Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 6, part. 1, D-Deli.djvu/129

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gea la publication. Il fit ensuite paraître : Monographie des cirrfiopodes pédoncules et sessiles (Londres, 1851-1853), ouvrage qui fut édité aux frais de la Société royale de Lon-Ires, et que suivit bientôt un traité sur les Cirrhopoaes fossiles. Les premières observations auxquelles M. Darwin s’était livré en Amérique lui avaient déjà fait reconnaître les imperfections de toutes les classilications du règne animal admises jusqu’à ce jour, et l’avaient conduit à faire sur ces matières de longues et consciencieuses recherches, dont il a consigné les résultats dans son livre intitulé : On the origin of species by means ofnatural sélection (Londres, 1859). Cet ouvrage a obtenu en Europe un succès légitime, et a été traduit en plusieurs langues, notamment en français, par Clémence Royer, sous ce titre : De l’origine des espèces par voie de sélection naturelle ou Des lois de la transformation des êtres organisés (Paris, 1866, in-8°). L’auteur y a établi que tous les animaux et toutes les plantes dérivent d’un petit nombre de formes primitives, peut-être même d’une seule, et que les diverses modifications qu’ils subissent ont lieu d’après un principe qu’il appelle sélection naturelle. Cette théorie a fait grand bruit et a soulevé une polémique des plus vives, où la personnalité du hardi novateur a eu à subir de violentes attaques. (Pour l’analyse et l’appréciation de cet ouvrage, voir darwinisme ci-après.) Un dernier ouvrage de M. Darwin : Ski* les différentes circonstances qui contribuent à la fertilisation des orchidées de la Grande-Bretagne et des pays étrangers, en anglais (Londres, 1SC2), se distingue, comme les précédents, par une grande clarté de style et par la solidité des bases sur lesquelles l’auteur a édifié ses théories. Le savant physiologiste a en outre fourni un grand nombre de mémoires aux Transactions et au Journal de ta Société géologique de Londres, ainsi qu’au se< ond volume île l’ouvrage d’Asiassiz, intitulé : Bibliographia geulogis et zoologigs, qui fut m- blié, en 1850, par la Hay Society. Depuis 1839, M. Darwin est murié avec la petite-tille de Josias Wedgwood, l’inventeur du pyromètre qui porte ce nom.

DARWINIE s. f. (dar-oiii-nl — de Daru in, savant angliiis). Bot. Genre d’arbrisseaux, de la famille des myrtacées, tribu dos chainélnnciées, comprenant trois ou quatre espèces, qui croissent dans l’est de l’Australie, il Syn. de LITSÉK.

DARWINIEN, IENNE tidj. (dnr-oui-ninin, iè-ne). Physiol. Qui a rapport au darwinisme : Doctrine darwinienne. Théorie darwinienne.

DARWINISME s. m. (daf-oui-ni-sine). Physiol. Système d’histoire naturelle générale de Charles Darwin, qui explique l’origine des espèces par le principe de la sélection naturelle, et dont la conclusion extrême est la parenté physiologique et la communauté d’origine de tous les êtres vivants.

— Ëncycl. Philos, biol. I. Antécédents du darwinisme. D’où viennent ces myriades de formes animées qui ont peuplé, qui peuplent encore la terre, les airs et les eaux ? Comment se sont-elles succédé dans le temps ? Quelles sont las causes qui en ont réglé la juxtaposition dans l’espace ? Comment expliquer les ressemblances radicales qui relient tous les êtres organisés et les différences profondes ou légères qui les séparent, qui les partagent en règnes, en classes, en ordres, en familles, en genres ? Qu’est-ce au fond que l’espèce, ce point de départ obligé de toutes tes sciences naturelles ? Est-elle un fait primitif ou dérivé, un fait d’origine, ou le résultat d’un enchaînement de phénomènes ? Entre des espèces voisines et se ressemblant parfois de manière à presque se confondre n y a-t-il que de simples affinités, ou doit-on voir une véritable et réelle parenté physiologique ? Les espèces les plus éloignées elles-mêmes ont-elles paru isolément, ou bien peut-on les faire remonter à des ancêtres communs, et faut-il chercher jusque dans les temps géologiques, à travers de simples transformations, les premiers parents des plantes, des animaux qui existent aujourd’hui ? Telles sont les hautes questions qu’un célèbre naturaliste anglais, M. Darwin, a’est efforcé de résoudre en s’appuyant sur une masse de faits et d’observations positives. L’ensemble des solutions qu’il a proposées est désigné sous le nom do darwinisme.

Le darwinisme se résume en une notion simple et claire, qu’on peut formuler ainsi : toutes les espèces animales et végétales, passées et actuelles, descendent, par voie de transformations successives, de trois ou quatre types originels, et probablement même d’un archétype primitif unique. Cette notion est la conclusion de toute l’œuvre de M. Darwin. Il est juste de dire que l’originalité de la théorie darwinienne ne consiste pas dans cette conclusion, mais dans les lois naturelles que M. Darwin a constatées, et qui, selon lui, expliquent l’origine des espèces par accumulation progressive et fixation héréditaire de variations d’abord légères. Ce n’est pas la thèse transformiste qui est ici nouvelle, c’est la manière dont cette thèse est établie et la nature des inductions et des preuves qui sont invoquées pour la soutenir. Avant d’exposer la doctrine darwinienne, et pour en faire saisir la portée scientifique et philosophique, nous croyons devoir passer en revue les divers systèmes transformistes qui l’ont précé fcARW

dée et qui n’avaient pu jusqu’ici réussir, je ne dirai pas à entamer le principe de la fixité des espèces, mais même à prendre quelque autorité, à exercer quelque empire dans la science. Dans cet examen des antécédents du darwinisme, nous prendrons pour guide un naturaliste aussi judicieux qu’impartial, M. de Quatrefages, qui, tout en restant attaché aux idées classiques sur l’espèce et la race, sait très-bien comprendre les idées qu’il ne partage pas et leur rendre justice.

Système de de Maillet. « L’idée générale de faire dériver les formes animales et végétales actuelles de formes plus anciennes pourrait, dit M. de Quatrefages, se retrouver bien loin dans le passé. On la rencontrerait aisément, énoncée d’une manière plus ou moins explicite, dans les écrits de maint philosophe grec, de maint alchimiste du moyen âge ; mais aux uns comme aux autres le problème de la formation des espèces ne pouvait se présenter avec la signification qu’il a pour nous. Avant Ray et Tournefort, les naturalistes ne s’étaient pas demandé ce qu’il fallait entendre par le mot espèce, que pourtant ils employaient constamment. Or, il est évident qu’il fallait avoir répondu à cette question avant de songer à rechercher comment avaient pu se former et se caractériser ces groupes fondameniaux, point de départ obligé de quiconque étudie les êtres organisés. Ce n’est donc pas même au commencement du xvnie siècle que le problème de l’origine des espèces pouvait être posé avec le sens que nous lui donnons aujourd’hui, et il faut en réalité arriver jusqu’à Benoît de Maillet pour le voir traiter de manière à nous intéresser. » C’est dans un ouvrage intitulé : Entretiens d’un philosophe indien avec un missionnaire français sur la diminution de la mer (1748 et 1756), que de Maillet a exposé, sur la constitution de l’univers, sur le passé et l’avenir de notre globe, sur l’origine des êtres animés, un système qui, de Voltaire à M. Flourens, a été l’objet de bien des plaisanteries. Il admet l’existence de tourbillons analogues à ceux de Descartes, et il suppose que les soleils, centres de ces tourbillons, s’épuisent par leur activité môme, tout en enlevant à leurs planètes respectives une certaine quantité de matières, et surtout l’eau, qui s’évapore et diminue à la surface de celles-ci ; mais, dit-il, rien ne se perd dans la nature. Ces matériaux ne sont pas dispersés, ils sont seulement repoussés vers les limites du tourbillon, entraînant avec eux des nombres infinis de semences, germes des êtres organisés futurs. Lorsqu’un soleil est entièrement épuisé, il s’éteint et devient un globe opaque ; son tourbillon s’arrête, lui-même et les planètes qu’il avait jusque-là retenues dans sa sphère d’action, s’élancent au hasard dans l’espace, jusqu’au moment où ils rencontrent quelque autre soleil en pleine activité. Celui-ci les entraîne dans son tourbillon, et ils s’ajoutent aux astres qui déjà tournaient autour de lui. Or, en pénétrant dans ce monde nouveau, ils ont à traverser la zone où sont emmagasinés les eaux, les germes, les matières de toutes sortes chassées de la surface des planètes qui les ont précédés. Ils s’en emparent au passage, et arrivent ainsi à leur destination nouvelle entourés d’une couche liquide qui les enveloppe en entier. A partir de ce moment recommence pour ce soleil éteint, transformé en planète, pour ces planètes épuisées, et momentanément vagabondes, une nouvelle ère d’activité régulière et féconde. Ainsi les mondes se renouvellent par suite de leur épuisement même, et chaque renaissance a pour point de départ un déluge.

Cette théorie du, ou plutôt des déluges, est fondamentale dans le système de de Maillet. Elle lui sert à expliquer, en dehors de toute intervention surnaturelle, des faits qu’il a longuement et bien positivement constatés. À une très-grande distance des mers actuelles et jusqu’au sommet des hautes montagnes, il avait vu certaines roches renfermer des corps pétrifiés dont l’origine marine était à ses yeux indiscutable. Pour mettre hors de doute l’existenco de ces fossiles, il accumule preuves sur preuves, détails sur détails, et toutes les observations qu’il cite le ramènent à la pensée que le globe a été sous l’eau et façonné en partie par elle. Là est la partie sérieuse de son ouvrage, celle qui a motivé les éloges d’un de nos plus éminents paléontologistes, de M. d’Archiac, 11 est vrai que la géologie moderno n’a pu accepter la conséquence immédiate que de Maillet tirait de l’existence de coquilles pétrifiées. Elle n’admet pas, avec lui, que la terre doive son relief actuel presque uniquement à la mer, et que l’apparition des continents soit due à l’évaporation ; mais qu’on se reporte à un siècle et demi en arrière, et cette erreur paraîtra bien excusable. Il reste à peupler d’êtres vivants cette mer d’abord presque universelle, ainsi que les terres qu’elle a laissées à découvert en se retirant peu à peu. Ici encore, comme le remarque M. de Quatrefages, de Maillet ne s’écarte pas trop d’abord du terrain de la science sérieuse de son temps. Il croit à la doctrine de la préexistence des germes, mais qui pourrait s’en étonner, si l’on songe qu’elle régnait à cette époque.presque sans partage, que Réaumur n’en professait pas d’autre, et que, dans un de ses derniers écrits, Cuvier la présentait comme l’inévitable mystère où aboutissent les méditations les plus profondes et les observations les plus délicates ? Rien

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donc de ridicule dans les semences de de Maillet. Rien do ridicule non plus dans la manière dont il comprend le développement de ces germes. Us n’éclosent pas tous a la fois et la provision n’en est pas épuisée. Les espèces animales et végétales n’ont point paru toutes en même temps ; à mesure que les mers baisseront, à mesure que naîtront des circonstances favorables, il en surgira do nouvelles. « Cette manière de comprendre l’apparition successive des êtres organisés, dit M. de Quatrefages, se rapproche à certains égards des idées émises récemment encore par quelques-uns des hommes les plus autorisés. »

Nous arrivons aux idées transformistes adoptées par de Maillet. L’existence et la variété des germes une fois admises, il ne tenait qu’à lui de trouver dans les semences 1’origin.e directe de toutes les espèces organiques. Au lieu de s’en tenir à cette hypothèse, qu’il pouvait considérer comme suffisaute, et qui semblait naturellement indiquée par la doctrine de la préexistence, il affirme que les germes primitifs n’engendrent que des espèces marines, et que de colles-ci descendent, par voie de transformation, toutes les espèces terrestres et aériennes, l’homme compris. Quand il s’agit des plantes, le philosophe indien regarde le problème comme facile, o Aussitôt qu’il y eut des terrains, dit de Maillet, il y eut certainement dos vents et des pluies qui tombèrent sur les premiers rochers. » Les premiers ruisseaux coulèrent, et, à mesure que la mer se retirait, se transformèrent en rivières ou en fleuves. Ceux-ci entraînèrent jusqu’à la mer les matériaux enlevés aux continents récemment émergés et amoncelèrent sur ces plages nouvelles « un limon plus doux, » sur lequel les herbes marines vinrent « perdre leur amertume et leur âcreté ; ■ elles commencèrent ainsi à se terrestriser. La mer continuant à baisser, elles finirent par rester à sec, complétèrent leur métamorphose sous l’empire de ces conditions impérieuses, et se trouvèrent changées en espèces- franchement terrestres. L’auteur avoue, il est vrai, que « les naturalistes prétendent que le passage des productions de la mer en celles do la terre n’est pas possible ; mais, ajoute-t-il, puisque toutes les mers produisent une infinité d’herbes différentes, même bonnes à manger, pourquoi ne croirions-nous pas que la semence de ces choses a donné lieu à celles que nous voyons sur la terre et dont nous faisons notre nourriture ?» Il cite deux ou trois exemples à l’appui de sa proposition et conclut en disant : « C est ainsi, j’en suis persuadé, que la terre se revêtit d’abord d herbes et de plantes que la mer enfermait dans ses eaux. »

La transformation des animaux marins en animaux fluviatiles ne présente aucune difficulté à l’esprit de de Maillet. Aussi l’indiquet-il comme en passant, et se borne-t-il à faire observer qu’en pénétrant dans les rivières, la carpe, la perche, le brochet de mer, ont subi seulement quelques légères modifications dans la forme et le goût. Quand il en arrive aux espèces aériennes, il sent la nécessité de multiplier ses arguments. Il insiste sur l’humidité des couches d’air placées au-dessus de l’eau, surtout dans les régions boréales ; il signale l’existence des êtres analogues qui peuplent le fond de la mer et le sol des continents, les eaux et l’atmosphère ; il se plaît à mettre en lumière et à exagérer les ressemblances que présentent les oiseaux et les poissons, dans leurs mœurs, dans leurs allures, et jusque dans les riches couleurs qui les décorent. » La transformation d’un ver à soie ou d’une chenille en un papillon, dit-il, serait milie fois plus difficile à croire que celle des poissons en oiseaux, si cette métamorphose

ne se faisait chaque jour à nos yeux La

semence de ces mêmes poissons, portée dans des marais, peut aussi avoir donné lieu à une première transmigration de l’espèce du séjour de la mer en celui de la terre. Que cent millions aient péri sans avoir pu en contracter l’habitude, il suffit que deux y soient parvenus pour avoir donné lieu à 1 espèce. »

Les poissons volants fournissent à notre auteur un exemple sur lequel il insiste d’une manière spéciale. « Entraînés par l’ardeur de la chasse ou de la fuite, emportés par le vent, ils ont pu, dit-il, tomber à quelque distance du rivage dans des roseaux, dans des herbages, qui leur fournirent quelques aliments, tout en les empêchant de reprendre leur vol vers la mer. Alors, sous l’influence de l’air, les nageoires se fendirent, les rayons qui les soutiennent se transformèrent en plumes, dont les membranes desséchées formèrent les barbules, la peau se couvrit de duvet, les nageoires ventrales devinrent des pieds, le corps se modela, le cou, le bec s’allongèrent, et le poisson se trouva devenu un oiseau. »

Rien de plus simple, pour de Maillet, que la transformation des espèces marines rampantes en reptiles aériens. Ne voit-on pas ces derniers vivre dans l’eau presque aussi facilement que sur la terre ? Les mammifères sont plus embarrassants. Cependant l’auteur cite rapidement les ours marins, les éléphants de mer, puis il donne quelques détails sur les phoques. Après avoir rappelé leurs habitudes et affirmé qu’on a vu ces animaux vivre plusieurs jours à terre, il ajoute : « Il n’est pas impossible qu’ils s’accoutument à y vivre toujours dans la suite, par l’impossibilité même de retourner à la mer. C’est ainsi sans doute

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que les animaux terrestres ont passé du séjour des eaux à la respiration de l’air. » Enfin, arrivé aux espèces humaines, de Maillet en admet la multiplicité ; il réunit toutes les prétendues histoires d’hommes marins, et en conclut que, nous aussi, nous devons chercher dans la mer nos premiers ancêtres.

« En résumé, dit M. de Quatrefages, da Maillet partage les êtres organisés en deux grands groupes, l’un aquatique et marin, l’autre aérien et terrestre. Partout le pivm.er a engendré le second. La filiation est directe, chaque espèce marine donnant naissance à l’espèce terrestre correspondante. La transformation est le plus souvent individuelle et analogue à la métamorphose de la chenille en papillon ; elle peut s’accomplir aussi, dans certains cas, par le transport des œufs, qui, pondus par un animal marin, mais exposés à l’air, donnent naissance à des individus terrestres. Quelques espèces vivant presque indifféremment à l’air et dans leau peuvent,

senible-t-il croire, être considérées comme des « intermédiaires momentanés » entre les deux inondes ; mais dans aucun cas l’hérédité n’a de rôle dans ces phénomènes. La transformation s’opère toujours sous l’empire de la nécessité, imposée par ce que nous appellerions aujourd nui le milieu, et de l’habitude, qui façonne rapidement l’organisme. Lo développement des êtres organisés marins a commencé peu après que les montagnes les plus élevées eurent été mises à sec ; celui des espèces terrestres date seulement d’une époque à laquelle les continents étaient à peu près co qu’ils sont aujourd’hui. Ce développement est successif, il dure encore, il se continuera dans l’avenir, et, a mesure que les mers baisseront davantage, les flores, les faunes maritimes et terrestres s’enrichiront de plus en plus. Nulle part, d’ailleurs, de Maillet ne donne à entendre que les espèces marines varient tant qu’elles restent dans leur premier élément, pas plus qu’il ne parle de changements survenus dans les espèces terrestres après la grande métamorphose qui

en a changé la nature Ce système, à tout

prendre et à tenir compte de la date, n’était pas mal conçu. L’auteur partait de faits matériels bien observés et d’une interprétation de ces faits au moins plausible à une époque où la théorie dos soulèvements était loin de tous les esprits ; il s’appuyait sur une doctrine professée par les maîtres de la science j il n’ajoutait qu une hypothèse, celle de la transmutation des espèces. À l’appui de cette hypothèse, il n’invoquait guère que des arguments difficiles à réfuter, précisément à cause de ce qu’ils avaient de vague ; mais cela même dut séduire plus d’une imagination. »

Il est curieux de voir comment le système de de Maillet fut accueilli par Voltaire. Partisan des causes finales et de la fixité des espèces, Voltaire repousse avec un dédain railleur le transformisme de de Maillet comme la génération spontanée de Needham. Son bon sens, son esprit positif et sagement sceptique, étaient naturellement en garde contro les vastes hypothèses qui n’ont qu’une base étroite dans les faits, et contre le romanesque des grands systèmes. Il avait d’ailleurs un grief particulier contre une théorie qui faisait une place au déluge, et qu’on pouvait invoquer à l’appui de certains passages, des livres saints. Quiconque soutenait la réalité du déluge mosaïque pouvait en appeler au témoignage de de Maillet, et aux coquilles d’origine marine consatéesjusqu’au sommet dos hautes montagnes. Or, Voltaire ne voulait pas du déluge mosaïque ; il comprit le danger et-fit pleuvoir ses railleries sur lo philosophe dont les doctrines tendaient à compromettre les siennes. Ecoutons-le :

« Il est arrivé aux coquilles la même chose qu’aux anguilles ; elles ont fait éclore des Systèmes nouveaux. On trouve dans quelques endroits de ce globe des amas de coquillages ; on voit dans quelques autres des huîtres pétrifiées : de la on a conclu que, malgré les lois de la gravitation et celles des fluides, et malgré la profondeur du lit de l’océan, la mer avait couvert toute la terre il y a quelques millions d’années. La mer ayaiit inondé ainsi successivement la terre, a formé les montagnes par ses courants, par ses marais ; et quoique son flux ne s’élève qu’à la hauteur de 15 pieds dans ses plus grandes intumescences sur nos côtes, elle a produit des roches hautes de 18,000 pieds. Si la mer a été partout, il y a eu un temps où le monde n’était peuplé que de poissons. Peu à peu les nageoires sont devenues des bras ; la queue fourchue, s’étant allongée, a formé des cuisses et des jambes ; enfin les poissons sont devenus des hommes, et tout cela s’est fait en conséquence des coquilles qu’on a déterrées. Ces systèmes valent bien l’horreur du vide, les formes substantielles, la matière globuleuse, subtile,

cannelée, striée, la négation de l’existence des corps, la baguette divinatoire de Jacques Aimard, l’harmonie préétablie et le mouvement perpétuel.... On prétend qu’il y a des fragments do coquilles à Montmartre et à Courtagnon, auprès de Reims. On en rencontre presque partout ; mais non pas sur la cime des montagnes, comme le suppose le système de de Maillet. Il n’y en a pas une seule sur la chaîne des hautes montagnes depuis la sierra Morena jusqu’à la dernière cime de l’Apennin. J’en ai fait chercher sur le mont Saint-Gothard, sur le Saint-Bernard, dans les montagnes de laTarentaise ; on n’en a