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dont quelques fragments seulement ont été publiés (Journal des Débats, 14 octobre et 6 novembre 1838). On y apprend, entre autres particularités piquantes, qu’il avait entretenu des relations très-intimes avec la fameuse comtesse de La Motte-Valois, et qu’au moment où cette aventurière fut arrêtée, il avait passé la nuit avec elle à brûler les papiers qui concernaient l’intrigue du collier.


BEUGNOT (Arthur-Auguste, comte), fils du précédent, né à Bar-sur-Aube en 1797, mort en 1865. Il fut quelque temps avocat à la cour impériale de Paris ; mais il se livra bientôt presque entièrement aux travaux d’érudition. Le sujet de son premier ouvrage, qu’il fit paraître sous le titre de : Institutions de saint Louis (1821), avait été mis au concours par l’Institut. M. Beugnot obtint le premier prix, qui fut partagé entre lui et M. Mignet. Dans ce travail, M. Beugnot a assez bien mis en lumière, non-seulement les ordonnances relatives au gouvernement politique, aux rapports de l’Église avec l’État, mais encore les règlements concernant l’industrie, l’agriculture, le commerce et les monnaies. Deux ans après, en 1823, M. Beugnot publia un volume sur l’État civil, le commerce et la littérature des Juifs en France, en Espagne et en Italie, pendant le moyen âge, sujet également mis au concours par l’Institut. Historien impartial, M. Beugnot constate les services rendus aux sciences et au commerce par la nation juive ; il fait en même temps ressortir ses torts et les reproches qu’elle dut encourir, lorsqu’une longue persécution eut tari en elle la source des vertus. Dans son troisième ouvrage, publié en 1828 et intitulé : Cérémonies symboliques usitées dans l’ancienne jurisprudence française, M. Beugnot a fait pour la France ce qu’Hoffmann, Hantzel et Dunge ont fait pour l’Allemagne, et, en 1832, il entrait à l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Trois ans après, il publiait en deux volumes une Histoire de la destruction du paganisme en Occident. Ce travail, qui était le développement et le complément d’un Mémoire couronné par l’Institut sur le même sujet, embrasse la période historique comprise entre Constantin et Charlemagne, et qui sert de démarcation entre la société ancienne et la société moderne. M. Beugnot fut ensuite chargé par l’Institut de surveiller la publication du recueil des historiens des croisades. Les deux premiers volumes, publiés en 1840 et 1843, sur les Assises de Jérusalem, ont été revisés sur les textes et annotés de sa main. En 1839, M. Cousin, ministre de l’instruction publique, le chargea également de diriger la publication des arrêts du parlement de Paris, contenus dans 9,850 volumes enfouis aux Archives. De 1840 à 1848, M. Beugnot livra à l’impression trois volumes in-4o contenant les arrêts rendus depuis saint Louis jusqu’à Philippe le Long. Cette collection est connue sous la dénomination d’Olim. La science historique doit encore à M. Beugnot plusieurs autres ouvrages, tels que les Coutumes du Beauvoisis, (1842), qui font partie des publications de la Société de l’histoire de France ; un Mémoire sur la spoliation du clergé attribuée à Charles Martel, dans lequel M. Beugnot a cru démontrer la fausseté d’une tradition historique, néanmoins généralement accréditée ; une Vie de M. Becquey, un résumé de l’histoire de la Restauration ; enfin, trois Mémoires sur l’origine et le développement des municipalités rurales en France, publiés par le Journal des savants.

En 1841, M. Beugnot fut appelé à la pairie. Pendant sept ans qu’il en fit partie, il fut assurément l’un des membres les plus laborieux de la Chambre. Il prit part à toutes les discussions économiques, financières et d’organisation sociale, et quatre fois il fut rapporteur du budget, en 1843, 1844, 1845 et 1847. Il s’y montra surtout, avec M. de Montalembert, l’un des grands champions de la liberté d’enseignement et des congrégations religieuses. À ce sujet, il publia, en 1845, une brochure intitulée : l’État théologien, dans laquelle il combattait la prétention de l’État à se faire juge des doctrines religieuses, et à se porter comme arbitre entre ce qu’on appelait alors l’ultramontanisme et le gallicanisme. Après la révolution de Février, M. Beugnot ne déserta pas la vie politique, et il ne tarda pas à devenir un des chefs de la réaction. Néanmoins, il est juste de dire que, comme écrivain politique, il ne ménagea pas plus la vérité à son parti qu’à ses adversaires : deux écrits qu’il publia à cette époque en fournissent la preuve. Si, dans le premier, intitulé : Des doctrines antisociales, il malmenait durement les doctrines socialistes et communistes, dans le second, intitulé : Avis aux honnêtes gens sur leurs erreurs et leurs devoirs, il appréciait très-sévèrement la conduite politique des classes éclairées. Adversaire énergique de l’esprit révolutionnaire, M. Beugnot voulait se prémunir contre ce qu’il appelait la domination de Paris, et lui opposer le contre-poids des populations rurales. Il n’était pas cependant grand partisan du suffrage universel, dont il ne pensait pas qu’il pût sortir autre chose que la dictature d’un seul ou la dictature d’une assemblée. Il croyait, de plus, à la longue durée de cette dictature. « On prétend, disait-il, que la dictature ne pourra être autre chose qu’un expédient momentané. Gardons-nous d’une telle confiance. Quand une nation a expérimenté toutes les formes de gouvernement connues sans se fixer sur aucune, elle en arrive à se dégoûter des plus sages lois et des meilleures institutions, à douter d’elle-même et, par suite, à abdiquer. Le pouvoir absolu qui s’établit alors est toujours d’un maniement facile et d’une longue durée. » Il faut reconnaître que ces paroles annonçaient une singulière clairvoyance politique.

Envoyé à l’Assemblée législative par les électeurs de la Haute-Marne, M. Beugnot y vota toutes les mesures restrictives des libertés publiques, l’expédition de Rome, la loi du 31 mai, qui portait atteinte au suffrage universel, et combattit vivement le rappel de cette loi. Lorsque la majorité de la Législative se fut divisée, aucune des fractions de cette majorité ne put revendiquer M. Beugnot comme lui appartenant. Il entendit se tenir à l’écart de tout engagement de parti, croyant que ce qu’il y avait de plus sage à faire, c’était de maintenir le plus longtemps possible la bonne harmonie entre la Chambre et le président, d’éviter les questions de nature à amener des conflits, et de rechercher tous les expédients qui pouvaient opérer un rapprochement. C’est dans cet esprit que M. Beugnot s’associa aux divers votes ayant pour but de demander la révision de la Constitution de 1848 ; mais il ne faisait appel qu’à la légalité et répudiait toute mesure de violence. Dans cette assemblée, M. Beugnot fut le rapporteur de la loi du 15 mars 1850 sur l’enseignement, connue sous le nom de loi Falloux. Son rapport est, à juste titre, considéré comme l’un des monuments les plus complets qui existent sur la question. Le rôle rempli par M. Beugnot cinq ans auparavant dans la Chambre des pairs indiquait d’avance tout ce que les congrégations religieuses avaient à attendre de lui. « Les membres des congrégations religieuses non reconnues par l’État, disait-il, pourront-ils ouvrir et diriger des établissements d’instruction secondaire ou y professer ? La réponse ne peut être douteuse. Nous réglons l’exercice d’un droit public, à la jouissance duquel sont appelés tous les citoyens sans autre exception que ceux dont l’immoralité a été déclarée par arrêt de justice. La République n’interdit qu’aux ignorants et aux indignes le droit d’enseigner. Elle ne connaît les corporations, ni pour les gêner, ni pour les protéger. Ainsi, nul doute que les membres des associations religieuses non reconnues, qui ne sont que des citoyens auxquels nul n’a le droit de demander ce qu’ils sont devant Dieu, jouiront de la faculté d’enseigner, parce que cette faculté est un droit civil, et qu’ils possèdent des qualités de ce genre. » C’est donc, en grande partie, à M. Beugnot que sont dus tous les collèges de jésuites et toutes les institutions d’enseignement secondaire dirigés par des congrégations religieuses qui existent aujourd’hui. Toutefois, le système d’enseignement dont M. Beugnot a été l’ardent champion a subi des modifications assez profondes, d’abord pendant la période dictatoriale qui suivit le coup d’État du 2 décembre, ensuite par la loi de 1855.

Dans les luttes qui, après la défaite et l’épuration de la minorité démocratique de l’Assemblée législative, s’étaient engagées entre la majorité conservatrice et le gouvernement, M. Beugnot avait pris une attitude neutre, et ses votes dans les questions de ce genre ne permettaient pas de le classer parmi ce qu’on appelait alors les partisans de l’Élysée. Néanmoins, après le coup d’État, son nom fut inscrit, sans qu’il en eût été prévenu, sur une liste de cent cinquante députés choisis pour assister de leurs lumières le pouvoir dictatorial. M. Beugnot demanda la radiation de son nom, et se présenta aux portes de l’Assemblée pour essayer de remplir son mandat. Le suffrage universel ayant consacré la suspension des libertés publiques et l’attribution des pouvoirs constituants entre les mains du prince Louis-Napoléon, M. Beugnot rentra dans la vie privée, et résista aux plus vives sollicitations de servir le gouvernement nouveau, qui devait plus d’une fois, dans la suite, réclamer son concours.

Une telle détermination chez un homme qui avait combattu l’esprit révolutionnaire dans toutes ses manifestations pendant quatre ans, et qui s’était rangé parmi les membres les plus résolus et les plus fermes du parti conservateur, causa une certaine surprise. Voici à cet égard les explications données par un de ses amis politiques, le comte Daru : « Il ne voulait pas que les peuples fussent sans frein, mais il ne voulait pas non plus qu’ils fussent sans droits. »

M. le comte Beugnot avait, dans sa jeunesse, un instant fréquenté le barreau. Il était au nombre des défenseurs des accusés du complot de Belfort, et il eut le bonheur de faire acquitter son client.

Outre les ouvrages de lui que nous avons déjà mentionnés, nous citerons les suivants : les Olim ou Registres des arrêts rendus par la cour du roi sous les règnes de saint Louis, de Philippe le Hardi, de Philippe le Bel, de Louis le Hutin et de Philippe le Long (Paris, 1839-1848, 3 vol. in-4o), dans la collection des documents inédits sur l’histoire de France : l’État théologien (1845, in-18) ; Réflexions sur les doctrines antisociales et leurs conséquences (1849, in-8o) ; Mémoire sur le régime des terres dans les principautés fondées en Syrie par les Francs, à la suite des croisades (1854, in-8o).


BEUILLE s. f. (beu-lle ; ll mll. — du lat. botellus, petit boudin, dont le vieux fr. avait fait boelle). Autref. Nombril. || Intestins de volailles ou de poissons.


BEULAN ou BEULANUS, généalogiste anglais du commencement du VIIe siècle. Il a composé, sous le titre de De genealogiis gentium, un ouvrage sur la généalogie des familles angles et saxonnes implantées en Angleterre par la conquête. — Son fils, Samuel, né dans le Northumberland, étudia dans l’île de Wight, dont il a laissé une Description, et fut un des amis de l’évêque de Bangor, Nonnius. Samuel Beulan a laissé des Annotationes in Nonnium ; une Histoire du roi Arthur, etc.


BEULÉ (Charles-Ernest), archéologue distingué, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, né à Saumur le 29 juin 1826. Au sortir de l’École normale, il fut nommé professeur de rhétorique à Moulins : Quelque temps après, il concourut pour l’École française d’Athènes, et y fut envoyé par le gouvernement. Il y arrivait dans un moment difficile ; depuis quelque temps, l’opinion publique se montrait hostile à l’école établie dans l’antique cité de Minerve ; elle demandait quels résultats cette école avait produits, en compensation des dépenses qu’elle nécessitait à la mère-patrie. Ces plaintes n’étaient pas sans fondements, et, en faisant allusion à la spirituelle définition de Voltaire parlant de l’Académie, on eût pu dire que, parmi les élèves de l’École normale qui allaient chaque année à Athènes, il y avait de tout, même des archéologues. M. Beulé fut un de ceux-ci. À peine arrivé, il fit poursuivre activement les fouilles, et il eut le bonheur de retrouver l’entrée véritable de l’Acropole. Nous avons rapporté, au mot Athènes, l’intéressante découverte du jeune archéologue, à l’occasion de laquelle il composa son ouvrage de l’Acropole d’Athènes, qui lui ouvrit les portes de l’Académie des beaux-arts. Depuis longtemps, d’ailleurs, la Grèce lui était familière ; elle avait fait l’objet de sa thèse de docteur, qu’il avait composée sous ce titre : An vulgaris lingua apud veteres Grœcos existent ? Aussi ne fut-il pas dépaysé en mettant le pied sur ce sol si riche en merveilles, et dont il continua à étudier l’histoire et les traditions. Les arts et la poésie à Sparte sous la législation de Lycurgue, les Frontons du Parthénon, les Études sur le Péloponèse, les Monnaies d’Athènes, parurent successivement. Non content d’avoir parcouru la Grèce, M. Beulé voulut aussi explorer l’Afrique ; il fit exécuter des fouilles pour retrouver les ports de Carthage et la forteresse de Byrsa, fouilles dont il a donné d’intéressants récits dans le Journal des savants. En 1854, Raoul Rochette étant mort, la chaire d’archéologie, qu’il laissait vacante à la Bibliothèque impériale, fut donnée à M. Beulé, qui la méritait mieux que tout autre. Ses cours, qui tous offrent le plus grand intérêt, furent avidement suivis, et on a conservé le souvenir du magnifique discours d’ouverture qu’il prononça, et dont la peinture à fresque chez les anciens était le sujet.

M. Beulé n’est pas seulement un savant ; c’est aussi un artiste ; ce n’est pas sans fruit qu’il a si longtemps vécu avec les brillants fils de la Grèce ; de leur commerce, il a rapporté le goût de l’idéal et du beau ; il a appris d’eux que l’idée est femme, qu’elle a ses coquetteries comme ses pudeurs, et que les grâces du style lui donnent toujours un prix nouveau. Aussi, chose rare, M. Beulé est à la fois savant et écrivain ; comme M. Renan, il sait cacher les aridités de la science sous les fleurs du langage. C’est ce qui explique la popularité de son nom, et comment il doit à la grâce et à l’atticisme de son style de ne pas être, comme le sont la plupart de ses trop savants confrères, redouté même des lecteurs instruits.

Les travaux de M. Beulé sont nombreux, la Revue archéologique et le Journal des savants surtout en contiennent un grand nombre. Parmi les principaux, il faut citer : les Fouilles de Byrsa, les Ports de Carthage, la Nécropole de Carthage, le Vase de la reine Bérénice, charmante étude sur cette reine, dont la chevelure donna son nom à une constellation ; des Études sur Éphèse et le temple de Diane, sur l’Étrurie et les Étrusques, sur le Temple de Syracuse.

M. Beulé avait publié l’Histoire de la sculpture avant Phidias, quand il donna dans la Revue des Deux-Mondes son drame antique de Phidias, intéressante étude sur le siècle de Périclès et la création du Parthénon. Un souffle antique passe dans ces pages, et, en lisant les lignes suivantes de Phidias, on trouve à la fois une connaissance profonde de l’art grec et une condamnation méritée du système qui dirige la main de nos artistes : « Très-bien, Aspasie ; le trait a touché le but. Quant aux défauts du modèle, je répondrai que l’artiste, qui ne doit créer que de belles choses, ne peut en copier de laides. La tête de Périclès est, en effet, trop allongée ; pourquoi n’aurais-je pas le droit de corriger la nature, de même que j’ai celui de l’embellir lorsque je sculpte ma Vénus céleste, d’après Glycère ou Herpyllis ? Je me couperais la main plutôt que de représenter Vulcain boiteux, Philoctète avec une plaie ouverte, Œdipe avec les yeux crevés, Hécube sillonnée de rides. Un jour peut-être on voudra reproduire servilement le visage des rois ou des tyrans, quelle que soit leur laideur. Alors, les artistes seront à plaindre, et l’art glissera vers sa perte ; car notre devoir est d’éveiller dans les âmes un souvenir de leur origine céleste, et de les purifier par le spectacle de la beauté. »

M. Beulé joua un rôle assez important dans la résistance qu’opposa l’Académie des beaux-arts au décret du 13 novembre 1863. Ce décret avait réorganisé l’École des beaux-arts sur des bases entièrement nouvelles ; il en avait enlevé la direction à l’Académie, pour la donner à une commission spéciale. Les conditions des prix de Rome étaient elles-mêmes modifiées. On se souvient encore de l’irritation des membres de l’Académie des beaux-arts, qui se regardèrent comme personnellement outragés. Hippolyte Flandrin, à qui on avait offert une place de chef d’atelier dans la nouvelle combinaison, refusa avec hauteur, et de Rome, où il était alors, il écrivait à son frère : « Sans entrer dans la critique si facile de l’organisation nouvelle, je crois qu’on ne pourrait bénévolement accepter un plumet à son chapeau, après avoir reçu des coups de pied au derrière. » M. Ingres, le patriarche de la peinture, avait pris la plume, et d’une main plus habituée à manier le pinceau, il avait composé une brochure, qui se terminait par ces mots : « En résumé, j’ai l’honneur de déclarer, en mon âme et conscience, que je blâme les changements projetés, parce qu’ils détruisent la bonne harmonie de l’école ; qu’ils portent atteinte à des droits acquis et respectables, à un enseignement basé sur les grandes traditions classiques, pour ne mettre à leur place qu’un enseignement de fantaisie et d’aventure, des juges incompétents et une direction fausse dans les études. »

Secrétaire de l’Académie qui se croyait méprisée, M. Beulé ne pouvait garder le silence dans une lutte qui passionnait tous les esprits. Sous ce titre, l’École de Rome au XIXe siècle, il publia dans la Revue des Deux-Mondes un article qui brillait plutôt par le talent que par l’impartialité. Il s’y montra d’une vivacité très-grande, comme on peut en juger par ces paroles, qui en sont la conclusion : « Et moi, je viens à mon tour déclarer, pour ce qui concerne l’École de Rome, que les réformes annoncées amèneront infailliblement son abaissement et sa ruine. C’est l’espoir de quelques esprits chagrins, qui n’ont jamais caché ce vœu digne des barbares ; mais ce serait l’affliction de tous les honnêtes gens, qui considèrent l’Académie de France à Rome comme une institution nationale, d’où sont sortis nos plus beaux talents, et qui n’a survécu à toutes les révolutions que pour mieux constater la supériorité du génie français. S’il nous reste encore une gloire non contestée, c’est celle des arts ; ne la compromettons point follement en répudiant deux siècles d’un passé fécond, en tranchant l’avenir dans sa fleur. Ce serait pour l’Europe elle-même un sujet de stupeur. Que tous ceux qui aiment le beau, leur pays, la jeunesse, s’unissent pour former ce concert de voix convaincues qui s’appelle l’opinion publique, et qui, s’il ne persuade pas toujours l’administration, la force du moins à réfléchir. » Ne croirait-on pas entendre Jérémie pleurant sur les ruines de la malheureuse Sion ?

Les esprits passionnés, et ils étaient nombreux, furent enchantés de cette vivacité de langage. Flandrin écrivait de Rome à ses amis : « L’article de Beulé dans la Revue des Deux-Mondes est excellent ; il est bon qu’un esprit juste et qu’un cœur dévoué comme celui-là fassent entendre la vérité. Je lui en suis bien reconnaissant. » Quant à nous, malgré notre sincère estime pour le talent de M. Beulé, nous ne saurions être de cet avis, et nous croyons qu’en cette circonstance il a été plutôt académicien qu’homme de goût et de jugement. Le décret du 13 novembre a été une bonne chose, parce qu’il a fait sortir l’École des beaux-arts de la routine où elle était embourbée depuis si longtemps. Personne plus que nous n’admire l’antiquité, et ne croit que là sont les sources vives auxquelles l’artiste doit toujours aller demander l’inspiration ; mais autant une étude intelligente de l’antique est profitable, autant une imitation étroite serait funeste. En exprimant cette opinion, nous sommes loin de nous croire des barbares, et quoi qu’en dise le spirituel secrétaire de l’Académie, nous sommes persuadés que l’enseignement des beaux-arts ne pourra que profiter de l’utile réforme apportée par le décret du 13 novembre 1863. C’est toujours comme secrétaire de cette Académie, dont il venait de défendre la cause avec tant de vivacité, qu’il eut à prononcer l’éloge de ses membres décédés, et, dans ces. discours, la souplesse et le charme de son talent apparurent sous un nouveau jour. Il prononça successivement les éloges d’Horace Vernet, de Flandrin et de Meyerbeer. À ce dernier surtout, une vive curiosité attendait ses paroles ; on se demandait comment il allait parler d’un art qui semblait nouveau pour lui, mais toutes les muses sont sœurs, et son appréciation du grand compositeur fut vivement applaudie de tous les gens de goût et d’esprit. On remarqua, entre autres, les deux passages suivants, qui peignent trop fidèlement l’art en général et la musique en particulier au XIXe siècle, pour que nous ne les citions pas : « Le trait dominant du XIXe siècle français, c’est l’éclectisme. Choisir, choisir partout, et composer des beautés nouvelles avec des éléments anciens, telle est la loi des époques,