Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 2, part. 1, B-Bd.djvu/372

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

368

BAT

BAT

BAT

BAT

l’heure qu’il est, des nations qui se prétendent civilisées.

Il existe un in-32 qui a pour titre : Du râle des coups de bâton dans les relations sociales, et en particulier dans l’histoire littéraire, Paris, 1858. Son auteur, M. Victor Pournel, n’a pas fait une facétie à la manière anglaise, connus cette Dissertation sur les coups de pied au derrière, que Fielding écrivit avec une finesse mêlée d’amertume. Son livre, c’est lui qui lé déclare, eût pu s’intituler : Histoire de la condition sociale des gens de lettres, de leur abaissement et de leur émancipation progressive. M. Fournel ne remonte pas plus naut que le xvirc siècle ; il s’attache aux hommes de lettres français bâtonnés, et néglige ainsi une foule de faits qui contiennent cependant leur enseignement ; inutile d’ajouter que son étude n’exclut ni les souffleta, ni les coups de poing-, ni les coups de pied, • ni les autres gentillesses de même nature, qu’on n’administrait guère aux écrivains que lorsque l’instrument ordinaire de ces corrections à 1 amiable venait à faire défaut. » Le titre que nous avons pris indique suffisamment que l’instrument ordinaire se retrouvera ici en sa compagnie obligée ; nous n’omettrons même pas la verge, et, si nous la rencontrons, nous lui ferons notre humble salut ; aussi bien elle ne nous est pas inconnue, et nous savions ce qu’en vaut l’aune bien avant d’avoir lu ces paroles barbares empruntées aux Proverbes de Salomon : « N’épargne point la correction au jeune enfant ; quand tu l’auras frappé de la verge, il n’en mourra pas. — Tu le frapperas avec la verge, mais tu délivreras son âme du sépulcre.«Cette belle théorie, mise en pratique par une douce main de femme, a arraché à Jean-Jacques Rousseau une page délicieuse ; elle amène ici tout naturellement une anecdote qu’il faut bien vite conter aux grands enfants qui se sou viennent d’avoir été... petits : Le jeune roi Louis XIII, ayant été fouetté par ordre de la régente, alla peu après trouver la reine ; celle-ci, pour se conformer aux usages de la cour, se leva et lui fit la révérence. «J’aimerais mieux, dit le prince tout brusquement, qu’on ne me fit point tant de révérences, et qu on me fît moins fouetter. ■

Négligeons les anciens, et sautons tout d’un coup en France, après avoir enregistré en passant et pour mémoire, le soufflet que reçut publiquement Démosthène sur le théâtre, au milieu des fêtes de Bacchus, pendant qu’il remplissait ses fonctions de chorégo. Ce fut Midias qui le lui donna ; Midias, citoyen riche et puissant. Démosthène porta plainte devant le peuple, qui condamna Midias ; puis il composa, pour être prononcé devant les juges, le vigoureux discours que nous avons encore. Le soufflet de Midias nous valut un chef-d’œuvre ; le vaudeville moderne a donc raison d’affirmer qu’un soufflet n’est jamais perdu ; mais n’introduisons pas la plaisanterie en de si graves matières.

« Il est fort probable, dit M. Fournel, que des poètes comme Gringore, Villon surtout, peut-être même Clément Marot, que maint et maint troubadour ou trouvère, maint enfant sanssouci ou clerc de la basoche, durent, en plus d’une circonstance, faire connaissance avec le bâton, à Mis à la porte par Jehanneton, Villon, tant il est vrai qu’amour rend les gens bêtes, fut battu comme du linge h la rivière par Catherine de Vaucelles et par bien d’autres encore ; quant à Gringore ou Gringoire et à Clément Marot, ils eurent plus d’une fois maille à partir avec le clergé, comme leur confrère Jean de Pontalais, dont Bonaventure Des Perriers nous a transmis la plaisante lutte avec le curé de Saint-Eustache.

Ne quittons pas le théâtre : Hardy, ce Shakspeare, moins le génie, comme on l’a surnommé, ce poète qui mérita, avant Corneille, le titre de fondateur de notre théâtre, Hardy, acteur-auteur, s’était engagé dans la troupe de comédiens qui succéda aux confrères de la Passion. Il fut leur poëte à gages, s’il faut en croire Scudéry dans sa Comédie des comédiens, et il composa huit cents pièces. Eh bien ! cet homme infatigable, qui soutint presque seul la scène française pendant une longue suite d’années, était le souffre-douleur de ceux quj l’employaient, et, si vous voulez savoir ce qu’il. eut à endurer dans ses pérégrinations dramatiques, lisez le Roman comique de Scarron : Hardy y est peint sous le nom de Roquebrune. Un auteur aux gages des comédiens, c’était quelque chose de pitoyable ; mais un auteur aux gages de gentilshommes, ce n’était pas beaucoup plus réjouissant Telle était, en effet, surtout avant et pendant une grande partie du xvne siècle, la condition sociale des littérateurs, que presque tous étaient les domestiques de quelque maison princière, dont ils payaient la protection en bons mots et en dédicaces. La mendicité littéraire fonctionnait du haut en bas de l’échelle : Corneille adressait ses épîtres au financier Montauron ; La Fontaine payait ses quartiers de pension en vers. Le profit que Rangouze tirait de ses dédicaces était devenu proverbial, et la dédicace au cardinal Mazarin, de l’Art de faire de beaux ' enfants, valut à Quillet l’abbaye de Doudeauville. Pressés de la faim, les pauvres

auteurs allaient offrir leurs livres aux grands seigneurs, qui, parfois, laissaient tomber quelques pistoles ; le plus souvent, ils s’attiraient toutes sortes de déboires. Dans de telles conditions, les écrivains ne pouvaient être respectés. Élevés dans la servitude et le parasitisme, ils en avaient contracté tous les

vices ; aussi la dignité littéraire était-elle à peu près inconnue, surtout avant Racine et Boileau. L’écrivain payé par tel personnage devait le flatter et le divertir ; s’il dépassait les limites de la plaisanterie et laissait poindre par malheur l’épigramme au coin de sa lèvre, les coups de bâton pleuvaient dru sur sa maifre échine, et le pied des valets le poussait ehors, c’est-à-dire dans les bras de la misère et de la faim. « Si tu m’importunes davantage, tu me déroberas un soufflet, » dit un personnage de la Comédie des proverbes d’Adrien de Montluc, répétant ainsi un dicton populaire que Molière a lui-même placé dans te Médecin maigré lui. Molière avait pu l’entendre sortir de la bouche d’un Mécène de son temps, à l’adresse de quelque pauvre hère quêtant le pain quotidien. Pour la satisfaction des gens de lettres d’aujourd’hui, la plupart si justement jaloux de leur dignité professionnelle, disons bien vite que leurs devanciers n’étaient pas seuls à tâter du cotret ; ils seront agréablement surpris, sans doute, d’apprendre que Henri d’Escoubleau de Sourdu, archevêque de Bordeaux, mort en 1641, passait pour le prélat du monde qui avait été le plus battu. Le duc d’Epernon lui fit donner des coups de bâton à Bordeaux ; une autre fois, le maréchal de Vitry lui appliqua un coup de canne. La gsnt bûtonnable avait donc des confrères en haut lieu. Louis XIII ne voulait pas que ses premiers valets de chambre fussent gentilshommes, afin de pouvoir les battre à son envie ; son frère, Gaston d’Orléans, fit jeter dans le canal, à Fontainebleau, un gentilhomme qui l’avait offensé, pendant que Sa Majesté faisait appliquer, de son côté, une douzaine de coups de bâton à un de ses serviteurs. Le rot soleil s’oublia un jour jusqu’à lever sa canne sur un gentilhomme de service ; une autre fois, il la lança par la fenêtre, pour se dérober à la tentation d’en châtier Lauzun. Le même Louis XIV eût, sans Mm» de Maintenon, frappé Louvoisavec des pincettes. Un roi d’Angleterre, George II, imita, en 1737, ce bel exemple en le perfectionnant. Peu satisfait de quelques représentations de son ministre Waljwle, il mit ce dernier hors de son cabinet à coups de pied, ce qui, joint à l’emportement avec lequel il s’était livré précédemment au même geste, à rencontre de

son propre chapeau, inspira à Fielding l’idée d’écrire sa Dissertation sur les coups de pied au derrière. Le cardinal de Richelieu était sujet aussi à battre les gens. Il a plus d’une fois battu le chancelier Séguier de Bullion, surintendant des finances. Ces procédés aristocratiques étaient fort en usage à la cour el s’étendaient à la province. Le moindre hobereau croyait se donner les plus nobles allures, en tranchant par le bâton toute question qui s’élevait entre les gens de rien et lui. Menacer quelqu’un du bâton devint du dernier bon goût. Plus d’un duc endetté mit le bâton au service de sa caisse, et le fit servir a acquitter les mémoires de ses fournisseurs. Un certain gentilhomme était a l’article de la mort ; son tailleur^ à qui il devait une assez forte somme, le priait de lui donner une reconnaissance. « Bon, mon ami, écrivez. » Il dicte, et met cent coups de bâton au lieu de la somme. Voila donc quelles étaient les façons d’agir de cette belle société si policée, dit-on, si raffinée dans ses goûts, et si spirituelle. Mais ne trouverons-nous pas sur notre route quelque avenante physionomie de femme, étrangère à tons ces beaux moyens de rosseries gens ? Hélas I la chronique fourmille de faits qui prouvent que le bâton, les soufflets et le reste n’étaient pas inconnus du beau sexe, même en haut lieu.

On connaît les habitudes garçonnières de la fameuse Christine de Suède, et certain soufflet qu’Elisabeth d’Angleterre donna, avec toute la délicatesse de son sexe, dans un moment de dépit amoureux. Eh bien, nous aimons mieux cela : qu’une maîtresse femme soufflette le volage qui la trompe, c’est un soufflet où il y a du moelleux, où il y a de l’âme, sans intention de calembour : un tel soufflet peut se donner à Lovelace ; il n’a jamais honoré la joue de George-Dandin.

Ne quittons pas le monde féminin sans parler de cette spirituelle marquise de Boufflers, mère du poSte, et qui devint plus tard maréchale de Luxembourg. Elle était fort galante, et le comte de Tressan fit sur elle une chanson qu’elle récompensa par un soufflet :

Quand Boufflers parut à la cour, On crut voir îa mire d’Amour ;

Chacun essayait de lui plaire.

Et chacun l’avait à son tour.

Dans sa vieillesse, la maréchale se plaisait cependant à fredonner cette chanson, où, s’il n’était pas question de ses vertus, sa beauté se trouvait du moins célébrée.

Le comte de Tressan nous ramène tout naturellement à ces petits grimauds, barbouilleurs de papier que l’on rossait pour un oui ou un non, et qui parfois s’appelaient Malherbe, Saint-Amand ou Voiture ; Despréaux, J.-B. Rousseau ou Voltaire. On comprend, en lisant de tels noms, jusqu’où pouvaient aller ces familiarités de Martin-Bâton, auxquelles Régnier faisait allusion en parlant des Mécènes de son temps, qui, disait-il,

Nous vuyent de bon œil, et tenant une gaule, Ainsi qu’a leur» chevaux nous en flattent l’épaule...

« Il suffisait d’un moment de colère, fait

remarquer M. Fournel, pour que la caresse amicale de la houssine, plus fortement appuyée, se changeât en un coup de cravache. » L’usage de frapper un poëte était si bien admis, QueMUe Ségur parlait ainsi à Bonseri.de, qui 1 avait chansonnée sur ce qu’elle mettaii les amants en fuite par son embonpoint ; « Dans notre race, il n.y a point de poète (depuis lors il y en a eu, et d’assez mauvais, hélas [) pour vous rendre la pareille ; mais il y a des gens qui vous traiteront en poëte si vous y revenez. • Traiter en poëte était une expression consacrée, aussi bien que celle-ci : « Recevoir son brevet de poète. » Piron, en 1722, dans son Arlequin-Deucalion, pouvait dire avec beaucoup d’àpropos : « Je vais vous payer, mais en monnaie courante du pays, » en faisant tomber une grêle de coups de batte sur le dos d’Apollon, On voit, par ce qui précède, ce qu’il faut penser de la dignité des lettres à une époque où les pauvrettes portaient si haut la gloire de la France. De loin en loin, une voix s’élevait pour protester, mais si timide, que personne n’y prenait garde. Le premier écrivain que nous voyons insister pour se faire rendre justice est Boissat. Boissat était, il est vrai, gentilhomme de la chambre de Gaston d’Orléans, comte palatin de par le vice-légat d’Avignon, et ancien officier ; mais, de tous ses titres, celui qui lui montait le plus à la tête, c’était le titre d’académicien. Bâtonné par les laquais du comte de Saulx, pour avoir, au bal, manqué de respect à la comtesse, Boissat exigea une réparation, n’entendant pas que l’Académie fût ainsi avilie dans sa personne ; cela fit un bruit énorme. L’affaire dura treize mois, au bout desquels Boissat obtint sa réparation. On lui mit un bâton entre les mains, pour en user comme bon lui semblerait sur le dos de3 valets du comte, agenouillés à ses pieds, mais Boissat se montra généreux et n usa pas de la licence. Bautru, gentilhomme et académicien comme Boissat, se laissait battre plus volontiers, « Mon Dieu, disait Anne d’Autriche au coadjuteur, dont Bautru avaitri, ne ferez-vouspas donner des coups de bâton à ce coquin ?» Bautru se contentait de riposter aux coups de bâton par des coups de langue. M"»« des Vertus lui fit administrer une rude volée par le marquis de Sourdis ; l’excellente dame s’était mise, pour contempler cette exécution de haute saveur, à l’une de ses fenêtres donnant sûr le Pont-Neuf. Le Pont-Neuf était l’endroit classique des bastonnades, et c’est là que Saint-Amand fut trouvé, un matin, presque mort, tant les valets de M. le Prince avaient mis de zèle à exécuter tes ordres de leur maître, mécontent de quelques vers satiriques. N’est-ce pas aussi au Pont-Neuf que Bautru fut encore étrillé par les soins du duc d’Epernon, dont il avait raillé la fuite clandestine de la ville de Metz ? À quelques jours de là, un des laquais qui l’avaient frappé, l’apercevant, se mit â contrefaire les cris que le malheureux avait poussés : • Vraiment, dit Bautru sans s’émouvoir, voilà un bon écho ; il répète longtemps après. < Une autre fois, la reine, lui voyant un bâton à la main, lui demanda s’il avait la goutte ; il répondit que non : « Voyez-vous, dit alors le prince de Guéménée, il porte le bâton comme Saint-Laurent porte son gril : c’est la marque de son martyre. » Bautru était le premier à rire de ses mésaventures. Le marquis de Borbonne ayant mis ses épaules en capilotade, il fit de l’accident une chanson :

Borbonne

Ne bat personne :

Cependant il me bltonnc,

et, quelques jours après, se trouvant à l’Académie, et voyant l’embarras des assistants, il s’écria : à Croit-on que je suis devenu sauvage pour avoir passé par les bois ? » La boutade peint son homme ; mais celle qui échappa dans une circonstance à peu près semblable au poète Chapelle nous paraît à la fois plus fine et plus digne. Il se trouvait à dtner à côté d’un marquis fort ridicule, qui saisissait toutes les occasions de le molester, parlant de vers satiriques dirigés contre les gens de qualité, et disant que, s’il en connaissait les auteurs, il les rouerait de coups de bâton ; il revint plusieurs fois à la charge, haussant le ton, gesticulant beaucoup et gênant de plus en plus Chapelle, l’homme du monde qui aimait le plus ses aises. Fatigué de l’importunitédu marôuis, Chapelle se lève et lui dit, en présentant le dos : « Frappe, mais va-t’en. » Le marquis baisse le ton, éloigne son siège et comble le poète de politesses. Le mot fameux de Thémistocle n’avait pas mieux réussi.

Boisrobert fut aussi gourmé plus d’une fois. Richelieu le protégeait pourtant, et prit même son parti contre Servien, seaétaire d’État, qui, piqué d’un propos plaisant du mordant abbé, lui avait dit : « Monsieur de Boisrobert, on vous appelle Le Bois, mais on vous en fera tâter. » À Rouen, notamment, — Boisrobert fut étrillé par un chanoine, son collègue ; il reçut, en outre, une volée complète à la comédie, et courut grand risque d’être assommé pour une satire contre LaVrillière.

Les grands seigneurs se commettaient rarement eux-mêmes dans ces exécutions à la mode ; ils en confiaient le soin à leurs gens. Plusieurs, comme le duc d’Epernon, le plus grand oatteur du royaume, avaient leurs donneurs d’étrivières gagés, spécialement consacrés à cet emploi. Fïéchier, dans ses Grands

jours d’Auvergne, nous parle d’un certain marquis de Cassignac, qui levait la taille à sa manière et faisait fructifier ses terres avec beaucoup de talent. À cet effet, il entretenait douze scélérats, qu’il appelait ses douze apôtres, et qui catéchisaient avec l’épée ou avec le bâton ceux qui étaient rebelles à sa loi. Un autre, comme M. de Lamothe-Tintry, recrutait des gens de journée. À Paris, les choses se passaient plus galamment, et Martin-Bâton n’était guère employé qu’à, laver des injures. Ainsi, le duc de Guise, ayant àse plaindre de la muse badine d’un médecin, qui, tranchant du pottte, avait chansonné sesamoursavecMll^do Pons, fit monter ses gens chez le pauvre diable, et demeura à la porte tandis qu’on le bâtonnait.

En parcourant l’histoire littéraire, nous ne voyons pas les écrivains bâtonnés seulement par des personnages d’importance, nous les voyons encore avoir maille à partir avec do simples valets. Desbarreaux, par exemple, fut rossé par un laquais, qui lui fit payer cher une plaisanterie fort innocente. Desbarreaux était d’ailleurs habitué aux horions. Battu à Venise pour avoir levé la couverture d’une gondole ; battu par des paysans tourangeaux, qui attribuaient la gelée de leurs vignes à ses propos irréligieux, il avait, par-dessus le marché, reçu de Villequier une bouteille sur la tête et des coups depied dans un endroitqu’on ne nomme pas ; sans compter qu’un jour, se rendant à la fête du Landit (juin 1G23), il fut meurtri de coups sur le grand chemin de Saint-Denis, pour avoir apostrophé la- femme d’un procureur au Chàtelet. Il se vengea, il est vrai, sur les sergents qui venaient l’arrêter, car Desbarreauxmaniait lui-même le bâton d’une façon supérieure, s’exerçant aux heures de loisir à battre ou à être battu avec grâce ; si bien qu’une fois, ayant été rencontré par un seigneur dans le plus pitoyable état, et ce seigneur s’étant informé de ce qui lui était arrivé : « Moins que rien, répondit-il ; c’est un coquin à qui j’avais donné des coups de bâton, et qui vient de mo les rendre. » Après tout, un laquais bâtonnant Desbarreaux n a rien de plus surprenant que ce fait de madame Marie, la servante du poète Gombauld, menaçant Conrart de le faire fouetter par les rues de Paris, pour n’avoir pas garde à son endroit le silence prudent qui est resté proverbial. Nous avons vu le vaillant Voiture berné ; un bon mot sauva ses épaules. Balzac faillit, lui aussi, être bâtonné, et par qui ? par les Anglais, pour avoir mal parlé d’Elisabeth ; une autre fois, Théophile dut mettro l’épée à la main pour le sauver du bâton. Ce Théophile, qui sauvait les autres, aurait eu besoin d’être sauvé lui-même, et le duc de Luynes le traita assez mal sur de simples soupçons.

Ce fut surtout pour leurs prétentions aux bonnes fortunes que les poîtes se firent bâtonner. Vauquelin des Yyeteaux, cet original si célèbre par sa vie d’épicurien, fut cruellement bâtonné par M. de Saint-Germain, qui l’avait surpris avec sa femme. M11|e de La Guette nous apprend que son fils avait promis à Marigny, le chansonnier de la Fronde, cent coups de canne pour certaines paroles adressées à une dame de sa connaissance ; et pourtant des Yveteaux et Marigny avaient qualité de gentilshommes, mais ils étaient auteurs, et, par cela seul, rentraient dans le droit commun. Parmi les beaux esprits d’alors, le plus à plaindre fut l’illustre Montmaur, professeur de grec, pédant, poète et parasite. Il serait impossible d’énumèrer les mésaventures de ce personnage, dont l’intrépide gloutonnerie est devenue historique. Qu’on lise la Requête de Fainmort de Scarron, et l’on seraédifié. Fainmort, bien entendu, n çst autre que Montmaur.

Le siècle de Louis XIV est l’âge d’or des coups de bâton ; nous voyons, malgré la protection royale accordée aux lettres, les bastonnades se multiplier. Chaque couplet de chanson, chaque trait plaisant, chaque échappée de langue ou de plume, est aussitôt punie -• « Mon petit ami, disait M. de Châtillon à Benserade, s’il vous arrive jamais de parler de M"" de Châtillon, je vous ferai rouer do coups de bâton, à On sait que Scarron a daté une da ses épîtres de

L’an que le sieur de Benscrade

Fut menacé de bastonnade.

Benserade avait chansonné Mme de Châtillon, qui le méritait bien. Le dos de Richelet expia plus d’une fois les méchancetés que son maître avait introduites dans son dictionnaire, et quelques vers de La Fontaine nous apprennent que Furetière eut aussi do mauvais quarts d’heure à passer. Le satirique, dans son second factum, avait raillé le fabuliste de n’avoir pas su faire la différence entre le bois en grume et le bois marmenteau, ce qui était d’autant plus piquant que La Fontaine avait exercé la charge île maître des eaux et forêts ; à quoi le bonhomme répondit par les vers suivants, qui sont pour nous une révélation :

Toi qui de tout as connaissance entière, Écoute, ami Furetière :

Lorsque certaines gens.

Pour se venger de tes dits outrageants, Frappaient sur toi, comme sur une enclume, Avec un bois porté sous le manteau. Bis-moi si c’était bois en grume. Ou si c’était bois marmenteau.

Boileau n’eut rien 5 envier à Furetièrp. Rognard a dit de lui :

Son dos même, endurci, s’est fait aux bastonnades.