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Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 5, part. 1, Contre-Coup.djvu/117

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lien, né à Alexandrie en 1704, mort en 1785, fils du comte de Calumandrana. Il se livra à l’enseignement dans diverses villes d’Italie, devint, en 1742, historiographe de l’ordre des jésuites, et se fit surtout connaître par des satires dont le style est élégant et pur. Ses œuvres complètes ont été publiées à Venise (1805, 4 vol. in-4o).


CORDASSON s. m. (kor-das-son — rad. corde). Comm. Sorte de toile grossière.


CORDAT s. m. (kor-da-rad. corde). Comm. Sorte de grosse serge croisée, drapée et toute de laine, qui se fabriquait anciennement dans plusieurs parties de la France, notamment à Romorantin, et qui était destinée à faire des vêtements pour les gens du peuple. || Grosse toile d’emballage.


CORDATUS ou CORDE (Vincent), érudit du XVIe siècle, né à Vesoul (Franche-Comté), professa le grec et le latin et composa un grand nombre d’ouvrages en prose et en vers. Il ne reste de lui qu’une édition de Térence, aujourd’hui très-rare, publiée sous le titre de P. Terentii comœdiæ sex (Venise, 1570, in-8o.)


CORDAY D’ARMONT (Marie-Anne-Charlotte), née à Saint-Saturnin-des-Lignerits, près de Séez (Normandie), le 27 juillet 1768, décapitée le 17 juillet 1793. Elle était d’une famille noble, mais pauvre, et descendait, par une filiation directe, de la sœur, et non de la fille même du grand Corneille, comme l’ont dit certains généalogistes. Les enthousiastes ont peut-être un peu abusé de cette origine pour trouver un air cornélien à ses moindres paroles. « Le sublime en elle était la nature », dit M. Michelet, qui la déclare très-proche parente de Chimène, de Pauline et de la sœur d’Horace. Après quatre ou cinq générations et autant d’alliances étrangères, nous ne savons trop quelle quantité de pur sang cornélien Charlotte Corday pouvait encore avoir dans les veines, ni jusqu’à quel point Corneille a pu transmettre à ses arrière-petits-neveux la flamme de son génie et le caractère de ses héros. Les descendants du grand tragique ont été fort nombreux, et il en existe très-probablement encore. Sans parler du député, qui ne parle pas, on ne voit pas qu’ils aient jamais beaucoup fait parler d’eux, si ce n’est pour solliciter des places et des secours, toujours sous le prétexte du sang qui coulait dans leurs veines. Nous avouerons que nous ne croyons guère à cette noblesse-là, et que cette transfusion de sève héroïque, à travers tous les croisements, nous paraît avoir beaucoup plus de poésie que de réalité physiologique.

Cependant, malgré cette théorie antifusionniste, voici comment, à la rigueur, un peu du noble sang qui avait coulé dans les veines de l’auteur du Cid aurait pu arriver dans celles de Charlotte Corday :

FAMILLE-SOUCHE.

Pierre Corneille, Thomas Corneille et Marie Corneille, tous trois enfants du même père et de la même mère ;

Marie Corneille, épouse de Jacques Farci, trésorier de France au bureau d’Alençon ;

Françoise Farci, fille des précédents et épouse d’Adrien Corday, seigneur de Cauvigny ;

Jacques-Adrien Corday, fils des précédents ;

Jacques-François Corday, fils du précédent, seigneur d’Armont et père de notre héroïne.

Charlotte Corday eut deux frères et une sœur. À douze ans, ayant perdu sa mère, elle fut placée à Caen, au couvent de l’Abbaye-aux-Dames, que dirigeait Mme de Pontécoulant, tante d’un girondin dont nous aurons à parler tout à l’heure. Privée à jamais des caresses de sa mère, éloignée de la vie libre, de la vie des champs en plein air et en plein soleil, et de la vie du foyer, l’enfant trouva peu de compensations dans sa nouvelle existence.. L’abbaye était silencieuse, nue, triste. Dans son isolement, la jeune Charlotte se laissa aller sans réserve aux vagues rêveries qui remplissent certaines âmes à la fin de l’adolescence. Et ce qui revenait sans cesse en ses rêveries, c’étaient les types fiers, âpres, grandioses, tracés par la main sublime, souveraine de Pierre Corneille, son grand-oncle. Souvent même on la surprit répétant les beaux vers que l’auteur de Cinna a mis dans la bouche de ses héros. Ces beaux vers, ces vers à la fois rudes et chauds, ces vers cornéliens en un mot, elle les avait souvent entendu réciter durant les longs loisirs que font dans les châteaux les soirées de l’hiver, et ils étaient tous en sa mémoire. L’esprit de cette jeune fille était tourmenté déjà, son âme était inquiète : disons plus, d’instinct, cette enfant était éprise des grandes choses, portée vers elles. Mais, ce qui explique peut-être encore mieux le caractère extraordinaire de l’assassin de Marat, c’est le temps où elle vécut, les passions dont cette époque était nourrie, la grandeur tragique des événements ; l’héroïsme était dans l’air qu’on respirait. Une infinité d’autres femmes ont montré un grand caractère, depuis Mme Roland jusqu’à cette jeune fille qui, en s’arrangeant sur la planche, disait au bourreau : « Suis-je bien comme cela ? » Et cette petite Renaud, n’est-elle pas cornélienne aussi quand, arrêtée chez Robespierre armée de deux couteaux, elle répond à ceux qui l’interrogent qu’elle voulait voir comment était fait un tyran ?

Le père de Charlotte, Jacques-François de Corday d’Armont, est peu connu. Vivant d’un maigre revenu, il se fixa plus tard à Argentan, où il se remaria, et ne paraît pas s’être occupé beaucoup de ses enfants ; cependant il faisait parvenir à sa fille quelque argent pour ses besoins. Il publia en 1790 un écrit contre le droit d’aînesse. Il avait aussi une autre fille et deux fils, qui émigrèrent en 1792 et portèrent les armes contre la France dans l’armée de Condé.

Bientôt Charlotte quitta le couvent et fut remise aux soins de Mme Coutelier de Bretteville-Gourville, une de ses tantes. Mme de Bretteville habitait à Caen, rue Saint-Jean, une maison comme on en retrouve encore dans certaines villes restées stationnaires. C’était, au fond d’une cour pavée, étroite, où l’herbe pousse, une construction d’apparence dure, revêche, avec son escalier de pierre, ses fenêtres étroites aux vitres enchâssées dans des losanges de plomb ; derrière, il y avait un jardin, resserré entre de hautes murailles, où on allait chercher un peu d’air, de soleil et de lumière.

C’est là que Charlotte passa les années de sa jeunesse. Sans fortune, sans espoir d’atteindre à un mariage qui lui eût fait une situation en rapport avec sa naissance et son éducation, Charlotte Corday, que la nature et les circonstances avaient faite rêveuse, amante de la solitude, se replia dès lors et plus que jamais sur elle-même, et demanda le bonheur à la lecture, à l’étude.

Ceux qui ont dû aux livres les plus douces heures de leur vie savent quelle immense curiosité, quelle curiosité ardente et insatiable remplit l’âme quand on peut enfin puiser avec fruit au trésor des connaissances humaines.

Ainsi advint-il à Charlotte Corday. Elle aima les lettres d’abord, — nous voulons dire les belles-lettres, — puis elle voulut interroger la philosophie, et, de la philosophie, elle fut conduite à la politique. Elle vécut dans l’intimité des grands écrivains de tous les siècles. Elle lut surtout, parmi les anciens, Plutarque et Tacite, et, parmi les modernes, J.-J. Rousseau, Voltaire, les encyclopédistes. Entre ces derniers, celui qu’elle goûta le plus, ce fut Raynal, sans doute à cause de la sympathie que l’auteur de l’Histoire des deux Indes éprouvait pour les races opprimées et surtout pour les esclaves noirs. Entre les anciens, par-dessus tous, l’objet de sa prédilection fut Plutarque, chez lequel elle trouvait, dans leur forte réalité, les types idéalisés plus tard par le grand poète qui était la gloire de sa famille. Ainsi, dans cette âme impressionnable, s’étaient formés deux courants d’idées parallèles : d’une part, l’amour du progrès, une puissante aspiration vers un avenir qui devait apporter aux opprimés la liberté ; de l’autre, une profonde admiration pour ceux qui se dévouent, et un désir vague, mais ardent, de laisser à la postérité un nom illuminé d’héroïsme.

Bientôt arriva l’heure des événements que prévoyait Voltaire quand il écrivait : « Les jeunes gens sont bien heureux ; ils verront de belles choses ; » que prédisait Rousseau lorsqu’il s’écriait dans son Émile : « Ne vous fiez pas à l’ordre actuel de la société, sans songer que cet ordre est sujet à des révolutions inévitables, et qu’il nous est impossible de prévoir ni de prévenir celle qui peut regarder nos enfants. Le grand devient petit, le riche devient pauvre, le monarque devient sujet… Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions. »

Ainsi, chose singulière, cette petite fille élevée dans un couvent se nourrissait de lectures philosophiques ; et c’est encore là un des traits caractéristiques du temps. Inutile d’ajouter qu’elle n’était adonnée à aucune pratique religieuse. Rien de la femme en elle, pour ainsi dire, que sa physionomie agréable et sa voix qui demeura toujours enfantine. Elle était républicaine, cela n’est pas douteux, et elle suivait les événements avec cette ardeur concentrée des solitaires ; car c’est aussi un fait important à noter, elle vécut toujours seule, n’ayant en réalité jamais connu, jamais goûté les douceurs du foyer, les bonheurs intimes, les caresses d’une mère, les joies calmes de la famille. À l’âge où la jeune fille se développe, où elle naît pour ainsi dire à la vie de la femme, elle ne reçut que les impressions sèches et monotones de la vie de couvent. Chez sa vieille tante, autre solitude, qui contrastait avec les formidables agitations révolutionnaires. Le foyer qui brûlait son âme n’apparaissait d’ailleurs en aucune manière au dehors, et nul n’aurait deviné que cette jolie demoiselle normande, si rose et si blonde, couvait en elle un homme de Plutarque. Les historiens romanesques, ceux qui ne peuvent admettre que la femme puisse entrer dans l’histoire sans passer par l’amour, se sont plu à supposer que Charlotte avait aimé ou Belzunce, ou l’on ne sait encore quel autre royaliste, ou Barbaroux, réfugié à Caen après la chute de son parti ; son acte eût alors été moins un crime politique qu’une vengeance de l’amour ; ces deux choses pourraient à la rigueur se concilier ; mais on n’a pas de faits concluants pour justifier ces hypothèses. D’autres, au contraire, se sont comme indignés qu’on osât soupçonner des sentiments humains à la « vierge » du Calvados. « C’est peu connaître la nature humaine, dit M. Michelet. De tels actes supposent l’austère virginité du cœur. Si la prêtresse de Tauride savait enfoncer le couteau, c’est que nul amour humain n’avait amolli son cœur. »

Peut-être est-ce aller un peu loin aussi ; des deux côtés, nous sommes dans l’hypothèse pure. La vérité est qu’on ne sait rien de ce mystère.

Que Barbaroux, le fougueux, l’éloquent Méridional, fugitif et proscrit, ait fait impression sur le cœur de la jeune Normande, il n’y aurait là rien d’extraordinaire, bien que l’Antinoüs de la Gironde ne ressemblât guère alors au portrait qu’a tracé de lui Mme Roland ; en effet, suivant le témoignage de son ami Louvet (Mémoires), il était devenu extrêmement gras et pesant, et ressemblait à un homme de quarante ans et plus. Néanmoins, il est fort possible que Charlotte l’ait remarqué, cela est même certain, sans que probablement lui-même se doutât du sentiment qu’il inspirait. Ce qu’il y a de sûr, c’est que ce fut à lui qu’elle s’adressa lors de son départ de Caen pour obtenir une lettre d’introduction auprès du ministre Garat ; et ce qui est tout à fait caractéristique, c’est qu’elle lui écrivit la veille de sa mort une longue lettre qui témoigne d’une sympathie profonde et où se trouve notamment le passage suivant : « Si l’on trouve mes lettres chez mon père, la plupart sont vos portraits. »

Il s’agit ici des lettres qu’elle avait écrites avant son départ de Caen.

Elle déclare aussi, dans son interrogatoire du 16 juillet, être allée voir Barbaroux à son hôtel.

Quoi qu’il en soit de ce problème, la jeune solitaire de Caen, confinée dans sa petite ville, ne savait de la République que ce que les journaux et les émissaires girondins en apprenaient aux provinces. Elle croyait, comme tout le monde autour d’elle, que Marat menait tout, qu’il était le moteur de l’anarchie, le centre de tous les complots, l’artisan de tous les crimes, et que, lui mort, la paix et la liberté refleuriraient aussitôt. Dans ses interrogatoires, elle l’appelle une bête féroce qui dévorait tous les Français, et elle ajoute cette étonnante assertion : « Dernièrement, à Caen, il faisait accaparer le numéraire à tout prix. » Cette légende de Marat était fort répandue : Marat était l’épouvantail d’une partie de la France, il en devint la religion après le crime de Charlotte : c’est ainsi que l’assassinat résout les questions.

La révolution des 31 mai-2 juin, l’arrivée des girondins dans le Calvados, leurs prédications enflammées, leurs préparatifs de guerre portèrent au comble l’exaltation de la jeune fanatique.

Par quelles sombres méditations fut-elle conduite à son épouvantable résolution ? Par une idée aussi simple que fausse, qu’en tranchant le fil de cette vie elle allait résoudre le grand problème, faire cesser l’anarchie et la guerre civile, assurer le bonheur de la France, établir la vraie république, celle des honnêtes gens, celle enfin que prêchaient MM. les députés (c’est ainsi qu’on désignait les fugitifs).

Pourtant, jusque-là, cette exaltation ne s’était encore trahie par aucun indice ; sa vie est calme en apparence, lorsque des événements inattendus, en faisant un instant de Caen un des centres de l’insurrection des provinces contre Paris, décident de sa destinée.

Ceux des girondins qui s’étaient échappés de Paris après le décret de proscription du 31 mai, Buzot, Salles, Pétion, Valazé, Barbaroux, Louvet, vinrent soulever la Normandie. Une grande fermentation régnant déjà dans les esprits, on s’organisa avec activité, et Wimpffen, qui commandait à Cherbourg, annonça qu’il allait marcher sur Paris avec 60,000 Normands.

Charlotte Corday avait déjà assisté aux séances du comité appelé Assemblée centrale de résistance à l’opposition ; elle se rendit à l’intendance, où les députés proscrits excitaient les populations à se lever en masse pour rétablir la représentation nationale. C’est là que, pour la première fois, elle vit ces hommes dont elle avait si souvent lu les discours pleins du civisme le plus pur. Cette fois, ils étaient là devant elle, pleins de beauté, de jeunesse, rendus plus intéressants encore par la proscription ; ils étaient là, et leur langage aux périodes sonores et colorées, aux images enchanteresses, aux douceurs souveraines venait frapper ses oreilles ; ils étaient là, et de leur bouche elle entendait ces mots : patrie, devoir, salut public !…

Une exaltation indicible s’empara de l’âme de Charlotte ; elle rêva pour elle un rôle aussi grand que celui de ces hommes ; elle se sentit affamée de dévouement et de persécution. Ses projets étaient encore vagues cependant, mal définis, quand une circonstance importante vint les fixer d’une manière plus nette. Le 7 juillet, on battit la générale pour réunir dans la plaine de Caen les volontaires qui devaient marcher sur Paris. Il en vint trente. Cette vue contrista profondément la jeune fille, qui en un instant eut formé un plan héroïque, terrible, insensé. Pour elle, l’abandon de la Gironde, c’était celui de la patrie, celui de la révolution. Or, poignarder Marat, celui qui avait surtout insisté pour la proscription du 31 mai, c’était effrayer, désorganiser le parti du proscripteur, qu’achèverait d’anéantir le soulèvement de la population indignée par la mort qui l’attendait elle-même. Enfin, combien de fois dans le passé une vie sans tache sacrifiée pour une grande cause n’avait-elle pas apaisé le Destin ! Elle demanda une entrevue aux députés girondins.

Charlotte Corday avait alors vingt-quatre ans, mais ne paraissait point avoir atteint cet âge. Elle était de haute taille et bien proportionnée, comme sont la plupart des jeunes filles normandes ; son teint était clair, ses cheveux étaient blonds aux reflets cendrés, ses sourcils châtains, et ses yeux, fiers, d’une infinie douceur ; le nez un peu prononcé et le menton un peu large et fourchu donnaient une gravité qui n’était pas sans charme à son visage d’un ovale parfait. Sa voix presque enfantine avait un timbre tout particulier, qui retentissait bien des années après, aux oreilles qui l’avaient entendue. Si nous en croyons Louvet, elle produisit une grande impression sur les députés. « Nous vîmes, dit-il, une jeune personne grande, bien faite, de l’air le plus honnête et du maintien le plus décent. Il y avait dans sa figure, à la fois belle et jolie, et dans toute l’habitude de son corps, un mélange de douceur et de fierté qui annonçait bien son âme céleste. »

Pourtant, les proscrits ne la prirent pas d’abord au sérieux. Un jour, Pétion arriva pendant qu’elle s’entretenait avec Barbaroux : « Tiens, dit-il, voilà la belle aristocrate qui vient voir des républicains. — Vous me jugez aujourd’hui sans me connaître, répondit-elle ; un jour vous saurez qui je suis. »

Les girondins armèrent-ils son bras, comme le prétendirent leurs ennemis ?… Ils l’ont nié. Ce qui est certain, c’est qu’elle ne vit que deux fois Barbaroux, qui lui remit une lettre pour le conventionnel Duperret, par l’entremise duquel elle espérait obtenir une faveur sans importance pour Mlle de Forbin, une émigrée, son amie. Cette lettre une fois en sa possession, elle quitta Barbaroux, lui promettant de l’informer des détails de son voyage. Depuis longtemps, du reste, son exaltation croissante se trahissait visiblement. Un jour qu’elle trouva deux bourgeois jouant aux cartes, elle leur dit : « Vous jouez, et la patrie se meurt. » Mme de Bretteville, qui croyait devoir enfin la surveiller, vit les mots suivants soulignés dans une Bible oubliée sur sa table de travail : « Judith sortit de la ville parée d’une beauté merveilleuse dont le Seigneur l’avait douée pour se rendre à la tente d’Holopherne. » Un autre jour enfin qu’on la surprit pleurant, elle dit : « Je pleure sur les malheurs de ma patrie, sur ceux de mes parents, sur les vôtres. Tant que Marat vivra, il n’y aura jamais de sécurité pour les amis des lois et de l’humanité. »

Son projet arrêté, elle prépara son départ avec une facilité qui montre qu’elle jouissait d’une grande liberté d’action.

On était alors à l’époque de la coupe des foins, une des grandes préoccupations dans la grasse Normandie. Un matin, c’était le 9 juillet 1793, la journée semblait devoir être charmante. Charlotte Corday prend son carton à dessin, ses crayons, et dit à sa tante qu’elle va voir les faneuses et prendre quelques croquis… et pour la dernière fois elle franchit le seuil de la maison hospitalière où elle avait passé tant d’années… Mais, à ce moment suprême, la femme, tout à coup, reparut sous l’héroïne, et son cœur sa serra. Écoutez-en la preuve dans cette toute gracieuse anecdote. Elle avait fait quelques pas à peine hors de sa demeure, lorsqu’elle rencontra un petit garçon nommé Robert qu’elle aimait beaucoup et auquel elle donnait souvent des croquis. S’étant penchée vers lui, elle lui donna cette fois le carton tout en entier, puis elle l’embrassa et lui recommanda d’être « bien sage. » L’enfant, étonné qu’une telle richesse lui advînt si soudainement, leva ses grands yeux vers son amie ; il vit deux larmes sur ses joues et remarqua alors l’émotion de sa voix. Devenu homme, il voyait encore ces larmes, il entendait encore le son de cette voix.

Charlotte Corday emportait seulement quelques menus objets de toilette, un peu d’argent et un volume de Plutarque « la Bible des forts, » comme dit éloquemment M. Michelet, Avant d’aller au-devant de la mort, elle voulut revoir sa famille. Ses deux frères avaient émigré, mais il lui restait une sœur et son père. Elle alla les trouver à Argentan, leur annonça qu’elle allait se réfugier en Angleterre jusqu’à la fin des troubles, leur dit adieu sans forfanterie comme sans faiblesse, puis elle partit pour Paris dans une voiture publique.

Elle était munie d’un passe-port délivré le 8 du mois d’avril précédent. Ce passe-port fait aujourd’hui partie des collections de M. Feuillet de Conches. On sera peut-être curieux de connaître le portrait de Charlotte tracé par la municipalité de Caen, avec la banalité officielle de ces sortes de pièces :

« Laissez passer la citoyenne Marie Corday, etc., âgée de vingt-quatre ans, taille de 5 pieds 1 pouce, cheveux et sourcils châtains, yeux gris, front élevé, nez long, bouche moyenne, menton rond fourchu, visage ovale. »

Pendant le voyage, qui durait alors deux jours, elle était câline et souriante, se moquant malicieusement des agaceries dont elle était l’objet de la part des autres voyageurs (qui par aventure étaient d’opinion montagnarde), et ne paraissant en aucune manière sous l’empire d’une grands préoccupation.