Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 4, part. 3, Cok-Com.djvu/48

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cette singulière excuse, que n’ayant imité ni l’écriture ni la signature de la reine, n’ayant pas même contrefait sa propre écriture, il n’avait pas commis de faux matériel. La signature : Marie-Antoinette de France ne pouvait tromper personne, puisqu’il était notoire que la reine ne signait pas ainsi. C’était un expédient sans conséquence, une fiction dont il connaissait, il est vrai, le but, mais à laquelle il s’était prêté, sur l’assurance que cette pièce ne sortirait pas des mains du cardinal. Subjugué par Mme  de La Motte, il avait fourni les moyens de commettre le crime, mais sans le commettre lui-même et sans en profiter.

Il nous semble inutile d’insister sur la faiblesse de cette fallacieuse justification. Seulement, il est une accusation dont il se disculpa, c’est celle d’avoir joué en diverses circonstances le rôle d’un faux valet de la reine. Il n’est pas étonnant, dit-on, que le cardinal ait cru reconnaître un homme de la reine dans le personnage à qui Mme  de La Motte remit le collier le 1er février, à Versailles, car c’était Villette, qui déjà avait figuré dans la scène du bosquet et ailleurs.

Or, le cardinal avait donné de ce mystérieux valet un signalement précis et caractéristique : figure mince, teint pâle, visage allongé et sourcils noirs. Et Villette, dans son interrogatoire et lors de sa confrontation avec le cardinal, constate qu’il ne ressemble nullement à ce signalement. À ce fait, si facile à vérifier et à démentir, les magistrats instructeurs n’ayant opposé aucune objection, on en peut conclure que Villette ne ressemblait pas, en effet, au personnage en question. Il faut convenir que cela donne une grande force à ses dénégations touchant le rôle qu’on lui prêtait. Mais alors il y aurait donc encore un acteur qu’on n’aurait pas retrouvé ?

Quant à Cagliostro, son attitude fut celle du charlatan excentrique que l’on connaît. Mais l’enquête ne révéla aucun fait grave à sa charge. Il ne paraît pas avoir trempé dans l’intrigue d’une manière active, et il est vraisemblable que Mme  de La Motte ne le dénonça que parce qu’elle le soupçonnait d’avoir agi contre elle, ou parce qu’elle jugeait que la renommée équivoque du personnage était propre à jeter de la défaveur sur le cardinal, qui en était engoué, et à donner quelque vraisemblance au roman compliqué de ses propres assertions. Cependant, si Cagliostro était innocent, il est probable qu’il connaissait des détails dont le mystère ne nous a pas été dévoilé. Nous n’en donnerons pour preuve que ce curieux passage ; extrait des Mémoires de l’abbé Georgel : « Je crois que, sans s’en douter, Mme  de La Motte disait une grande vérité en insinuant que Cagliostro avait, plus que personne, le secret des motifs et de la cause de l’acquisition du collier. Mais, comme ce secret n’a été révélé ni par le cardinal, ni par Cagliostro, ni par le baron de Planta {un des secrétaires de M. de Rohan), ni par le secrétaire Ramon de Carbonnières, ni par les initiés à qui on en avait fait la confidence ; que d’ailleurs ce secret, tenant à des vues particulières qui n’ont eu aucune suite, et ne détruisant en rien la chaîne des faits qui ont préparé, amené, accompagné et suivi cette catastrophe, je ne dois pas chercher à le tirer de l’oubli où il paraît être enseveli, et je le dois par considération pour les personnes qui ont cru qu’il était pour elles de la plus grande importance de couvrir ce mystère du voile du silence. Ce qui doit paraître étonnant, c’est que les confidents et les initiés s’étant depuis divisés d’opinions, s’étant même voué, lors de la Révolution, la haine la plus active, ne se soient pas permis un mot qui ait pu faire deviner ce mystère d’iniquité. » (Georgel, t. II, p. 119.)

Nous n’émettrons aucune conjecture sur cette singulière énigme ; nous la livrons comme une complication de plus à la perspicacité de ceux qui assurent que l’affaire du collier est extrêmement claire et facile à débrouiller.

La procédure criminelle étant instruite et les conseillers rapporteurs entendus, il ne restait plus, suivant la législation du temps, qu’à faire comparaître les accusés séparément à la barre du Parlement, pour les interroger devant la cour. Mme  de La Motte fut superbe d’assurance et de sang-froid ; Villette humble, gémissant et délié ; la d’Oliva naïvement accablée d’épouvante et de désespoir ; Cagliostro fut à lui seul une comédie : avec son habit vert brodé d’or, ses mille cadenettes flottant autour de sa tète, son ton d’inspiré, son emphase comique, son jargon mêlé de sicilien, le roman absurde et merveilleux de sa vie, il dérida ses juges et ajouta le ridicule à ses autres chances d’acquittement.

Avant d’introduire le cardinal, les magistrats avaient fait enlever le siège d’opprobre, la sellette. Néanmoins, M. de Rohan, vêtu d’une longue robe violette {le deuil des cardinaux), pâle, ému, consterné, avait toute l’attitude d’un suppliant. Il portait, d’ailleurs, des traces visibles d’une maladie qui avait inquiété pour ses jours. Les ennemis de la reine allaient jusqu’à prétendre qu’il avait été victime d’une tentative d’empoisonnement. Ce qui avait donné lieu à cette rumeur, c’est qu’à la Bastille, par une négligence qui faillit devenir funeste et qui parut étrange, on avait donné au cardinal du petit-lait préparé dans une casserole où se trouvait du vert-de-gris.

Rassuré, néanmoins, par les égards infinis que lui témoignèrent ses juges, M. de Rohan répondit avec autant d’intelligence que de clarté, protesta de son dévouement respectueux pour la reine, et confessa, avec une grâce qui toucha la cour, qu’il avait été dupe d’une audacieuse intrigante et de sa propre crédulité.

Cette crédulité phénoménale forme le fond de sa défense, et les renseignements incomplets qui nous restent sur l’instruction et les débats judiciaires témoignent suffisamment de l’intelligence vraiment remarquable qu’il employa à se faire passer pour un idiot.

Cette thèse fut acceptée par la majorité des juges, comme elle l’a été depuis par la majorité des historiens. Elle est devenue en quelque sorte officielle et classique. C’est au moyen de cette banalité qu’on prétend trancher toutes les difficultés de l’affaire du collier, en éclaircir tous les mystères. Un argument d’avocat s’est transformé en dogme historique, et c’est sur les plaidoiries de Me Target que l’histoire est appelée à rendre son arrêt définitif.

Mais terminons le résumé des faits. Le procureur général, Joly de Fleury, posa des conclusions dont voici la substance :

Le comte de La Motte et Villette, galères à perpétuité ;

Mme  de La Motte, fouettée, marquée, et enfermée à perpétuité dans un hôpital ;

La d’Oliva mise hors de cour ;

Cagliostro, renvoyé de l’accusation.

Enfin, le cardinal, forcé à un humiliant aveu de témérité, à une sorte d’amende honorable, dépouillé de ses charges et dignités, banni de la présence du roi et de tous les lieux de résidence royale, condamné à l’amende, et retenu en prison jusqu’à ce qu’il ait obéi et satisfait à l’arrêt.

Ces conclusions avaient été concertées avec le premier président et les conseillers rapporteurs, et, suivant l’abbé Georgel, dans un conciliabule tenu aux Tuileries en présence de la reine. On espérait que, tout en flétrissant le cardinal, elles étaient assez modérées pour entraîner la majorité des juges. Mais certains conseillers du parti Rohan les qualifièrent de sauvages. Les débats furent extrêmement vifs. Enfin, le 31 mai 1786, après dix-huit heures d’orageuses délibérations, le Parlement rendit son arrêt. Le parti Rohan triomphait de la reine et de la cour : le cardinal fut acquitté à la majorité de quelques voix ;

Mme  de La Motte, condamnée à être fouettée, marquée et enfermée à la Salpêtrière pour le reste de ses jours ;

Le comte de La Motte, contumace, condamné aux galères à perpétuité, et également à être fouetté et marqué ;

Villette, simplement banni du royaume ;

La d’Oliva et Cagliostro, acquittés. (Ce dernier, quoique déclaré innocent, fut chassé du royaume par ordonnance royale.)

Dix mille personnes entouraient le palais. Quand on apprit l’acquittement de M. de Rohan, il y eut une explosion d’enthousiasme. Chose étrange, et qui témoigne de l’impopularité de Marie-Antoinette, ce prélat indigne, qui n’était fameux que par ses vices et par ses scandaleuses prodigalités, n’était plus alors pour le public qu’une victime échappée aux vengeances de la reine, et on l’accabla d’ovations, comme on eût pu le faire pour un grand citoyen. Les dames de la halle, ferventes royalistes cependant, inondèrent les juges de bouquets.

« Cette affaire a été outrageusement jugée, » dit le roi. Quant à la reine, elle fut suffoquée de colère et de douleur. Elle éclata en imprécations contre le ramas de gens qui composaient le Parlement et contre l’intrigant impudique, 1e prêtre parjure. Elle écrivit à son amie la duchesse de Polignac la lettre suivante :

« Venez pleurer avec moi, venez consoler votre amie, ma chère Polignac ; le jugement qui vient d’être prononcé est une insulte affreuse. Je suis baignée dans mes larmes de douleur et de désespoir ; on ne peut se flatter de rien, quand la perversité semble prendre à tâche de rechercher tous les moyens de froisser mon âme, etc. »

Trois mois plus tard, elle écrivait presque dans les mêmes termes à sa sœur Marie-Christine. On trouve d’ailleurs partout les traces de son indignation, notamment dans sa volumineuse correspondance, dont on a récemment publié plusieurs recueils. Disons en passant que cette correspondance ne contient, en somme, rien de bien neuf sur l’affaire du collier. Elle établit du moins définitivement ce fait, que c’est Louis XVI qui voulut le jugement solennel devant le Parlement. La reine supplia vainement pour obtenir qu’on évitât la publicité, et pour que le roi « punît lui-même l’indécente conduite de ce cardinal, par la démission forcée de sa charge et par l’exil. »

Le roi avait raison. Quoi qu’on eût fait, ce n’était pas là une affaire qu’on pouvait étouffer.