Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 4, part. 4, Con-Contrayerva.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

CONF

entière à des écrits, qui, du vol que j’avais pris et que je me sentais en état de soutenir, pouvaient me faire vivre dans l’abondance, et ràême dans l’opulence, pour peu que j’eusse voulu joindre des manœuvres d’auteur au soin de publier de bons livres ; mais je sentais qu’écrire pour avoir du pain eut bientôt étouffé mon génie et mon talent, qui était moins dans ma plume que dans mon cœur, et né uniquement d’une façon de penser élevée rt fière qui seule pouvait le nourrir. Rien de vigoureux, rien de grand ne peut partir d’une plume toute vénale. » Ceux qui trouvent aujourd’hui la fortune en même temps que la renommée dans l’exploitation de leur talent, pourraient réfléchir avec fruit sur ces paroles de Rousseau, qui refusait de se servir de sa plume pour vivre, et qui n’en a pas moins été un des écrivains les plus féconds du xvino siècle. Ce fut pendant ces années fécondes qu’il écrivit la Lettre sur les spectacles, la Nouvelle Héloïse, 1Emile, le Contrat social ; en un mot, ses chefs-d’œuvre. Rousseau eut besoin, pour y suffire, d’une transformation morale. Il eut assez d’énergie pour réformer, sinon tout à fait sa conduite, au moins ses sentiments. « Jusque-là, dit-it, j’avais été bon ; je devins vertueux ou du moins enivré de la vertu. Cette ivresse avait commencé dans ma tête ; mais elle avait passé dans mon cœur. Le plus noble orgueil y germa sur les débris de la vanité déracinée… Voilà d’où naquit ma subite éloquence ; voilà d’où se répandit dans mes premiers livres ce feu vraiment céleste qui m’embrasait, et dont, pendant quarante ans. Une s’était pas échappé la moindre étincelle, parce qu’il n’était pas encore allumé. J’étais vraiment transformé ; mes amis, mes connaissances ne me reconnaissaient plus. »

Rousseau avait épuisé bien des coupes umères ; les vicissitudes de sa vie aventureuse lui avaient appris les hommes et les choses. Il attribue au spectacle des vices de Paris une partie de l’indignation qui s’empara de lui at le rendit éloquent. Il y a sans doute du vrai dans cette assertion ; mais la principale chose à considérer est qu’il était parvenu à l’âge de la maturité, qu’il se sentait un homme supérieur, qu’il n avait néanmoins aucune situation au soleil, et que.le spectacle.de sa petitesse sociale, comparée à la grandeur de ceux qui n’étaient rien par l’intelligence ni par le cœur, l’avait révolté. Le Xe livre des Confessions commence eu 1758. Il y parle de sa vie intérieure, de ses connaissances dans le monde et de l’impression de ses livres. Il n’eut qu’à se louer de M. de Malesherbes, directeur de la librairie. « J’eus, dit-il, de nouvelles preuves de ses bontés au sujet de l’impression de la Julie ; car les épreuves d’un si grand ouvrage, étant fort coûteuses à faire, venir d’Amsterdam par la poste, il permit, ayant ses ports francs, qu’elles lui fussent adressées, et il me les envoyait franches aussi, sous le contreseing de M. le chancelier, son père. » Il est assez curieux de voir un censeur des lettres envoyer ainsi à l’auteur les épreuves d’un ouvrage dont on n’aurait pas toléré l’impression en France. « J’ai toujours regardé, dit Rousseau, M. de Malesherbes. comme un homme d’une droiture à toute épreuve ; » la conduite postérieure de M. de Malesherbes et le jugement de la postérité ont confirmé l’avis de Rousseau.

Le Xlc livre commence en 1761. À mesure que Rousseau avance, les événements se pressent sous sa plume. Il débute par des considérations littéraires sur la Nouvelle Héloïse ; il craignait d’avoir écrit un livre peu intéressant. Une circonstance le rassura..* Il parut, dit-il, au commencement du carnaval (1761). Un colporteur le porta à M>" « la princesse de Talmont, un jour de bal à l’Opéra. Après souper, elle se fit habiller pour y aller, et, en attendant l’heure, elle se mit à lire le nouveau roman. À minuit, elle ordonna qu’on mît ses chevaux, et continua de lire. Ses gens, voyant qu’elle s’oubliait, vinrent l’avertir qu’il était deux heures. « Rien ne presse encore », dit-elle, en lisant toujours. Quelque temps après, sa montre étant arrêtée, elle sonna pour savoir quelle heure il était. On lui dit qu’il était quatre heures, « Cela étant, dit-elle, il est trop tard pour aller au bal ; qu’on ôte mes chevaux. ■ Elle se fit déshabiller, et passa le reste de la nuit à lire. »

Rousseau en conclut que Mme de Talmont avait ce sixième sens, qu’on appelle le sens moral, « dont si peu de cœurs sont doués, et sans lequel nul ne saurait entendre le mien. »

Le Xle livre ne va guère au delà de 1761 ; leXIIe comprend depuis 1762 jusqu’à 1765. Suivant Rousseau, en 1762 commence l’œuvre de ténèbres, c’est-à-dire de persécution occulte, par laquelle il se croit poursuivi. C’est de la misanthropie qui tourne presque à la folie. « Ici commence, dit-il au début, l’œuvre de ténèbres dans lequel, depuis huit ans, je me trouve enseveli, sans que, de quelque façon que je m’y sois pu prendre, il m’ait été possible d’en percer l’effrayante obscurité. Dans l’abîme de maux où je suis submergé, je sens les atteintes des coups qui me sont portés, j’en aperçois l’instrument immédiat ; mais je ne puis voir ni la main qui ta dirige, ni les moyens qu’elle met en œuvre. L’opprobre et les malheurs tombent sur moi comme d’eux-mêmes, et sans qu’il y paraisse. » Ici, c’est comme le bonheur de ses premières années de jeunesse ; il prend pour l’œuvre d’autrui ce qui n’est qu’un —effet de ses idées noires ; il est malheureux comme il avait été

CONF

heureux, par un effet de tempérament. Les autres n’y sont pour rien, et lui pour tout:il devenait vieux. Son sang refroidi avait éteint les passions généreuses qui l’avaient fait vivre auparavant. S’il y avait regardé de près, il aurait vu qu’en définitive il n’y avait que la nature de coupable dans toute cette affaire. Il le démontre sans peine. « Quand, dit-il, mon cœur déchiré laisse échapper des gémissements, j’ai l’air d’un homme qui se plaint sans sujet, et les auteurs de ma ruino ont trouvé l’art inconcevable de rendre le public com-plice de leur complot, sans qu’il s’en doute lui-même, et sans qu’il en aperçoive l’effet, a Eh non, citoyen ! c’est vous qui êtes malade et voyez les choses autrement qu’elles ne sont. Que vous ont fait les encyclopédistes ? Ils ont méditde vous comme vous avez médit de leurs personnes et de leurs idées. Vous n’avez pas a vous préoccuper de leurs paroles. Quant à leurs actes, ils ne vous touchent point. Us De sont pas au pouvoir ; ils ne vous persécutent d’aucune manière. Vous êtes triste et dégoûté de la vie, ce n’est pas leur faute, mais plutôt celle de la nature. Vous avez perdu la jeunesse ; l’énergie de vos passions s’en va; vous êtes mécontent de vous-même. Il n’y a là rien dont vos ennemis soient la cause, même indirecte.

Les Confessions finissent au moment du départ de Rousseau pour l’Angleterre (l"65) ; où l’appelait Hume. Il se proposait d’ajouter à l’ouvrage une troisième partie, projet qu’il n’effectua point,

■ Telles sont les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, un des cjjefs-d’œuvre de notre littérature, et le monument le plus extraordinaire, par son originalité etsa hauteur, qu’un écrivain ait jamais tenté d’élever à sa mémoire.

. Nous ne pouvons mieux compléter cet article sur les Confessions de Jean-Jacques Rousseau qu’en citant l’opinion de quelques critiques autorisés. •

M. Sainte-Beuve, ce confesseur indiscret des grands esprits, a scruté, interrogé les aveux de Rousseau, dans le tome III de Ses Causeries du lundi.

« L’erreur de Rousseau, dit-il, n’a pas été de croire qu’en se confessant ainsi tout haut devant tous, et dans un sentiment si différent de l’humilité chrétienne, il faisait une chose unique, ou même une ^hose des plus curieuses pour l’étude du cœur humain ; son erreur a été de croire qu’il faisait une chose utile.

Quand nous remarquons avec quelque regret que Rousseau a forcé, creusé et comme labouré la langue, nous ajoutons aussitôt qu’il l’a ensemencée en même temps et fertilisée. Toutefois il est incroyable que ce sentiment moral intérieur dont il était pourvu, et qui le tenait ji fort en rapport avec les autres hommes, ne l’ait pas averti à quel point il y dérogeait en maint endroit de sa vie et en mainte locution qu’il affecte.

Le commencement du Ile livre des Confessions est délicieux et plein de fraîcheur -. M’"c de Warens, pour la première fois, nous apparaît. En la peignant, le style de Rousseau s’adoucit et s’amollit avec grâce, et en même temps on découvre aussitôt un trait, une veine essentielle qui est en lui et dans toute sa manière, je veux dire la sensualité.

En tout, comme peintre, Rousseau a le sentiment de la réalité. »

La nature, sincèrement sentie et aimée en elle-même, fait le fond de l’inspiration de Rousseau, toute ? les fois que cette inspiration est saine et n’est pas maladive.

n La magie du style de Rousseau, dit M. Géruzez, et la sincérité de ses émotions, lorsqu’elles dominent’son âme et qu’elles colorent son imagination, communiquent à ses écrits une puissance irrésistible. Il ne nous toucherait pas si vivement s’il n’était pas si vivement touché. Il répugne de voir en lui un charlatan de sensibilité, un hypocrite de vertu:sans doute sa sensibilité et sa pudeur sont plus dans l’imagination que dans le cœur, mais elles sont aussi dans le cœur. On ne parle pas de la nature avec cet accent pénétré lorsqu’on n’en a pas senti et goûté les charmes, et on n’y est pas sensible à ce point si on n’a pas à quelque degré la bonté et la beauté de l’âme. Certes, il n’y a pas à douter de la vérité de l’émotion, et il tant en tirer loyalement la conséquence au profit de celui qui l’exprime avec tant de force et d’éclat… Il a devant la beauté morale la même admiration, le même attendrissement. »

La part faite à tout ce qui blesse trop souvent les susceptibilités du cœur dans la lecture de Rousseau, il est peu de livres qui offrent autant de charme que les Confessions. Grâces dil langage, intérêt du récit, fraîcheur exquise dans les descriptions, tendresse dans les sentiments, mélancolie dans les souvenirs, tout se réunit pour en faire une lecture éminemment attachante. On y trouve surtout cette magie de style qui fait de Rousseau le prosateur le plus parfait, le plus complet qui ait jamais existé. Sa prose est entraînante jusque dans les plus petits détails ; il excelle principalement dans l’anecdote. En voici quelques exemples; c’est par là que nous terminerons.

Il parle de ses parents:

« Leurs amours avaient commencé

presque avec leur vie ; dès l’âge de huit à neuf ans ils se promenaient ensemble tous les soirs sur la Treille ; à dix ans, ils ne pou CONF

vaient plus se quitter. La sympathie, l’accord des âmes affermit en eux le sentiment qu’avait produit l’habitude. Tous deux, nés tendres et sensibles, n’attendaient que le moment de trouver dans un autre la même disposition; ou plutôt ce moment les attendait eux-mêmes, et chacun d’eux jeta son cœur dans le premier qui s’ouvrit pour le recevoir. Le sort qui semblait contrarier leur passion ne fit que l’animer. Le jeune amant, ne pouvant obtenir sa maîtresse, se consumait de douleur: elle lui conseilla de voyager pour l’oublier. Il voyagea sans fruit, et revint plus amoureux que jamais. Il retrouva celle qu’il aimait tendre et ndèle. Après cette épreuve, il ne restait qu’à s’aimer toute la vie ; ils le jurèrent, et le ciel bénit leur serment

Dix mois après, je naquis infirme et malade. Je coûtai la vie à ma mère, et ma naissance fut le premier de mes maiheurs

Je n’ai pas su comment mon père supporta cette perte, mais je sais qu’il ne s’en consola jamais. Il croyait la revoir en moi, Sans pouvoir oublier que je la lui avais ôtée; jamais il ne m’embrassa que je ne sentisse à ses soupirs, à ses convulsives étreintes, qu’un regret amer se mêlait à ses caresses : elles n’en étaient que plus tendres. Quand il me disait : « Jean-Jacques, parlons de ta mère, » je lui disais : « Eh bien I mon père, nous al-Ions donc pleurer ? » et ce mot seul lui tirait déjà des larmes. « Ahl disait-il en gémissant, ■• rends-la-moi, console-moi d’elle, remplis le vide qu’elle a laissé dans mon âme. T’aimerais-je ainsi si tu n’étais que mon fils ? » Quarante ans après l’avoir perdue, il est mort dans les bras d’une seconde femme, mais le nom de la première à la bouche, et son image au fond du cœur. »

Un écrivain ordinaire aurait délayé ces petits riens intimes en vingt pages ; il ne faut que vingt lignes à Rousseau, et ces vingt lignes en valent mille.

Pour la partie purement anecdotique, nous pourrions citer : Adieu, rôti ; la Chasse aux pommes ; l’Aqueduc, etc., etc. ; mais tout le monde a lu ces petits récits, qui sont autant de modèles du genre.


Confession de Zulmé (LA), gracieuse et spirituelle poésie de Ginguené, imprimée pour la première fois dans VAlmanach des Muses de, et au succès de laquelle se rattache une particularité assez piquante., Ginguené, âgé de vingt-quatre ans, était venu de Rennes à Paris, vers 1772, ayant dans son porte « feuille —quelques productions légères, entre autres la Confession de Zulmé, qu’il lut à plusieurs personnes, notamment àl académicien Rochefort. Un tour heureux et d’un goût très-pur, UDe donnée agréable et badine, telles étaient les qualités qui devaient ouvrir les portes des salons galants de la fin du xvmc siècle à cette jolie bagatelle. En peu de temps la Confession de Zulmë se répandit dans le monde, où elle circula d’abord manuscrite et sans nom d’auteur. Des hommes d’esprit, des rimeurs en renom se laissèrent attribuer ce péché charmant et ne s’en défendirent point. Ginguené s’en amusa quelque temps ; mais, voyant nombre de gens se disputer la paternité de son œuvre, il perdit patience et trouva un excellent moyen de mettre chacun d’accord : il fit imprimer la Confession de Zulmé dans 1"Almanach des Muses, la signa de son nom, et personne ne s’avisa de réclamer. Ello a depuis été corrigée à diverses reprises jusqu’en 1814. Cebadinagea conservé le premier rang parmi les compositions poétiques de Ginguené, et c’est par lui bien plus que par des travaux d’une importance réelle que cet écrivain est généralement connu et apprécié. Sans nous étendre plus que de raison sur un morceau devenu d’ailleurs fort rare, nous ferons seulement remarquer aux lettrés d’un goût fin et délicat combien il y a de grâce et de fraîcheur dans cette petite pièce où l’auteur a su varier avec un tact exquis le rhythme poétique, et qui a toute l’harmonie des vers de Gresset avec une précision qui manque quelquefois ; à eeux-ci. Transformé en confesseur •le la beauté, le poète, après quelque hésitation, accepte le « sacré ministère ; « et, tout ému. mais de cette émotion tempérée d’un sourire qui caractérise la fin du xvin" siècle, il dit:

Recueillez-vous, ma aœur, le guichet va s’ouvrir.

La gravité n’est point dans son rôle, et c’est au nom du dieu le plus aimable, le plus facile, le plus tolérant qu’il interroge sa jolie pénitente. Aussi lorsqu’elle lui avoue qu’à l’orgueil elle s’est parfois livrée, il excuse bien vite en elle cette faiblesse ; car, dit-il, L’humilité ne sied qu’à la laideur.

Mais l’avarice lui inspire une de ces remon

  • trances à double sens fort communes chez les

poètes erotiques ;,

Inutile dépositaire

—De tous les trésors de l’amour, N’en doutez-pas, vous répondre ! un jour Du bien que vous aurez pu faire. ItiSBurez-vous pourtant; non, il n’est point d’erreur » Qu’un bon repentir ne répare:

Renoncez donc a vos rigueurs ;

Soyez, pour gagner tous les cœurs, Econome de vos faveurs;

Mais n’en soyez jamais avare.

La gourmandise, la colère, l’en vie sont passées en revue sur le même ton facile et léger. Un petit abbé galant, franc coureur de ruelles, ne ferait pas mieux et ne serait pas plus coquet CONF

903

tement effronté ni plus audacieusement indiscret. La fin couronne lestement l’œuvre : fl est un péché moins affreux,

Auquel, je l’avoùrai, je vous crois "fort sujette, Péché que plus d’une fillette

Entre deux draps commet souvent seulelte… Ne baissez point vos deux grands yeux, Que rien n’alarme ici votre délicatesse ; Ce péché-Ia, Zulmé, ce n’est que la paresse. Ne cherchez point à vous en corriger ; Et de l’amour si le souffle léger Au point du jour vous berce d’heureux songes,

Pour le bien de l’humanité,

Puissent de si riants mensonges Vous inspirer du goût pour la réalité ! Enfin, ma tâche est bientôt achevée : De six péchés, objet du céleste courroux, Votre conscience est lavée.

11 en reste un, le plus charmant de tous : De celui-là, s’il est sur la liste des vôtres, Non-seulement je vous absous,

Mais en faveur de ce péché si doux Je vous pardonne tous les autres.

On devine quel est ce péché qui n’est ni l’orgueil, ni l’avarice, ni la gourmandise, ni l’envie, ni la paresse, ni la colère. Le confesseur de Zulmé pourrait bien être un Faublas quelconque ; il s’entend à merveille à jeter sur toutes choses un voile aimable, et c’est le sourire aux lèvres qu’il’sème des roses sur les pensées libertines que font naître ses jolis vers. Nos grands-pères et nos grand’mères goûtaient fort ce genre de poésie, et les plus graves personnes’n’y voyaient aucun danger, soulignant volontiers les malices de l’auteur, clignant des yeux à la dérobée aux passages égrilbirds. La Confession de ZvÀmé laissa passer la Révolution sur elle et reparut sous le Consulat et l’Empire. Elle eut beaucoup de succès, en compagnie de plates imitations et de chansons anacréontiques qui ne la valaient pas à beauegup près.


Confessions d’un mangeur d’opium, par Thomas de Quincey (Londres, 1821 et 1822). Ce livre humoristique est une sorte d’autobiographie. Pour en expliquer la forme et

l’origine, il faut remarquer d’abord que de Quincey était réellement l’esclave du poison asiatique dont il décrit les effets sur son esprit. Sous l’influence de ce fatal narcotique, il remonte le cours de son existence, et se laisse entraîner par la fantasmagorie de ses rêves orientaux. Songe et réalité, sagesse et folie, souffrance et béatitude, vérité et fiction se confondent dans ces bizarres Confessions, où il est difficile de distinguer le vrai du faux. Une des pages les plus touchantes a été inspirée par le souvenir d’une pauvre fille sans laquelle, pendant sa jeunesse, l’auteur aurait succombé de faim et de misère, dans les rues de Londres. Les Confessions passent pour le chef-d’œuvre de Thomas de Quincey. C’est un travail d’une incontestable originalité, l’étude d’un état pathologique singulier. De Quincey a de la sensibilité, et son goût poétique l’arrache fréquemment aux divagations dans lesquelles l’entraînaient ses théories philosophiques. Sa prose est toujours mélodieuse, mais son ton paraît quelquefois affecté.

Dans la nouvelle édition de ses Confessions, de Quincey a’donné un supplément à sa première biographie, sous le titre de Suspiria de profundis. L’auteur a voulu mettre le lecteur au courant de son enfance et de sa jeunesse, et envelopper le récit d’un brouillard, à la manière d’Hoffmann. Les chagrins que Je mangeur d’opium devait étouffer plus tard dans les fumées de sou ivresse factice ne semblent pas assez graves pour mériter de pareils remèdes, et la perte d’un chat, mise en regard de celle d’une sœur aînée, dispose peu à l’intérêt. Le style de l’auteur, dans ces Soupirs obscurs, vise àja manière de Sterne, mais n’en atteint pas l’originalité. Chaque mot lui •suggère une digression ; de plus, comme ces Soupirs font suite au récit de.ses ivresses, on ne sait plus si c’est à l’opium ou à la vie réelle qu’il faut s’en prendre. Souvenirs d’enfance ou rêves d’un halluciné, tout cela est confondu, et démontre par un effet trop sensible la vertu dormitive de l’opium.


Confessions (LES), par Gustave Drouineau (Paris, 1834, 1 vol. in-8°). Ce volume, qui appartient à la révolution philosophique, ou plutôt à la réaction d’un certain groupe de romantiques contre l’école mère, est l’unique recueil de vers de l’auteur. On sait que Gustave Drouineau, l’auteur du Manuscrit vert et de Résignée, possédé de la noble ambition d’être l’apôtre du xixe siècle, après avpir déclaré qu’il n’admettait les formes artistiques de la poésie et du roman que pour faire pénétrer les idées régénératrices au sein des masses, a fini un jour par déclarer « qu’il n’avait pas le temps de bien écrire, parce qu’il pensait trop. » Allant plus loin, il finit par dire que la langue n’avait pas de mots suffisants pour rendre ses pensées et ses rêves, et qu’il serait plus convenable au poète de s’exprimer par des cris, comme les animaux, que par des paroles. Drouineau était fou. Néanmoins son volume de poésies : Confessions, contient des choses charmantes, entre autres une petite pièce en stances de six vers, se terminant chacune par un refrain unique. Le poète admire la campagne verte et fleurie, le printemps tout ensoleillé : « Pourquoi suis-je prêt à pleurer ? » dit-il. Il voit passer une jolie fille, gaie, heureuse, courant peut-être à un rendez-vous… « Hélas ! dit le poète, pourquoi suis-je prêt à pleurer ? » Les Tapisseries sont