La double représentation des sept vertus divines, parole et écriture, nous donne la double création de l’esprit et de la matière ; comme paroles, elles sont la source des choses purement intellectuelles ; comme lettres, c’est-à-dire comme apportant toutes les combinaisons des lignes, elles sont la source de toutes les formes visibles sans lesquelles la matière n’existe pas. Voilà donc un premier nombre sacré, le nombre 7 : il y en a un bien plus important aux yeux des babys, le nombre 19. En effet, au-dessus des expressions créatrices, il faut placer le mot hyy (vivant), la vie étant à la fois la source et le produit des sept énergies. Or, la valeur numérique de la lettre h est 8 et celle de y est 10, ce qui fait 18 ; en y ajoutant 1, valeur de la lettre a’ pour la forme ahyy (celui qui donne la vie), on a 19. Le Bab en conclut que 19 est l’expression numérique de Dieu lui-même. Il n’est pas possible d’en douter, si l’on considère que le mot wahed employé par le Coran pour indiquer l’unique, c’est-à-dire Dieu, et qui est une des dénominations les plus élevées dont puissent se servir les musulmans pour désigner le souverain des mondes, a, lui aussi, pour valeur numérique 19 (w = 6, a = 1, h = 8, d = 4) ; il est donc évident que le nombre 19 signifie l’unique qui donne la vie, c’est-à-dire Dieu unique et créateur ; et, par conséquent, ce nombre renferme les sept lettres qui servent de moyen pour la production du monde. Ce mouvement curieux de l’esprit oriental qui passe de la puissance à la parole, expression de la puissance, de la parole à la lettre, image de la parole, de la lettre au nombre, valeur de la lettre, et qui établit entre ces quatre choses un rapport mystique et superstitieux d’équivalence, nous reporte en pleine Chaldée ; nous touchons le principe d’une fausse science, bien plus funeste par ses conséquences à l’établissement de la véritable que les mythologies les plus intempérantes. Ajoutons que nous voyons s’unir, dans la doctrine babyste de la création, deux idées parties certainement de points différents, sinon opposés, l’idée d’émanation et celle de la puissance magique de la parole créatrice.

Toute religion a sa théorie du mal. Quelle est celle du babysme ? Elle découle logiquement du panthéisme, de la doctrine de l’émanation. Le mal, selon les babys, n’est que le résultat du fait même de la création, l’imperfection inhérente à la séparation temporaire de la créature d’avec l’essence divine ; ce n’est ni un principe essentiel d’une portion de la nature> ni un produit du libre arbitre et de la solidarité humaine ; pas d’autre chute que ce que les Allemands appellent la chute de l’absolu. Le mal n’étant ni le dénouement d’une épreuve imposée à l’humanité, ni la conséquence d’un dualisme essentiel et éternel, l’expiation et le sacrifice, la réprobation de la matière et l’ascétisme spiritualiste, n’ont pas de raison d’être. L’homme, à quelque distance qu’il soit du créateur, doit être tenu pour naturellement bon ; et cet attribut de sa nature, il le manifeste par cela même qu’il a le sentiment de son origine et aspire à y retourner. De son côté, Dieu tend à ramener à lui les parties de lui-même qu’il en a momentanément écartées ; de là des rapports ininterrompus entre le créateur et la créature, un courant sympathique qui va de l’un à l’autre ; de là, la révélation, la prophétie.

On voit que la théorie du mal nous conduit à celle des rapports de Dieu avec l’homme, à celle de la religion proprement dite. La nature, éloignée de Dieu, ignorante et oublieuse de l’unité primitive, appelle à son secours la science divine ; Dieu lui dispense cette science avec les précautions qu’exige sa faiblesse. Il ramène l’homme, il le tire à lui, en quelque sorte, au moyen d’une chaîne et par une suite de secousses ménagées ; la chaîne, c’est la série des prophètes ; les secousses, ce sont les révélations que les prophètes apportent. Que peut