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jourd’hui : c’est Markowski, mais son cours c’est pas à l’usage de tout le monde.

— II. La danse cubz tous les peuples. Il est assez curieux, d’examiner le contraste qui existe entre la froideur, le calme, la placidité du caractère britannique et la gaieté et la vivacité des danses anglaises. La gigue semble réaliser la solution du problème du mouvement perpétuel : c’est fa danse nationale, la danse de tout bon Anglais ; puis vient l’anglaise, dans laquelle deux haies de danseurs sont parcourues successivement par chaque couple, qui les remonte en sautillant, car l’Anglais saute toujours lorsqu’il danse. Les Irlandais dansent tristement, eux, comme des gens découragés et qui savent bien que le plaisir, quoique sollicité, no viendra pas à eux. Quant aux Écossais, qui complotent la trilogie de la Grande-Bretagne, leur dans ?, est aussi une sorte de chaîné anglaise dont le mouvement rapide est d’une grande légèreté.

En Espagne, la danse, tour à tour fougueuse, emportée, voluptueuse, est, moins que la nôtre, soumise aux règles de l’art, et elle procède plutôt de l’entraînement que du savoir ; aussi parle-t-elle plus aux sens qu’à l’esprit. Chaque province des Espagnes a son tvpe de danse particulier : en Andalousie, c’est la danse vive et légère ; à Cordoue, elle a conservé un reflet de la danse mauresque, et rien n’est gracieux comme les pas souples et cadencés de ces brunes filles des Maures dansant au son d’un misérable instrument de cuivre, et n’ayant d’autre accompagnement que celui de leurs castagnettes, au milieu des bouquets de lauriers-roses et d’orangers : en Aragon comme en Catalogne la jota est la danse nationale, mais la danse par excellence de l’Espagne c’est le fandango, duquel dérivent la plupart des autres danses ; Jes agitations du corps, les trépignements, les poses, les attitudes, les épaulements, les déhanchements do la femme sont autant d’attraits. « Non, a dit un voyageur, l’anachorète qui mange le plus de laitue, qui jeûne le plus, ne verra pas danser le fandango par Julie Forinalaguez sans soupirer, sans désirer et sans donner au diable ses vœux, sa continence et ses sandales. » Cette danse faillit être condamnée par un consistoire de la cour de Rome réuni dans co but ;.mais, par son effet électrique et entraînant, elle finit par faire danser les juge- ; eux-mêmes, lesquels, gagnés et vaincus, lui accordèrent sa grâce entière. Les autres danses espagnoles sont le boléro, beaucoup plus retenu et plus noble que le fandango ; son nom lui vient de volero, à cause de la légèreté de ses figures, — légèreté peut être pris ici dans ses diverses acceptions.-Les Doleros chantés changent de nom et prennent celui de seguedillas. La caclwclia est un solo de femme qui se danse avec accompagnement de castagnettes. La ijuaracha, dont le nom africain signifie gaieté, ne se danse guère qu’au théâtre. Le zapatcado est une danse bruyante, dont les pas cadencés sont frappés comme ceux de l’anglaise et de la sabotière. Le sorongo est une danse aux pas simples, d’un mouvement très-vif et accompagné de battements de mains. Le tripili trapala est presque semblable au zorongo ; et enfin la folie se danse au son des liutes. Pierre de Portugal aimait si fortla/bZie, qu’il passait des nuits entières à la danser avec ses enfants et les gens de sa cour qu’il conviait à cet honneur, et qui se hâtaient d’accepter, sachant bien qu’en cas de refus de leur part ils eusfHiit dansé la danse des pendus.

L’Italie aussi aime la danse. À Naples, c’est la tarentelle ; elle dut son nom, dit-on, à lu tarentule, dont la morsure venimeuse se guérissait au moyen des mouvements vifs et précipités de cette danse ; les autres danses sont : la sicilienne, sorte de fandango sautillant ; la forlane, qui est la danse des gondoliers vénitiens ; la trévisane et la trescone, qu’on danse en Lombardie ; la volte, dans laquelle le cavalier s’applique à faire plusieurs fois tourner sa dame ; la pècorée ou danse des pâtres calabrais ; le saltarello, dansé par tous les paysans romains ; la montferine, sorte de bourrée que dansent les Milanaises ; la francesca, danse composée de plusieurs figures empruntées aux contredanses françaises.

Si l’Espagne et l’Italie produisent des danseurs naturellement, il n’en est pas do même de la Russie, et la danse du Russe ressemble beaucoup à celle de l’ours ; c’est une lourde oscillation sans grâce qu’accompagne le son monotone de la balaleïca, longue guitare dont la musique se renforce des chants et dos cris des spectateurs, voire même des sifflets. Les Cosaques aussi dansent, si l’on peut donner le nom de danse à un trépignement bruyant qui forme une sorte de cadence rhythmée, qu’on désigne sous le nom de hoppafe, de tropak et de kastachok. De la Pologne nous viennent la mazurka, la redowa et la varsoviana, gymnastiques gracieuses qui ont conquis leurs lettres de grande naturalisation partout. Mais la danse nationale de la Pologne, c’est la polonaise, une sorte de marchepromenade qui ne manque pas d’originalité

et qu’on danse comme un repos entre les autres danses dont nous venons de parler.

L’Allemagne est la véritable patrie d’adoption de la valse. D’une extrémité a l’autre de cette vaste contrée c’est la danse chère a la nation. À côté de la valse, il faut citer la hongroise, sorte de cia/ise-promenade, et la vainque, espèce de polka ; 1 allemande, qui se compose do figures et se danse >«mis les villes.

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En Grèce, nous trouvons l’angrismême, qui se danse de nos jours et qui est peut-être l’antique danse de Vénus ; la candiote, qui est la même que celle du temps d’Homère ; ï’arnaoute qui est une ancienne danse militaire rajeunie par quelques nouvelles figures. La grue, ou danse du printemps, est 1 ancienne danse qui avait lieu lorsque les grues s’envolaient au retour de la belle saison, et l’ionienne, que dansent les habitants de Smyrne et de 1 Asie Mineure. Les Grecs dansent aussi X hyporchêmatique, branle sérieux et lent ; la danse grecque, variété de la candiote ; la danse de mai ou des fleurs, qui se danse le premier jour de mai, et enfin les Spachiotos dansent la pyrrhique, en robes courtes, avec carquois garni de flèches à l’épaule et arc tendu au bras. Les Hellènes ont tout oublié, hors la danse.

Les Orientaux aiment beaucoup faire danser devant eux, mais ils ne dansent pas eux-mêmes ; les danses d’aimées et de bayadères sont de véritables pantomimes d’amour.

Ces danses ne brillent pas par la variété des figures, et n’ont rien de distingué ni de gracieux. Il y en a de deux catégories : l° celles qui ont lieu dans l’intérieur des familles, entre femmes d’une même maison ; 20 celles qu’exécutent des personnes salariées, à l’occasion des naissances, des mariages, de la circoncision et enfin des réjouissances publiques.

Les Mauresques de qualité, qui passent leurs journées a égrener du lilas ou du jasmin pour en faire dos guirlandes dont elles s’ornent le visage et la poitrine, fatiguées de se parer et de se mirer devant leurs petites glaces, s’arrachent parfois à cette apathie pour se livrer entre elles au plaisir do la danse. L’une d’elles tient une darbouka qu’elle frappe avec les doigts, sur une cadence qui ressemble bien à celle de la danse des ours ; une autre femme, ayant pour tout vêtement un pantalon très-bus de ceinture et une chemise de mousseline transparente qui dissimule à peine son buste, et dont les manches, largement fendues, laissent les bras entièrement libres, se lève et, agitant au-dessus de sa tête deux foulards, un de chaque main, se met à sauter sur place, puis se secoue, se contorsionne, jetant la tête de gauche et de droite, et faisant flotter sa chevelure. Quand elle s arrête, épuisée de cet exercice auquel certaines d’entre elles mettent une véritablo passion, une autre prend sa place. Les mouvements de physionomie, les ondulations du corps, les gestos provocants donnent à cette danse un caractère plus lascif qu’élégant.

Les danses à l’occasion des fêtes de famille sont’exécutées ou par des négresses ou par des bayadères, quisontordinairementdes filles publiques. La danse de ces dernières est l’exagération des contorsions, des poses voluptueuses, des œillades provocantes que nous venons de signaler, avec accompagnement d’une musique où l’instrument le plus harmonieux est une sorte de viole à deux cordes, dont le musicien sait tirer avantageusement parti. La famille, les invités sont accroupis autour des galeries, sur les escaliers, partout où l’on peut voir et entendre. On brûle des parfums, on pousse do joyeux toulouils ou you, youl de joie ; on s’anime à l’aspect des gestes, des mouvements ardents de ces aimées, et les pièces de monnaie de plus ou moins de valeur pleuvent sur le tapis, autour de la danseuse.

Depuis le Maroc jusqu’en Égypte, voici ce que d’ordinaire sont les danses, que des troupes spéciales vont exécuter à domicile ou de cafés en cafés, pour le plus grand abêtissement des fils du Prophète. Nous laissons la parole à un voyageur qui raconte ce qu’il a vu, il y a quelques années. Ab uno disce omnes :

« La troupe se composait de quatre hommes et de trois femmes, tous juifs et paraissant extrêmement misérables. Un des hommes jouait d’une espèce de mandoline, l’autre du tambour de basque, lo troisième d’un violon ou pochette a deux cordes ; le quatrième, qui, comme le quatrième officier do la chanson de Marlborough, n’avait aucun instrument, était cependant le personnage le plus important de la troupe : il en était le cornac, l’interprète, lo régisseur, le... je laisse à l’intelligence du lecteur le soin de trouver un mot honnête pour désigner sa dernière qualité, qui peut se traduire par « counier en libertinage" ou n Mercure. » Une jeune fille de quatorze à quinze ans dansait. Une très-grosse femme enantait d’un ton nasillard en s’accompagnant d’un vase de terre recouvert d’une peau tendue qu’elle frappait avec le revers des ongles. Une autre très-grosse femme ne faisait rien. Le chant était lugubre et monotone ; la musique pitoj’able et inintelligible, et la danse !... la danse était une espèce de tarentelle dégénérée, lascive, sans gtâce, et en harmonie avec le costume et la figure de la malheureuse danseuse. Quelle bayadère ! et qu’il y a loin de la réalité aux imaginations fantasques des poètes qui ont eu la prétention de peindre l’Orient ! Sa tunique d’oripeaux, ses jambes nues, sa figure impassible et hébétée couverte de sueur qui coulait sur sa gorge pendante, ses grands yeux sans expression se détachant sur son teint uniformément jaunâtre, ses ongles en deuil, sa grosse tournure, ses grands pieds, ... tout cela n’était guère fait pour exciter la générosité des spectateurs, et c’était cependant a ce but que tendait toute la comédie. Après otpendaut

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chaque danse, la jeune fille s’approchait de l’un ou de l’autre d’entre nous, et, par des postures indécentes, des mouvements de hanches, de torse ou de ventre, cherchait à l’engager à lui donner quelques piastres. Puis peu à peu elle se dépouillait de tous ses vêtements, et enfin Vers le milieu do la soirée, hommes et femmes, ivres, se roulent dans la plus dégoûtante promiscuité. »

Voilà à quoi se réduisent les plaisirs de la danse dans cette partie de l’Afrique qui a pour limites : l’Océan à l’O., la mer Rouge à l’E., la Méditerranée au N., et le désert au S.

Les danses des négresses n’ont pas le même caractère. Elles admettent moins de témoins, et se rattachent à celles des convulsionnaires ou Aïssaouas, mangeurs de feu. Ici l’orchestre est composé de nègres, les uns porteurs de darboukas qu’ils frappent à l’aide de baguettes recourbées, les autres ayant les mains armées de petites cymbales qu’ils manient comme des castagnettes. Du groupe des danseuses accroupies au milieu de la cour, une première négresse se détache et commence par faire, d’un pas cadencé, le tour des galeries en se dandinant de gauche et de droite, sautillant alternativement sur les deux jambes ; un nègre suit ses mouvements et l’excite eu la trappant d’abord légèrement d’une sorte de martinet de cordes. Puis la mesure s’accélère ; la danseuse s’y conforme par ses mouvements. Graduellement la marche devient une course vertigineuse accompagnée de pirouettes, de bonds ; les coups de fouet redoublent, plus forts, plus nombreux, et la danseuse précipite encore ses allures ; sa figure s’anima et prendun aspect féroce, les yeux roulent sanglants dans leur orbite ; mais ce n’est pas assez ; la hideuse créature reçoit à la main un premier couteau dont elle se frappe sur tout lo corps ; le sang jaillit, le délire augmente... un second couteau vient armer l’autre main de la danseuse ; les coups do fouet, les entailles se multiplient ; cet horrible spectacle duro quelques minutes, après lesquelles la malheureuse épuisée, haletante, fanatisée, va tomber comme une masse sur des paillassons préparés à cet effet ; une autre la remplace et recommence les mêmes horreurs.

La danse, chez les sauvages, se mêle à toutes les actions de la vie. L’une des danses les plus en vogue sur tout le continent de l’Amérique espagnole est le chica. Cette danse exerce un empire tellement universel qu’au commencement du siècle on la dansait encore dans les cérémonies religieuses, les procèssions ; les créoles l’ont adoptée avec enthousiasme ; mais cependant l’indécence des poses qu’elle comporte l’a fait à peu près abandonner. Le chica est originaire du Congo, et il fut transporté aux Antilles par les nègres. Le Icalenda est une imitation du chica, et est tout aussi licencieux. Quant aux danses des Indiens, elles demanderaient de longs développements, car elles constituent de véritables cérémonies ; bornons-nous à citer la danse de feu, qui s’exécute dans les occasions solennelles ; le feu y joue le principal rôle, puis s’éteint pour ne plus laisser voir qu’un Indien dansant avec un tison dans la bouche ; la danse du sacrifice, qui se fait autour d’un bûcher enflammé, sur lequel brûlent les objets offerts au grand esprit en sacrifice ; la danse du mariage, particulière aux cérémonies nuptiales ; la danse des funérailles, qui s’exécute autour d’un cadavre habillé et assis sur une natte, comme s’il était vivant ; la danse du calumet, du scalp, du bœuf, de la découverte, de la guerre, déla paix ; le kalenda, la danse des festins, etc. Toutes ces danses s’exécutent à grand renfort de cris, d’évolutions bruyantes et du tapage le plus varié.

Terminons par les danses des Chinois, dont l’origine remonte à des temps fabuleux, et qu’on divise en petites danses et grandes danses. Les petites sont celles qu’on apprend de treize à quinze ans ; les grandes, celles qu’on n’apprend qu’à vingt ans. Comme la plupart des danses exotiques, elles tiennent plutôt de la pantomime que de la danse proprement dite.

— III. Danse au théâtre. « Celui qui se destine à la danse sérieuse ou héroïque doit posséder une belle taille et de belles formes. » C’est le code de la danse qui le dit, et il ne craint pas d’ajouter : « Des statures d’hommes ou de femmes qui se rapprocheraient de celles de l’Apollon, ou de l’Antinous, OU de la Vénus de Troade, seraient parfaitement adaptées à la danse noble ou sérieuse. • Certes il serait difficile de proposer de meilleurs modèles ; malheureusement les Apollons et les Antinous de la vie réelle ne peuventguèremontrerleurs mollets, et les Vénus qui dansent à l’Opéra ne rappellent guère celle de la Troade sous le rapport des formes. Néanmoins les anciens, des amateurs difficiles, en vérité, avaient les danseurs en grande estime. Homère, pour honorer Mérion, lui donne le titre de danseur. Les Thessaliens élevèrent une statue à Elation pour avoir bien dansé dans un combat, car ce peuple n’avait rien trouvé de mieux, pour montrer le cas qu’il faisait d’un bon général, que de lui donner le nom de proorchestre, c’est-à-dire celui qui danse à la tête des autres. Orphée, Musée et le vieux Silène furent considérés comme les meilleurs danseurs de leur temps. « Le premier devoir d’un danseur, dit Lucien, est de se rendre propices Mnémosyne et Polymnie, sa sœur, de cultiver sa mémoire et de s’efforcer de la rendre universelle, car, tel que le Calclnis

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d’Homère, il faut qu’il connaisse le passé, lo présent et l’avenir, afin que rien ne lui échappe. Le plus bel éloge que l’on pût faire d’un danseur serait de pouvoir louer en lui ce que Thucydide loue dans Périclès, de savoir ce qu’il est à propos de faire et de l’énoncer avec grâce. Il faut onfin que le danseur connaisse parfaitement tout ce qui s’est passé depuis le chaos et la naissance du monde jusqu’à Cléopâtre. »

Qui eut jamaiscru qu’il fallait tant de science pour faire un bon danseur ! Il est vrai que les anciens avaient trouvé une excellente façon d’utiliser les danseurs. Un prince barbare demandait à Néron qu’il lui donnât un danseur. « Qu’en veux-tu faire ? demanda l’empereur.— J’ai pour voisins, répondit le prince, des barbares qui parlent une autre langue que la mienne, et je ne saurais trouver d interprète pour traiter avec eux. Lorsque j’aurai besoin de leur faire dire quelque chose, celui-ci, par ses gestes, me servira de truchement. » Si, abandonnant l’antiquité, nous nous rapprochons de l’époque contemporaine, nous voyons le chorégraphe Despréaux regretter que les danseurs n’eussent pas une place à l’Institut. Était-ce pour justifier le mot du Figaro de Beaumarchais parlant d’une place vivement disputée : « Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint. •

Les danseurs se divisent en deux catégories bien tranchées : ceux qui dansent par plaisir, et ceux qui dansent par profession. Les gens qui dansent par plaisir ne se livrent guère à cet exercice avant l’âge do vingt ans, et le quittent avant quarante ; mais quelle que soit la grâce ou l’aisance d’un danseur, il ne parvient guère à attirer l’attention. Autrefois pourtant il n’en était pas de même, et le fameux Trénitz, qui fut un de ces héros de salon qu’on admirait et dont on enviait l’adresse et l’habileté, poussait si loin le soin de sa réputation de beau danseur qu’il devint fou lorsqu’il la perdit. De nos jours, pourvu qu’un homme sache sans trop de gaucherie donner la main à sa danseuse, et marcher un quadrille sans confondre le cavalier seul avec la chaîne des dames, c’est tout ce qu’on lui demande, et non-seulement le danseur de salon est tombé dans le discrédit lo plus complet, mais le danseur théâtral, le seul qui nous occupe ici, n’est guère plus remarqué. Il fut un temps où Pans entier prenait parti pour un danseur, et la rivalité de Vestris et de Duport faillit partager la France en deux camps ennemis. Mais sous Louis XIV, à cette époque fastueuse où ce roi tenait à être le premier danseur de son temps, il était tout naturel que ses confrères en chorégraphie jouissent d’une faveur marquée. Aujourdliui, la danseur sert d’accompagnement obligé, d’aide et de soutien à la danseuse, et rien de plus.

L’Académie royale de danse, établie par Louis XIV en 1661, se composait de treize danseurs qui jouissaient, ainsi que leurs enfants, du privilège de montrer l’art de la danse sans lettres, ainsi que du droit de committimus et autres, tels que ceux des officiers commensaux de la maison du roi. Ils s’assemblaient une fois par mois, et délibéraient sur toutes les questions concernant leur art. Helvétius le philosophe était un danseur intrépide, et, pour satisfaire son goût, il n’avait rien trouvé de mieux que de danser sur le théâtre de l’Opéra, avec un masque sur le visage ; il faisait bien de dérober ses traits à la vue du public, car il y eût certainement perdu une grande partie de sa réputation d’esprit, les danseurs passant généralement pour en être passablement dépourvus. L’exercice des jambes, si varié qu’il soit, n’est véritablement pas fait pour développer beaucoup l’intelligence, et l’on cite comme des exceptions confirmant la règle les quelques danseurs ou danseuses qui se sont acquis un renom d’esprit ou même de finesse. Il est bien entendu que la simplicité ou la naïveté que l’on reproche aux danseuses ne les empêcha jamais d’être adulées, recherchées et fêtées, et que les premiers sujets de l’Opéra furent de tout temps des personnages considérables ; toutefois, si ces dames menaient grand train jadis et vivaient au milieu de toutes les magnificences, le chiffre de leurs appointements était loin de pouvoir être comparé à celui de leurs émoluments actuels, et 2,500 ou 3,000 livres passaient alors pour une rétribution plus que suffisante. Que tes temps sont changés ! En ajoutant un zéro aux nombres que nous venons d’indiquer, ils seraient encore regardés comme trop faibles pour indemniser une première danseuse de la peine qu’elle prend de nous charmer par ses pas et ses pirouettes.

Ce fut au commencement du siècle que lapudeur publique, justement alarmée par quelques chutes fâcheuses qu’avaient malencontreusement faites de jeunes et jolies danseuses, obligea toute femme dansant sur un théâtre à porter un caleçon de tricot ; un surintendant des beaux-arts se signala sous le gouvernement de la Restauration par une plus grande observation de la décence en faisant allonger les jupes des danseuses ; mais ce pudique fonctionnaire fut encore dépassé dans son louable dessein par les rois de Naples, exigeant que toutes les danseuses portassent sous leur robe de gaze un jupon

d’étoffe verte, de manière que cette couleur tranchée, et si peu faite pour s’allier à celle de la chair, produisît un effet désagréable