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Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 5, part. 1, Contre-Coup.djvu/127

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CORD

quand leur journée peut leur donner trente* cinq sous.

Les deux jeunes filles ont deux voisins, et, comme nous sommes au pays du vaudeville, chacun aime sa chacune. Tamerlan Bouled’Araour a vingt-huit ans ; il est peintre, il aime Mimi. Califourchon a l’avantage d’être rentier, plus jeune, mais par compensation légèrement godiche. Il est amoureux de Zizine, et il s’arrête devant son idole, comme un invalide devant la colonne, s’écriant à tout instant : «Qu’elle est belle. Cette femme 1 • Malheureusement, sans être bégueules, Mimi et Zizine ont fait serment de tenir à jamais serrés les cordons de leur cœur, et les deux jeunes gens cherchent en vain te moyen de trancher ce nouveau nœud gordien. Tamerlan a sa théorie sur les femmes : lorette, duchesse, grisette, dévote, fillette, toute femme a un défaut à sa cuirasse. Il chante à son ami un délicieux couplet de facture dont voici la ritournelle :

Au dieu d’amour it n’est rien d’impossible ; Donc il ne faut jamais désespérer, Car chaque femme a bo corde sensible, Que tôt ou tard un amant fait vibrer.

Tamerlan et Califourchon espèrent bien trouver la corde sensible. Par malheur, les deux jeunes filles ne sont ni coquettes ni gourmandes. Grand désappointement pour nos amoureux. Tout à coup les serins se battent dans la cage ; le mâle a battu sa femelle. > Elle va se rebiffer, » dit Tamerlan. Point ; la serine bécote le serin ; alors Califourchon chante :

Lorsqu’une femme le chagrine,

L’homme devrait, soir et matin.

Se conduire comme un serin

Se conduit avec sa serine.

Le plan est adopté ; Tamerlan doit commencer. Mais, au moment d’entrer en campagne, Mimi lui conte l’histoire de Blanchette. Cette scène est charmante : on rit et on pleure tout à la fois. Tamerlan, désolé du serment de sa belle, veut partir à la recherche de beautés moins sévères. Auparavant, il veut rendre à Mimi un fichu qu’il a à elle. « Comment 1 c’était vous ? » s’écrie Mimi. Un soir, devant Tortoni, trois ostrogots ont voulu chiffonner la robe de Mimi ; un jeune ouvrier l’a défendue à coups da poing ; dans la bagarre, elle s’est enfuie perdant son fichu, mais gardant au cœur un souvenir. On devine le reste... Au moment où nos amoureux s’embrassent, Califourchon fait irruption dans la chambre ; il croit que le plan a réussi et se permet de lever la main sur Zizine. Zizine a la main preste ; l’infortuné attrape un soufflet, et il avoue, en pleurant qu’il a 1,773 livres de rente. Sans le vouloir, il a touché la corde sensible de son idole. et la pièce finit par ce couplet, que Mimi et Zizine adressent au publie :

Les artistes font leur possible Pour vous plaire... ils sont tous d’accord ; Pou ? toucher leur corde sensible, N’ayez pas peur... frappez bien fort.

CORDÉ, ÉE-(kor-dé) part, passé du v. Corder. Mis en corde : Chanvre bien cordé. 11 Lié avec une corde : Celte caisse s’ouvrira, elle est très-maladroitement cordée.

— Qui est de la nature des cordes, qui est filandreux, ligneux : Les racines de carotte, de panais, de scorsonère, deviennent cordées, lorsque les pieds commencent à monter en graine. (Bosc.)

— Blas. Se dit des arcs et des instruments de musique à cordes, quand les cordes sont d’un émail particulier ; Arpajon : D’azur, à une harpe cordée d’or.

— Pathol. Gonorrhée ou Chaude-pisse cordée, Celle qui est caractérisée par la corde ou engorgement dur et douloureux do l’urètre.

— Art vétér. Flanc cordé, Flanc de cheval qui a la corde, dont le muscle ilio-abdominal fait une saillie.

— Pêch. Lamproie cordée, Celle qui se corde et n’est plus bonne à manger. V. corder (se).

— Agric. Se dit des blés sur pied auxquels on a fait subir l’opération du cordage : Les blés coudés sont moins sujets à couler.

CORDÉ, ÉE adj. (kor-dé— du lat. cor, cordis, cœur). Hist. hat. Qui a la forme d’un cœur ou de la figure arbitraire par laquelle on est convenu de représenter cet organe, par exemple sur les cartes à jouer ; Coquillage cordé. Corselet cobdé. Feuilles cordées. Il On dit plus ordinairement cordiforme, surtout en botanique.

CORDEAU s. m. (kor-do-dimïn. de corde). Petite corde : se dit plus particulièrement de la petite corde dont on se sert pour tracer des lignes droites ou indiquer des alignements : Allée tirée au cordeau. Creuser une tranchée au cordeau. Tenir le cordeau. Vous ne voyez rien d’aligné, rien de nivelé, jamais le cordeau n’entra dans ce lieu ; la nature ne plante rien au cordeau. {J.-J. Rouss.) Quand Jlollon, ayant divisé au cordeau la terre normande, eut pendu les voleurs et fait régner la justice des gens de tous les pays accoururent. (H.Taine.)

Vieux soldats de plomb que nous sommes,

Au cordeau nous alignant tous.

BÉRAUOER.

— Par ext. Lacs, filets :

... Que fais-tu de ces cordeaux î Disait l’alouette novice

CORD

À l’oiseleur plein de malice Qui tendait des lacs aux oiseaux.

Il Lacet pour étrangler, corde, cordon : L’empire des Ottomans, exposé tous les jours au cordeau, nous marque l’aveuglement de ceux gui ne font consister l’autorité que dans la force. (De Retz.) Louis te Hutin fit périr sa femme Marguerite de Bourgogne par le cordeau. (Volt.) Bile n’est plus vivante I

—Quoi ! sitôt ! par le feu, le fer ou le cordeau ?

Tristan. Et le plus saint d’entre eus, sauf le droit du cordeau, Vivait au cabaret pour mourir au bordeau.

RÉGNIER.

Celui-ci se l’attache et se pend bien et beau ;

Ce qui le consola peut-être, Fut qu’un autre eût, pour lui, fait les frais du cordeau.

La Fontaine. Il Ce sens a vieilli. ’ '

— Fig. Froide régularité, symétrie de mauvais goût :

Ce bel esprit, ’orateur du barreau, Alignant froidement ses phrases au cordeau.

Voltaire.

Il Moyen employé pour arriver à l’ordre et k la symétrie : Dieu a étendu son cordeau ; il a pris au juste ses alignements pour composer, pour ordonner, pour placer tous les éléments. (Boss.)

— Navig. Corde dont on se sert pour conduire un bateau,

— Pêch. Cordelette attachée à la corde principale d’une ligne de fond, il Cordeau de nuit, Ligne de fond employée dans la pêche aux anguilles.

— Turf. Même signification que corde.

— Comm. Lisière de certaines étoffes de laine de qualité inférieure.

CORDÉE s. f. (kor-dé — rad. corde). Ce qui peut être entouré, embrassé par une corde : Une cordée de bois.

— Fig. Continuité, suite : Cette longue cordée de fortune. (Montaigne). I) Vieux en ce sens.

— Pêch. Petite corde à laquelle sont attachés plusieurs hameçons, et qui sert à la pêche ans anguilles.

CORDÉE s. f. (kor-dé-de Corda, botan. allem.). Bot. Syn. de cyamopside et de diplolêne.

CORDE-FEUILLARDS s. m. (de corder, lier, et feuillard, douve). Dans le commerce de Bordeaux, Corde qui sert à lier les douves d’une futaille ; cercle de fer qui sert au même usage. N

CORDE1RO ou COUDEYRO (Antonio), historien portugais, né en 1641 à Angra (Ue de Terceire), mort en 1740. Il fit ses études à Coimbre, embrassa l’état ecclésiastique et se livra à l’enseignement. Son principal ouvrage est une histoire estimée do Terceire et des îles voisines, publiée sous le titre de : ffistoria insitlana das ilhas à Portugal sogeitas no Occeano occidental (Lisbonne, 1717, in-fol.)

CORDEL s. m. (kor-dèl). Ancienne forme du mot cordeau.

CORDELAT s. m. (kor-de-la — rad. corde). Comm. Etoffe de laine lisse qui se fabriquait anciennement dans plusieurs parties du Languedoc, surtout aux environs d’Albi, et qui était exclusivement à l’usage des gens de la campagne. Il On l’appelait aussi cordillat.

CORDELÉ, ÉE (kor-de-lé) part, passé du v. Cordeler. Tressé en forme de corde : De beaux cheveux noirs cordelés.

— Hist. nat. Marqué de côtes imitant des tours de corde.

CORDELER v. a. ou tr. (kor-de-lé — rad. corde. Double la consonne l devant une syllabe muette : Je cordelle, nous cordellerons). l’ordre, tortiller, tresser en corde : Cordeler ses cheveux.

S« cordeler v. pron. Se tordre en forme de corde : Ses cheveux se cordëllknt naturellement.

CORDELETTE s. f. (kor-de-lè-te — dimin. de corde). Petite corde : Les Chinois, avant qu’ils connussent l’écriture, faisaient usage de cordelettes qui, au moyen de différents nœuds, servaient à marquer les choses dont ils voulaient se souvenir.

— Moll. Saillie longue et étroite qui règne entre les stries et les cannelures de certaines coquilles.


CORDELIER s. m. (kor-de-lié — rad. cordelle, à cause de la corde dont ces religieux ceignent leurs reins). Hist. relig. Nom donné aux religieux qui suivent la règle de saint François d’Assise, et que l’on appelle aussi frères mineurs ou franciscains : Cordeliers conventuels. Cordeliers de l’observance ou observantins. Les cordeliers embrassent les sentiments de Scot, parce que Scot était cordelier. (Malebr.)

— Loc. fam. Être gris comme un cordelier, Être complètement ivre, par une équivoque sur la couleur grise du vêtement de ces religieux. D’autres expliquent cette locution par les habitudes d’intempérance attribuées à ces religieux. || Avoir la conscience large comme la manche d’un cordelier, Être fort peu scrupuleux.

— Loc. prov. Parler latin devant les cordeliers, Parler avec assurance d’une chose qu’on sait mal, devant des gens qui la savent très-bien. || Aller sur la haquenée, sur la mule d’un cordelier, Voyager à pied, un bâton à la main.

— Hist. polit. Club des cordeliers, Club établi à Paris, pendant la Révolution française, dans un ancien couvent de cordeliers, et dont faisait partie Camille Desmoulins. || On donnait par extension le nom de cordeliers aux membres de ce club et aux partisans des doctrines que l’on y professait.

— Vitic. Variété de raisin.

— Encycl. L’ordre des cordeliers ou frères mineurs fut fondé par saint François d’Assise. Leur bulle d’institution est de 1223 et fut donnée par Honorius III. Ils tirent leur nom de ce qu’ils étaient ceints d’une corde (de corde liés).

Les moines solitaires avaient disparu en Orient, malgré le triomphe du christianisme, dès le IVe siècle. Le monachisme renaquit dans le cours du moyen âge sous l’influence de la papauté, non plus pour mener une vie contemplative et solitaire, mais pour collaborer au grand œuvre de l’établissement de la suprématie papale. Les moines mendiants furent les principaux ministres de la révolution qui assura pour des siècles le pouvoir temporel au saint-siége. Ils n’eurent de glaive que la parole, et c’était assez à une époque où le développement anomal de l’imagination donnait à la parole un empire qu’elle n’avait point encore eu, qu’elle a perdu désormais. La parole ecclésiastique a eu longtemps en Europe une influence comparable à celle que donne aujourd’hui à un grand État la possession d’une armée d’un demi-million d’hommes. Ceux qui refuseraient de le comprendre doivent se résigner à n’avoir pas le sens des événements accomplis par le catholicisme sur l’économie générale de la civilisation. La parole suppléait à l’administration absente de la justice, à la force armée, à la police, aux bagnes, aux prisons, et elle y suppléait avec avantage. Dès les premiers temps de leur existence, les franciscains n’ont pas de doctrine officielle à défendre ; ils colportent la grâce, comme on colporterait maintenant de la toile ; ils en distribuent à la discrétion des fidèles, et ne demandent en payement qu’un morceau de pain et un verre d’eau. Ils prêchent comme ils peuvent, dans les carrefours, sous les toits de chaume, sur les champs de foire. Ce sont les aventuriers du bon Dieu. Ceints d’une corde et armés d’un gourdin populaire, ils voyagent sans peur et sans reproche. Les hérétiques se déguisent sous la qualité de marchands pour parcourir l’Europe et y répandre leurs doctrines ; les franciscains les suivent partout, afin d’atténuer l’effet de leur prédication.

Ils donnent aussi des représentations dramatiques : tout est bon qui procure la gloire de Dieu. Ce sont les vrais dramaturges du temps, d’autant meilleurs qu’ils croient à l’objet de la pièce. Pour se mettre au niveau de leur auditoire, — et leur auditoire de tous les jours n’est pas distingué, car les grands de la terre se moquent d’eux et de leur costume, — ils matérialisent leur enseignement jusqu’à le rendre grotesque. Saint François, leur maître, leur en avait donné l’exemple : « Quand il prononçait le nom de Jésus, il allongeait la langue et se léchait les lèvres comme pour y recueillir du miel. » La naïveté du temps prêtait une saveur d’éloquence extraordinaire à ce mouvement oratoire. Les populaces du moyen âge étaient très-malléables : le tout était de les intéresser. Saint François s’y exerçait de son mieux ; la veille de Noël, il s’enfermait dans une étable pleine de bestiaux et s’habituait à prononcer Bethléem en bêlant à l’instar d’un mouton. (More balantis ovis Bethleem dicens.)

Cette doctrine dispense de dignité personnelle, dira-t-on. Sans doute ; elle n’est bonne qu’à faire des lazzaroni. L’Église ne hait point les lazzaroni : elle en cultive à Rome. Au moyen âge, comme aujourd’hui, l’Europe méridionale en était peuplée. Ils rappellent l’âge d’or par l’innocence de leur entendement et la frugalité de leur vie. Dans les rues de Naples, deux sous de macaroni suffisent a leurs besoins quotidiens. Ils pratiquent l’oisiveté avec béatitude : le soleil n’a jamais eu de pareils clients. Ils tuent volontiers ; ils volent au besoin, et font de la délation à bon marché. On n’est pas sans défaut ; mais aussi ils ont tant de respect pour la santa Vergine ! Saint François fut proprement le fondateur de l’ordre des lazzaroni. Suivant les données de cette doctrine, l’homme n’est qu’un jouet de Dieu ; ce qui lui arrive est providentiel ; aussi n’a-t-il pas à s’en inquiéter. Le caractère, s’il en avait, serait un obstacle aux vues de Dieu, à la pratique de l’humilité et de l’indigence. Pourquoi ne pas reconnaître que la prédication des cordeliers répond à des instincts enracinés dans les classes inférieures ? Saint François et les siens avaient le mérite de comprendre leur mission. Leur chrétien idéal est un homme sans souci, toujours gai. Le venin de la pensée n’empoisonne point ses jours ; l’ambition ne dessèche point son cœur ; un rayon de soleil et du loisir satisfont à ses vœux. « L’homme qui pense est un animal dépravé, » a dit Rousseau : ce jour-là, le citoyen de Genève était cordelier. Les cordeliers étaient très-nombreux en France, où ils ont vécu jusqu’à la suppression des ordres religieux. Ils portaient un habit de drap gris surmonté d’un capuchon, un chaperon et un manteau de même étoffe. Ils étaient chaussés de sandales. C’était d’ailleurs, au moins depuis le XVe siècle, un ordre instruit, dont les membres étaient docteurs et agrégés de l’Université de Paris. L’ordre était inféodé, au point de vue théologique, aux doctrines de Jean Scot (scotistes), par opposition à celles de saint Thomas soutenues par les dominicains (thomistes).

Ils voyageaient deux par deux et, dans l’origine, vivaient exclusivement d’aumônes, couchaient à la belle étoile ou avec les bestiaux dans les lieux qu’ils traversaient, d’après le précepte de saint François (1209) : « Partez, voyagez toujours deux à deux. Louez Dieu dans le silence de vos cœurs jusqu’à la troisième heure : alors seulement vous pourrez parler. Mais que votre prière soit simple, humble et de nature à faire honorer Dieu par celui qui vous écoutera. Annoncez partout la paix, mais commencez par la garder dans votre propre âme. Ne vous laissez jamais aller à la haine ou à la colère, ni détourner de la route que vous avez choisie, car nous sommes appelés à ramener dans la voie droite ceux qui s’égarent, à guérir les blessés, à redresser les estropiés... La pauvreté est l’amie, la fiancée du Christ ; la pauvreté est la racine de l’arbre ; elle est la pierre angulaire, la reine des vertus. Si nos frères la délaissent, nos liens sont brisés ; mais s’ils s’y attachent, s’ils en donnent au monde le modèle, le monde se chargera de les nourrir. »

Nous venons de parler des cordeliers, en général ; montrons-les maintenant en France ; voyons le rôle qu’ils y ont joué, et suivons-les depuis leur arrivée chez nous jusqu’à leur suppression, en pleine Révolution. L’initiative de l’établissement des cordeliers en Franco est attribuée à Louis IX, qui en amena de la Terre sainte ; la vérité est que sous Philippe-Auguste des religieux de ce nom, qui dépendaient de l’ordre de Saint-François, étaient déjà fixés à Paris ; il y étaient venus en 1217 et avaient obtenu, moyennant un loyer annuel, d’habiter dans une dépendance de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés, à la condition toutefois qu’il n’auraient ni cloches, ni cimetière, ni autel consacré. Ceux qui étaient restés au chef-lieu de l’ordre se distinguèrent en 1238 dans la guerre que saint Louis fit aux infidèles, et ce prince, les ayant remarqués, en fit embarquer quelques-uns avec lui pour les joindre à ceux qui étaient déjà à Paris ; le roi fit plus : revenu dans sa capitale, il écouta les doléances des cordeliers de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés, et, s’adressant à l’abbé, il le conjura de se montrer moins rigoureux à l’égard de ses protégés. Celui-ci ne paraissait guère empressé d’accéder au désir du roi ; mais saint Louis ayant fait l’abandon d’une rente de 100 sous d’or que l’abbaye lui payait, l’abbé finit par consentir, en faveur des cordeliers, la cession d’un grand bâtiment dans lequel ils pourraient avoir cloches et cimetière. Une fois chez eux, en possession de la faveur royale, ces religieux manœuvrèrent si bien, qu’au bout de quelques années il achetèrent deux pièces de terre destinées à l’emplacement d’une église dont la fondation ne tarda pas à se faire, le roi leur ayant abandonné une partie de l’amende de 10,000 livres à laquelle Enguerrand de Coucy avait été condamné, et les ayant autorisés à couper dans les forêts de la couronne tout le bois qui serait nécessaire à cette construction. L’église fut bâtie, et placée en 1262 sous l’invocation de sainte Madeleine. Cette église était située sur l’emplacement qui forme aujourd’hui la place de l’École-de-Médecine. Mais les cordeliers ne restèrent pas longtemps fidèles, en France, aux instructions de saint François d’Assise. Ils manifestèrent d’abord leur défaut d’humilité en cherchant à empiéter sur les droits de l’Université et à substituer leur autorité à la sienne, et comme, à cette époque, les querelles religieuses dégénéraient souvent en injures grossières et quelquefois en voies de fait, les deux partis commencèrent par s’invectiver, puis par échanger des horions, malgré les efforts que le roi saint Louis, secondé par les papes, faisait pour apaiser moines et savants qui, avec une égale obstination, continuèrent à se disputer avec une ardeur que rien ne pouvait éteindre. « Les cordeliers, dit Dulaure dans son Histoire de Paris, en guerre avec l’Université, le furent bientôt entre eux. Au commencement du XIVe siècle, il s’éleva dans ce couvent, ainsi que dans les autres du même ordre, deux partis acharnés l’un contre l’autre : les spirituels et les conventuels. L’objet de cette grave querelle consistait dans la distinction des mots propriété et jouissance appliqués aux aumônes qu’il recevaient. Les spirituels soutenaient qu’ils n’étaient pas propriétaires du pain et autres choses qu’on leur donnait, parce que la règle leur défendait de posséder, et les conventuels, au contraire, prétendaient que le pain était leur propriété. On étendit l’objet de la question jusque sur les biens meubles légués à ces moines. Les papes Nicolas III et Jean XXII la décidèrent tour à tour dans un sens opposé. »

Nous ne relaterons pas ici tous les détails puérils de cette ridicule question, qui fut débattue avec une chaleur digne d’une meilleure cause ; en 1318, les conventuels parvinrent à faire condamner au feu, dans la ville de Marseille, quatre frères spirituels. Bref, ils firent tant que leur couvent devint un collège dépendant du général de l’ordre, où les jeunes