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« La plus noble conquête que l’homme ait
jamais faite, dit Buffon, c’est... » c’est bien
certainement le hanneton. »
                    Topffer.

« Je ne sais rien qui donne moins l’idée d’une nation chevaleresque, que la cruauté avec laquelle la foule, composée de toutes les classes de la société, assiste à cette mort sanglante et outragée du fier animal que nous avons appelé, nous, de ce côté-ci des Pyrénées,
la plus noble conquête que l’homme ait jamais faite. Au moins, si nous le menons à l’abattoir, nous ne livrons pas au mépris de la foule le spectacle de sa décrépitude, de son humiliation et de son supplice !
                 Cuvillier-Fleury.


Conquête d’outre-mer (LA GRANDE), Ouvrage historique espagnol du roi Alphonse X de Castille. Cet ouvrage, le plus important de ceux qu’a laissés ce savane roi, est un récit des guerres de la terre sainte, qui ont une relation intime avec les destinées des chrétiens espagnols, en lutte continuelle pour leur propre existence, dans leur croisade contre l’ennemi intérieure. Il débute par l’histoire de Mahomet, et se continue jusqu’à l’année 1270 ; une grande partie est extraite de la vieille traduction française du livre de Guillaume sur le même sujet, et le reste, d’autres sources moins dignes de foi. Certaines parties de cette narration n’ont rien d’historique. Le grand père de Godefroy de Bouillon, le héros principal, est le fantastique et bizarre chevalier du Cygne, représentant l’esprit de la chevalerie autant qu’Amadis de Gaule, avec des aventures non moins merveilleuses ; en combattant sur le Rhin comme un chevalier errant, il est miraculeusement averti par une hirondelle de la manière dont il doit délivrer sa dame, qui vient d’être faite prisonnière. Malheureusement, dans l’unique édition de ce curieux ouvrage imprimé en 1503, le texte a reçu de telles additions qu’elles nous rendent incertains sur la part qu’on peut avec certitude assigner au temps d’Alphonse X, sous le règne et par les ordres duquel la plus grande partie semble avoir été préparée. Le principal mérite de ce livre, c’est qu’il nous donne un spécimen authentique de la vieille prose castillane. La grande conquête d’Outre-mer fut imprimée à Salamanque par Hans Giesser, in-folio. Les additions qui y ont été faites commencent au liv. III, chap. cxxx, où se trouve une relation de la destruction de l’ordre des templiers. L’histoire du chevalier du Cygne fut, croyons nous, glissée dans la Conquête d’outre-mer, au moment où l’on en préparait la publication, pour rehausser et ennoblir l’histoire de Godefroy de Bouillon, son principal héros. Mais ce n’est pas là la seule partie de l’ouvrage postérieure à sa date. Le dernier chapitre, par exemple, rapporte la mort de Conradin de Hohenstauffen et l’assassinat dans l’église de Viterbe, au moment de l’élévation de l’hostie, de Henri, le petit-fils de Henri III d’Angleterre, par Guy de Montfort, événements relatés tous deux par Dante, qui n’ont rien à voir avec l’ouvrage principal et semblent pris dans quelque chronique plus moderne.


Conquête de la Nouvelle-Castille, poëme publié pour la première fois à Paris, en 1848, par J.-A. Sprecher de Bernegg. C’est un poème narratif qui a été écrit à la même époque que la Carolea (Valence, 1560, 2 vol. in-12). Il se compose de 280 stances en octaves. L’auteur en est inconnu. L’œuvre est consacrée à chanter les hauts faits de Pizarre, depuis le moment où il quitta Panama, en 1524, jusqu’à la mort d’Atahualpa, le dernier roi du Pérou, étranglé par son ordre en 1533. Ce manuscrit a été trouvé dans la bibliothèque impériale de Vienne. On peut lire dans un recueil allemand, le Jahrbücher der Literatur (vol. cxxi, 1848), une critique de l’édition faite par M. Sprecher de Bernegg. La Conquête de la Nouvelle-Castille est un poëme qui, parfois, semble avoir été écrit par un des compagnons ignorants et cruels du célèbre aventurier espagnol.


Conquête de Malacca (la), poëme épique portugais, par Fr. de Sade Ménézès, placé immédiatement après l’épopée de Camoens. L’auteur emprunte son merveilleux à la religion chrétienne, et n’admet les dieux du paganisme que dans l’enfer. À une époque où le Portugal était déchu de son ancienne puissance, le patriotisme du poète éleva un monument à la gloire nationale. Le héros de son poëme, c’est le grand Albuquerque, ce conquérant des Indes et d’une partie de la Perse.

Ni les fictions romanesques, ni les épisodes historiques ne font défaut à cette œuvre, qui rappelle tantôt les sombres peintures de Milton, tantôt les scènes guerrières ou galantes du Tasse. L’imagination du poste se donne ample carrière, ainsi qu’on peut en juger par l’esquisse réduite de sa vaste composition.

Le grand Albuquerque laisse reposer la victoire ; une vision cruelle lui fait apparaître les malheurs qui viennent de fondre sur les Portugais massacrés dans Malacca, ville qui partageait avec celle d’Ormuz le privilège de recevoir les vaisseaux et les pavillons de toute l’Asie. Le héros se réveille. Ses navires fendent de nouveau l’océan, pour venger l’injure faite à sa nation. Arrivée à Cochin, la flotte échappe à une trahison suscitée par Asinodée, le démon qui règne sur ces parages. Le poète fait connaître alors seulement les chefs de l’expédition, cette brillante noblesse qui était l’orgueil du Portugal.

Le second livre nous introduit dans un empire mythologique et chrétien ; Satan, courroucé contre les Portugais qui portent sur son empire la religion chrétienne, se décide à anéantir leurs vaisseaux. Une tempête horrible assiège la flotte, qui lutte contre un pouvoir surnaturel. Les anges du ciel combattent les anges révoltés. La tempête s’apaise, mais en laissant derrière elle d’effrayants désastres. Ces descriptions successives sont empreintes d’une émotion réelle ; on se demande si le poëte n’a pas été acteur dans ce drame maritime.

Tandis qu’Albuquerque entre dans le port de Sumatra, où le roi du pays lui offre un asile, un de ses compagnons d’armes, Viegas, échappé aux massacres de Malacca, se présente au héros de l’Asie, et lui fait le récit des malheurs éprouvés par ses compatriotes. Ce récit forme la matière du troisième livre. C’est tout un roman, une histoire remplie d’intérêt. Les amours de la Malaise Alaïda et du Portugais Sequeira n’affaiblissent pas l’énergie du tableau. Cette même exactitude de détails se retrouve dans l’entrevue d’Albuquerque et du roi de Sumatra, qui unissent leurs forces pour la poursuite de la guerre. La flotte part, et arrive à Malacca. Le poëte fait une description de cette grande ville, vue de la mer. Il donne la parole à divers personnages : la belle Alaïda raconte avec grâce les révolutions survenues dans l’empire malais ; un Portugais nomme au roi de Malacca les guerriers les plus illustres à bord des vaisseaux, et retrace les exploits du grand Albuquerque.

Le sixième livre fait pénétrer le lecteur dans les enfers. Asmodée révèle le progrès des Portugais au prince de l’abîme. Le roi des tempêtes hurle de rage. C’est bien le noir démon du christianisme esquissé par le poëte d’un trait vigoureux. La description de l’enfer, parcouru par Asmodée, ne serait pas indigne du burin de Dante. Le poète portugais laisse de côté les personnages modernes qui se sont rendus tristement célèbres par leurs crimes, Il nous rappelle bientôt sur la terre. Après avoir introduit une ambassade insidieuse envoyée au grand Albuquerque par le roi de Malacca, il abandonne la marche de l’épopée pour les épisodes aventureux de l’Arioste. La fable se complique d’incidents romanesques, mais l’intérêt s’accroît.

. Au neuvième chant, le récit nous fait assister au conseil tenu dans la ville malaise. Le poète se montre ici singulièrement habile à varier ses tableaux. Un premier assaut est couronné d’un succès marqué, mais incomplet. La reprise de l’attaque est différée par suite d’un nouvel épisode chevaleresque. Une longue narration historique interrompt bientôt l’intérêt, qui se ranime enfin. Le poëme touche à sa fin, et le talent de l’auteur y accumule des beautés remarquables. La peinture du sombre désespoir des assiégés, de l’héroïque fureur des assiégeants, d’une scène pathétique de roman qui se relie aux précédents épisodes, du tumulte de l’assaut, de la résistance et de la victoire, permet de constater la vigueur d’imagination de Menezès. Le poète a trouvé une idée presque sublime, quand, en pleine mêlée, il évoque devant Albuquerque, par l’organe d’un esprit resplendissant de lumière, les ombres des héros morts, qui vont encore combattre pour lui.

La Conquête de Malacca présente des incorrections de style, ramène trop fréquemment les descriptions de batailles et languit parfois. En revanche, des qualités solides et brillantes, un goût réfléchi, l’observation du caractère national, un intérêt soutenu, une véritable puissance créatrice qui s’exerce dans les limites d’un monde parfaitement étudié, ont répondu au but patriotique de l’auteur.


Conquête de l’Angleterre par les Normands (Histoire de la), par Augustin Thierry. Cet ouvrage fut publié sous la Restauration ; il a été retouché et modifié par l’auteur dans les dernières éditions (1851). On a dit des travaux historiques d’Augustin Thierry qu’on y trouvait la patience et l’érudition d’un bénédictin réunies à la brillante imagination d’un poète, ou bien encore qu’ils ressemblaient à des épopées en prose. En effet, la narration se suit avec tant de cohésion que l’on pourrait croire à la création des personnages par l’historien. Aussi, quel charme, quel intérêt poignant offre la lecture de la Conquête de l’Angleterre par les Normands ! Les événements rapportés par Augustin Thierry n’ont pas toujours une valeur considérable, et les épisodes qui tiennent la première place dans son livre prennent dans l’esprit des proportions exagérées. N’importe ! On est captivé, on est même converti aux idées du narrateur, qui a créé un genre historique tout à lui, une manière rebelle à l’imitation.

« Raconter, peindre, dit M. Nisard, c’est tout le travail d’Augustin Thierry ; voir, faire voir, ne semble-t-il pas que ce doivent être la passion de l’aveugle ? Augustin Thierry remonte jusqu’aux anciens pour leur reprendre cette partie de l’art d’où l’histoire tire son nom, le récit. Il en imite même l’usage des harangues ; mais, au lieu de refaire les discours, et surtout d’en prêter de son invention à ses personnages, il traduit leurs paroles de la chronique, où plus d’une fois, à défaut de ses yeux, sa divination les a trouvées. Il a l’imagination par laquelle l’historien se fait le contemporain des générations éteintes, la sensibilité par laquelle il vit de leur vie, le style qui seul fait relire les livres, et qui préserve l’histoire de la fortune passagère des romans. »

Augustin Thierry s’occupe surtout de raconter les événements ; la critique tient cependant une large place dans son histoire et elle revêt une couleur dramatique qui en double la valeur. Sous sa plume, l’histoire perd sa sécheresse. Ce ne sont plus des faits qui sa pressent, des dates qui s’alignent les unes à la suite des autres. Chaque événement sert à la solution d’un grand problème historique que se pose l’auteur, problème qui a survécu à la conquête des Normands et qui se représente toutes les fois qu’un territoire est envahi. Le vainqueur fonde une caste qui établit sa domination sur le vaincu. Entre cette aristocratie et cette démocratie, il y a lutte éternelle : c’est de cette distinction funeste que naissent tous les troubles qui agiteront le pays, toutes les haines qui rendront l’avenir sanglant.

L’ouvrage de M. Augustin Thierry a les défauts du talent de cet historien, mais de plus il porte la marque d’une disposition naturelle du temps. En composant son livre, l’auteur a ressenti les émotions qui agitaient ses contemporains, impatients de l’autorité religieuse et politique ; son esprit inclinait déjà à partager les races historiques en oppresseurs et en opprimés, et à se ranger toujours contre la force et le succès en faveur de la faiblesse et de la défaite. Cette disposition d’esprit repose sur un sentiment généreux ; c’est le noble penchant d’une intelligence élevée, qui ne peut résister aux séductions d’une cruelle infortune. Cependant l’historien, qui est un juge, ne doit pas tout sacrifier à ses affections, à la pitié. Il est historien : il doit au présent la vérité, au passé la justice. Il n’est pas tenu de rester impassible, mais il ne peut accepter le rôle et les passions de l’avocat. Cette équité supérieure et cette indépendance souveraine manquent à l’auteur de l’Histoire de la conquête, sa sympathie l’entraîne invinciblement vers les vaincus ; il épouse la cause des Anglo-Saxons contre les Normands, de même qu’il a soutenu les Gaulois contre les Francs, de même qu’il est l’avocat des hérétiques, représentants de l’indépendance de l’esprit humain, contre l’autorité pontificale. Retournant le mot de Brennus, il dit : Malheur aux vainqueurs ! Une telle disposition d’esprit ou de sentiment a d’abord dérobé à l’auteur une raison philosophique, la première qui s’impose au seuil d’une histoire analogue à la sienne. Pourquoi la conquête d’Angleterre a-t-elle pu être entreprise ? Pourquoi a-t-elle réussi ? Pourquoi s’est-elle maintenue ? On attend à ce sujet des explications ; l’historien nous doit une étude des causes générales. Il ne suffit pas de mettre en avant l’habileté et l’ascendant militaire du conquérant ; il nous importe bien plus de connaître la situation morale et politique du peuple conquis. On connaît à ce propos le mot de Montesquieu : un empire qui tombe sous le choc d’une seule bataille perdue était déjà miné et sapé dans sa constitution intérieure. C’était le cas pour la Grande-Bretagne anglo-saxonne ; aucune des races nombreuses qui s’étaient déjà partagé le sol n’avait pu fonder une nationalité puissante, capable de fermer l’accès du pays aux autres peuples. L’unité manquait à ce pays, d’après le livre même de M. Augustin Thierry : guerres intestines, anarchie de nationalités juxtaposées sans être fondues ensemble, voilà ce qu’on y trouvait. Même division des Anglo-Saxons après la conquête. Après comme avant, ils se montrent inférieurs aux Normands en civilisation, en intelligence, en caractère, et dans l’art de la guerre. Les vainqueurs constituent la nationalité anglaise, au prix de longues et rudes convulsions ; mais enfin ils la constituent. L’absence de cette vue philosophique fait que l’historien n’est point resté dans une juste mesure, en appréciant les vainqueurs et les vaincus, Guillaume le Conquérant et Harold. Il a prêté une attention trop exclusive aux récits saxons, souvent démentis par les témoignages normands. On croirait que, d’une manière absolue, les vices et tous les torts sont d’un côté, les droits et toutes les vertus de l’autre. « L’expédition normande apparaît comme un effet sans cause, un coup de flibustier, tenté en pleine paix, contre une nation qui avait en elle tous les éléments de grandeur et toutes les vertus nationales, germe d’un bel avenir ; Guillaume, comme un aventurier de courage qui s’abat sur une belle proie et la dépèce ; le pape comme un ambitieux qui ne considère que les avantages temporels que l’Église et son chef peuvent tirer de la conquête. » Oui, ce terrible tableau de la conquête est exact, avec les excès, les spoliations, les meurtres, les incendies, les crimes et les violences qui accompagnèrent l’invasion et la prise de possession. Mais ce tableau devrait avoir pour pendant une autre peinture représentant la situation du royaume anglo-saxon et les mœurs du peuple conquis. Or, tous les historiens sont unanimes pour attester que les désordres et les vices étaient arrivés à leur comble en Angleterre. Le meurtre, l’ivrognerie, les scandales de mœurs, les vices les plus honteux, l’oubli des principes et des devoirs les plus sacrés, par exemple le baptême à prix d’argent, la vente des jeunes gens des deux sexes à l’étranger même par les parents, l’amour ou plutôt le jeu du meurtre pour le meurtre, la violation des lois naturelles, nul respect pour le mariage, l’intempérance la plus grossière, telle était la situation morale de la nation anglo-saxonne, à qui l’on avait prédit depuis longtemps que son châtiment viendrait de France. M. Aug. Thierry a oublié de graver ces traits caractéristiques. Il nous donne la vérité, mais non toute la vérité ; quant à la perpétuité d’un dualisme encore existant entre les deux races, on peut l’admettre comme une hypothèse assez spécieuse.

L’Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands a inspiré à M. Alfred Nettement une de ses appréciations les plus équitables. M. Nettement examine l’ouvrage à tous les points de vue ; voici son jugement, que tout le monde a définitivement adopté-: « De tous les livres de M. Augustin Thierry, l’Histoire de la conquête d’Angleterre par les Normands est celui qui a le plus contribué à la réputation de l’auteur. Nulle part il n’a déployé plus d’art et mis en œuvre avec plus de talent littéraire les matériaux rassemblés avec une rare érudition, sinon toujours avec une complète impartialité. Il est impossible de lire sans une impression profonde ce dramatique tableau des misères accumulées parla conquête sur la nation conquise, et M. Augustin Thierry, en rencontrant son sujet de prédilection dans les meilleures conditions possibles, c’est-à-dire l’oppression de la race vaincue par la race victorieuse, a tiré de son sujet tout ce qu’il renferme d’enseignements élevés, de peintures émouvantes et de récits attachants. On y trouve tant de talent uni à tant d’érudition, un intérêt si dramatique, un coloris si brillant, qu’on ne peut se détacher de cette lecture. Les défauts de l’auteur sont une séduction de plus. Il a en effet ramené, avec un art remarquable, toutes les contradictions qu’on rencontre dans l’histoire à l’unité d’un plan systématique ; il a fondu les nuances disparates dans un harmonieux ensemble, il a passionné son récit, et, si l’on n’était sur ses gardes, on serait insensiblement amené à s’associer à ses prédilections et à ses antipathies, de même que, dans un drame, on finit par éprouver toutes les émotions que l’auteur veut imprimer à l’âme, par plaindre ceux qu’il veut faire plaindre et par détester ceux qu’il veut faire haïr. » L’Histoire de la Conquête est avant tout une œuvre d’art, un modèle de narration dramatique.


Conquête de Naples par Charles d’Anjou, frère de saint Louis (LA) [4 vol. in-8o, publiés en 1848], par M. le comte Alexis de Saint-Priest. C’est, sans contredit, une des luttes les plus curieuses de l’histoire que celle du sacerdoce et de l’empire, tant par la franchise altière avec laquelle l’Église revendiquait tout pour elle, que par l’élan avec lequel se manifeste l’indépendance de l’esprit humain. Dans cette période qui embrasse plus d’un siècle et demi, quelle ample matière pour l’historien, soit qu’il se sente la force d’en saisir et d’en représenter l’ensemble, soit qu’avec une discrétion prudente et habile il y choisisse un moment, un aspect sur lequel il travaillera particulièrement à répandre la lumière ! C’est ce dernier parti qu’a préféré M. de Saint-Priest. Le sujet qu’il a embrassé ne s’ouvre véritablement qu’après la disparition de Frédéric Barberousse et de Frédéric II. Ces héros sont morts ; la lutte continue entre leurs descendants et la papauté, qui, pour résister au génie de l’empire, appelle à Naples et en Sicile un prince français. Un des plus illustres chevaliers de la chrétienté, le frère de saint Louis, Charles d’Anjou, accepte l’investiture des mains du pape, passe en Italie, abat successivement Mainfroy, ce hardi et courageux bâtard, Conradin, que le double éclat de sa jeunesse et de sa race ne sauve pas de la hache du bourreau, et fonde à Naples une dynastie à laquelle l’insurrection victorieuse de tout un peuple arrache la Sicile. Voilà le thème historique sur lequel a travaillé M. de Saint-Priest ; personne n’en contestera la grandeur et l’intérêt. Les idées et les croyances du moyen âge y sont représentées par de glorieux champions, la politique s’y développe et s’y noue par des complications qui amènent de sanglantes catastrophes ; enfin l’histoire, sans avoir besoin d’être dénaturée, s’y élève à de pathétiques effets. Frappé des éléments dramatiques d’un pareil sujet, l’auteur n’a pas hésité à donner à son livre les traits et les couleurs d’une œuvre d’imagination et à le placer, pour ainsi dire, sous l’invocation du grand poète dont le génie demeure comme le plus éloquent interprète du moyen âge. L’histoire de la Conquête de Naples est divisée en douze livres, dont chacun porte un frontispice de longues épigraphes empruntées à Dante. De plus, c’est en grande partie dans les chants des minnesingers que l’écrivain a puisé les preuves de l’hostilité du Nord contre le Midi. Au milieu de ces poétiques aspects, l’intérêt politique du sujet reste considérable. C’est un des épisodes importants de l’histoire générale du moyen âge, et aussi de l’histoire de France, que la conquête du royaume de Naples par Charles d’Anjou. « Cette expédition, qui fonde une dynastie, dit M. Lerminier, ouvre d’une remarquable manière, dans les annales modernes, les relations de la France et de l’Italie, ces deux nations destinées par la nature à exercer l’une sur l’autre de décisives in-