Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 4, part. 3, Cok-Com.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’Oliva.) Les La Motte disposaient donc des voitures de la cour ! Comment explique-t-on cette circonstance vraiment extraordinaire ?

Ceci se passait six mois avant l’achat du collier.

Peu de temps après cet événement, Mme  de La Motte emprunta au cardinal, à diverses reprises et au nom de la reine, pour des œuvres de charité, des sommes dont le total finit par s’élever à 150,000 francs. Dès lors, elle eut une maison montée ; elle reparut dans tout l’éclat de la fortune à Bar-sur-Aube, où on l’avait connue réduite aux derniers expédients de la pauvreté. Elle recevait les dames de la plus haute société, et personne ne doutait de la réalité de ses relations avec la reine, chose à laquelle sa naissance et ses malheurs donnaient quelque vraisemblance. Elle-même, loin d’en faire mystère, s’en vantait plutôt, soit par orgueil, soit par calcul. Il semble cependant qu’elle eût dû redouter d’être convaincue d’imposture par tant de gens qui connaissaient si bien la cour. Les uns attribuaient son changement de fortune aux motifs avoués par elle-même, c’est-à-dire aux bontés de la reine, d’autres aux profusions du cardinal, connu pour un dissipateur effronté, qui était perdu de dettes, malgré ses immenses revenus, et qui payait ses maîtresses avec les fonds qui lui étaient confiés, vu sa qualité de grand aumônier, pour secourir les pauvres. Telle était cette société.

Les emprunts ou les prétendus emprunts de la reine au prince de Rohan avaient été faits par lettres supposées, comme précédemment, et la correspondance continuait comme par le passé. Il est vraiment incroyable que le prélat, appelé si souvent à la cour par ses fonctions, n’ait pas été frappé de ce qu’aucun mot, aucun signe de la reine ne lui indiquât un retour de bienveillance et de faveur. Il est bien inconcevable que lui-même, avec la certitude qu’il avait, après les lettres extraordinaires qu’il avait reçues, après la scène du parc, n’ait jamais tenté, soit par un mot, soit par quelque signe d’intelligence, de vérifier son succès, de savourer son bonheur inespéré. Nul homme n’eût été capable d’une réserve si longue et si complète, et lui moins que tout autre, brûlé d’impatience ambitieuse et de folle passion.

Cependant, les joailliers Bœhmer et Bassenge, après avoir promené inutilement leur collier dans toutes les cours de l’Europe, revinrent à leur projet de le vendre à la reine de France. Cette princesse, dit-on, sur le faux bruit que l’ambassadeur de Portugal avait négocié l’achat de la précieuse parure pour sa souveraine, avait manifesté ouvertement un violent dépit ; mais nous n’insistons pas sur ce détail, qui nous est fourni par les mémoires de Mlle  Bertin, parce que ces mémoires, d’ailleurs très-favorables à Marie-Antoinette, ne sont pas généralement reconnus pour authentiques, et que nous nous sommes imposé la loi de ne faire usage que des documents acceptés par les partisans les plus enthousiastes de la reine. Cependant, dans notre opinion personnelle, tout n’est pas faux dans les écrits que l’opinion aujourd’hui en vogue repousse systématiquement. Les pamphlets mêmes, rédigés par des gens passionnés ou intéressés, mais certainement bien instruits, doivent contenir des lambeaux de vérité. Toutefois, on remarquera que nous les écartons absolument.

Les joailliers, dans leur laborieuse poursuite, songèrent à faire agir Mme  de La Motte, dont l’influence occulte était si généralement admise, qu’elle la rendait le point de mire d’une foule de solliciteurs. Dans les derniers jours de décembre 1784, ils eurent recours à l’entremise des sieurs de Laporte et de son beau-père Achet, qui vivaient dans l’intimité des La Motte. Achet était un officier de la garde-robe de Monsieur, frère du roi. Il semble, pour le dire en passant, que, connaissant la cour, il aurait dû être plus difficilement la dupe de Mme  de La Motte relativement à ses relations prétendues avec la reine. Mais il croyait si bien à ces relations, qu’il consentit à servir d’intermédiaire aux joailliers. Mme  de La Motte, dans la première entrevue, montra d’abord de la répugnance à se mêler d’une semblable négociation. Ainsi, il est parfaitement établi, par les pièces de la procédure aussi bien que par toutes les relations, que l’idée d’employer cette femme à la vente du collier vint de Bœhmer et de Bassenge, et que, conséquemment, c’est par erreur qu’on croit communément que c’était là le but positif qu’elle poursuivait depuis huit mois qu’elle berçait les illusions du cardinal.

Cependant, sollicitée de nouveau, elle finit par promettre de dire quelques mots de cette affaire si l’occasion s’en présentait. Les joailliers, qui avaient recherché sa protection, croyaient fermement à son influence. Cependant, remarquons encore que, par leur charge, ils étaient des familiers, subalternes sans doute, mais enfin des familiers de la cour. Trois semaines se passèrent, et, tout en continuant leurs démarches, ils avaient perdu tout espoir de ce côté, lorsque, le 21 janvier 1785, Mme  de La Motte leur répondit enfin que la reine conservait le plus vif désir d’avoir le collier, mais que, ne voulant pas traiter directement, elle chargerait un haut personnage de cette négociation. Mme  de La Motte leur conseillait en outre, en son nom personnel, de prendre toutes leurs sûretés vis-à-vis de ce grand seigneur. (Déposition de Bassenge.)

L’affaire se poursuivit en effet. Quelques jours plus tard, le cardinal de Rohan se présenta en personne chez les joailliers, et, après diverses négociations, se déclara nettement autorisé par la reine à traiter de l’acquisition du collier, qui, finalement, fut livré à la fin de janvier 1785, au prix de 1,600,000 livres, payables par termes de 400,000 livres, dont le premier devait échoir au mois d’août suivant. Le cardinal montra aux joailliers une lettre de la reine ainsi qu’une pièce contenant les conditions du marché, écrites par lui-même, et portant en marge : Approuvé, Marie-Antoinette de France. Il leur dit en outre : « J’ai conseillé à la reine de ne pas faire cette emplette, que c’était une folie de dépenser une somme aussi forte pour une parure ; mais soyez sans inquiétude, mes représentations n’ont pas été écoutées. » (Déposition de Bassenge.)

Le jour même de l’achat, le 1er février, M. de Rohan se rendit à Versailles, dans le logement que Mme  de La Motte occupait place Dauphine, et qu’elle allait habiter de temps à autre, comme une personne qui suit la cour. Il apportait le fameux collier dans un coffret, pour qu’il fût livré devant lui à un homme envoyé par Marie-Antoinette. Ce messager se présenta en effet, porteur d’une lettre de la reine ; Mme  de La Motte lui remit la cassette. Le cardinal, caché dans une alcôve dont la porte était entr’ouverte, reconnut ou crut reconnaître l’envoyé pour un valet de chambre de la reine nommé Desclaux. Il se retira persuadé que cette princesse avait reçu le collier ce même soir. (Deuxième interrogatoire du cardinal.)

Mme  de La Motte le prévint en outre que Marie-Antoinette lui accuserait réception par un signe convenu.

Or, ce signe d’intelligence fut fait.

Du moins le cardinal en demeura pleinement convaincu.

Voici de quelle étrange manière l’abbé Georgel explique cet épisode :

« Mme  de La Motte (qui l’avait si bien instruit lui-même de ces détails ?) avait couvent observé que la reine, sortant de son appartement et traversant la galerie pour aller à la chapelle, faisait assez habituellement le même mouvement de tête en passant devant la porte de l’Œil-de-Bœuf. Le soir même, elle se rendit entre onze heures et minuit sur la terrasse du château de Versailles où devait se rencontrer M. le cardinal, et lui dit : « Je sors de chez la reine, qui est au comble de la joie et se félicite de plus en plus de vous avoir donné sa confiance ; la reine vous le dira elle-même, en vous accusant la réception du collier ; Sa Majesté n’a pu vous écrire ce soir ; mais demain, lorsqu’elle passera dans la galerie pour aller dans la chapelle, trouvez-vous, comme par hasard, à l'OEil-de-Bœuf ; si la souveraine vous aperçoit, elle fera tel mouvement de tête, qui sera un signe de satisfaction et d’approbation... » Le lendemain, jour de la Purification, le grand aumônier, se trouvant près de l’Oeil-de-bœuf, crut remarquer distinctement le signe qu’on lui avait indiqué... » (Mémoires, t. II, p. 64 et 65.)

Tel est le poëme de l’abbé Georgel ; on conviendra qu’il ne brille ni par la simplicité, ni par la vraisemblance. La comtesse de La Motte, d’après la donnée vulgaire, était une véritable Circé, une magicienne ; tout servait ses projets, et le hasard était son complice. Elle n’était pas reçue à la cour ; elle n’avait, dit-on, aucune relation avec la reine, et cependant on la voit circuler partout, à toute heure du jour et de la nuit, comme si elle eût eu l’anneau de Gygès à son service. Marie-Antoinette entre innocemment dans le jeu de l’intrigante en exécutant à heure fixe un mouvement automatique que cette bonne dupe de cardinal croit lui être adressé et accepte de confiance comme un reçu mimé de ses seize cent mille livres. Les situations se nouent facilement, l’action se déroule à merveille ; tout arrive à point, comme dans une comédie d’intrigue. Cette étonnante comtesse, véritable Scapin femelle, avait persuadé à sa victime qu’elle avait avec la reine des entrevues secrètes à Trianon. Elle avait, assure-t-on, séduit le concierge de cette résidence, et, pour mieux convaincre le cardinal, elle le plaça plusieurs fois en embuscade, la nuit, sous les arbres, et, à l’heure convenue, elle simulait une sortie en se faisant reconduire au flambeau par un faux valet de chambre de la princesse.

Soit que ces jongleries romanesques l’eussent entièrement convaincu, soit qu’il eût d’autres motifs de croire, le prince de Rohan était dans une telle sécurité de conscience et d’esprit, que trois jours à peine après l’achat du collier il pressait les joailliers d’aller remercier la reine, et qu’il revint à plusieurs reprises sur cette invitation. Ce fait, acquis au procès, prouverait assez sa bonne foi et la certitude où il était de n’être point désavoué. Bœhmer et Bassenge lui laissèrent croire que jusque-là l’occasion leur avait manqué, soit dans la crainte de le blesser en marquant de la défiance, soit pour toute autre cause. Mais il paraît qu’ils avaient prévenu la reine, et l’on comprend en effet combien ils étaient intéressés à prendre toutes leurs sûretés dans une affaire aussi importante et dont la conclusion avait été accompagnée de circonstances assez mystérieuses pour éveiller l’attention.

Nous trouvons la confirmation de ce fait extrêmement important non-seulement dans les mémoires douteux de Mlle  Bertin, que nous ne voulons pas invoquer, mais encore dans ceux de l’abbé Georgel, naturellement très-partial pour son patron, mais qui met toujours la reine hors de cause et qui fait tout porter sur Mme  de La Motte et sur ses fourberies. Son témoignage ne peut être écarté en cette circonstance, puisqu’on l’invoque en tant d’autres, et que d’ailleurs c’est l’homme peut-être qui a le mieux connu cette inextricable intrigue, qu’il a étudiée et fouillée à fond pendant tout le temps de la captivité de son maître et pendant le procès. Voici ce qu’il dit à ce sujet :

« Comment taire ici un fait que j’aurais voulu pouvoir omettre ? Mais sa vérité est trop essentiellement liée avec les suites de cette malheureuse affaire, pour pouvoir le passer sous silence. Les joailliers, qui avaient l’occasion de voir souvent la reine, pressés d’ailleurs par le cardinal, ne lui laissèrent point ignorer les négociations et l’acquisition du collier... Ils ne sont pas convenus de cette particularité lors du procès ; mais ils en ont fait l’aveu secret à une personne qui ne l’a révélé qu’avec l’assurance de n’être ni citée ni compromise. Le cardinal, dans ses défenses, paraît n’en avoir jamais douté. Bassenge, se trouvant à Bâle en 1797, et interrogé par moi sur ce fait, ne l’a pas nié ; et il m’a formellement avoué que ses dépositions et celles de son associé dans ce procès avaient été subordonnées à la direction du baron de Breteuil... » (Mémoires, t. II, p. 65 et suiv.)

L’abbé Georgel entre ensuite dans d’autres détails. Suivant lui, l’abbé Vermond était présent à l’entretien ; on demanda aux joailliers une copie du traité, et, sans les dissuader, sans les éclairer, on arrêta en petit comité, de l’avis du baron de Breteuil, qu’il fallait laisser le cardinal se compromettre de plus en plus, et attendre, pour le perdre plus sûrement, l’époque de la première échéance.

Ainsi, sans s’arrêter aux détails, qui cependant ne manquent pas d’intérêt, il résulterait de ce récit que Marie-Antoinette était instruite de cette vilaine affaire, où son nom était traîné, plusieurs mois avant l’éclat, *plusieurs mois avant l’arrestation du cardinal.

Dans les premiers jours de juillet 1785, M. de Rohan, soit qu’il eût reçu une nouvelle lettre apocryphe de la reine, soit qu’il eût été autrement prévenu, fit appeler les joailliers et leur annonça que cette princesse trouvait le collier trop cher, et qu’elle voulait le rendre s’ils ne consentaient à un rabais de 200,000 livres. Bœhmer et son associé, douloureusement surpris, se récrient, réclament, mais enfin s’exécutent et consentent, sur la promesse d’une nouvelle estimation.

Le cardinal leur recommanda de nouveau de faire leurs remercîments à la souveraine en annonçant leur acceptation. Il leur dicta même une lettre où ils attestaient le zèle et le respect avec lesquels ils avaient accepté les derniers arrangements comme une nouvelle preuve de leur dévouement et de leur soumission. Cette lettre se terminait ainsi : Nous avons une vraie satisfaction de penser que la plus belle parure de diamants gui existe servira à la plus grande et à la meilleure des reines. (Mémoire et déposition de Bœhmer et Bassenge.)

Cette lettre fut remise le 12 juillet à la reine par Bœhmer en personne. Il n’y avait pas d’équivoque possible. Marie-Antoinette était assez clairement avertie de cette chose extraordinaire qu’on avait acheté le collier en son nom. Si l’on hésite à accepter pour vraie l’assertion de l’abbé Georgel que nous venons de rapporter, on ne repoussera certainement pas le témoignage de Mme  Campan, qui s’occupe de cette affaire en plusieurs endroits de ses Mémoires, et qui est plusieurs fois en contradiction avec elle-même, comme il serait facile de le relever.

« Bœhmer, écrit-elle, disait à la reine, dans cet écrit, qu’il était heureux de la voir en possession des plus beaux diamants connus en Europe, et qu’il la priait de ne point l’oublier. » (Chap. XII)

Et ailleurs :

« La reine me lut cette note, qui contenait la prière de ne pas l’oublier, et l’expression de son bonheur de la voir en possession des plus beaux diamants existant en Europe. » (Éclaircissements historiques.)

Ne pas l’oublier ! Une telle prière faite avant échéance par un fournisseur à sa souveraine semblerait bien choquante, si l’on ne se souvenait que la reine avait déjà autrefois fait des achats de diamants à l’insu du roi, qui dut les rembourser par à-compte.

Quoi qu’il en soit, cette lettre était une révélation, et l’on s’attend à voir éclater l’étonnement, l’indignation de Marie-Antoinette. Point. Elle tortilla la lettre, s’approcha d’une bougie qui restait allumée dans sa bibliothèque pour cacheter les lettres, et brûla soigneusement le papier en disant : « Cela ne vaut pas la peine d’être gardé. » (Mme  Campan, ut supra.)

Il semble, au contraire, que cela était fort important à conserver.

Mais, dit-on, la reine ne comprit point ; elle s’imagina que son joaillier l’ennuyait de nouveau pour lui vendre son collier. Une telle erreur est difficile à admettre ; il est clair, par les citations ci-dessus, que Bœhmer ne témoignait plus le désir de vendre son joyau ; qu’il exprimait, au contraire, sa reconnaissance et sa satisfaction de l’avoir vendu, et qu’en échange de la soumission avec laquelle il avait accepté les derniers arrangements, c’est-à-dire la réduction de prix, il demandait qu’on n’oubliât point de solder la première échéance.

Ainsi, il résulte que l’attention de la reine était suffisamment éveillée dès le 12 juillet, et probablement plus tôt, car nous ne voyons aucune raison décisive pour rejeter le témoignage de l’abbé Georgel. Mais il y a plus ; avant la confidence du bijoutier, une autre personne avait déjà entretenu Marie-Antoinette de cette affaire, Baudard de Saint-James, riche financier, créancier de Bœhmer, et à qui le cardinal avait positivement déclaré qu’il avait vu entre les mains de la reine la somme destinée au premier payement, que cette princesse avait même voulu la lui remettre pour les donner aux joailliers, mais qu’il avait refusé, et qu’il s’en repentait, car il craignait que cette somme ne fût dissipée avant l’échéance. (Déposition de Saint-James.)

« J’ignore, dit Mme  Campan, avec quelle légèreté l’avis de Saint-James fut communiqué ; je sais qu’il fit trop peu d’impression sur la reine. »

Ainsi, cette fois encore, Marie-Antoinette n’aurait pas compris ! Est-il possible d’imaginer que le banquier, inquiet pour son argent et qui ne faisait cette ouverture que pour s’assurer de la réalité du marché, est-il possible de croire qu’il se soit si pauvrement expliqué ?

Quoi qu’il en soit, s’il y a contradiction, et sur un grand nombre de points qu’on pourrait facilement signaler, entre les innombrables témoignages relatifs à cette affaire, il est incontestable que la personne qui était si étrangement compromise était instruite, comme nous l’avons dit, plus d’un mois avant l’éclat.

Cependant le terme fatal approchait. Il semble que Mme  de La Motte, son vol étant consommé et sur le point d’être découvert, pouvant l’être même à chaque minute par le moindre hasard, eût dû trembler, s’enfuir à l’étranger. Nullement ; jusqu’à la dernière heure, elle vécut dans une étonnante sécurité, donnant des fêtes à Paris, achetant une maison à Bar-sur-Aube et la meublant magnifiquement, prenant tous les jours de nouveaux arrangements qui annonçaient une personne absolument sûre de l’avenir.

La tranquillité du cardinal, la confiance des joailliers n’étaient pas moindres. Tout ce monde semblait endormi dans une quiétude extraordinaire, au moment même où l’orage allait éclater.

À la fin de juillet, Mme  de La Motte remit au cardinal une lettre où la reine, que l’on continuait à faire écrire, marquait sa contrariété de ne pouvoir être en mesure de faire face au premier payement, et demandait un mois de délai. En même temps, ce jour ou le lendemain, 30,000 livres furent remises de sa part par la messagère habituelle pour être données aux joailliers, soit comme à-compte, soit comme intérêts du retard. Bœhmer fut consterné, comme le cardinal, mais cependant il prit les 30,000 livres. Quelques jours après, dans un entretien avec Mme  Campan (à qui la reine avait donné l’ordre d’éclaircir cette affaire), il recevait de cette dame l’assurance qu’il avait été dupe d’une intrigue dans laquelle on avait odieusement abusé du nom de la reiné. Il n’en voulut rien croire, parla des 30,000 livres, et dit à Mme  Campan : « Vous pouvez être bien sûre que M. le cardinal voit Sa Majesté en particulier, car il m’a dit, en me remettant cette somme, qu’elle l’avait prise en sa présence dans un portefeuille placé dans le secrétaire de porcelaine de Sèvres qui est dans son boudoir. » (Mme  Campan, Éclaircissements historiques.)

Quelques jours se passèrent encore. Enfin Bœhmer fut appelé à Trianon, devant la reine. Laissons encore parler Mme  Campan, car on se heurte à chaque pas à des contradictions si choquantes, qu’il est nécessaire de les faire toucher du doigt.

« La reine le fit entrer dans son cabinet, lui demanda par quelle fatalité elle avait encore à entendre parler de sa folle prétention de lui vendre un objet qu’elle refusait constamment1 depuis plusieurs années... »

On ne pourrait trop s’étonner de l’opiniâtre persistance de la reine à s’imaginer qu’on veut lui vendre le collier, quand tout le monde lui crie aux oreilles qu’on le lui a vendu ! Comment ! Bœhmer a écrit, il a parlé, et elle ignore ! Saint-James a parlé, et elle ignore ! Elle-même a chargé sa femme de confiance de faire une enquête ; cette dame, un peu avant le récit de cette dernière entrevue, rapporte, par demandes et par réponses, le long entretien qu’elle a eu avec Bœhmer, qui est entré dans les détails les plus circonstanciés, les plus minutieux, sur l’achat du collier, sur le retard de payement qui le ruine et le désole, sur les relations prétendues de la reine avec le cardinal... Et Marie-Antoinette ignore tout cela ! Mme  Campan ne l’aurait pas instruite du résultat de sa mission, elle ne l’aurait pas éclairée sur la monstrueuse intrigue qui s’est nouée en son nom !...

On avouera que ceci semblerait incroyable, quand même on n’aurait aucune preuve du contraire. Eh bien ! ces preuves, nous les trouvons dans ces mêmes Mémoires. Qu’on remonte en effet au chapitre XII, où Mme  Cam-