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qu’elles ont des connaissances, et que la connaissance ne peut provenir d’aucun corps imaginable, « si l’on entend par corps une substance complète et étendue en lougueur, largeur et profondeur ; » cette âme est divisible et matérielle, parce qu’elle n’a que des connaissances sensibles ; quelque difficulté qu’il puisse y avoir à se former une idée claire et distincte de la nature de cette âme, qui n’est ni un corps ni un esprit, nous ne devons pas hésiter la-dessus, « puisque nous sommes persuadés qu’en une infinité de rencontres, il nous faut reconnaître des choses que nous ne pouvons d’ailleurs nous représenter clairement, la divisibilité à l’infini, l’incommensurabilité des lignes, la nature des asymptotes, l’union de l’ûme spirituelle avec le corps. »

Bâtes (ESSAI PHILOSOPHIQUE SUR L’AMEDES),

par Boullier (1737). Cet ouvrage est divisé en deux parties. Dans la première, l’auteur établit l’existence de l’âme des bêtes contre les partisans de l’automatisme cartésien ; dans la seconde, il examine quelle est la nature de cette âme.

La croyance à l’âme des bêtes se fonde, suivant Boullier, sur les règles de la certitude morale. « Dès que l’on sort, dit-il, du pays des démonstrations et de la sphère des idées abstraites, où la certitude est toujours accompagnée d’évidence, on n’a pour guide que Jes deux règles qui sont le fondement de ce qu’on appelle certitude morale ;, La première règle, c’est que Dieu ne saurait tromper. Voici la seconde : la liaison d’un grand nombre d’apparences ou d’effets réunis avec une cause qui les explique prouve l’existence de cette cause. Si une cause explique un certain groupe de phénomènes connus, si ces phénomènes se réunissent tous à un même principe, comme autant de lignes à un centre commun, si nous ne pouvons imaginer d’autre principe qui rende raison de tous ces phénomènes que celui-là, nous devons tenir pour indubitable l’existence de ce principe. Voilà le point fixe de certitude au delà duquel l’esprit humain ne saurait aller ; car, il est impossible que notre esprit demeure en suspens, lorsqu’il y a raison suffisante d’un côté et qu’il n’y en a point de l’autre. Appliquons ces principes à la question de l’âme des bêtes. Toutes les actions des bêtes nous peignant une âme sensitive avec ses diverses modalités, il faudrait que Dieu, dans l’agencement de la machine animale, se fut proposé de nous représenter cette âme où elle n’est pas. Mais Dieu ne peut avoir eu le dessein de nous entretenir dans une pareille illusion, puisqu’il n’est point trompeur. Sa véracité nous assure donc que les bêtes ont une âme, laquelle nous apparaît, sinon comme l’unique cause physique, au moins comme l’unique raison suffisante des phénomènes. Qu’on le remarque bien, ce oui écarte l’automatisme, ce qui le fait regarder comme insuffisant, c’est cette idée que les mouvements des animaux représentent quelque chose, qu’ils sont des signes, des moyens. S ils ne nous représentaient pas des sentiments, nous ne serions point en droit de les soustraire aux lois mécaniques. L’animal a un corps fait comme le nôtre ; il a comme nous des yeux, des oreilles, des organes des sens, et l’on veut que ces yeux ne soient point faits pour voir, ces oreilles pour entendre, ces organes des sens pour sentir ! Nous savons, par expé. rience, qu’en nous ces organes contribuent si bien à la sensation, qu’elle ne peut se passer de leur entremise, comment ne pas admettre qu’il n’aient pas un semblable emploi chez les animaux ? L esprit est la cause finale de la matière ; l’âme des bêtes est la cause finale de la machine animale. L’admirable structure de leurs organes ne peut avoir d’autre but que de loger une âme immatérielle, et d’être pour cette âme un moyen de sensation et d’action. Nous reconnaissons, diront les cartésiens, qu’une machine ne peut être son but à elle-même ; mais les bêtes-machines ont leur finalité au dehors et non au dedans ; elles ont été créées pour l’usage de l’homme.— Il faut distinguer, répond Boullier, entre les usages directs et les usages accessoires des choses. Sans doute, l’homme exerce sur les animaux un légitime empire ; mais cet empire, extrêmement limité, est évidemment loin d’épuiser la finalité des animaux, et ne saurait affaiblir l’argument tiré de leur structure en faveur de leur âme. Voici une autre objection : Si vous donnez une âme aux bêtes, les plantes en réclameront une à leur tour, et il sera difficile de la leur refuser. Les plantes vivent comme les animaux, et il y a une gradation tellement insensible dans les diverses espèces de corps vivants, que certains êtres, placés sur la limite des deux règnes, ont reçu le nom à’animauxplantes ou de zoophytes. Boullier résout cette difficulté en faisant remarquer qu’il existe entre lès animaux et les plantes des disparités essentielles, qui ne permettent pas d’étendre à celles-ci le raisonnement qui s’applique à ceux-là. Le principal usage des plantes est déservir de retraite et de nourriture aux animaux. En général, elles paraissent se rapporter à un but qui est hors d’elles. Les plantes n’ont pas d’organes des sens et, par conséquent, nul indice de sentiment.

Les bêtes ont une âme ; voilà qui est établi ; mais quelle est la nature de cette âme ? En quoi diffère-t-e !le de l’âme humaine ? L’âme des bêtes, suivant Boullier, est immatérielle comme l’âme humaine ; elle en diffère en ce qu’elle est purement sensitive. « Notre âme,

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dit-il, renferme dans elle-même, outre son activité essentielle, deux facultés qui fournissent à cette activité la matière sur laquelle elle s’exerce : l’une, c’est la faculté de former des idées claires et distinctes, sur lesquelles le principe actif ou la volonté agit d une manière qui s’appelle réflexion, jugement, raisonnement, choix libre ; l’autre, c’est la faculté de sentir, qui consiste dans la perception d’une infinité de petites idées involontaires qui se succèdent rapidement l’une à l’autre, que l’âme ne discerne point, mais dont les différentes successions lui plaisent ou lui déplaisent, et à l’occasion desquelles le principe actif ne se déploie que par des désirs confus... Qui nous empêche de supposer que l’âme des bêtes a la seconde de ces facultés, sans avoir. la première, en d’autres termes, est uniquement capable d’idées indistinctes ou de perceptions confuses. Son activité sera resserrée à proportion de son intelligence ; comme celle-ci se bornera aux perceptions confuses, celle-là ne consistera que dans des désirs confus qui seront relatifs à ces perceptions. • Ainsi, l’âme des bêtes aperçoit les objets par sensation ; elle n’en a qu’une idée confuse, inséparable de la sensation. Elle est capable de joie et de tristesse, de crainte et d’espérance, de haine et d’amour, c’est-à-dire de toutes les passions que peuvent produire des perceptions confuses ; mais elle ne réfléchit point et ne raisonne point ; elle ne saurait connaître les sciences et les arts, qui sont fondés sur les rapports entre les idées distinctes, sur- des principes universels et purement intellectuels. Privée de raison, elle est nécessairement privée de liberté ; caria liberté suppose deux conditions, le pouvoir d’agir et de se déterminer et la faculté d’avoir des idées distinctes. Privée de raison et de liberté, elle est si bien proportionnée au corps qu’elle anime, et si bien faite pour lui, qu’elle semble, malgré sa spiritualité, ne devoir durer qu’autant qu’il dure. De là cette conséquence, que l’immortalité de notre âme n’est pas garantie par sa nature simple, indivisible et spirituelle, mais par ses facultés et par les fins et les destinées que ces facultés impliquent.

Après avoir établi l’existence de l’âme des bêtes, et déterminé la nature et les facultés de cette âme, d’après la psychologie leibnitzienne, Boullier s’efforce de prouver que la faculté de sentir, et par conséquent de souffrir, qui caractérise cette âme, n est point incompatible avec la justice et la bonté de Dieu. Il y a, avait dit Malebranche, cette différence entre les hommes et les bêtes, que les hommes, après leur mort, peu ventrecevoir un bonheur qui les paye des douleurs qu’ils ont endurées dans la vie. Mais les bètes perdent tout àla mort ; elles ontétémalheureusesetinnocentes, et il n’y a point de récompense qui les attende. Ainsi, Dieu étant juste, l’homme innocent peut souffrir pour mériter ; mais si la bête souffre, Dieu n’est pas juste. L’automatisme cartésien, répond Boullier, n’est pas nécessaire pour justifier la Providence, parce que le plaisir et la douleur ne jouent pas nécessairement, dans l’économie ou gouvernement

divin, l’un, le rôle de récompense, l’autre, celui de châtiment. Entre Dieu et l’âme des bêtes, il ne saurait y avoir aucun rapport de justice, parce que l’âme des bêtes, étant incapable de raison et de liberté, l’est également de mérite et de démérite, de vertu et de vice On ne peut donc alléguer contre les souffrances des bêtes que la bonté divine. Mais l’idée de cette bonté emporte-t-elle la négation de toute souffrance ? Non, évidemment ; tout ce qu’elle exige, c’est qu’il n’y ait aucune créature qui ne gagne à exister plutôt que d’y perdre. Or, on est fondé à croire « que, si l’on pouvait pénétrer l’intérieur des bêtes., on y trouverait une compensation de douleurs et de plaisirs qui tournerait tout à la gloire de l’a bonté divine. ■

— B«ic» (amusement philosophique sur le langage des), par le P. Bougeant (1751). Ce petit ouvrage, moitié sérieux, moitié plaisant, est écrit sous forme de lettre adressée à une dame. L’auteur y examine les questions suivantes : Les bêtes ont-elles de la connaissance ? D’où vient cette connaissance ? Parlent-elles ? Comment parlent elles ?

Les bêtes ont-elles de la connaissance ? Impossible, dit le P. Bougeant, d’hésiter sur cette question. « Descartes aura beau nous dire que les bêtes sont des machines, qu’on peut expliquer toutes leurs actions par les lois de la mécanique : vous avez une chienne que vous aimez et dont vous croyez être aimé, je défie tous les cartésiens du monde de vous persuader que votre chienne n’est qu’une chimère. Comprenez, je vous prie, le ridicule qui en résulterait pour tous tant que nous sommes, qui aimons des chevaux, des chiens, des oiseaux. Représentez-vous un homme qui aimerait et qui caresserait sa montre, comme on aime et comme on caresse un chien. Qu’on le remarque bien, je ne pénètre pas plus dans l’intérieur, dans le moi des hommes, mes semblables, que dans celui des bêtes, pour savoir ce qui s’y passe ; mais ; dans l’un et l’autre cas, je me crois fondé, et je ne le suis pas plus dans l’un que dans l’autre, à juger du dedans par le dehors, à induire la connaissance et le sentiment des actes qui les manifestent, a

Voilà l’hypothèse des bêtes-machines.condamnée. Les bêtes ont un principe de connaissance et de sentiment. Mais quel est ce

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principe ? Est-ce la forme substantielle des péripatéticiens ? Ces mots, forme substantielle, n’ont plus de sens, depuis que la philosophie a montré qu’il n’y a. que deux substances dont on puisse se fairé une idée claire : l’une pensante, sentante, connaissante et raisonnante, l’esprit ; l’autre étendue, divisible, mobile, incapable de sentir elle-même et de connaître, la matière. Force nous est d’accorder aux bêtes une âme spirituelle comme la nôtre ; mais nous n’évitons un danger que pour tomber dans un autre. S’il est dangereux pour la religion de supposer qu’une âme matérielle peut connaître, il l’est également de supposer qu’une âme spirituelle peut exister sans liberté et sans devoirs. It n’y a qu’un moyen de se tirer d’embarras, c’est de supposer que les bêtes sont animées par des démons. Pour admettre cette hypothèse, il" suffit de croire que les démons ne souffrent pas encore le supplice auquel ils sont condamnés, et que l’exécution de la sentence portée contre eux est réservée au jour du jugement dernier. Or, ■ l’Église n’a rien décidé à cet égard, et il y h. toute apparence que les démons ne souffrent pas des a présent ; autrement, on ne comprendrait pas qu’ils eussent le loisir de songer à nous tenter et à ruser avec nous. En attendant le jour du jugement dernier, Dieu, pour ne pas laisser inutiles tant de légions d’esprits réprouvés, les a répandus dans les divers espaces du monde pour servit aux desseins de sa providence. Les uns, laissés dans leur état naturel, s’occupent à tenter les hommes ; des autres, Dieu a fait des milliers de bêtes de toute espèce, qui servent aux usages des hommes, qui remplissent l’univers, et font admirer la sagesse et la toute-puissance du ■ créateur. Ainsi s’expliquent l’adresse, la prévoyance, la mémoire et le raisonnement dés bêtes ; ainsi s’expliquent aussi’ leurs souffrances, leurs misères. Que les hommes soient assujettis à tous les maux qui les accablent, la religion nous en apprend la raison, c’est qu’ils naissent pécheurs. Mais les bêtes, quels crimes ont-elles commis ? Par l’hypothèse des bêtes-démons, la bouté de Dieu est-justifiée. L’homme lui-même aussi est justifié ; car, ’ quel droit aurait-il de donner la mort sans nécessité, et souvent par pur divertissement, à des millions de bêtes, si Dieu ne l’y avait autorisé ? Et un Dieu bon et juste aurait-il pu donner ce droit àl’homme, puisque, après tout, les bêtes sont aussi sensibles que nous à la douleur et à la mort, si ce n’étaient autant de coupables victimes de la vengeance divine ? La nature diabolique des bêtes nous rend également compte de leurs vices. Elles sont, comme on dit dans l’École, nécessitées à faire le mal, à troubler l’ordre général, à commettre tout ce qu’il y a de plus contraire à l’idée que nous avens de l’équité naturelle et aux principes de la vertu. Quels monstres dans un monde originairement créé pour y faire régner l’ordre et la justice I C’est ce qui, en partie, " persuada autrefois aux manichéens qu’il devait y avoir deux principes des choses, 1 un bon, l’autre mauvais, et que les bêtes n’étaient pas l’ouvrage du bon principé. Le moyen de croire que les bêtes soient sorties " des mains du Créateur avec des qualités si étranges ! Si l’homme est aussi méchant et aussi corrompu qu’il l’est, c’est que, par son péché, il a lui-même perverti l’heureux natu-rel que Dieu lui avait donné en le formant, liais les bêtes, faut-il admettre qu’elles ont, comme nous, un péché d’origine, ou que Dieu a pris plaisir à les former aussi vicieuses qu elles sont, et à nous offrir en elles des modèles de tout ce qu’il y a de plus honteux ? Ces deux propositions sont égalemeut insoutenables. Quel parti prendre ? Celui de considérer les âmes des bêtes comme des esprits rebelles qui se sont rendus coupables envers Dieu. Ce péché dans les bêtes n’est point lin péché d’origine, c’est un péché personnel qui a corrompu et perverti leur nature dans toute sa substance. De là tous les vices et toute la corruption que nous leur voyons^ sans cependant qu’elles pèchent de nouveau, parce que Dieu, en les réprouvant sans retour, les a en même temps dépouillées de leur liberté.

Passant à la question du langage des bêtes, le P. Bougeant soutient que, sans avoir une langue articulée comme nous, les bêtes se parlent entre elles ; on ne peut expliquer que par un langage les rapports qu’ont entre elles ’ celles qui vivent en société, comme les castors, et celles qui vivant en ménage, comme les pigeons. Or, « s’il y a quelques bêtes qui parlent, il faut qu’elles parlent toutes. Pourquoi la nature aurait-elle refusé aux unes un privilège qu’elle aurait accordé aux autres. Rien ne serait plus contraire à l’uniformité qu’elle affecte dans toutes ses productions. » Le langage des bêtes est borné, comme leurs connaissances. Chez elles, pas d’idées abstraites, pas de raisonnements métaphysiques, pas de recherches curieuses sur les oojets qui les environnent, pas d’autre science que celle de se bien porter, de se bien conserver, d’éviter tout ce qui leur nuit et de se procurer du bien. « Aussi n’en a-t-on jamais vu haranguer en public, ni disputer des causes et des effets. » Le langage des bêtes est borné, comme leurs besoins, leurs désirs et leurs passions. « La gloire, la grandeur, la richesse, la réputation, le faste et le luxe sont des noms inconnus aux bêtes, et que vous ne trouverez pas dans le dictionnaire de leur langage. » Le langage des bêtes n’a qu’une seule expression pour chaque objet : de là, la nécessité des

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répétitions, à Est-ce un défaut ? je veux le croire ; mais comparez, si vous voulez, ce prétendu défaut à l’avantage prétendu de nos amplifications, des nos métaphores, de nos hyperboles l »

Bites et Cens, contes et études par P.-J. Stahl (in-18, 1853). Le titre est heureux et donne un avant-goût de la tournure d’esprit de l’auteur. M. Stahl aurait pu dire : Gens et Bêtes ; s’il ne l’a pas fait, ce n’est pas seulement pour obéir aux lois de l’harmonie, ou pour se conformer à une politesse de syntaxe qui veut que, quand on parle d’autrui, on se

Îilace après lui ; le lecteur se doute, ainsi que e fait remarquer M. Louis Ratisbonne dans ses Impressions littéraires, qu’il a affaire « à un esprit libre des préjugés de son espèce à l’endroit des animaux, ’à un philosophe paradoxal peut-être, mais sincère, et qui n’a pas une idée exagérée du genre humain. » M. Hetzel a fait faire un progrès aux animaux parlants. Avec Ésope, ils avaient du bon sens ; avec La. Fontaine, ils avaient du bon sens et de la grâce, de la finesse et je ne sais quoi de gouailleur ; sous sa plume honnête et doucement satirique, ils ont une âme, ils ont des "nerfs, ils revent. L’heure du romantisme a enfin sonné pour les colombes et les lézards. « Les contes et études de M. Stahl, dit l’écrivain que nous venons de citer, relèvent un peu de la fantaisie germanique et de l’humour sentimental : il a une prédilection mélancolique pour le faible et pour l’opprimé, et, sous le souffle léger de la plaisanterie, il cache une sensibilité profonde. C’est un esprit de la famille de Charles Nodier et de Topffer. Il n’a pas au même degré l’imagination ingénieuse du premier, son style d’une délicatesse si exquise, tissu d’air et de lumière et brodé d’étincelles, ni l’observation fine, peut-être un peu verbeuse du second ; mais ses contes, qui ne manquent pas d’un sel fin, sont arrosés de sentiment et de grâce. On écoute son rêve parce qu’il émeut, et son paradoxe parce qu’il fait réfléchir. Et c’est là ce qu’il faut demander à. une œuvre de pure fantaisie : c’est de n’être pas le fruit hétéroclite d’une imagination individuelle, c’est de saisir l’homme par quelque endroit, c’est de répondre à quelque coin dé son esprit, à quelque fibre cachée de son cœur, p Il y a dans ce livre plus d’une page écrite avec art dans un style ému et piquant, il y a plus d’une vérité cachée dans un paradoxe. La moralité du récit s’insinue dans l’âme à l’aide d’une pointe de malice qui la rend aimable ; le sourire l’accompagne. On est séduit, on s’abandonne ; ces courtes histoires, plus faciles à goûter qu’à analyser, vous tiennent en suspens par un fil, mais ce fil, quel regret n’aurait-oh pas de le briser en tournant trop vite la page ? Malgré sa ténuité, il porte tout un genre littéraire et sa fortune. De grâce, dame critique, laissez choir vos lunettes ; n’y regardez que" de loin, de bien loin. Laissez-nous, pour aujourd’hui, laissez-nous nous attendrir sur les amours d’une lézarde et d’un lézard célébrant sans notaire leur hyménée, en partageant une goutte de rosée ; laissez-nous songer au petit sonneur Job, épris naïvement d’une femme de bois, d’une sainte mignonne, vrai chef-d’œuvre de mécanique, qui l’écrase en tombant, un beau jour, pour prix de sa folle adoration. Ne nous dites pas que la Vie déjeune homme renferme un paradoxe ; ne nous dites pas que le Septième ciel contrarie vos idées philosophiques : ne nous dites pas non plus qu’il y a trop de recherche et pas assez d’abandon dans le langage de toutes ces bêtes de M. Stahl, nous ne saurions, en vérité, quoi vous répondre. Mieux vaut déclarer à l’avance que vous avez peut-être raison, sauf à retourner en cachette à tous ces jolis contes et à les admirer comme on admire les aquarelles d’un maître, chefsd’œuvre de trente centimètres carrés.

BÊTE DU GÉVAUDAN (la), animal fameux, qui répandit, au siècle dernier, une grande terreur dans la province du Gévaudan. Son apparition soudaine, sur les bords de la Lozère, en l’année 1765, occupa bientôt toute la France. Célébrée en vers et en prose, mise en chansons, on ne tarda pas à exagérer ses méfaits. Un mauvais poème du temps, ayant pour titre : Sur la bête monstrueuse et cruelle du Gévaudan, va nous donner une idée de la place qu’occupait le monstre dans les esprits. Ce poëme, que l’on trouve cité dans le Journal encyclopédique du îcr octobre 1765 et dans les Mémoires secrets de Bachaumont, du 29 du même mois, trace de la bête le portrait suivant :

De certaine distance alors, à. quelques toises, Par derrière, à la gorgu, ou bien par le côté, Qu’il attaque sans cesse avec rapidité, Sur sa propre victime il va, court et s’élance : Par lui couper la gorge aussitôt il commence. (Monstre indéfinissable), il est d’ailleurs poltron.-De grande et forte griffe il a la patte armée, etc.

L’auteur partage l’opinion, assez générale parmi le peuple des campagnes, que la Bête du Gévaudan a été vomie de l’enfer. Aussi, en sa qualité de Picard, voudrait-il qu’elle fût auprès d’Amiens, car

Notre digne prélat, par sa foi, par son zèle,

Nous en délivrerait avec juste raison,

Par le moyen du jeûne, ainsi que.l’oraison ;

Sur le cou de la béte appliquant son ôtole,

11 la rendrait plus douce a l’instant et plus molle.

Par un signe de croix, qu’une simple brebis.

Ce poëme, « le plus plaisant, dit le Journal encyclopédique, qui ait paru depuis la iameuse