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rait contracter avec lui, et que, loin de se rendre à l’invitation du monarque français, le roi des Wisigoths prit, au contraire, les ambassadeurs par la barbe et la leur tira tant et si bien que ceux-ci revinrent, tout penauds du mauvais succès de leur mission, se plaindre à Clovis de l’insulte qu’ils avaient reçue, insulte odieuse qui ne pouvait se réparer que par l’effusion du sang ; le roi, indigné de cette violence, convoqua ses barons, et tous jurèrent, par leur barbe, de venger l’affront fait aux ambassadeurs, en châtiant les Wisigoths d’une manière exemplaire : on sait qu’ils tinrent parole.

Vers le commencement du VIe siècle, une nouvelle manière de porter la barbe fut introduite à la cour de France ; celle du menton fut taillée en pointe, et les favoris encadrèrent le visage. Cela dura jusqu’au VIIIe siècle, et cette barbe pointue prit une telle importance dans les ornements de l’homme, qu’on vit bientôt des enthousiastes friser leur barbe, la parfumer, et entremêler à ses poils des tresses d’or et des perles. Ce luxe singulier fut le caprice d’un moment, et l’on on revint à la barbe naturelle, qui resta longtemps l’ornement indispensable de tous les visages chez les hommes libres, à moins qu’ils ne voulussent embrasser l’état ecclésiastique, auquel cas l’évêque avait le droit de les faire raser, afin de se conformer aux prescriptions de la cour de Rome, qui ordonnait que les prêtres fussent tonsurés et rasés, contrairement au patriarche de Constantinople, chef du clergé grec, qui voulait qu’à l’imitation des successeurs de saint Pierre, les prêtres portassent la barbe. Une lutte bien longue et fertile en incidents, où le comique se mêle aux plus graves questions théologiques, s’éleva à propos de cette divergence entre l’Église grecque et l’Église romaine, et elle dura jusqu’au XVIe siècle. On vit des Pères de l’Église défendre avec chaleur et véhémence la majesté de la barbe, dit l’auteur de l’Hygiène vestimentaire, et le concile de Carthage déclarer indignes ceux de ses adhérents qui oseraient la couper. Saint Clément d’Alexandrie, saint Cyprien, saint Chrysostome, saint Épiphane, saint Jérôme, Saint Ambroise et le savant Sidonius, évêque de Clermont, parlèrent en faveur de la barbe. Cette vénération pour la barbe dura, dit Brunon, jusqu’au pontificat de Léon IX, qui lança plusieurs décrets pour la proscrire. Vint ensuite le pape Grégoire VII, ce terrible persécuteur des têtes couronnées, qui se déclara l’ennemi le plus acharné des mentons barbus, et leur fit une guerre à outrance. Les foudres de l’Église atteignirent aussi les moustaches, et les récalcitrants furent réduits à les porter très-minces. Pierre Benoît, évêque de Saint-Malo, eut beaucoup de peine à vaincre l’obstination des ecclésiastiques de son diocèse ; il fut obligé, en 1370, par des statuts synodaux, de proscrire la moustache et la touffe du menton. Insensiblement, le clergé français s’habitua à se raser entièrement le visage, et l’on put admirer librement les mentons à triple étage de ses chanoines dodus et de ses moines béats.

Un écrivain du VIIe siècle, parlant de la corruption des prêtres, se plaignait de ce qu’on ne pouvait plus les distinguer d’avec les laïques que par leur manque de barbe au menton. Cependant, peu à peu les laïques se rapprochèrent, à leur tour, du clergé et prirent l’habitude de se raser, en conservant toutefois les moustaches, auxquelles on joignait quelquefois encore une touffe de barbe en pointe. Dès lors, toute la vénération qu’on avait eue si longtemps pour la barbe se reporta sur les moustaches, comme le prouve la lettre suivante, adressée par le fameux Jean de Castro aux magistrats de la ville de Goa : « Seigneurs magistrats, juges et peuple de la très-noble et toujours royale ville de Goa, je vous ai écrit ces jours passés, par Simon Alvarez, les nouvelles de la victoire que Notre-Seigneur m’a accordée sur les capitaines du roi de Cambaye ; je ne vous ai rien dit des peines et des grands besoins dans lesquels je me trouvais, maintenant il est nécessaire de ne vous rien dissimuler. La forteresse de Dieu est renversée de fond en comble, il faut la rebâtir, sans qu’on puisse profiter d’un seul pan de mur. De plus, les lansquenets se mutinent pour avoir leur paye. Je vous demande donc que vous vouliez bien me prêter 20,000 pardaos. Je vous promets comme chevalier, et je vous jure sur les saints Évangiles, de vous les rendre avant un an, lors même qu’il me surviendrait de nouvelles peines et des besoins plus grands encore que ceux qui m’assiègent aujourd’hui. J’ai fait déterrer don Fernand, mon fils, que les Maures ont tué dans cette forteresse, où il combattait pour le service de Dieu et du roi notre maître. Je voulais vous envoyer ses ossements pour gage ; mais ils se sont trouvés dans un tel état, qu’on ne pouvait encore les tirer de terre. Il ne me restait donc que mes propres moustaches, et je vous les envoie par Diego Rodriguez de Azevedo. » Et, ainsi qu’il l’écrivait, l’honnête Jean de Castro coupa et envoya, non-seulement ses moustaches, mais sa barbe tout entière, ainsi que le fait savoir un rapport par M. le baron E. de Septenville, dans son livre Découvertes et Conquêtes du Portugal.

Les espions qui furent envoyés par Harold pour lui rendre compte des forces et de la situation de Guillaume le Conquérant, revinrent à lui en disant qu’il semblait que l’armée de son ennemi ne fût composée que de prêtres, car ses soldats ne portaient pas un poil au menton ; et l’un des traits de tyrannie qui furent le plus reprochés au duc de Normandie, c’est l’ordre qu’il donna aux vaincus de se raser entièrement la barbe et même la lèvre supérieure. Dans les plus hautes classes de la société anglaise du moyen âge, la barbe fut généralement conservée pendant plusieurs siècles comme le prouvent les sépulcres des rois et des nobles, sur lesquels on avait sculpté l’image du défunt.

Aussi fut-ce une grande punition pour Henri Ier, roi d’Angleterre, de se livrer à un barbier par l’ordre de Serlo, archevêque de Sens ; c’est Orderic Vital qui rapporte le fait. Pareille chose arriva au roi de France Louis le Jeune, pour avoir fait brûler trois cents bourgeois de Vitry dans une église, et l’on trouva la pénitence sévère. Cependant le triomphe de la barbe, en France, remonte à l’époque de la Renaissance, où l’exemple des grands et nobles artistes de cette époque, qui professèrent une sorte de culte pour cet ornement du visage humain, fut suivi des grands seigneurs et des souverains de leur temps.

Mais reprenons l’ordre chronologique dont cette digression nous a un peu éloigné et parlons des longues barbes qui ont donné leur nom aux Lombards. Eginhard, le secrétaire de Charlemagne, nous apprend ce que nous savions déjà, que les rois de France de la race mérovingienne avaient le plus grand soin de leur barbe, et qu’ils la portaient fort longue ; à l’avènement de Charlemagne, la barbe diminua de volume, elle fut supprimée au menton, et Charles le Chauve, qui avait de bonnes raisons pour imposer à ses sujets la mode des cheveux courts, remit en vogue les longues moustaches qui furent portées à la chinoise. Mais on sentit bientôt l’incommodité de cette mode, et les moustaches, perdant leurs bouts pendants, se retroussèrent en pointe de chaque côté de la lèvre. Charles le Simple coupa ses moustaches et reprit la barbe au menton. Pendant les Xe et XIe siècles, la barbe continua à orner les visages masculins. Sous Louis le Gros les moustaches tentèrent de reparaître, mais ce ne fut qu’une innovation de courte durée, et la barbe longue prévalut. Louis VII aussi la portait longue d’abord, et qui eût prédit que le jour où il la coupa, il léguait à la France trois cents ans de guerre, dans lesquelles devaient périr six millions d’hommes ? Le fait est pourtant exact.

Louis VII venait de prendre pour épouse Éléonore de Guyenne, qui lui apportait en dot trois des plus belles et des plus riches provinces de France. Malheureusement la nature n’avait pas été prodigue de ses dons envers le roi Louis, qui passait pour être impuissant. Aussi, loin de rechercher la société de la belle princesse qu’il avait épousée, il la fuyait, et la jeune reine, toute chagrine, supportait cependant assez patiemment cet abandon, lorsque le roi, cédant aux obsessions de l’archevêque qui avait une grande influence sur son esprit, s’avisa de raser sa barbe et de couper ses cheveux. Lorsqu’il se présenta en cet état devant sa femme, elle lui déclara tout net que, si jusqu’alors elle avait consenti à supporter sans se plaindre l’humiliant dédain de son époux, elle ne pouvait continuer à vivre avec un homme n’ayant pas de barbe au menton. Le roi prétendit qu’il ne seyait pas à sa femme de plaisanter sur d’aussi graves matières ; bref, la querelle s’envenima et Éléonore de Guyenne divorça en 1152 ; six semaines après, elle portait au duc de Normandie, qui devint roi d’Angleterre, la Gascogne, le Poitou et la Saintonge en dot, ce qui amena les journées de Crécy, de Poitiers, d’Azincourt, etc.

Pendant près de deux siècles, il fut de bon goût de raser son menton, mais, vers 1340, quelques seigneurs de la cour se montrèrent devant le monarque, avec toute leur barbe, Philippe de Valois les laissa faire ; mais la mode nouvelle dura peu, et les barbiers eurent à raser la cour, la ville et la prêtrise jusqu’au moment où, grâce à l’initiative de quelques papes guerriers, qui jugèrent convenable de laisser croître leur barbe, un mouvement réactionnaire se produisit, et l’Église, à la tête de laquelle se trouvait Jules II, arbora le règne de la barbe. Ce fut à qui, parmi la gent porte-soutane, aurait le menton le mieux garni. Toutefois la cour tenait bon, et lorsque François Ier monta sur le trône de France, le menton du monarque était soigneusement rasé. Ce fut une aventure fâcheuse pour lui, qui l’obligea à faire revenir la mode des longues barbes. La cour était à Romorantin ; François Ier festinait joyeusement, en compagnie de Cossé, de Tavannes, de Brissac, de Montluc et d’autres bons vivants, lorsqu’à la suite du repas, alors que les têtes étaient échauffées par le vin d’Orléans, le roi proposa à ses convives d’aller assiéger à coups de boules de neige son capitaine des gardes, le comte de Montgommery, qui traitait dans son hôtel de la rue de la Pierre. La proposition fut accueillie avec empressement, et bientôt, le roi, donnant l’exemple, fit voler en éclats les vitres de l’hôtel Montgommery. Brusquement interrompu dans ses plaisirs par cette attaque inattendue, Montgommery, qui supposait avoir affaire à des pages avinés, saisit un tison enflammé dans la cheminée, et le lança au hasard sur les trouble-fêtes. Malheureusement ce fut le roi qui reçut le projectile en plein visage, et il en résulta à la lèvre royale une cicatrice que la barbe seule pouvait dissimuler. À partir de ce jour, la barbe longue eut droit de cité partout, et les moustaches se relevèrent gracieusement de chaque côté de la bouche. Mais il arriva qu’un jour François Ier eut besoin d’argent, et il obtint du pape un bref qui l’autorisait à lever un impôt sur la barbe des prêtres, ce qui causa une certaine rivalité entre le clergé riche, qui avait le moyen de porter la barbe, et le clergé pauvre obligé de s’en priver. En 1553, un édit spécial défendit aux membres du barreau de plaider avec la barbe, et, en 1561, une décision de la Sorbonne en priva définitivement les clercs. Les prêtres perdirent donc le droit de la porter. Après une lutte de plusieurs siècles, après des discussions sans nombre, des décrétales, des bulles, des canons, des fulminations, des anathèmes, la barbe fut à jamais interdite au clergé romain, et tous les prêtres se virent condamnés à être rasés et tondus.

Henri III se rasait les joues et ne portait que les moustaches et la mouche ; tous les seigneurs l’imitèrent, pour reprendre bientôt la barbe sous le règne du Béarnais, qui lui assigna une forme carrée ; mais ce revirement ne fut que momentané et limité à la France. En Angleterre, la barbe fut abolie sous Charles Ier.

Sous Louis XIII, la barbe du menton fut rasée, à l’exception d’un petit bouquet de poils qu’on appela une royale, et la moustache élégamment relevée fut à l’ordre du jour. Seul, le duc de Sully s’obstinait à conserver sa barbe, ce qui lui attira de nombreux quolibets de la part des courtisans. Aussi, perdant patience, dit-il un jour au roi en leur présence : « Sire, quand votre père de glorieuse mémoire me faisait l’honneur de me consulter sur quelque affaire importante, la première chose qu’il faisait, c’était de chasser tous les bouffons et tous les sauteurs de la cour. »

Sous Louis XIV, la royale fut réduite à sa plus simple expression : une mouche, et c’était tout. Au règne suivant, à l’époque où la poudre était dans toute sa splendeur, on essaya de poudrer la barbe, mais cette mode, que les vieux protégeaient, ne put s’implanter par la raison toute simple que la poudre refusait absolument d’adhérer à la barbe, sans cesse en contact avec les corps étrangers, et on s’accoutuma à voir par exception, les officiers, les gardes françaises, conserver leurs moustaches brunes ou blondes, contrastant avec la blancheur immaculée de leur perruque poudrée. Mais tout le reste de la nation avait le visage glabre, et le rasoir continua à fonctionner universellement pendant le règne de Louis XVI et sous la République. L’Empire lui-même ne toléra la moustache que sur le visage des soldats d’élite, et un pékin eût été fort mal avisé de surmonter sa lèvre du moindre poil ; c’était un privilège réservé aux vainqueurs d’Austerlitz ou de Marengo. La Restauration respecta ce principe, et la moustache ne fut permise qu’aux militaires ; quant à la barbe elle était l’apanage exclusif des sapeurs. Ce ne fut qu’après la révolution de 1830, et surtout à dater de l’institution de la garde nationale, que tous les Français purent se donner le plaisir de porter la moustache, la royale, l’impériale, la mouche. Seuls, les prêtres, à l’exception des membres de quelques ordres monastiques ; les avocats, les notaires, les comédiens et les gens de service, continuent à ne point porter de barbe, et bien que le gouvernement ait eu le bon esprit de donner à chacun la liberté de se laisser pousser du poil sur la figure, si bon lui semble, en général, les fonctionnaires ont le visage glabre, et un reste de vieux préjugé fait que, dans le monde, on est encore porté à considérer comme un libre penseur, tout au moins comme un artiste, tout homme qui porte la barbe longue, et il est de tradition, au théâtre et dans les romans, qu’il n’y a que les guichetiers, les chefs de brigands et les démocrates qui portent une barbe qui leur descend jusque sur la poitrine.

Qui de nous ne se rappelle pas avec une douce émotion le plaisir ineffable que nous avons éprouvé lorsque nous avons gravement procédé à cette opération si délicate qu’on appelle la première barbe ! innocent subterfuge que l’adolescent emploie pour se prouver à lui-même qu’il peut être désormais classé parmi les hommes : il a de la barbe.'

On connaît cette plaisanterie d’un perruquier à l’égard d’un lycéen : celui-ci, heureux de voir ou de croire qu’il voyait poindre sur son menton un duvet accusateur de son sexe, s’en va fièrement chez le frater pour se faire raser. Le rusé Figaro l’invite à s’asseoir, lui. met au cou une serviette d’une éclatante blancheur et lui enduit le visage d’une mousse odorante qui fait tressaillir d’aise le jeune homme ; cependant, après cette opération du savonnage, le coiffeur vaque à ses affaires et semble ne plus songer à son client.

— Eh bien, fait celui-ci impatienté, qu’attendez-vous donc pour me raser ?

— J’attends que la barbe pousse !

Le trait était sanglant, et si le lycéen non barbiste n’avait pas été en présence d’un adversaire aussi bien avisé, l’affaire aurait eu des suites.

Voici, en peu de mots, quelle est aujourd’hui la distribution géographique de la barbe, envisagée comme ornement du visage. En Europe, portent principalement la barbe : les Turcs, les paysans russes, les popes ou prêtres du rite grec, les juifs allemands, polonais et italiens ; en Asie, les populations mahométanes et les Thibétains ; en Afrique, les populations mahométanes et barbares et les juifs maures ; et, dans les autres parties du monde, tous les peuples sauvages à qui la nature n’a pas refusé cet appendice filiforme. Les barbes noires appartiennent aux indigènes des nations du Midi et de l’Orient ; les barbes blondes se rencontrent plus particulièrement dans le Nord et l’Occident ; mais souvent la nature se plaît à produire de nombreuses exceptions, quand, toutefois, ce n’est pas l’art ou l’industrie qui métamorphose en un noir de jais la nuance rousse de la barbe d’un Alsacien, ou les reflets argentins de celle d’un vieux beau, qui ne peut se décider à laisser voir son âge sur sa physionomie.

Les Persans, qui ont le culte de la barbe, la teignent, non « pour réparer des ans l’irréparable outrage, » mais pour obéir à un usage général ; ils se servent pour cela d’une poudre très-fine provenant de la feuille de l’indigo séchée et pulvérisée, qu’ils laissent infuser dans l’eau jusqu’à ce qu’elle prenne la consistance d’une pâte liquide.

En France, les cosmétiques, les pommades et les eaux pour teindre la barbe forment une branche de commerce très-lucrative, et toutes ces préparations vantées par des prospectus pompeux, sont réputées infaillibles, ce qui n’empêche pas chaque nouvel inventeur de prétendre que lui seul possède le secret de la merveilleuse composition qui doit teindre à la minute la barbe en toute couleur, au choix du consommateur.

Par exception aux lois naturelles de la création, certaines femmes sont pourvues de l’appendice facial réservé au sexe fort. En 1655, on voyait à Augsbourg une femme de vingt-deux ans, possesseur d’une barbe qui descendait jusqu’à la ceinture. De nos jours, il n’est guère de fête champêtre qui ne puisse offrir aux curieux le spectacle d’une femme à barbe ; celle qui se montra à Paris, en 1774, est restée jusqu’ici la reine des femmes barbues : cette femme phénoménale possédait une barbe à faire le désespoir d’un vieux sapeur, et en outre elle avait tout le visage couvert de poils si épais qu’on la nommait la tête d’ours.

Il y en avait une à la dernière foire de Saint-Cloud, qui avait une barbe longue d’environ vingt centimètres : elle inspira à un chansonnier une chanson bouffonne qui fit, pendant l’hiver de 1865, les délices des admirateurs de la fameuse Thérésa ; ils se souviendront longtemps des applaudissements frénétiques qu’elle obtint en chantant la Femme à barbe.

Le 27 octobre 1838, alors que nous n’avions pas encore de barbe, nous lisions dans un feuilleton du journal la Presse un très-spirirituel article sur le sujet qui nous occupe ici. Nous allons donner en entier cette charmante Pogonologie qui a pour auteur un très-spirituel auteur, le savant et très-grave M. Quitard, que le Grand Dictionnaire cite toujours avec plaisir. Cette délicieuse fantaisie ne fait nullement double emploi avec les détails qui précèdent ; s’il en eût été autrement, c’est notre article que nous aurions supprimé. D’ailleurs un dictionnaire est un livre de recherches, partant de renseignements, et quand on veut que le lecteur trouve tout, il ne faut pas craindre de s’exposer à quelques redites. Mieux vaut lire trois fois la même chose dans une encyclopédie universelle que de ne point l’y trouver du tout.

« Plusieurs savants, qui ont écrit do beaux et bons traités sur la barbe, en font remonter l’origine au sixième jour de la création. Ce ne fut point l’homme enfant que Dieu voulut faire. Adam, en sortant de ses mains, eut une grande barbe suspendue au menton, et il lui fut expressément recommandé, ainsi qu’à toute sa descendance masculine, de conserver avec soin ce glorieux attribut de la virilité, par ce précepte transmis de patriarche en patriarche et consigné depuis dans le Lévitique : Non radetis barbam. Il est même à remarquer que ce fut le seul des commandements divins que les hommes ne transgressèrent point avant le déluge ; car dans l’énumération des crimes qui amenèrent ce grand cataclysme, il n’est pas question qu’ils se soient jamais fait raser. Quoi qu’il en soit, Noé et ses fils étaient prodigieusement barbus lorsqu’ils sortirent de l’arche, et les peuples qui naquirent d’eux mirent longtemps leur gloire à leur ressembler. Les Assyriens renoncèrent les premiers à cette noble coutume ; mais qu’on ne s’imagine point que ce fut de gaieté de cœur : leur reine Sémiramis les y força. Il entrait dans sa politique, disent quelques historiens, de se déguiser en homme, afin de passer pour un homme aux yeux de ses sujets peu disposés à obéir à une femme ; et comme son déguisement pouvait être aisément trahi par l’absence de la barbe, car on n’en avait point encore inventé de postiche, elle voulut effacer cette marque caractéristique qui empêchait de confondre les mentons des deux sexes, et elle fit tomber, en un jour, sous le fer de la tyrannie toutes les barbes de ses États.

« C’est ainsi que s’opéra, par la volonté d’une reine ambitieuse, cette étrange révolution qui