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térée ou que tu aies des raisons d’être chagrine, que je ne puis deviner ; alors, je regrette la vitesse avec laquelle on m’éloigne de mon cœur. Je sens vraiment que ta bonté naturelle n’existe plus pour moi, et que ce n’est que tout assuré qu’il ne t’arrive rien de fâcheux que je puis être content. Si l’on me fait la question si j’ai bien dormi, je sens qu’avant de répondre j’aurais besoin de recevoir un courrier qui m’assurât que tu as bien reposé. Les maladies, la fureur des hommes ne m’affectent que par l’idée qu’ils peuvent te frapper, ma bonne amie. Que mon génie, qui m’a toujours garanti au milieu des plus grands dangers, t’environne, te couvre, et je me livre découvert. Ah ! ne sois pas gaie, mais un peu mélancolique, et surtout que ton âme soit exempte de chagrin, comme ton corps de maladie : tu sais ce que dit là-dessus notre bon Ossian. »

« Écris-moi, ma tendre amie, et bien longuement, et reçois les mille et un baisers de l’amour le plus tendre et le plus vrai. »

On voit comme tous les sentiments touchaient aux extrêmes chez cet homme singulier : son amour était aussi fougueux que son génie militaire.

En partant pour cette immortelle campagne d’Italie, il emportait avec lui 48, 000 fr. en or, et 100, 000 fr. en traites, qui furent en partie protestées. C’est avec ce faible véhicule, qui mit pourtant le Trésor à sec, que le général en chef de cette armée, manquant de tout depuis longtemps, sut la conduire au pas de charge dans les plaines fertiles de l’Italie.

L’armée, stationnaire dans les Alpes-Maritimes et dans la partie de la rivière de Gênes que nous occupions était ainsi distribuée vers le 10 mars (4 ventôse an IV) :

Avant-garde, commandée par le général divisionnaire Masséna, ayant sous ses ordres les généraux La Harpe et Meynier ; les adjudants de brigade Pijon, Saint-Hilaire, Cervoni, Ménard, Dammartin et Joubert ; les adjudants généraux Dalons, Chabran, Giacomoni, Boyer, Monnier et Lorcet. Les généraux La Harpe et Meynier commandaient la première et la deuxième division de cette avant-garde à Savone et au bourg de Finale,

Corps de bataille : première division commandée par le général divisionnaire Augereau, ayant sous ses ordres les généraux de brigade Banel, Victor et Rusca ; les adjudants Verdier et Quesnin, au quartier général de Nice.

Deuxième division, commandée par le général divisionnaire Sérurier, ayant sous ses ordres les généraux de brigade Pelletier, La Salcette, Fiorella et Bizannet ; les adjudants généraux Couthaud et Vinose, à Ormea.

Troisième division, commandée par le général divisionnaire Macquart, ayant sous ses ordres le général de brigade Dallemagne, l’adjudant général Escale et le chef de brigade Nicolas.

Quatrième division, commandée par le général divisionnaire Garnier, ayant sous ses ordres les généraux de brigade Verne, Charton, Davin et Servier ; l’adjudant général Rambaud.

Le total effectif de toutes ces divisions, avant-garde et corps de bataille, était de 43,443 hommes.

C’est avec 48,000 fr. en or et 43,443 hommes, à peu près autant de francs que d’hommes, que le général en chef Bonaparte allait conquérir l’Italie, la ravir à l’aigle à deux têtes, à l’aigle autrichienne,

                    Aquila grifagna
Che per più divorar due becchi porta,

suivant l’expression du poëte Alamanni.

C’est le général en chef Bonaparte qui, de son souffle, va ranimer cette armée, languissante malgré son courage et ses vertus républicaines ; c’est lui qui va imprimer à tous ces corps la vie et le mouvement, et qui, en quelques jours, à travers les champs glorieux de Montenotte, de Millesimo et de Mondovi, et l’héroïque passage du pont de Lodi, les portera de Nice à Milan (15 mai).

Ainsi, un mois et demi avait suffi à ce jeune général de vingt-six ans et neuf mois pour culbuter le vieux Beaulieu, l’un des généraux les plus aguerris de l’Autriche. Les ennemis nous appelaient par dérision les héros en guenilles, et ils avaient doublement raison : nous étions l’un et l’autre. Et la preuve, c’est que nous entrions à Milan le 15 mai, triomphants, mais très-positivement en guenilles. Il n’y a rien d’exagéré dans ce qu’a dit de ces héroïques soldats notre grand chansonnier national :

Pieds nus, sans pain, sourds aux lâches alarmes,
Tous à la gloire allaient du même pas.

Un témoin oculaire, car il était dans un rang obscur de l’expédition, commis aux vivres, Henri Beyle (Stendhal), dans son beau roman de la Chartreuse de Parme, décrit ainsi notre entrée dans la vieille capitale de la Lombardie, depuis trop longtemps autrichienne :

« Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fît son entrée à Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur..

« Les miracles de hardiesse et de génie dont l’Italie fut témoin en quelques mois réveillèrent un peuple endormi ; huit jours encore avant l’arrivée des Français, les Milanais ne voyaient en eux qu’un ramassis de brigands, habitués à fuir toujours devant les troupes de Sa Majesté Impériale et Royale : c’était du moins ce que leur répétait trois fois la semaine un petit journal grand comme la main, imprimé sur du papier sale, »

Mais le jeune général victorieux ne s’arrêta pas là ; ce n’est pas la, en effet, qu’il voulait signer la paix avec cette Autriche, éternel ennemi du développement de la liberté et de la civilisation européenne. Poussant sa vaillante armée en avant, il battait encore les meilleurs généraux de l’Autriche, Wurmser à Castiglione (août) et à Bassano (septembre), Alvinzi à Arcole (15-18 novembre), et à Rivoli (14 janvier 1797) ; il conquérait l’Istrie, la Carniole et la Carinthie (30 mars), il renversait la vieille et aristocratique république de Venise. Marchant droit sur Vienne, il ne s’arrêtait à Léoben (18 avril) que pour signer les bases du traité de paix de Campo-Formio (17 octobre), constatant la supériorité de la France sur ses ennemis ; et il fondait en Italie deux républiques provisoires (la Cisalpine et la Transpadane).

Ah ! cette campagne d’Italie est vraiment merveilleuse, sans comparaison possible avec les plus belles que présentent les annales militaires chez tous les peuples, et la première que devront lire et méditer les Alexandres et les Césars futurs, si, pour le malheur des nations, l’avenir tient encore en réserve dans son sein le germe de quelque illustre conquérant. Tout s’y accomplit de point en point comme le jeune héros l’avait prévu, ou, pour dire plus justement, comme il l’avait calculé. C’est une campagne que l’on pourrait appeler mathématique, quelles que soient la nouveauté et l’étrangeté de cette expression. Aujourd’hui, quand il s’agit de construire un de ces ponts en fer comme ceux qui traversent nos fleuves, le mécanicien ne se livre à aucun travail et à aucune étude sur le terrain. Retiré au fond de son atelier, il trace ses plans, prend ses mesures, fait fabriquer, et, quand tout est prêt : tympans, barres, montants, traverses, armatures, crampons, boulons, clavettes, broches, viroles, etc., il ne reste plus qu’une opération toute mécanique, toute machinale de montage ; chaque partie vient prendre la place qui lui a été assignée ; tout cela se monte et se démonte comme les fractions d’un squelette auquel ne manque aucune des innombrables articulations. C’était la méthode inventée par Bonaparte, « Mélas est là ; je l’attirerai ici, et je le battrai là. » Et la victoire arrivait, se déduisait mathématiquement comme l’inconnue d’une équation algébrique. Et, ce qu’il y a de plus merveilleux encore, c’est que l’homme, c’est que l’artiste n’est nullement absorbé par le conquérant. En effet, voici l’homme sous une nouvelle face, et c’est avec une intention marquée que nous soulignons ce mot ; car nous le prenons dans toute la plénitude de son acception, dans l’acception que lui donnera plus tard Napoléon lui-même quand il dira au génie olympien de l’Allemagne : « Monsieur Goethe, vous êtes un homme. »

Nous avons vu le guerrier, voyons l’artiste. Le conquérant avait sans cesse les yeux tournés vers Paris : c’était l’Athènes de ce nouvel Alexandre ; mais si le général regardait les Tuileries, l’artiste regardait le Louvre. Voici un état officiel des objets de science et d’art enlevés par ses ordres pour être transportés à Paris :

À Milan.Bibliothèque Ambrosienne.

Le carton de l’école d’Athènes, par Raphaël.

Un tableau de Luisini, représentant une Vierge.

Idem, de Rubens, une Vierge et des fleurs.

Idem, du Giorgion, représentant un concert.

Idem, de Lucas d’Olande, représentant une Vierge.

Idem, une tête de femme, de Léonard de Vinci.

Un soldat et un vieillard, du Calabrese.

Un vase étrusque, représentant diverses figures avec ornements.

Un manuscrit sur papyrus d’Égypte, ayant environ onze cents ans, sur les Antiquités de Josèphe, par Ruffin,

Un Virgile manuscrit, ayant appartenu à Pétrarque, avec des notes de sa main.

Un manuscrit très-curieux sur l’histoire des papes.

Un tableau peint par le Titien, représentant un Couronnement d’épines.

Idem, un Saint Paul, de Gondenzo Ferrari.

Alla Vittoria. — Un tableau de Salvator Rosa, représentant une Assomption.

À l’Académie de Parme. — La Vierge de saint Jérôme, par le Corrége.

Un tableau de Schidone.

Une Adoration, par Majolla.

Aux Capucins. — Un chien, du Guerchin.

Une Vierge et plusieurs saints, par Ann. Carrache.

Saint-Paul.Jésus-Christ, Saint Paul, Sainte Catherine, par Raphaël.

La Stenata. — le Mariage de la Vierge, par Procaccini.

San-Gio. — Une Descente de croix, par le Corrège.

Capucins. — Un Guerchin, représentant la Vierge et saint François,

Saint-Sépulcre. — La Madonna della Scodelia, du Corrége.

Saint-Roch. — Un tableau de l’Espagnolet, représentant divers saints.

Idem, de Paul Véronèse, représentant saint Roch.

San-Quintino. — Un tableau de Fraimingo, représentant un baptême.

Une Assomption, par l’Espagnolet.

. Un tableau de Lanfranc, Saint Benoit.

Saint-André. — Un tableau de l’Espagnolet.

Saint-Michel. — Un tableau d’un élève du Corrége, représentant une Vierge.

Saint-Paul. — Une Vierge d’Augustin Carrache.

Au Dôme de Plaisance. — Deux tableaux de Louis Carrache.

Une note, datée de Paris, dit : « Les tableaux venant d’Italie sont arrivés à Paris sur six chariots, sans avoir éprouvé d’accident. Ils n’ont été pris ni par les barbets ni brisés sur les rochers des Alpes. » Le Directoire en fit la distribution au Jardin des plantes, à l’École polytechnique, à l’Institut et à la Bibliothèque nationale.

Dans le lot de l’Institut, il y avait les douze manuscrits de Léonard de Vinci sur les Sciences.

Dans le lot de la Bibliothèque, le Virgile manuscrit ayant appartenu à Pétrarque, avec des notes de la main de l’illustre poëte sur Virgile ; le manuscrit de Galilée sur les fortifications ; le carton des ouvrages de Léonard de Vinci.

Le 7 floréal, l’armée d’Italie étant à Cherasco, et, après la prise fameuse de Tortone, Bonaparte avait mandé au Directoire : « Il me serait utile d’avoir trois ou quatre artistes connus pour recueillir les monuments des beaux-arts. »

Au commencement de prairial, comme il venait de conquérir Milan et qu’il rêvait de rétablir le Capitole, il signait avec le duc de Modène un armistice où se lit cet article : « Le duc de Modène sera tenu de livrer vingt tableaux à prendre dans sa galerie ou dans ses États, au choix des citoyens qui seront commis à cet effet. »

Le 15 prairial, on le retrouve à Vérone, d’où il écrit cette lettre aux Directeurs : « J’arrive dans cette ville, citoyens Directeurs, pour en partir demain matin ; elle est très-grande et très-belle… Je n’ai pas caché aux habitants que si le prétendu roi de France n’eût évacué leur ville avant mon passage du Pô, j’aurais mis le feu à une ville assez audacieuse pour se croire la capitale de l’empire français… Je viens de voir l’amphithéâtre ; ce reste du peuple romain est digne de lui. Je n’ai pu m’empêcher de me trouver humilié de la mesquinerie de notre Champ-de-Mars : ici, cent mille spectateurs sont assis, et entendraient facilement l’orateur qui leur parlerait. »

En messidor, il est à Bologne. « Les vingt tableaux que doit nous fournir Parme, écrit-il au Directoire, sont partis ; le célèbre tableau de Saint Jérôme est tellement estimé dans ce pays qu’on offrait un million pour le racheter. »

Le Directoire a envoyé les artistes et les savants demandés, et le jeune conquérant écrit au Directoire : « Le citoyen Barthélémy s’occupe, dans ce moment-ci, à choisir les tableaux de Bologne. Il compte en prendre une cinquantaine, parmi lesquels se trouve la Sainte Cécile, qu’on dit être le chef-d’œuvre de Michel-Ange.

« Monge, Berthollet et Thouin sont à Pavie, où ils s’occupent à enrichir notre Jardin des plantes et notre cabinet d’histoire naturelle. J’imagine qu’ils n’oublieront pas une collection complète de serpents qui m’a paru bien mériter la peine de taire le voyage. »

Enfin il écrivit de Milan cette superbe épître à l’astronome Oriani :

« Les sciences qui honorent l’esprit humain, les arts qui embellissent la vie et transmettent les grandes actions à la postérité, doivent être spécialement honorés dans les gouvernements libres. Tous les hommes de génie, tous ceux qui ont obtenu un rang distingué dans la république des lettres, quel que soit le pays qui les ait vus naître, sont Français. Les savants, à Milan, n’y jouissaient pas de la considération qu’ils devaient avoir. J’invite les savants à se réunir et à me proposer leurs vues sur les moyens qu’il y aurait à prendre, ou les besoins qu’ils auraient pour donner aux sciences, et aux beaux-arts une nouvelle vie et une nouvelle existence. Tous ceux qui voudront aller en France y seront accueillis avec distinction. Le peuple français ajoute plus de prix à l’acquisition d’un savant mathématicien, d’un peintre de réputation, d’un homme distingué, que de la ville la plus riche et la plus abondante. »

Ainsi cet homme singulier voulait avoir pour lui les artistes en même temps que les victoires, et Raphaël, Léonard de Vinci, Corrége et Michel-Ange étaient placés sur le même rang que Montenotte, Millesimo, Arcole et Castiglione.

Il n’entre pas dans notre plan de raconter cette campagne d’Italie, glorieuse entre toutes, qui vient d’amener cette digression ; ce sujet appartient à l’histoire des grandes guerres de la République, et, dans les colonnes de ce dictionnaire, les noms d’Arcole, de Rivoli et de Castiglione brilleront de tout leur éclat. Notre plan n’est, dans cette partie de l’histoire du grand capitaine, du premier génie militaire des siècles passés, de ce siècle, et peut-être aussi des siècles futurs, que d’exposer ce qui sert à le caractériser comme citoyen et soldat d’un grand peuple jusqu’au 13 brumaire ;

Quand, simple citoyen, soldat d’un peuple libre,
Aux bords de L’Eridan, de l’Adige et du Tibre,
Foudroyant tour à tour quelque tyran pervers,
Des nations en pleurs sa main brisait les fers ;
Ou quand son noble exil aux sables de Syrie,
Des palmes du Liban couronnait sa patrie…
                    Marie-Joseph Chénier.

Il nous suffira de dire que toute la suite de l’histoire ne nous offre aucun homme qui, a vingt-sept ans et venu d’où nous l’avons vu partir, ait atteint à cet âge un aussi haut degré de gloire, et fait sentir la foudroyante activité qu’il déploya dans cette campagne, où il se montra surtout républicain.

Il était sincère alors, il croyait la République immortelle dans ces premiers jours d’enthousiasme et de gloire. Il disait fièrement et officiellement à ceux qui parlaient de reconnaître la République française : « La République française est comme le soleil : aveugle qui ne la voit pas ! » Les mêmes sentiments l’animaient aussi en particulier. À Milan, en mai 1796, il disait à un de ses amis : « La République, c’est la flèche d’Evandre qui ne retombe pas, et se change en étoile brillante. »

Illusion sublime des premiers jours ! moment unique où la République était comparée par Bonaparte à la flèche d’Evandre ! le besoin seul de refouler le royalisme vous a éteints dans son cœur, nobles sentiments qui promettiez de donner à la France un Washington au lieu d’un César !

En effet, quand il vit, moins de deux ans après, la contre-révolution prendre des ailes à l’intérieur, il sentit qu’on ne l’abattrait point en se bornant à n’user envers elle que des armes constitutionnelles, des armes de la liberté. Au dehors, l’histoire nous montre le Directoire suivant la grande politique de la Convention, portant la liberté aux vaincus, et entreprenant d’affranchir l’Europe du pouvoir absolu et de la féodalité, justement persuadé que la France ne pouvait être une république heureuse et paisible qu’entourée de républiques heureuses et paisibles. Cependant, à l’intérieur, le désordre, entretenu par les royalistes au nom de la liberté, entravait la marche du gouvernement et empêchait la France d’être aussi heureuse qu’elle était glorieuse et puissante. Les républicains auteurs de la Constitution de l’an III, craignant les abus du pouvoir exécutif, l’avaient restreint avec une méfiance excessive. Il était faible, pauvre, dépouillé de tout appareil d’ostentation, au lieu d’étaler cette magnificence royale que les Français ont la bonhomie d’admirer, tout en la payant ; il vivait de rien et gouvernait avec peu de chose. Quelques légers impôts subvenaient aux frais de nombreuses armées. Les étrangers et les royalistes dépensaient en France plus d’argent pour corrompre et diviser, que le pouvoir n’en avait à sa disposition pour le maintien de l’ordre de choses établi. La liberté de la presse était plus entière qu’elle ne l’a jamais été. Les pouvoirs étaient publiquement insultés ; les lois républicaines qu’on parvenait à faire voter naissaient flétries d’avance par les royalistes et les journaux ; les feuilles appartenant aux partis extrêmes déclamaient à leur aise contre le Directoire ; le blâme et le ridicule étaient déversés à pleines mains sur ses actes et sur ses membres. En France, on aime le pouvoir qui éblouit et dont l’allure est altière ; on trouvait la République trop bourgeoise. Le parti royaliste, parfaitement organisé par les nombreux agents des Bourbons, conspirait à Clichy, et cherchait un Monk parmi nos généraux ; les chouans infestaient les grandes routes ; de leur côté, les anarchistes faisaient au camp de Grenelle une tentative babouviste contre le Directoire. Comment résister à ces conspirations sans des mesures violentes ? Le renouvellement amena dans les Conseils une majorité de royalistes se disant constitutionnels ou purs, qui cacha peu son intention de renverser le Directoire. Deux des directeurs eux-mêmes paraissaient disposés à ne pas retenir le pouvoir, et Carnot, malheureusement, était de ceux qui croyaient devoir abandonner la partie. Les trois autres avaient à choisir, ou de violer la constitution pour la sauver, ou de la laisser tomber. Ils prirent le premier parti. Soutenus par l’armée d’Augereau et par celle de Hoche, ils firent occuper militairement le Corps législatif : cinquante et un représentants, les deux directeurs et plusieurs journalistes furent condamnés à la déportation. C’est ce que, dans l’histoire, on a appelé le 18 fructidor. Si cette mesure avait besoin d’une justification, le nom de Hoche, le nom le plus pur de notre grande Révolution, la fournirait à lui seul.

Ce n’est pas ici le lieu de juger cet épisode de notre histoire révolutionnaire ; il est facile, quand on n’examine pas les choses de près, de n’avoir que du blâme pour ces sortes de coups d’État ; nous croyons seulement que