Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 4, part. 4, Con-Contrayerva.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’il fut obligé de changer de nom pour dépister ses ennemis. (***)

— Encycl. La fabrication des condoms appartient à l’industrie du boyaudier. On en distingue trois sortes : les communs, les fins et les superfins, tous préparés avec le cœcum du mouton, mais différant par la qualité de la matière première et par les manipulations qu’on lui fait subir. Les condoms communs se Font avec les baudruches les plus faibles. Après avoir retourné ces baudruches, on les fait macérer dans une eau alcaline, que l’on change plusieurs fois, de douze heures en douze heures ; puis, avec le dos de la lame d’un couteau, on les ratisse pour enlever la membrane muqueuse sans entamer la membrane péritonéale et la membrane musculeuse. On les passe ensuite au soufre, et on les lave plusieurs fois à l’eau de savon. Après ces lavages, on souffle lès baudruches au moyen d'un petit roseau creux, on noue le bout, et on les fait sécher. Quand elles sont parfaitement sèches, on les coupe près des noeuds en leur laissant une longueur de 0, 20 à 0, 25 m. Il ne reste plus qu’à les border avec un ruban, qui est ordinairement rouge ou bleu, et à pratiquer près du bord une coulisse dans laquelle on introduit un ruban de fil très-étroit.

Les condoms fins se préparent avec les baudruches les plus belles et les plus solides. Les opérations sont à peu près les mêmes que celles que nous venons de décrire ; seulement elles se font avec plus de soin et se répètent un plus grand nombre de fois. Ensuite, pour les faire sécher, on les étend sur un moule de bois.

Les condoms superflus se fabriquent avec les mêmes matières que les fins, mais avec encore plus de soins. Après les derniers lavages, on les parfume, puis on les fait sécher sur des moules de verre, ce qui leur donne un beau glacé. Les condoms fins et les superfins étant très-fragiles à cause de l’extrême minceur de leurs parois, on augmente beaucoup leur solidité en les doublant, c’est-à-dire en en mettant deux l’un dans l’autre. Dans ce cas, on dispose les choses de manière que les surfaces ratissées soient bien en contact, et elles se collent si parfaitement qu’elles ne peuvent plus se séparer.


CONDOMA s. m. (kon-do-ma). Mamm. Antilope du Cap de Bonne-Espérance, qui se distingue par la longueur de ses cornes. Il On dit aussi condomois et condous.

— Encycl. Le condoma ou condous est une espèce d’antilope à corps robuste, à peu près delà taille du cerf ; son pelage est composé de poils assez longs, couchés, d’un gris plus ou moins roussâtre ; une ligne blanche occupe

! a longueur du dos, depuis le cou jusqu’à la

queue, et donne naissance à six. ou huit raies transversales de même couleur qui descendent de chaque côté sur les flancs. La tête est armée, dans les deux sexes, de cornes grosses, lisses, longues d’un mètre et plus, d’un jaune sale varié de noirâtre, divergentes, à trois courbures en spirale ; l’animal a une crinière sur le cou et une autre en dessous, une barbe au itienton ; la queue est courte et terminée par de longs poils. Le condoma vit au Cap de Bonne-Espérance, dans l’intérieur des terres ; il est solitaire, d’un naturel très-vif, toujours bondissant, et exécute des sauts prodigieux. Il ne se nourrit que de matières végétales ; sa voix ressemble, dit-on, à celle de 1 une. C’est un animal d’une belle prestance ; il porte fièrement la tête, et n’est pas moins remarquable par l’élégance de ses cornes, par la finesse de ses jambes et l’agilité de sa course, que les plus beaux cerfs de nos pays ; on assure qu’il franchit des barrières de 3 à 4 m. de hauteur. Il est beaucoup moins farouche que son genre de vie solitaire pourrait le faire croire, et il s’apprivoise avec la plus grande facilité.

CONDOMINIUM s. m. (kon-do-mi-ni-omm

— du lat. cum, avec ; dominium, possession). Possession simultanée d’un même pays par deux puissances distinctes.

— Encycl. On transige d’ordinaire en cas de condominium ; l’un des deux dominateurs cède le dominium à l’autre par un traité. C’est la façon dont agissent les gouvernements d’ancien régime ; et c’est en dernier lieu de la sorte que l’Autriche a vendu à beaux deniers comptants à la Prusse sa part de souveraineté sur le duché de Lauenbourjr, que, à la suite de la prise de possession des duchés danois et de leurs dépendances, le roi de Danemark, par le traité conclu à Vienne le 30 octobre 1864, avait dû céder au roi de Prusse et à l’empereur d’Autriche « en commun, » dit le traité ; ce qui constitue précisément, dans cet ordre d’idées, le condominium.

CONDOMOIS, OISE s. et adj. (kon-do-moi,

<oi-ze). Géogr. Habitant du Condomois ou de

la ville de Coudorn ; qui appartient à cette

■ville ou a ses habitants : Les Condomois, La

population condomoisk.

CONDOMOIS, petit pays de la Franco ancienne, dans la province de Gascogne, entre l’Agénois au N., la Lomagne à Î’E-, l’Armagnac au S. et le Bazadois à l’O. Capitale, Condom ; villes principales, Nérac, Gabarret, Mont-de-Marsan. Du temps de César, la plus grande partie du Condomois était habitée par. les Nitobriges. Sous Jlonorius, ce pays se trouvait compris dans l’Aquitaine : il appartint successivement aux Visigoths, aux comtes de Guyenne et de Gascogne, aux Anglais, et fut


enfin réuni a la couronne avec le Bordelais et la Guyenne, en 1451, sous le règne de Charles VIL II fait actuellement partie des départements du Gers et de Lot-et-Garonne.

CONDONAT s. m. (kon-do-na —du lat. cum, avec ; donalus, donné). Hist. ecclés. Nom que l’on donnait en Bretagne à des religieux de la congrégation de Samt-Sulpice, dépendant d’un monastère de femmes.

CONDONNER v. a. ou tr. (kon-do-né —lat. condonare ; de cum, avec ; donare, donner). Sacrifier, faire céder. || Pardonner, excuser. || Vieux mot.


CONDOR s. m. (kon-dor —kuntur, dans l’idiome des Incas). Ornith. Espèce de grand vautour de l’Amérique du Sud:Si la faculté de voler est un attribut essentiel à l’oiseau, le condor doit être le plus grand de tous. (Buff.) Le condor est l’oiseau qui vole le plus haut; il s’élève à des hauteurs immenses. (Focillon.)

Tel on voit s’élever le monstrueux condor.

Quand, du sommet des monts prenant son vaste essor,

Dans les airs obscurcis il plane et se balance.

Masson.

— Encycl. Le condor est caractérisé par son pouce inséré plus haut que les autres doigts, et par le développement de sa crête qui, chez le mâle, s’étend sur le front et sur la face, et envoie des prolongements charnus sur les côtés et le devant du cou où ils se réunissent en une membrane lâche, que l’animal peut rendre plus ou moins apparente en la gonflant à son gré. L’oreille est grande et cachée sous les replis dont il vient d’être question, Le plumage est d’un noir bleu intense. A l’âge adulte, le bas du cou est orné d’un demi-collier duveté et soyeux, d’un blanc de neige. La femelle n’a ni crête ni barbillon, et son plumage est d’un brun noir uniforme, avec du cendré sur les ailes. Le condor, appelé aussi grand vautour des Andes, habite l’Amérique méridionale, depuis la Patagonie jusqu’aux régions voisines de l’équateur. Il ne se piaît que dans les endroits les plus solitaires des hautes montagnes, et souvent on l’aperçoit sur des crêtes placées à la limite des neiges perpétuelles. En général, U ne descend dans la plaine que pour y chercher sa pâture. Son histoire a été longtemps entourée de fables, et, bien que sa taille et sa force soient déjà extraordinaires, on les a encore exagérées. Ainsi que de Humboldt en a fait la remarque, il en est du condor comme des Patagons et de tant d’autres objets d’histoire naturelle:plus on les a examinés, et plus ils se sont rapetisses. Ayant mesuré plusieurs de ces oiseaux, ce savant a reconnu que leur longueur totale ne dépassait pas un mètre, et leur envergure, que certains écrivains avait évaluée à six mètres, n’est en réalité que de trois mètres au plus. Ces exagérations paraissent d’ailleurs tenir moins à l’imagination des historiens qu’aux lieux élevés où se plait le condor ; un effet de mirage lui donne une taille gigantesque, et l’illustre savant qu’on vient de nommer rapporte qu’il y fut lui-même trompé. Ce ne fut qu’en mesurant queiques-uns de ces animaux après leur mort qu’il put se faire une idée exacte de leur grandeur.

Aucun oiseau n’a un vol aussi puissant que le condor. En peu d’instants, un vacillement presque imperceptible de ses ailes le porte par delà les nuages, et bientôt il se détache sur l’azur du ciel, avec In grosseur apparente d’une hirondelle à distance moyenne. De Humboldt en a vu qui planaient à plus de 7, 000 mètres au-dessus du niveau de le mer. D’Orbignyen a vu s’élancer du sommet des Andes, et atteindre une hauteur telle qu’ils cessaient d’être visibles pour lui. Comment peuvent-ils vivre dans un air aussi raréfié ? C’est ce qu’on n’explique pas. Au rapport du voyageur anglais. Stewenson, ils se nourrissent d’animaux qu’ils tuent eux-mêmes. La conservation des agneaux et des chèvres, incessamment menacée par ces oiseaux rapaces, exige toute la surveil-lance des chiens et des bergers. Les veaux eux-mêmes deviennent fréquemment la proie des condors, qui, en général, dirigent leur première attaque à la tête de leur victime, et lui arrachent les yeux. » J’en ai vu un jour plusieurs, dit le voyageur précité, s’en prendre à une vache tombée dans une fondrière d’où elle rie pouvait sortir. Ils attaquèrent d’abord le ventre, par où ils tirèrent les intestins, et ils tuèrent l’animal sans s’inquiéter du bruit que nous faisions, comme s’ils eussent su qu’il n’était pas en notre pouvoir de le retirer du bourbier. » Les cas, assez rares d’ailleurs, dans lesquels il leur est arrivé de fondre sur l’homme n’avaient pas échappé à l’observation des anciens Péruviens, et l’on rencontre dans les monuments céramiques de ces peuples plusieurs vases où le condor est représenté faisant sa proie d’un enfant qui se débat sous son étreinte. Sloane, dans les Transactions philosophiques, et Garcilasso, dans son Histoire des Incas, assurent qu’on a souvent vu ces oiseaux dévorer des enfants de dix à. douze ans. Le dernier ajoute que deux suffisent pour tuer et manger une vache ou un taureau. Suivant d’anciens voyageurs, les condors auraient assez de force pour emporter des chèvres, des moutons et des lamas jusque sur les sommets des Andes. Comme la brièveté du pouce de ces oiseaux les empêche de saisir j avec leurs serres, on a mis ces récits en doute ; ■ il est possible cependant qu’ils soient exacts, car on affirme que, lorsque le condor veut porter dans son aire une proie vivante, il la

COND

saisit de son terrible bec, et, par un mouvement rapide, la jette sur son dos, où il la maintient en volant. Aux témoignages anciens, un peu suspects, nous joindrons celui d’un voyageur contemporain. Lorsque M. de Castelnau sortit de Potosi, il fut suivi dans sa marche à. travers les Andes par plusieurs condors, et il ne dissimule pas l’inquiétude que lui causaient de tels compagnons. « Ces oiseaux rapaces, dit-il, s’élevaient d’un vol pesant ; ils planaient au-dessus de nos têtes en éclipsant le soleil et en projetant sur nous des ombres énormes ; puis ils allaient, à peu de distance, se percher sur une crête pour regarder passer notre caravane. Alors, tenant leur tète dénudée presque entièrement cachée dans leur manteau de plumes, ils nous suivaient d’un regard perçant, pour reprendre bientôt un nouvel essor, recommençant vingt fois la même manœuvre, dans l’espoir sans doute que, vaincu par la fatigue et la rigueur du chemin, l’un de nous, ou du moins l’une de nos montures, succombant en ces lieux r deviendrait une proie facile, sur laquelle pourrait s’abattre leur bande aussi lâche que gloutonne. On a vu des voyageurs, atfaiblis par la fatigue et la souffrance, tomber à terre, et être aussitôt attaqués, harcelés et déchirés par ces oiseaux féroces, qui, tout en arrachant des lambeaux de chair à leurs victimes, leur fracassent les membres à coups d’ailes. »

Les Péruviens sont passionnés pour la chasse au condor, et ils s’y livrent de la manière suivante. On fait tuer une vache ou un cheval. Les condors, attirés par l’odeur du cadavre, arrivent et se gorgent de viande, au point de ne pouvoir plus s’envoler. C’est alors que les chasseurs se présentent armés de bâtons ou de lacets. Les oiseaux essayent vainement de fuir ; les uns sont assommés, les autres étranglés. Quelquefois aussi on empoisonne l’appât offert à leur voracité. Les condors ne font pas de nid; ils déposent deux œufs dans des creux de rocher.


CONDOR, appelée aussi POULO-CONDOR et ÎLE D’ORLÉANS, île de la Cochinchine, dans la mer de Chine, au milieu d’un groupe de rochers, à 72 kilom. de l’embouchure du Mékong, par 8° 40’de lat. N. et 104° 21’de long. E. ; 25 kilom. de long sur 5 de large ; 800 hab. réfugiés de la Cochinchine. Le sol, assez montagneux, est fertile en produits tropicaux. La préparation des torches faites d’écorces que l’on imprègne du suc de l’arbre à goudron, la chasse aux tortues et la pêche sont les principales occupations des habitants. Découverte par Dampier en 1687, cette île fut la résidence du P. Gaubil en 1721, époque à laquelle les Français essayèrent vainement d’y fonder un établissement ; les Anglais, en 1702, y construisirent un fort qu’ils abandonnèrent bientôt. En 1860, elle a été de nouveau occupée par les Français et fait actuellement partie de notre colonie cochinchinoise.


CONDORCET (Marie-Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de), illustre philosophe, mathématicien et homme politique français, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences et membre de l’Académie française, né en 1743 à Ribemont, petite ville de Picardie voisine de Saint-Quentin, mort à Bourg-la-Reiné en 1794. Il était fils d’un capitaine de cavalerie et neveu de M. de Caritat de Condorcet, qui fut successivement évêque de Gap, d’Auxerre et de Lisieux.

La famille de l’homme illustre dont nous allons esquisser à grands traits la biographie était originaire du Dauphiné, et, l’une des premières en France, elle avait embrassé la religion réformée pour se rallier ensuite au catholicisme. Condorcet n’était encore âgé que de quatre ans lorsqu’il eut le malheur de perdre son père, événement qui exerça une influence fâcheuse suc son adolescence : sa mère, Mme de Gaudry, femme d’une dévotion exaltée, le voua à la Vierge et au blanc, dans l’espoir de le soustraire aux accidents qui accompagnent si fréquemment l’enfance. Jusqu’à l’âge de onze ans, Condorcet porta les vêtements d’une jeune fille, ce qui nuisit au développement de ses facultés physiques. Son oncle l’évêque prit en amitié l’enfant noble, mais pauvre, et le confia aux jésuites du collège de Navarre. Là, il ne tarda pas à obtenir des succès brillants, qui lui acquirent, avant même son entrée dans la vie active, d’illustres patrons. À seize ans, il soutint avec succès une thèse de mathématiques en présence de d’Alembert, Clairaut et Fontaine le géomètre, qui, frappés de l’étendue de ses connaissances dans une matière spéciale et peu accessible, l’engagèrent à poursuivre ses travaux scientifiques et à faire des sciences sa carrière. À dix-sept ans, il dédia à Turgot un opuscule intitulé : Une profession de foi, et prépara ainsi son intimité avec le grand ministre, qui devait plus tard l’initier à la vie politique. Dans cet opuscule, sa première œuvre, le jeune auteur examinait comment notre propre intérêt nous prescrit d’être juste et vertueux, et, par le choix même du sujet, il annonçait cette sérénité d’âme et cette fermeté qu’il conserva toujours à travers sa belle et tragique existence.

À dix-neuf ans, Condorcet débutait dans le monde, sans fortune, mais avec un nom, de l’intelligence et des protections actives, entre autres celle du duc de La Rochefoucauld, son parent, qui l’introduisit dans plusieurs maisons influentes, et obtint pour lui une pension qui, en corrigeant les rigueurs de la fortune, permit à notre jeune mathématicien de se livrer dés lors tout entier à ses travaux favoris. À cette époque, le monde des savants et celui des grands seigneurs se tenaient par des liens étroits, et le milieu dans lequel Condorcet était par sa naissance appelé à vivre favorisa puissamment, il faut le dire, ses succès. Sa première œuvre scientifique (1765) a pour titre : Essai sur le calcul intégral. L’année précédente, elle avait été présentée sous forme de mémoire à l’Académie des sciences, qui, sur le rapport favorable de d’Alembert et de Bezout, l’avait jugée digne d’être insérée dans le recueil des Mémoires des savants étrangers. En 1767, il offre à la même Académie un second mémoire sur le problème des trois corps, ce qui lui valut, deux ans après (1769), d’être reçu au nombre des membres de cette société : il n’avait que vingt-six ans. De nouveaux mémoires suivirent, notamment sur le calcul analytique et sur les séries récurrentes. Ce dernier fut, de la part de Lagrange, l’objet des plus flatteuses appréciations. La réputation de Condorcet comme savant avait grandi rapidement ; il songea alors à se créer un nom dans les lettres. « Personne n’hésitera sur la cause de cette résolution, quand on aura remarqué qu’elle suivit de très-prés, par sa date, le voyage que d’Alembert et Condorcet firent à Ferney. » (Fr. Arago, Biographie de Condorcet, lue en séance publique à l’Académie des sciences en 1841.)

C’était en 1770 ; Voltaire avait atteint l’apogée de sa puissance. Sa gloire tentait. « J’ai trouvé Voltaire, écrivait Condorcet à Turgot lors de son retour de Ferney, j’ai trouvé Voltaire si plein d’activité et d’esprit, qu’on serait tenté de le croire immortel, si un peu d’injustice envers Rousseau et trop de sensibilité au sujet des sottises de Fréron ne faisaient, apercevoir qu’il est homme. » Il ajoutait dans une seconde lettre au même : « Voltaire travaille moins pour sa gloire que pour sa cause ; il ne faut pas le juger comme philosophe, mais comme apôtre. » C’est à cet apostolat qu’il avait lui-même envie de participer. « Voltaire était devenu une sorte de dalaï-lama du monde intellectuel, dit Arago. Ses amis furent des courtisans dépourvus de dignité, dévoués aveuglément aux caprices du maître et quêtant, par des éloges outrés, par des complaisances sans bornes, une do ces lettres datées de Ferney, qui semblaient dans le monde un gage certain d’immortalité. En ce qui touche Condorcet, il suffira de quelques guillemets pour renverser tout cet échafaudage d’accusations flétrissantes. »

Assurément Condorcet avait assez de talent, l’âme assez élevée, il jouissait d’une assez grande considération pour se croire dispensé de ramper aux pieds de qui que ce soit. Mais ce n’est pas dans le sentiment de sa valeur et de sa dignité qu’il faut chercher le secret de sa franchise avec Voltaire : il est dans son amitié et dans son aversion pour la flatterie et le mensonge. Les détails suivants serviront, en outre, à édifier ceux qui prétendent que Voltaire n’a jamais su accepter la critique et entendre la vérité. En 1776, Voltaire avait commis des vers hyperboliquement louangeurs pour Mme Necker. Condorcet n’aimait ni Necker ni sa femme ; il écrit à Voltaire : « Je suis fâché de ces vers. Vous ne savez pas assez quel est le poids de votre nom… Vous ressemblez aux gens qui vont applaudir Arlequin quand il y a relâche à Zaïre… Je ne connais votre pièce que par oui-dire ; mais ceux qui l’ont lue m’assurent que, à propos de M. et Mme l’Enveloppe {Necker et sa femme), vous parlez de Caton. Cela me rappelle un jeune étranger qui me disait : « J’ai vu trois grands hommes en France, M. de Voltaire, M. d’Alembert et M. l’abbé de Voisenon. » Quelque temps après, Voltaire veut faire jouer sa tragédie d’Irène. Condorcet, craignant un échec, s’y oppose et lui explique les motifs de son opposition. Voltaire lui répond (12 janvier 1778) : « Mon philosophe universel, vos lumières m’étonnent et votre amitié m’est de jour en jour plus chère. Je suis affligé et honteux d’avoir été d’un autre avis que vous sur la dernière tentative d’un vieillard de quatre-vingt-quatre ans. J’avais cru, sur la foi de quelques pleurs que j’ai vu répandre à des personnes qui savent se passionner sans chercher de passion, que si mon esquisse était avec le temps bien peinte et bien colorée, elle pourrait produire à Paris un effet heureux. Je me suis malheureusement trompé. Je conviens d’une grande partie des vérités que vous avez la bonté de me dire, et je m’en dis bien d’autres à moi-même. Je travaillais à faire un tableau de ce croquis lorsque vos critiques, dictées par l’amitié et par la raison, sont venues augmenter mes doutes. On ne fait rien de bien dans les arts d’imagination et de goût sans le secours d’un ami éclairé. »

Cette sévérité d’opinion se manifesta dans une autre circonstance remarquable. Voltaire, qui s’obstinait à ne voir dans Montesquieu qu’un gascon, suivant son expression pittoresque, avait envoyé à Condorcet, pour le Mercure de France, une lettre dans laquelle il mettait d’Aguesseau au-dessus de Montesquieu, dont il avait commenté l’Esprit des lois et dit du bien en maint endroit de ses écrits. « Ne voyez-vous pas, lui répond Condorcet, qu’on rapprocherait ce que vous dites aujourd’hui de Montesquieu des éloges que vous lui avez donnés autrefois ? Ses admirateurs, blessés de la manière dont vous relevez