Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 4, part. 3, Cok-Com.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terie quelquefois aussi. Deux courtisanes célèbres disposent pendant soixante ans du trône pontifical. À l’appel du chef, qui est un des leurs, les nobles quittent leurs châteaux et vivent en princes souverains dans une ville où il n’y a plus de lois. Personne ne réprime cette oligarchie turbulente. L’ancienne constitution est abolie (957). Jean XII conserve pour la forme deux consuls électifs et une douzaine de décurions pour représenter les douze quartiers de la ville ; mais il les subordonne à un patrice qu’il nomme lui-même et qui concentre la justice, la police et la force publique, c’est-à-dire tous les pouvoirs. L’esprit public ne cessa de protester contre cette innovation. En l’an 1144, après maintes tentatives avortées, l’officier papal fut remplacé par un patrice électif que secondait un conseil de cinquante-six sénateurs. Mais la liberté n’y gagna rien, et l’histoire de la cité romaine au moyen âge est remplie de troubles et de tumultes que termine, au XIVe siècle, une insurrection victorieuse suivie d’une réaction terrible et scellée du sang de Rienzi.

Mais la péninsule n’avait pas été envahie tout entière par les barbares. D’abord les lagunes de l’Adriatique avaient ouvert un refuge aux populations qui fuyaient devant les Huns et les Lombards. Là s’élevèrent des villes nombreuses, qui s’unirent sous la suprématie de Venise, la plus importante de toutes ; et l’an 697, dans une assemblée générale des lagunes, Paul-Luc Anaferte d’Héraclée était élu doge de la république vénitienne. Comment une démocratie très-large dans le principe aboutit à une oligarchie étroite, ombrageuse et jalouse, nous n’avons point à le rechercher. L’histoire de Venise, État souverain, n’appartient pas à notre sujet. Qu’il nous suffise d’avoir signalé les violents désirs de liberté que dut éveiller chez ses voisins de Gênes, de Pise et de Milan l’exemple de Venise et de sa rapide prospérité.

Protégée par ses montagnes, comme l’était Venise par ses lagunes, l’Italie méridionale presque tout entière reconnaissait encore la souveraineté des empereurs d’Orient ; mais, dès le VIIe siècle, les cités les plus puissantes, Amalfi, Naples et Gaëte, s’en affranchirent, et se constituèrent en républiques indépendantes, sous le gouvernement de deux consuls élus en assemblée générale. C’est, comme on voit, la vieille Rome qui se survit dans les débris de l’empire. Des relations étendues, un commerce florissant, l’énergie et l’audace que développe l’habitude des expéditions lointaines, tout contribuait à y entretenir un esprit de liberté qui contrastait singulièrement avec l’abaissement du reste de l’Europe. L’histoire doit une mention honorable à ces petites républiques. La civilisation moderne ne saurait oublier qu’elle est redevable aux Amalfitains de trois découvertes précieuses : la boussole, un exemplaire des Pandectes et un code maritime, dont les principes forment, aujourd’hui encore, la base du droit des gens.

En se détachant d’un empire qui glissait déjà sur la pente de la décadence, Amalfi, Naples et Gaëte avaient obéi à une heureuse inspiration. Elles échappèrent ainsi au dernier coup qui, en Orient, frappa les libertés municipales. Plusieurs édits les avaient déjà mutilées en enlevant aux citoyens le droit de nommer leurs magistrats, lorsque, au Xe siècle, l’empereur Léon le Philosophe supprima tout simplement les municipalités comme devenues sans objet et ne se rattachant à rien dans l’ordre politique. Jamais motifs plus dérisoires ne furent invoqués pour un acte plus despotique, et, ce qui est plus triste encore, l’histoire n’a pas enregistré une seule protestation.

Mais, tandis que la liberté rallumait son flambeau comme un phare sur les rivages de l’Adriatique et de la mer Tyrrhénienne, quel était le sort de la haute Italie ?

Jusqu’à l’avènement d’Othon le Grand, elle n’avait eu que de mauvais gouvernements. Le règne des rois carlovingiens et des ducs de Frioul n’est que l’anarchie en permanence. Les révolutions y succèdent aux révolutions, comme les vagues aux vagues, sans apporter un principe de progrès. Pour y échapper, les hommes libres qui ont reçu à l’origine un lot dans le partage des terres fuient les villes et se cantonnent dans leurs châteaux, d’où les gentilshommes incultes et grossiers gouvernent les vassaux, les colons à redevances et les esclaves qui cultivent leurs terres. Dans les villes abandonnées règnent l’ignorance et la misère. Les lettres sont négligées, le commerce à peu près nul. La classe moyenne étant exclue du partage de la richesse territoriale, aucune illustration bourgeoise ne s’élève au-dessus du niveau commun, et les populations ont perdu jusqu’au goût des armes, triste et dernier effet de l’asservissement. Dans chaque ville, le comte choisit parmi les bourgeois, pour ses places particulières, quelques échevins, dont la seule fonction est d’acclamer les propositions du prince et de légaliser le despotisme en donnant l’exemple de la soumission.

C’est dans cet état que l’empereur Othon Ier trouva l’Italie. Les historiens allemands placent Othon le Grand dans leur estime au-dessus de Charlemagne, et nous devons convenir que, pour la justesse des vues comme pour la noblesse du caractère, le chef de la maison de Saxe n’est pas au-dessous de l’illustre petit-fils de Charles-Martel. Quant à l’Italie, sa préférence ne saurait être douteuse. Au chef franc, elle n’a dû que des malheurs ; à l’empereur germain, elle doit le premier de tous les bienfaits, la restauration des libertés municipales.

Fort heureusement, et par une coïncidence qui ne dura pas longtemps, l’intérêt de l’empire se trouvait en harmonie avec les aspirations des villes italiennes. Pour opposer une digue aux envahissements des comtes ses vassaux, Othon ne vit rien de plus sûr que de s’attirer l’affection des cités. Il ne leur donna point de chartes écrites ; il fit mieux. Il les laissa organiser elles-mêmes, sous son approbation tacite, leur propre gouvernement. Inspiration des plus sages. Les libertés octroyées ne valent pas les libertés conquises, et la reconnaissance des peuples les ramène trop souvent à la servitude. Quand, plus tard, on sommera les municipalités de produire leurs titres, elles invoqueront le plus haut de tous les droits, qui s’affirme et ne procède que de lui-même, la possession d’état, la prescription.

Tout contribuait à favoriser l’essor des communes, la bienveillance ou l’absence du souverain, la désertion de la noblesse, l’indifférence du menu peuple, et jusqu’aux discussions naissantes entre le sacerdoce et l’empire, qui, en rendant précieux à chaque parti le concours des cités, le faisait rechercher de toutes parts. Milan se constitua la première, Crème et Tortone suivirent. En moins d’un demi-siècle (961-1002), sous l’œil paternel de la maison de Saxe, la haute Italie se couvrit de municipalités si fortes, qu’elles purent, dès le siècle suivant, soutenir contre les empereurs, devenus hostiles, des luttes formidables. Il y aurait lieu de s’étonner de la spontanéité de ces créations et de l’esprit d’ordre qui y présida, si l’on ne savait que les anciennes cités romaines avaient conservé dans les corporations d’arts et métiers (collegia opificum) les principes élémentaires de la vie sociale. L’existence de ces institutions, qui avaient reçu autrefois des empereurs Valens et Valentinien la consécration légale, s’était perpétuée obscurément sous la domination barbare. À la renaissance de l’esprit public, les chefs et prieurs des arts formèrent tout naturellement le noyau du corps municipal, où ils apportèrent l’expérience des affaires et une longue habitude de la discipline. On les verra souvent depuis à Florence, sous le nom d’arts majeurs et d’arts mineurs ; en Flandre, sous la dénomination de grands et de petits métiers ; à Paris enfin, sous des noms divers, intervenir dans le gouvernement comme dans les dissensions des cités.

À la nature des magistratures créées comme à leur qualification même, on reconnaît tout d’abord la puissance des souvenirs. Les coutumes locales, la suite des temps, les rivalités, et, par-dessus tout, les troubles, amenèrent de nombreuses variations dans les fonctions municipales. À Bologne, par exemple, où domine l’influence universitaire, et malgré une constitution toute démocratique, l’influence des jurisconsultes fait pencher la balance en faveur de la noblesse ; à Florence, république industrielle et commerçante, l’aristocratie bourgeoise repousse également la noblesse et le menu peuple ; à Gênes, au contraire, on ne veut pour consuls que des gentilshommes ; mais, en prenant pour type la constitution primordiale de Milan, on aura une idée générale de toutes les autres.

Sous le rapport militaire, Milan était divisé en six quartiers, qui tiraient leurs noms des portes de la ville. À tous autres égards, les habitants étaient répartis en corporations.

Quatre pouvoirs distincts y étaient reconnus : 1° deux consuls annuellement élus ; l’un, consul de placitis, rendait la justice et administrait la cité ; l’autre commandait les milices ; 2° la credenza, conseil de confiance, conseil secret, peu nombreux, qui assistait les consuls et composait avec eux le pouvoir exécutif ; 3° un sénat électif de cent membres à l’origine, et plus tard agrandi ; le sénat faisait fonction de conseil d’État et préparait les décisions à soumettre à l’assemblée du peuple ; 4° l’assemblée générale des citoyens, qui, convoqués au son de la grosse cloche, sur la place publique, votaient les lois les plus importantes.

Au premier coup d’œil, on croit voir là une reproduction de la curie romaine ; mais l’analogie n’est qu’apparente. Il y a, au contraire, deux différences capitales. D’abord, les cités italiennes sont plus indépendantes. Elles pourvoient elles-mêmes, par leurs milices, à leur sûreté ; puis elles jouissent du droit de paix et de guerre, dont elles n’usent que trop les unes contre les autres ; enfin, avec sa noblesse impériale et son décurionat héréditaire, la curie constituait une oligarchie privilégiée. À Milan, l’extraction ne crée aucun titre, ne confère aucun droit. Tout artisan établi, même de la veille, est membre de la cité. C’est une démocratie bourgeoise ; avec toutes les qualités et tous les défauts de la bourgeoisie : le sentiment de la liberté, l’amour du travail, le génie des affaires, l’esprit d’ordre et l’instinct de conservation ; mais aussi le dédain des illustrations, le mépris du menu peuple, les rivalités mesquines et la petitesse des vues, qui s’oppose à la création des grandes choses et des grandes nations.

Quel admirable spectacle présentent dans le cours du Xe et du XIe siècle les cités italiennes sortant de leurs tombeaux ! À cette première période, toute d’enthousiasme, il n’y a point encore de place pour la méfiance et la haine. On jouit de la liberté dans sa plénitude ; on ne sent au-dessus de soi qu’un prince éloigné ou dont les rares apparitions ne sont que l’occasion de fêtes splendides. Tout habitant est citoyen, tout citoyen soldat. Les arts de la paix et les arts de la guerre suivent un développement parallèle. Sous la protection d’un pavillon partout respecté, les richesses de l’Orient viennent s’entasser dans les villes maritimes. À l’intérieur, les canaux et les grandes routes sillonnent un territoire fertilisé. La fabrication des armes et des étoffes de laine crée des capitaux de réserve qui vont débordant sur l’Europe, dont les banquiers sont des Lombards, dénomination qui subsiste encore de nos jours. La féodalité vaincue s’incline enfin devant les merveilles de la liberté, et le plus fier baron descend de son donjon pour venir demander son inscription sur les registres d’une municipalité.

Une telle prospérité pouvait-elle être durable ? Non ; elle était menacée par trois causes de ruine, dont une seule eut suffi à l’ébranler : les querelles du saint-siége et de l’empire, les rivalités de ville à ville, et dans la même ville des discordes sans cesse renaissantes.

On sait quelle perturbation causa dans toute l’Europe la fameuse querelle des investitures, suspendue plutôt que terminée par la paix de Worms, en l’an 1122. Dans ce conflit, les villes italiennes ne pouvaient rester neutres ; leurs intérêts comme leurs sentiments religieux s’y trouvaient très-directement engagés ; car, dans leur sein même, les évêques avaient conservé une certaine juridiction. C’est en leur nom que se rendait la justice, bien qu’ils n’y prissent aucune part. Ce sont eux qui frappaient les monnaies, non sans les altérer quelquefois. C’est à leur profit enfin que se percevaient les péages des portes. La source du pouvoir des évêques ne pouvait dès lors être indifférente. Les communes prennent parti, qui pour, qui contre l’empire. Deux ligues se forment ; d’un côté, Milan, Crème, Tortone, Parme et Modène ; de l’autre, Pavie, Crémone, Lodi, Novare, Plaisance et Reggio. Et alors commencent, entre des cités naguère amies, ces querelles insensées que prolongent dans tout le cours du moyen âge l’ambition des chefs et l’âpre jalousie des intérêts. Entre Pavie et Milan, entre Gênes et Pise, entre Pise et Florence, ce sont des guerres d’extermination dont la liberté finit par payer tous les frais, car le triomphe des unes comme la défaite des autres aboutit à leur commun asservissement.

Il y eut des trêves et même, à un certain moment, une occasion unique pour les cités italiennes de consolider leur liberté. Si les empereurs de la maison de Saxe avaient protégé les villes contre la féodalité, il n’en fut pas de même de la dynastie de Franconie. Les prétentions tardives des empereurs sur l’Italie se formulèrent l’an 1158, dans la célèbre assemblée de Roncaglia sur le Pô, où Frédéric Barberousse avait convoqué vingt-trois évêques et tous les princes, ducs, comtes et marquis de son parti. Là, d’après une consultation de quatre docteurs de Bologne, qui se croyaient encore en plein empire romain, Frédéric se fit attribuer tous les droits régaliens, ce qui réduisait à néant les prérogatives des municipalités. C’était le despotisme dans sa naïve insolence. Jamais position ne fut plus nettement dessinée. D’un côté, le césar germanique avec le cortège de sa haute noblesse presque toute gibeline, et le haut clergé qui n’avait pas oublié son origine féodale ; de l’autre, la bourgeoisie urbaine secrètement encouragée par le saint-siége, rival du Saint-Empire. Des armées nombreuses passèrent les Alpes et ravagèrent horriblement les contrées qu’elles venaient conquérir ou défendre. Milan, qui occupait le poste d’honneur, fit une résistance héroïque et ne succomba, l’an 1102, qu’après un siégé mémorable. La ville fut prise d’assaut et rasée. Menacées du même sort, les autres cités s’émurent, les petites jalousies s’effacèrent devant le danger commun, et alors se formèrent les ligues lombardes, alliance offensive et défensive où entrèrent Bergame, Bologne, Brescia, Crémone, Ferrare, Gênes, Mantoue, Milan, Modène, Padoue, Plaisance, Ravenne, Reggio, Tortone et Vérone. Toutes les forces de l’empire vinrent se briser contre cette digue libérale, et, l’an 1176, après neuf années de guerres sauvages, la ligue remporta un triomphe glorieux et décisif à la bataille de Legnano, près de Como. Vaincu et ruiné, Frédéric abandonna ses prétentions à la paix de Constance (1182), où les franchises des villes furent solennellement reconnues et confirmées. L’empereur ne s’y réserve que le droit illusoire de confirmer la nomination des consuls, et d’instituer dans chaque ville un juge d’appel pour les causes au-dessus de 25 livres (1,375 fr. de notre monnaie). Voilà tout ce qui reste de ces fameux droits régaliens et césariens pour lesquels tant de sang a été inutilement versé.

Après la paix, la ligue fut dissoute : faute irréparable ; dans l’enthousiasme d’une victoire inespérée, il eût été facile de resserrer le lien fédéral et de constituer la nationalité italienne. On eût avancé ainsi de sept cents ans les destinées de ce beau pays. Mais l’égoïsme local l’emporta sur l’intérêt général. Le patriotisme du bourgeois italien ne s’étendait pas au delà des murs de sa cité. Les guerres civiles reprirent leur cours, et lorsque, cinquante ans plus tard, un second Frédéric menacera de nouveau l’indépendance italienne, il trouvera les villes désunies et se battant déjà pour le choix de leurs tyrans plus que pour leur liberté.

Mais comment la bonne harmonie aurait-elle pu subsister entre les cités, quand chacune d’elles renfermait dans son sein des germes de discorde ? On y comptait trois classes distinctes : la noblesse, la bourgeoisie, les classes inférieures ; une noblesse turbulente, une bourgeoisie fière de ses richesses croissantes, une populace enfin accessible par son ignorance à toutes les mauvaises suggestions. À l’origine, il n’en était point ainsi : les populations urbaines étaient homogènes ; la noblesse habitait encore ses châteaux ; le temps n’avait pas encore créé ces grandes inégalités de fortune qui sont le péril des sociétés ; et si les bas artisans étaient exclus des fonctions publiques, ils s’en consolaient en dominant dans les assemblées générales. Or, qu’on remarque bien ceci : l’an 1039, la cité milanaise ouvre ses portes aux gentilshommes ; elle confie à ces capitanei le commandement de ses milices et jusqu’aux fonctions suprêmes du consulat. Eh bien ! deux années se sont à peine écoulées que l’insolence des nouveaux venus a provoqué une sédition terrible. Les nobles sont chassés. Ils assiègent la ville. Henri II vient à son aide et la paix se rétablit ; mais la guerre couve sous cette paix menteuse, et il suffira d’une étincelle pour la rallumer.

En introduisant à son foyer ses éternels ennemis, la bourgeoisie avait commis une grande faute. Qu’avait-elle à faire de leur concours ? Ils tenaient les campagnes, disent les historiens, et pouvaient affamer la ville. Crainte chimérique : la famine n’est pas à craindre pour qui possède la richesse et un commerce étendu. Avait-elle besoin des talents militaires des capitanei ? Mais les vertus civiques y suppléaient alors, et l’on sait avec quelle intrépidité les milices défendaient le carroccio traîné par des bœufs qui portait comme un palladium les armes et la bannière de la cité. Quand, dans le cours du XIIIe siècle, instruites par une cruelle expérience, Bologne, Padoue, Brescia, Pise, Gênes, Modène, Florence, Sienne et Pistoïa excluent les nobles des fonctions publiques, il est trop tard. Les tempêtes sont déchaînées. Les proscrits s’insurgent contre leur patrie ; ils font signe à l’étranger ; ils s’allient au bas peuple, ils s’enrôlent dans ses confréries, ils soulèvent les arts mineurs contre les arts majeurs, les ciampi contre les popolini grassi. Alors la confusion est au comble ; et comme si ce n’était pas assez de ces guerres de classes sociales, éternelles comme les classes elles-mêmes, voici que les bourgeois se divisent entre eux, et dans l’impossibilité de s’entendre appellent un arbitre qui ne leur rendra l’ordre et la sécurité qu’en échange de leur liberté. Les consuls cèdent le pas au podestat.

La création des podestats contenait en germe la tyrannie. C’est Frédéric Ier qui, en l’an 1158, l’avait imaginée comme un frein à la puissance des magistrats consulaires. Dans leurs dissensions, les cités l’imitèrent. Chaque ville voulut avoir son podestat. Et ce qui caractérise bien les méfiances réciproques, le podestat doit être étranger à la ville et n’y avoir ni parents ni amis. Le premier podestat de Florence est un Milanais, Gualfredotto. Plus tard ce sera Gauthier de Brienne ou Charles de Valois. Les pouvoirs du podestat ne sont pas définis ; c’est dire qu’il réunit tous les pouvoirs. C’est un podestat, que ce Galéas Visconti qui dresse des chiens pour la chasse aux proscrits ; c’est un podestat que ce terrible Ezzelino de Vérone, dont l’histoire, après six siècles, nous apparaît encore comme le rêve le plus monstrueux de la scélératesse en délire. Quand vingt années durant (1215-1235) on n’entend que les cris des victimes expirant dans les tortures, lorsque 11,000 hommes en un seul jour sont livrés aux supplices, on se demande où sont les consuls et ce que font le sénat et le conseil de credenza. Hélas ! il n’y a plus de sénat ni de consuls. Lasses des agitations de la liberté, les cités ont proscrit les magistratures populaires, et ce n’est plus le berger, c’est le loup qui gouverne le troupeau.

Au commencement du xive siècle, les communes italiennes sont populeuses et riches. La science administrative y est perfectionnée. ndus en donnerons une idée en reproduisant comme spécimen un budget de la ville de Florence de l’an 1315. Mais les temps héroïques sont passés. La grosse cloche de la maison de ville ne sonne plus que la fête du prince, et le carroccio pourrit dans un hangar. L’Italie a perdu ses vertus guerrières ; elle n’a plus de citoyens, partant plus de soldats. Le podestat n’enrôle à son service que des condottieri. Les empereurs d’Allemagne Henri VII et Louis de Bavière restaurent sans résistance le pouvoir royal. La papauté dégradée ne s’y oppose pas. Les municipalités enfin deviennent des principautés. À Milan, les Visconti ; à Vérone et à Vicence, les La Scala ; à Ferrare et à Modène, les d’Este ; à Mantoue et à Reggio, les Gonzague ; à Padoue, les Carrare ; à Bologne, les Bentivoglio ; à Florence, les Médicis, princes du comptoir, règnent en souverains absolus. Le despotisme couvre de son ombre le tombeau des grandes municipalités.

L’Italie avait brillé comme un point lumi-