Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 2, part. 1, B-Bd.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Forbin, qui le jugeait en rival et en homme de cour, il était très-timide, parlait peu et dans un français mélangé de nombreuses locutions flamandes. Il est vraisemblable, en effet, que lui, qui n’avait point quitté la mer, devait se trouver plus à l’aise à son bord que dans les salons de Versailles, sous les yeux de mille courtisans. Mais comment supposer que cet homme, un peu gauche et timide, et qui, d’ailleurs, était rompu à la sévère discipline militaire, au respect de la hiérarchie, qui avait servi sous Ruyter et Tourville, qui s’était souvent trouvé en contact avec des hommes de la haute société, avec des fonctionnaires aux mœurs élégantes et polies, qui était allié par son second mariage aux premières familles de Dunkerque ; comment supposer qu’un tel homme ait jamais eu ou ait conservé les formes d’une manière de goujat de taverne, qu’il ait fumé au nez d’un roi comme Louis XIV, donné des coups de poing aux grands officiers de la couronne, et commis toutes les excentricités que l’on connaît et dont la moindre l’eût certainement conduit à la Bastille ? Ces anecdotes ont en elles-mêmes un caractère antihistorique qui suffirait déjà à les faire rejeter. En outre, répétons-le, elles ne sont attestées par aucun des contemporains, et on n’en trouve les premières traces imprimées que près de quatre-vingts ans après la mort du héros dunkerquois. M. Vanderest, de Dunkerque, les a réfutées en détail dans son Histoire de Jean Bart, ouvrage un peu prolixe, mais plein de recherches sérieuses, composé sur des pièces authentiques, et qui a été adopté, en 1841, pour les écoles de la marine.

On a répété aussi, sur la foi de Forbin, que Jean Bart ne savait ni lire ni écrire, qu’il avait seulement appris à griffonner son nom. Eug. Sue prétend que sa signature est informe, illisible, évidemment tracée de routine et à grand’peine. Sans doute, il est probable que son instruction première ne fut pas fort étendue, puisque, dès l’âge de douze ans, on le voit presque constamment en mer. Mais comment admettre qu’un capitaine aussi expérimenté, qui a commandé en chef, qui a conduit des flottes, et qui, nécessairement, avait les connaissances mathématiques et nautiques requises pour cela, comment admettre qu’il fût resté dans une ignorance aussi complète ? Il n’est personne qui ne sache que la marine exige un ensemble de connaissances positives qu’aucune routine ne peut remplacer. Quoi ! un chef d’escadre capable de diriger une flotte à travers les mers, d’exécuter les calculs journaliers de sa marche, d’aborder sûrement à un rivage fixé d’avance ; un homme possédant forcément des notions précises d’astronomie, de mathématiques, de géographie, etc., et qui avait sous ses ordres des officiers nobles du premier mérite, un tel homme n’aurait pas su lire ! Une pareille supposition est tellement absurde, qu’il ne semble pas nécessaire de la réfuter. On possède, aux archives de la Marine, plusieurs lettres ou dépêches de Jean Bart ; ces pièces sont simplement signées de lui, comme la plupart des dépêches des généraux, ambassadeurs ou autres personnages accablés d’affaires nombreuses ; mais ces signatures, bien loin d’être informes, évidemment tracées de routine, sont, au contraire, très-lisibles, écrites avec précision et fermeté, et ayant une forme trop caractérisée pour qu’il soit raisonnable de supposer que celui qui les a tracées ne savait pas écrire. La même fermeté calligraphique se remarque encore dans les autres signatures de l’illustre marin qu’on a pu observer sur divers registres officiels de Dunkerque et à d’autres endroits. Il est donc à peu près certain, et c’est ici l’opinion d’hommes fort compétents, que la prétendue ignorance absolue de Jean Bart doit être mise au rang des fables. En outre, il est positif qu’il parlait plusieurs langues, et notamment l’anglais.

En 1693, Louis XIV, voulant réparer le désastre naval de la Hogue, donna à Tourville le commandement d’une nouvelle flotte, dont Jean Bart faisait partie avec le commandement du vaisseau le Glorieux. Il prit part à la brillante journée de Lagos et détruisit, pour son compte, 6 bâtiments ennemis de 24 à 50 canons. Il reçut ensuite l’ordre de se rendre à Dunkerque pour prendre le commandement de 6 frégates, afin d’aller chercher à Vlecker 100 navires chargés de blé. Il remplit heureusement sa mission et amena la flotte à Dunkerque, après un terrible combat contre les escadres anglaises et hollandaises qui lui fermaient la mer et qui déjà s’étaient emparées de la flotte. Cette expédition mémorable, dont le souvenir fut conservé par une médaille, rendit un grand service à la France, car le blé était alors fort rare et d’une cherté inouïe. Il tomba de 30 livres à 3 livres le boisseau.

Dans la même année, il prit encore 3 frégates anglaises et des transports chargés de munitions. En octobre 1694, Louis XIV accorda à Jean Bart des lettres de noblesse, la croix de Saint-Louis et le droit de porter une fleur de lis d’or dans ses armoiries.

C’est vers cette époque qu’il faillit, dit-on, prendre en mer le roi Guillaume d’Orange, qui retournait de Hollande en Angleterre. Ce fait est attesté par la Gazette de la Haye du 18 novembre 1694. On comprend aisément quelles eussent été les conséquences d’une telle capture, qui, probablement, aurait ramené Jacques II sur le trône d’Angleterre et peut-être mis fin à la guerre.

En 1696, l’expédition d’Angleterre rêvée par Louis XIV ayant avorté, Jean Bart reçut l’ordre d’aller croiser avec son escadre dans la mer du Nord. Bloqué dans la rade de Dunkerque par 14 vaisseaux anglo-bataves, il n’en traversa pas moins cette flotte avec 9 vaisseaux et 6 frégates, rencontra au nord du Texel la flotte marchande hollandaise de la Baltique escortée par 6 frégates dont il s’empara après un combat fort vif ; 40 vaisseaux marchands environ tombèrent également en son pouvoir. Mais bientôt, une flotte de 13 vaisseaux de guerre ennemis arrivant à pleines voiles, il brûla ses prises à la vue de l’ennemi, et, quand elles furent entièrement consumées, se retira lentement en ordre de combat sans qu’on osât l’attaquer. La hardiesse et l’habileté de ses manœuvres en cette occasion ont été justement admirées. Cette retraite de lion devant des forces plus que doubles répond suffisamment à ceux qui ont dit, après Forbin, que le vaillant corsaire n’était propre qu’aux coups d’audace, aux actions hardies, et qu’il n’entendait rien aux grandes opérations navales. On peut rappeler encore que c’est avec des escadres qu’il accomplit ses actions les plus glorieuses et qu’il montra souvent autant de prudente habileté dans la combinaison de ses plans que d’héroïsme aventureux dans leur exécution. Il ne sera pas sans intérêt de reproduire à ce sujet les réflexions suivantes du comte de Circourt : « Ce n’est plus ici l’ignorant capitaine de corsaire que M. de Forbin a prétendu et d’autres après lui ; c’est au contraire un sage, prudent et très-judicieux chef d’escadre. Il faut lire ses dépêches, ainsi que celles de M. Vergier, commissaire général de l’escadre, pour comprendre le calme, la maturité, la ténacité de ses résolutions, la foudroyante énergie de son exécution et l’entraînement qu’il exerçait sur des hommes tels que M. de Saint-Pol de Renneville, la Pinaudière, d’Oroignes et autres gens de naissance, de capacité et de coup d’œil, capables de critique, et qui auraient dû être portés à en faire si Jean Bart, homme de la bourgeoisie, n’avait pas été un marin d’un talent supérieur en même temps que d’une bravoure éclatante. » (Cité dans l’ouvrage de M. Vanderest.)

Jean Bart termina cette brillante campagne en passant au travers de 33 vaisseaux qui lui barraient la route des ports de France. Louis XIV le récompensa de ses nouveaux services par le grade de chef d’escadre. On raconte à ce sujet que ce fut le roi lui-même qui lui annonça sa nomination par ces mots : « Jean Bart, je vous ai fait chef d’escadre ; » et que l’intrépide marin aurait répondu : « Sire, vous avez bien fait. » Si cette réponse est exacte, on doit la considérer comme la parole d’un homme qui a la conscience de sa force et des nouveaux services qu’il pourra rendre ; peut-être aussi comme une revanche du mot que le roi lui avait dit l’année précédente, qui avait été moins féconde en prises et en succès : « Jean Bart, vous avez été moins heureux cette campagne que les précédentes. » Reproche cruellement injuste, adressé à un tel homme, et qui peint bien les exigences aveugles et insatiables de la puissance absolue. Jean Bart, malgré sa modestie, en avait été intérieurement choqué, car il le rappela dans la dépêche où il annonçait au comte de Toulouse, amiral de France, ses succès de la campagne de 1696.

L’année suivante, il fut chargé de conduire à Dantzig le prince de Conti, qui allait tenter de se mettre en possession de la couronne de Pologne. Il fallait passer sur une mer couverte d’ennemis ; seul, il fut jugé capable de remplir cette mission périlleuse et presque impossible. Il mit à la voile le 6 septembre. Vers l’embouchure de la Meuse, il rencontra 9 gros vaisseaux, auxquels il échappa. Le danger passé, le prince lui dit : « Attaqués, nous étions pris. — Jamais, répondit Jean Bart ; nous aurions tous sauté : mon fils était à la sainte-barbe avec ordre de mettre le feu au premier signal. » Le prince épouvanté répliqua : « Le remède est pire que le mal ; je vous défends de vous en servir tant que je serai sur votre vaisseau. »

Arrivé à Dantzig, le prudent Conti ne sut ou ne put entreprendre rien de sérieux. Il fallut le ramener en France. Chemin faisant, Jean Bart enleva 5 vaisseaux, qu’il laissa en dépôt au roi de Danemark.

Cette même année (1697), fut signée la paix de Ryswick, et Jean Bart se reposa pour la première fois de sa vie. Le glorieux marin vivait à Dunkerque, au milieu de sa famille, avec une simplicité plébéienne, lorsque éclata la guerre de la succession d’Espagne. Chargé du commandement d’une escadre, il en pressait l’armement avec tant d’activité qu’il contracta une pleurésie et mourut le 27 avril 1702, au moment où la France aurait eu le plus grand besoin de ses services. Il n’avait que cinquante-deux ans. Sa perte fut vivement sentie, non-seulement par la nation, mais, ce qui est plus rare, par le monde officiel, par la cour et par le roi lui-même, qui fit une pension de 2, 000 liv. à la veuve de l’illustre marin. De tant de prises qu’il avait faites, de tant de millions qu’il avait rapportés à l’État, l’honnête et grand marin n’avait rien gardé pour lui-même, car il ne laissa qu’une fortune médiocre à sa famille. Peu de temps après sa mort, on sentit mieux encore quel homme la France avait perdu, au moment où elle s’engageait dans cette terrible guerre qui la mit au bord de l’abîme. Un officier de grand mérite, M. de Pontis, illustré par sa fameuse expédition de Carthagène, succéda à Jean Bart dans le commandement de l’escadre de Dunkerque ; mais bloqué par plusieurs navires anglais et hollandais, il n’osa sortir et resta, pendant toute la campagne, tristement confiné dans le port. « Ah ! disaient les Dunkerquois, on voit bien que le pauvre M. Bart n’est plus là ! »

Quatre ou cinq fois, en effet, l’audacieux capitaine avait exécuté cette manœuvre étonnante, avec quelques vaisseaux et quoiqu’il fût bloqué par 30 et 40 navires ennemis. Un épisode inouï peut-être dans les annales de la marine, c’est que, dans la campagne de 1696, avec 7 frégates légères, il obligea les Anglais et les Hollandais à conserver en mer pendant cinq mois 52 vaisseaux divisés en trois escadres.

En 1845, Dunkerque a érigé à son illustre enfant une statue, œuvre de David d’Angers.

Marié deux fois, Jean Bart eut treize enfants, dont six seulement lui survécurent. Son fils aîné, François-Cornil Bart, né à Dunkerque en 1677, suivit son père, pour ainsi dire, au sortir du berceau, prit une part brillante aux guerres maritimes de son temps, fut nommé vice-amiral en 1753 et mourut deux ans plus tard, âgé de 78 ans. Il eut lui-même deux fils, dont l’un, Gaspard-François Bart, entra dans le génie, devint chef de brigade et mourut en 1782 ; l’autre, Philippe-François Bart, servit dans la marine, s’éleva au grade de chef d’escadre et mourut en 1784. C’était le dernier descendant mâle, en ligne directe, de Jean Bart.

Un frère du héros dunkerquois, Gaspard Bart, qui fut lui-même un brave capitaine de corsaire, eut un fils Pierre-Jean Bart, né à Dunkerque en 1712, qui servit avec quelque éclat dans la marine et eut les deux jambes emportées par un boulet en 1759, en se défendant contre 3 frégates anglaises. Le dernier rejeton des Bart est mort lieutenant de vaisseau en 1843, à l’île Bourbon. Les filles ou nièces de Jean Bart ont eu de nombreux enfants et petits-enfants ; mais nous croyons que le nom même de Bart est éteint.

Bart (Jean), statue en bronze, par David d’Angers, inaugurée à Dunkerque, en 1844. Le célèbre marin est debout, la tête tournée vers la droite, agitant son épée d’une main, comme pour diriger ses matelots à l’abordage, et tenant un pistolet dans son autre main qui est baissée. Il a son habit serré par une large ceinture, à laquelle est accroché un second pistolet. Il est coiffé d’un vaste chapeau à plume, et chaussé de grandes bottes à chaudron. Un de ses pieds est posé sur un agrès de navire, et, derrière lui, est une coulevrine. Cette statue, d’une tournure fière et énergique, a été lithographiée par M. E. Marc.


BARTALAI s. m. (bar-ta-16). Bot. Nom vulgaire du chardon féroce (enecus ferox de Linné).


BARTAS (Guillaume de Salluste, sieur du), poète et gentilhomme protestant, né à Montfort, près d’Auch, vers 1544, mort en 1590. Il sortait à peine de l’enfance que la passion de la poésie s’emparait de lui. Son début fut la Muse chrétienne, une réaction très-accentuée contre l’école païenne qui dominait alors, réaction double, car elle concernait non-seulement le fond, mais aussi la forme. « Du Bartas, dit M. Sainte-Beuve, renfle l’accent et proteste contre les mignardises. C’est à la Bible qu’il se prend, c’est aux sujets sacrés qu’il demande une moralité élevée et salutaire… Par malheur, les vers ne répondent pas tout à fait à l’intention… On y sent je ne sais quoi d’incorrect et d’arriéré en rudesse, si on les compare aux jolis couplets de la même date qui se modulaient à la cour des Valois. Du Bartas gagnera beaucoup avec les années, mais, en obtenant le mérite, il n’obtiendra jamais la grâce… » M. Philarète Chasles a peu de goût pour lui ; pourtant, il reconnaît que « sa roideur et son emphase le garantissent de la trivialité et le rapprochent quelquefois de la concision et de la vigueur… Il dit toujours quelque chose, bien ou mal, ajoute-t-il, et méprise les mots parasites. » Du Bartas, qui, dans un sonnet, en 1574, se faisait gloire de n’être ni de robe ni d’épée, et de vivre d’une vie oisive dans son manoir, fut obligé de prendre part aux guerres de religion. Il en gémit dans la préface de la Semaine ou Création du monde, qui eut un succès d’enthousiasme. Les psaumes de Marot n’étaient qu’une maigre pitance pour les protestants. Ils se jetèrent avec avidité sur cette poésie ample, éloquente, saturée de sentiment biblique, où l’œuvre divine est parfois dignement célébrée. Gœthe a pris feu à ce poème et a dit de Du Bartas : « Il y étale successivement les merveilles de la nature : il décrit tous les êtres et tous les objets de l’univers, à mesure qu’ils sortent des mains de leur céleste auteur. Nous sommes frappés (il parle de lui et de ses compatriotes) de la grandeur et de la variété des images que ses vers font passer sous nos yeux ; nous rendons justice à la force et à la vivacité de ses peintures, à l’étendue de ses connaissances en physique, en histoire naturelle… Notre opinion est que les Français sont injustes de méconnaître son mérite, et qu’à l’exemple de cet électeur de Mayence, qui fit graver autour de ses armes sept dessins représentant les œuvres de Dieu pendant les sept jours de la création, les poètes français devraient aussi rendre des hommages à leur ancien et illustre prédécesseur, attacher à leur cou son portrait et graver le chiffre de son nom dans leurs armes. » Mais Gœthe ne s’illusionne pas ; il ajoute tristement, après avoir cité une pièce dont nous allons donner une strophe : « Je suis convaincu que les lecteurs français persisteront dans leur dédain pour ces poésies si chères à leurs ancêtres, tant le goût est local et instantané ; tant il est vrai que ce qu’on admire en deçà du Rhin, souvent on le méprise au delà, et que les chefs-d’œuvre d’un siècle sont la rapsodie d’un autre ! » Le fragment dont il s’agit est celui dans lequel Dieu jette un regard sur son œuvre accomplie ; le poète décrit tout ce qui passe devant lui, entre autres choses :

Ici la pastourelle, à travers une plaine,
À l’ombre, d’un pas lent, son gras troupeau ramène ;
Cheminant, elle file, et, à voir sa façon,
On diroit qu’elle entonne une douce chanson.

Gœthe a raison de trouver ces vers remarquables ; mais il surfait singulièrement la valeur de Du Bartas. Il n’a, du reste, mis en relief que ce qui en valait la peine. Il s’est bien gardé de citer des vers comme ceux-ci, ou il est dit de l’Éternel :

Il œillade tantôt les champs passementés
Du cours entortillé des fleuves argentés…
Or’son nez a longs traits odore une grand’plaine.
Où commence à fleurir l’encens, la marjolaine…
Son oreille or’ se paît de la mignarde noise
Que le peuple volant par les forêts dégoise…
Et bref l’oreille, l’œil, le nez du Tout-Puissant,
En son œuvre n’oit rien, rien ne voit, rien ne sent,
Qui ne prêche son los…..

Voilà qui justifie presque Du Perron, qui a porté un jugement très-sévère sur Du Bartas, qu’il traite de fort méchant poète. Des contemporains, admirateurs naïfs, ont compliqué sa biographie d’une légende. Un essaim d’abeilles serait venu s’établir dans un trou de la muraille du château de Du Bartas et ne l’aurait jamais quitté, y produisant du miel tous les ans. Ces abeilles sont d’une invention malheureuse. C’est plutôt le logis de Vauquelin de la Fresnaie ou de Passerat qu’elles eussent choisi. Colletet fils a joint la note suivante à la vie de Du Bartas par Guillaume Colletet : « Jean Beaudouin, dont le nom a été si connu dans l’empire des lettres, et duquel nous avons de si fidèles traductions, m’a dit autrefois que Ronsard, qui était fort adroit à jouer à la paume, et qui ne passait guère de semaine sans gagner partie aux plus grands de la cour, étant un jour au jeu de l’Aigle dans notre faubourg Saint-Marcel, quelqu’un apporta la Semaine de Du Bartas, et qu’oyant dire que c’était un livre nouveau, il fut curieux, bien qu’engagé dans un jeu d’importance, de le voir et de l’ouvrir, et qu’aussitôt qu’il eut lu les vingt ou trente premiers vers, ravi de ce début si noble et si pompeux, il laissa tomber sa raquette, et, oubliant sa partie, il s’écria : « Oh ! que n’ai-je fait ce poème ! Il est temps que Ronsard descende du Parnasse et cède sa place à Du Bartas, que le ciel a fait naître un si grand poëte. » Guillaume Colletet, mon père, m’a souvent assuré de la même chose ; cependant, je m’étonne qu’il ait omis cette particularité… » Ce qu’il y a de vrai, c’est que cette anecdote courut et que Ronsard protesta, en ces termes superbes, contre les paroles qu’on lui avait prêtées :

Ils ont menti, Dorat, ceux qui te veulent dire,
Que Ronsard, dont la muse a contenté les rois,
Soit moins que Du Bartas, et qu’il ait, par sa voix.
Rendu ce témoignage ennemi de sa lyre…
J’aurois menti moi-même en le faisant paroitre.

Des contempteurs prétendirent que Du Bartas avait dépouillé un auteur grec du moyen âge, Georges Pisidès, qui a décrit en vers hendécasyllabiques l’œuvre des six jours. Il voulut prouver qu’il pouvait aller plus loin et s’occupa de la Seconde Semaine, qui devait renfermer l’Éden et la suite ; mais il n’en publia que deux jours. Après sa mort, on imprima successivement quelques parties, qu’on trouva dans ses papiers. Le tout n’est qu’un chaos, dont on ne pouvait extraire deux vers présentables. Cette Seconde Semaine fut en butte à des critiques assez aigres. Du Bartas répondit par son Brief Advertissement, imprimé en décembre 1584, où il le prit de très-haut, s’autorisant de la Cité de Dieu de saint Augustin, qui lui aurait inspiré ces journées mystiques. Il gourmanda ensuite ceux qui s’étaient moqués de ces vers détachés de la description du cheval, et imitatifs du galop :

Le champ plat bat, abat, détrappe, grappe, attrape
"Le vent qui va devant.

« Mais, ô bon Dieu ! s’écrie-t-il, ne voient-ils pas que je les ai faits ainsi de propos délibéré, et que ce sont des hypotyposes ? » Gabriel Naudé raconte, à ce propos, que Du Bartas se claquemurait quelquefois chez lui et, se mettant à quatre pattes, soufflait, gambadait et caracolait, comme pour entrer dans la peau de son sujet.

Il ne fit pas seulement œuvre de poëte, Henri IV lui confia plusieurs missions diplomatiques, en Angleterre, en Écosse et en Danemark. Il fut très-bien accueilli à la cour de Jacques VI, qui témoigna de la haute estime qu’il avait de son talent, en traduisant en anglais un morceau de la Seconde Semaine, ce qui engagea Du Bartas à traduire, de son côté, en français le cantique de Jacques sur la ba-