Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 3, part. 1, Ca-Cap.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tentrionale de l’Ile de Cuba, à 88 kilom. O. de la Havane : il est presque divisé en deux parties par la pointe de Juan Gangu, où se trouve un fort, et il a 10 kilom. dans sa partie la plus large et 5 kilom. dans la plus étroite. Ce port offre une profondeur suffisante aux plus grands navires. Le village du même nom se trouve à la partie orientale du port et compte 700 habitants.

CABANATUAN, ville de l’Océanie (Malaisie), dans l’île de Luçon, archipel des Philippines, ch.-l. de la province de Nueva-Ecija, diocèse de Manille ; 9,200 hab. Culture et commerce de tabac, maïs et canne à sucre.

CABANE s. f. (ka-ba-ne — du celt. cab, hutte.) Petite et chétive maison, construite avec des matériaux grossiers et de peu de valeur : Cabane de berger, de bûcheron. Les maisons, dans tous ces cantons maritimes, n’étaient que des cabanes, (Volt.) Es-tu chrétien ? Je répondis que je n’avais point trahi les génies de ma cabane, (Chateaub.) La cabane porte en germe toute l’architecture grecque et romaine. (Batissier.) Toute société commence par la cabane, et finit par la cité. (Méry.) La nature a distribué des parcelles de bonheur sur les trônes, dans les palais, les cabanes et les cachots. (Toussaint.) La cabane de roseaux du Maraichin, quoique ouverte à tous les vents, n’est pas sans charme à ses yeux. (A. Hugo.)

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet a ses lois (de la mort),
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N’en défend pas nos rois.
Malherbe.
...... Du prix de sa journée
Il meubla sa cabane et vêtit ses enfants.
Saint-Lambert.
Ils virent a l’écart une étroite cabane,
Demeure hospitalière, humble et chaste maison.
La Fontaine.
Tout est pour eux bon gîte et bon logis,
Sans regarder si c’est Louvre ou cabane.
La Fontaine.
Phyllis sera bientôt mon épouse chérie.
Reine dans ma cabane et nymphe à ma prairie.
De Banville.

— Par anal. Construction étroite, et grossière, petit réduit servant de retraite à des animaux : Une cabane de chien. Une cabane pour des lapins.

— En mauv. part. Habitation étroite et misérable : Il parlait de se bâtir un hôtel, il s’est fait construire une cabane.

— Mar. Petite chambre ou réduit en planches, réservé, dans un navire, aux officiers, aux pilotes ou aux passagers : Les officiers du bâtiment étaient dans leurs .cabanes. (Acad.) || On dit aussi cahute ou cajute.

— Navig. fluv. Réduit qui sert de cuisine et de chambre commune aux mariniers. || Tente dressée au-dessus du pont, en forme de toit à deux pentes, pour servir d’abri aux hommes et aux marchandises. || Sorte de bateau qui remplissait autrefois le service de coche sur les rivières, et qui, à son milieu, offrait un logement ou cabane pour les mariniers et les passagers : Un tas de portefaix qui attendent sur le port ceux qui viennent par eau, pour porter leurs hardes, se jetèrent dans la cabane. (Scarron.)

— Oisell. Grande cage pour faire couver des oiseaux.

— Econ. rur. Réduit en bruyère ou en autre menu bois, dans lequel on place les vers à soie pour qu’ils y filent leurs cocons. Cabane de bruyère. Aujourd’hui, on remplace quelquefois les cabanes par des cocounières. || Nom que l’on donne, dans les marais de la Vendée, à de grandes exploitations rurales qui ne renferment pas moins de 150 à 800 hectares.

Syn. Cabane, baraque, bïcoque, cahute, chaumière, hutte, maisonnette. Une maison-sonnette est simplement une petite maison, sans aucune idée fâcheuse ou accessoire. Une cabane est une petite maison réduite au strict nécessaire, c’est la demeure du pauvre, il y trouve un abri, mais rien pour l’élégance ou pour le confortable. La baraque est une cabane faite à la hâte, sans ordre et sans solidité. La bicoque se distingue surtout par son exiguïté, on sent en la voyant qu’elle ne résistera pas longtemps à l’action du vent ou de la pluie. La cahute est construite avec les matériaux tes plus grossiers. La chaumière est couverte en chaume, c’est la demeure du paysan, tout y est simple et agreste, mais elle n’exclut pas l’idée d’un bonheur paisible. Les huttes sont élevées par des sauvages, et quelquefois par des soldats ou par des voyageurs trop pressés pour dresser même des baraques.

Encycl. Mar. A bord d’un bâtiment de commerce, les cabanes sont construites en dedans des murailles de l’arrière. À bord des bâtiments de guerre, les cabanes des maîtres sont placées dans les entre-ponts des frégates et les faux ponts des vaisseaux. Celles-ci sont alors assez vastes ; on y voit non-seulement un lavabo, mais des étagères, etc. Celles qui touchent à la muraille même du navire reçoivent le jour, et (si le temps le permet) de l’air par des hublots ou par des verres lenticulaires nommés lentilles. Quelques-unes, comme celles des transatlantiques, deviennent de véritables chambres. Mais généralement les cabanes ne contiennent que le strict nécessaire. Leur couchette s’appuie à la muraille et ne possède que la longueur ou la largeur d’un homme. Souvent on en construit deux l’une sur l’autre, tant est réduit l’espace dont un navire dispose. D’ailleurs, les accidents de la navigation, du roulis, de la bande, du tangage exigeraient seuls que la cabane fût réduite aux proportions les plus exiguës. Les Levantins désignent la cabane sous les noms de cahute. Nous disons aussi cabine.

CABANE (Philippine), dite la Catanoise, était blanchisseuse et femme d’un pécheur de Catane. Toute jeune encore, et belle de cette beauté pleine, riche, luxuriante que le Corrège donne à sa Madeleine, elle fut choisie pour nourrir le fils de Robert, duc de Calabre, et depuis roi. Mais la Catanoise n’était pas belle seulement ; elle était née avec un esprit fin, délié, fait pour l’intrigue. Son mari étant mort, elle se fit aimer et épouser par un jeune gentilhomme sarrasin au service de Raymond. Bientôt après, nous la retrouvons en qualité de dame d’honneur à la cour de la duchesse de Calabre, Catherine d’Autriche, épouse du fils de Robert. Ce n’était point assez pour l’ambitieuse Catanoise ; bientôt elle parvint à faire adopter son mari par Raymond, et le maître donna à son serviteur son nom, son rang, sa fortune.

Catherine d’Autriche mourut ; mais, en mourant, elle ordonna que la petite blanchisseuse de Catane passerait comme gouvernante au service de sa fille aînée Jeanne Ier. La Catanoise fut, non pas la gouvernante, mais l’amie complaisante, la complice de cette folle reine de dix-neuf ans ; elle l’aida dans ses intrigues amoureuses, servit ses passions ; enfin lui conseilla de se défaire de son mari, André de Hongrie, et la poussa à ce meurtre.

Tandis que Jeanne, poursuivie par Louis son beau-frère, se réfugiait dans son comté de Provence, après avoir épousé son amant, Louis de Tarante, la Catanoise était arrêtée par ordre de Bertrand de Bayse, chargé par le pape d’instruire le procès de la meurtrière et de ses complices.

Jetée en prison, torturée cruellement, elle mourut bientôt, mais sans avoir faibli un seul instant, sans avoir laissé échapper un mot compromettant pour sa maîtresse (1345).

Son fils Robert de Cabane, accusé d’avoir participé au meurtre d’André de Hongrie, fut tenaillé à son tour, et lui aussi mourut dans les tortures.

Voltaire et l’abbé Mignot ont fait de Jeanne de Naples une figure douce, aimable, faible, faible surtout, laissant retomber ainsi sur la Catanoise tout l’odieux de la conduite de la reine de Naples, de Sicile et de Jérusalem, faisant d’elle le mauvais ange de la jeune épouse d’André de Hongrie et de l’amante de Louis de Tarante.

Nous ne parlons pas de la tragédie de La Harpe, froide, sans coloris et point du tout fidèle à l’histoire.

CABANÉ, ÉE (ka-ba-né) part. pass. du v. Cabaner. Retiré, abrité sous une cabane : Le chasseur attend, cabané sous une feuillée épaisse. (Buff.)

CABANEAU s. m. (ka-ba-no — dimin. de cabane). Navig. Petite loge au bord de la mer, destinée à loger les équipages des bâtiments qui font la pêche de la morue.

CABANEL (Alexandre), peintre français, né à Montpellier en 1823. Elève de Picot, il débuta au Salon de 1844, par un tableau représentant l’Agonie du Christ, et remporta, concurremment avec Benouville, le premier grand prix de Rome en 1845 ; le sujet du concours était : Jésus au prétoire. Parmi les tableaux qu’il exécuta, durant son séjour à la villa Médicis, nous ne pouvons guère citer qu’un Saint Jean qui figura au Salon de 1850. L’ouvrage qui commença à attirer sur lui l’attention fut la Mort de Moïse, tableau d’un style élevé et d’un caractère imposant, pour lequel il remporta une médaille de 2e classe au Salon de 1852. Il avait envoyé à ce même Salon une Velléda, d’un dessin élégant, mais d’une couleur un peu pâle. En 1853, il n’exposa qu’un portrait de femme ; mais cet ouvrage, d’une exquise distinction de lignes et d’une exécution serrée, promettait un maître du genre. Ce beau portrait et le Moïse reparurent à l’exposition universelle de 1855 et y furent très-remarqués, ainsi que deux nouveaux tableaux : le Martyr chrétien, composition originale, arrangée avec bonheur, et à laquelle il ne manque qu’un clair-obscur plus vigoureux, et la Glorification de saint Louis, peinture allégorique, d’une assez belle ordonnance, mais dont la couleur laisse aussi à désirer. M. Cabanel ne pouvait être oublié dans la distribution des récompenses qui eut lieu à la suite de ce grand concours de 1855 : il obtint une médaille de 1re classe et la croix de la Légion d’honneur. Sa réputation se soutint aux expositions suivantes : En 1857, à côté d’un Michel-Ange dans son atelier et d’un Othello racontant ses batailles, tableaux peu réussis, il exposa une peinture religieuse, Aglaé et Boniface, dans laquelle il sut rappeler un chef-d œuvre d’Ary Scheffer, Saint Augustin et sainte Monique, non-seulement par l’analogie du sujet, mais surtout par l’élévation du sentiment, la suavité de l’expression et la sévérité du style. Une petite scène sentimentale, bien pensée et ingénieusement composée, la Veuve du maître de chapelle, et un portrait de femme, d’une tournure aristocratique, furent les seuls ouvrages de M. Cabanel qui figurèrent au Salon de 1S59. Son exposition de 1881 ne comprit pas moins de six tableaux ; une Nymphe enlevée par un faune, groupe disposé de la façon la plus heureuse, peint dans des tons frais et harmonieux, se détachant sur un paysage largement brossé ; le Poëte florentin, petit tableau de genre, où les personnages ont de l’élégance, le dessin de la fermeté, le coloris de la vigueur ; une Madeleine repentante, un peu maniérée dans sa grâce ; le portrait en pied de M. Rouher, ministre de l’agriculture, et deux excellents portraits de femmes (celui de Mme Isaac Pereire et celui de Mme W. R.). La Naissance de Vénus, qui parut au Salon de 1863, obtint un grand succès : le public fut charmé par l’attitude voluptueuse, la tête souriante, le regard langoureux et mutin de la déesse née de l’écume de l’océan ; les connaisseurs admirèrent le bel agencement des lignes, la délicatesse et la pureté des contours, la souplesse du torse modelé dans des tons clairs et lumineux. Cette peinture séduisante appartient à l’empereur, ainsi que la Nymphe enlevée par un faune. Outre cette Vénus, M. Cabanel exposa, en 1883, une Florentine, belle tête d’étude, pensive et sévère, et le portrait de Mme la comtesse de Clermont-Tonnerre, du dessin le plus pur, le plus élégant, du modelé le plus ferme, le plus serré, de la couleur la plus fine et la plus juste. Le portrait de l’empereur, en habit noir et culotte courte, qui figura au Salon de 1865, et qui valut à M. Cabanel a grande médaille d’honneur, est bien loin sans doute d’avoir le caractère élevé et poétique de celui que Flandrin a fait du même personnage : mais, s’il est vrai que ce dernier soit entré plus avant, pour ainsi dire, dans l’intimité intellectuelle de son modèle, il est juste de reconnaître que M. Cabanel a rendu avec plus de précision et de vérité l’homme extérieur. Au reste, nous devons dire que M. Cabanel a été généralement moins heureux dans ses portraits d’hommes que dans ses portraits de femmes : pour ceux-ci, il est certainement le peintre le plus distingué de notre école contemporaine. N’oublions pas de citer encore, en ce genre, le beau portrait de Mme la vicomtesse de Gannay qui a été exposé en 1865. L’exposition universelle ouverte en ce moment nous offre de nouveau quelques-uns des meilleurs ouvrages de l’artiste : la Nymphe enlevée par un faune, la Naissance de Vénus, les portraits de l’empereur, de M. Rouher, de la comtesse de Clermont-Tonnerre ; elle nous montre, de plus, une toile, commandée par le roi de Bavière, le Paradis perdu, vaste composition, où l’on retrouve le dessin mâle et fier qui a fait autrefois le succès du Moïse. M. Cabanel a obtenu une grande médaille d’honneur pour ces divers ouvrages. On doit encore à cet artiste d’importantes peintures décoratives, notamment à l’Hôtel de ville de Paris. Nommé membre de l’Académie des beaux-arts, en 1863, en remplacement d’Horace Vernet, professeur de peinture à l’Ecole des beaux-arts, après la réorganisation de cet établissement, la même année, M. Cabanel a été promu au grade d’officier de la Légion d’honneur en 1864.

CABANER v. n. ou tr. (ka-ba-né — rad. cabane). Se mettre, se retirer sous des cabanes : Les sauvages cabanent autour de leur chef. (Acad.) Quinze cents soldats, mille desquels il avait fait descendre et cabaner à une petite île. (Palma-Cayet.)

— Econ. rur. Préparer, dresser les cabanes des vers à soie, lorsqu’ils sont près de filer leurs cocons : Il est temps de cabaner, ces vers à soie vont monter. Quand on remarque que les pattes membraneuses deviennent translucides, et que quelques larves ne mangent plus et se mettent à errer, il faut s’empresser de cabaner. || On dit aussi encabaner.

— Mar. Chavirer, être renversé sens dessus dessous, en parlant d’une embarcation. || En parlant d’une ancre, Cesser de mordre sur le fond et ne plus retenir le navire. || Cabaner sur le fond, Se dit d’une ancre dont les becs se présentent horizontalement et le jas verticalement. || Activ. Mettre des objets dans une position inverse de leur position naturelle. || Cabaner une embarcation, Renverser la quille en l’air : On cabane une embarcation en la mettant sens dessus dessous, en la renversant complètement sur le pont d’un navire, sur une cale ou sur un rivage ; dans cette position, elle figure une cabane, dont la toiture est représentée par la quille et la carène. || Cabaner une ancre, La placer en travers d’une embarcation, le jas étant en position verticale.

CABANES, ville d’Espagne, province et à 20 kilom. N.-E. de Castellon-de-la-Plana ; 2,000 hab. Elève de bétail, fabriques d’eau-de-vie, moulins à farine et à huile, église paroissiale très-remarquable.

CABANES (les), bourg de France (Ariége). V. Cabannes (les), au Supplément.

CABANES (Guigne ou Guigo de), troubadour provençal du XIIIe siècle. On a de lui quatre tensons, qu’il composa, le premier avec un autre troubadour nommé Isauris, le deuxième avec Esquiletta ou Esquilha, les deux autres avec Allamanon le jeune. On pense qu’il fit ces poésies au temps de Raymon Bérenger IV et de Charles d’Anjou.

CABANIA-CRÉPOST, fort de la Russie d’Asie, gouvernement de Tobolsk, district de Courgane. C’est une des forteresses qui forment la ligne de défense du gouvernement de Tobolsk.

CABANlER s. m. (ka-ba-nié — rad. cabane). Nom donné, en Bretagne et dans la Vendée, à un cultivateur propriétaire ou gros fermier : Les cabaniers habitent des cabanes de roseaux. (A. Hugo.) Le cabanier est roi dans sa cabane. (V. Hugo.)

CABANIS s. m. (ka-ba-ni). Agric. Mode de greffe par approche entre deux branches, au moyen d’entailles pratiquées sur l’une et sur l’autre : Greffer en cabanis.

CABANIS (Pierre-Jean-Georges), écrivain français, médecin et philosophe de l’école sensualiste, né d’une famille honorable à Cosnac (Charente-Inférieure) en 1757, mort à Paris en 1808, à cinquante-deux ans. Il était âgé de sept ans quand son père le confia aux soins de deux prêtres des environs. Sous leur direction, est-il dit dans une notice écrite par Cabanis lui-même, « il donna quelques indices de talent ; il manifesta surtout un esprit de suite et une ténacité dans ses habitudes qui durent faire pressentir que, s’il prenait une bonne route, il pourrait obtenir des succès. » C’est lui qui se juge ainsi, et il était à même de se connaître. Quoi qu’il en soit, à dix ans il entra chez les doctrinaires qui dirigeaient le collège de Brives depuis quelques années. Les jésuites venaient d’être chassés de France, et les doctrinaires avaient profité de l’occasion pour envahir l’enseignement. L’austérité janséniste de ses nouveaux maîtres irrita d’abord la nature peu endurante du jeune Cabanis. Mais « on s’aperçut dans les basses classes que la sévérité ne réussissait pas avec lui, et quelques rigueurs déplacées commencèrent à donner à son caractère une roideur dont il ne s’est corrigé qu’assez tard. » En seconde, le professeur lui plut ou sut conquérir sur lui de l’ascendant : il devint studieux. En rhétorique, ce fut différent, il ne fit rien, par esprit d’hostilité, et les choses allèrent au point qu’on dut le renvoyer à son père, qui résolut à son tour d’user de rigueur pour mater l’humeur récalcitrante de son fils, ce à quoi il ne réussit aucunement, « L’âme de l’enfant se révolta et s’aigrit de plus en plus. Dès ce moment, il ne fit plus rien. Enfin, au bout d’un an, son père comprit qu’il fallait employer d’autres moyens ; il le conduisit à Paris, et, reconnaissant que sa surveillance ne pouvait avoir sur lui aucune influence utile, il le livra à lui-même au milieu de cette grande ville, à l’âge de quatorze ans. »—« Ce projet était extrême, » ajoute Cabanis ; mais il était conforme au tempérament du sujet, et il eut beaucoup de succès. Le jeune homme se sentait libre, il allait cesser d’employer l’énergie de ses facultés à résister à la volonté d’autrui, sans cesse occupée de morigéner la sienne. « Le goût de l’étude se réveilla chez lui avec une sorte de fureur. Peu assidu aux leçons de ses professeurs de logique et de physique, il lisait Locke, il suivait les cours de Brisson. En même temps, il reprenait en sous-œuvre toutes les différentes parties de son éducation première. » Ces détails intéressants accusent chez Cabanis une organisation puissante et l’instinct naturel du travail. On le voit passer deux années entières à l’étude des lettres classiques, qu’il avait négligées auparavant. Son père essaya de le ramener auprès de lui ; mais le jeune homme, qui avait appris à connaître le prix de l’indépendance, n’y consentit pas, et, comme il prévoyait que son père irrité ne lui enverrait pas d’argent, il se détermina à accepter les modestes fonctions de précepteur dans une famille polonaise. Il avait alors seize ans. En Pologne, où il se rendit, il fut témoin d’événements douloureux.

On était en 1773, c’est-à-dire à l’époque du premier partage de la Pologne. La politique était dès lors ce qu’elle est toujours plus ou moins, une œuvre où l’on ne tient aucun compte du droit et de la justice. Les moyens employés pour obtenir la ratification par la diète des violences commises par la Russie, la Prusse et l’Autriche, donnèrent à Cabanis une idée peu flatteuse des hommes et des choses du XVIIIe siècle. Il en conçut un mépris précoce de l’humanité en général, et une mélancolie dont il ne parvint jamais à se défaire entièrement. Il revint en France au bout de deux ans. Il n’avait retiré de son excursion dans le Nord qu’un peu d’expérience et une connaissance imparfaite de la langue allemande. Turgot, auquel le jeune homme fut présenté, était ministre des finances, et lui aurait peut-être fait une carrière, s’il n’avait été exclu des affaires prématurément. Le père de Cabanis dut lui assurer provisoirement quelques moyens d’existence. Il était alors en relation assez intime avec le poëte Roucher, qui lui inspira le goût de la poésie. L’Académie française avait mis au concours la traduction d’un fragment d’Homère. Il eut l’idée de traduire l’Iliade en entier ; mais ses essais eurent peu de succès, on ne fit pas même attention aux morceaux qu’il soumit au jugement de l’Académie ; il est vrai que des extraits de sa traduction, insérés dans les notes du poëme des Mois que Roucher publia sur ces entrefaites, obtinrent un moment l’estime des lettrés ; mais la poésie n’était pas un métier lucratif, et, l’eût-il été, Cabanis n’était pas fait pour l’exercer avec beaucoup d’honneur. Il le sentait lui-même, et le vide des éloges de complaisance qu’on lui prodiguait dans quelques salons lui pesait lourdement sur la conscience. Son père le pressait d’ailleurs de prendre un chemin utile. Il choisit la médecine. Alors, comme aujourd’hui, la médecine était devenue une science positive, considérée pour son