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DUMA
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DUMA

montrez-les seulement dans l’ombre ou le clair-obscur : laissez-les au fond de la scène, tout près de la porte, un pied dans la coulisse d’où ils ne devraient jamais sortir. Qu’ils figurent, mais ne parlent pas. C’est trop d’honneur leur faire que de les humilier en public. Prenez garde qu’ils ne prennent ces exécutions-là pour des réclames, et qu’ils ne se croient obligés de vous applaudir par reconnaissance. Ce serait le pire des châtiments.

« M. Alexandre Dumas fils, dit M. Hippolyte Lucas, est né sous une étoile fortunée, comme les gens qui naissent millionnaires ; il est né avec l’esprit de son père et l’instinct dramatique ; la muse du théâtre, appelée à son baptême ainsi qu’une fée bienfaisante, l’a doué, dès son berceau, de toutes sortes d’avantages : le choix des sujets, la peinture des caractères, la facilité de l’expression constituent son talent ingénieux et suffisamment observateur pour saisir le côté des mœurs qui doit plaire à la société de son temps. Il a de la franchise ; il prend moins de ménagements avec son public que la plupart de ses confrères ; il accuse plus vigoureusement son sujet… Il a peut-être trop cherché sa réussite dans un réalisme qui offrait à la curiosité publique l’attrait que la peinture des mauvaises mœurs ne manque jamais d’exciter ; les plus honnêtes gens ne détestent pas trop le scandale qui ne peut les atteindre ; ils s’aventurent volontiers à regarder au fond des passions les plus désordonnées, et, quand le tableau en est présenté avec art, ils accourent en foule au spectacle d’un monde dans lequel ils rougiraient de mettre les pieds. On dirait que le vice a plus de charme que la vertu… L’esprit de M. Dumas fils a l’avantage de ne pas être laborieux ; il coule de source ; c’est l’esprit de la conversation et non celui des livres ; il est prompt, il est vif, il est naturel. L’auteur se tire d’une situation scabreuse par un mot heureux. Il pose ses personnages de façon qu’on accepte toutes leurs tergiversations de caractère sans y mettre plus d’importance qu’eux-mêmes. C’est un grand art. La préparation des événements et des caractères est traitée enfin par lui de main de maître ; pas un mot qui n’ait un sens et dont on n’aperçoive plus tard la portée. La curiosité est constamment éveillée, et les scènes se succèdent entre le rire et les larmes, avec une ordonnance mathématique. L’auteur est, pour ainsi dire, au tableau ; il résout un problème social. »

Les biographies des Dumas sont déjà bourrées d’un nombre assez respectable d’anecdotes, et cela devait être : on a des recueils intitulés : Menagiana, Santoliana, Pironiana, Voltairiana", Bievrianan, etc., etc. ; eh bien, les deux écrivains en question, qui ont passé une partie de leur vie dans le monde des lettres, le monde du théâtre, ou plutôt dans tous les mondes, pourraient aussi inspirer à un anecdotier un Dumatiana qui ne le céderait à aucun autre ouvrage du même genre. Quant à nous, comme les lauriers de Cousin (d’Avallon) ne nous empêchent pas de dormir, nous nous contenterons des anecdotes suivantes :

— On raconte que M. Dumas fils disait à qui voulait l’entendre : « Mon père est un grand enfant, que j’ai eu quand j’étais tout petit. »

— « Mon père a tant de vanité, disait-il un autre jour, qu’il est capable de monter derrière sa voiture pour faire croire qu’il a un nègre. »

— Un autre jour, impatienté d’entendre l’auteur de Henri III parler de sa noblesse et de ses armes, il s’écria : « Farceur ! on les connaît, tes armes ; tu les montres assez souvent… Beaucoup de gueule sur très-peu d’or ! »

— À un dîner de jeunes hommes de lettres, on racontait une histoire d’argent où le débiteur se comportait comme don Juan vis-à-vis de M. Dimanche ; Dumas fils riait aux larmes. « Ignorez-vous qu’il s’agit de votre père ? lui dit à l’oreille un des convives. — Hein ? de mon père ? C’est impossible : il aurait écrit cela dans ses Mémoires. »

— Un matin, Dumas père, éveillé par deux de ses collaborateurs, voulut s’habiller et ne trouva point ses bottes. Alors il dit, en haussant les épaules : « Figurez-vous qu’Alexandre en a douze paires étalées sur une planche de sa garde-robe. Décidément, ce garçon-là n’aura jamais de génie. »

DUMAS (Marie, dame Pétel, dite Marie-Alexandre), artiste et femme de lettres française, fille de M. Alexandre Dumas père. Elle est née à Paris dans les dernières années de la Restauration. Élevée en pleine bataille romantique, elle contracta de bonne heure, dans la fréquentation des ardents chevaliers de la nouvelle croisade littéraire et artistique, des habitudes masculines qui ont souvent paru quelque peu bizarres aux Philistins de la rue d’Amsterdam, qu’elle a longtemps habitée avec son père. Adonnée d’abord à la peinture, elle s’essaya dans de grandes marines, aborda ensuite les scènes d’intérieur et les tableaux de genre ; dans ces derniers temps, elle a exécuté divers sujets religieux et même exposé, au Salon de 1865, une frise de proportions importantes. La passion des voyages et les hasards de la vie interrompirent à plusieurs reprises ses travaux artistiques, qui se distinguent par la minutie et le soin des détails. Retirée au couvent des Oiseaux, puis à celui des dames de l’Assomption, à Passy, elle a peint dans ce dernier lieu, en 1863, M. Alexandre Dumas, son père, sous les traits d’un saint du calendrier, à demi voilé par le capuchon monastique.

En 1867, Mme Marie Dumas a débuté en littérature par un roman : Au lit de mort (in-8o), livre bien étrange, dans lequel on a prétendu voir une sorte d’autobiographie. Malgré une exposition démesurément longue, de grands défauts de composition, des caractères invraisemblables, malgré un mysticisme agaçant, il attache par la passion ; quelques touches heureuses, des traits hardis, plusieurs scènes pleines de feu sont à signaler ; mais le singulier catholicisme de l’auteur laisse une impression désagréable dans l’esprit du lecteur. Hors des capucins, point de salut, pas même de confession. Par contre, le vicaire portraituré offre des lignes qu’un écrivain libre penseur eût adoucies. Quant aux bavardages mystiques répandus çà et là, le mieux est d’en sourire. Quelques paradoxes originaux émaillent cette production, qui, par ses défauts et par ses qualités, rappelle que l’auteur de Au lit de mort est fille d’Antony et sœur de la Dame aux camélias : « La pudeur chez les femmes n’est peut-être que le sentiment de l’imperfection », dit-elle quelque part. Et ailleurs : « Entrer dans un couvent, c’était moralement se brûler la cervelle, et la consécration à Dieu était le suicide sanctifié, permis aux grandes douleurs. Voyez saint Augustin, Abélard, M. de Rancé. » Recommandée par le nom paternel, signalée par une bruyante publicité, cette œuvre mystique obtint un certain succès de curiosité. En regardant un peu moins le ciel, où elle voit le dernier souffle de ses héros « se transformer en colombes », il est possible que Mme Dumas montre, un jour ou l’autre, qu’elle est digne de sa race. Peut-être alors aurons-nous d’elle un vrai et beau livre.


DUMAS (Jean-Baptiste), un des plus illustres chimistes du XIXe siècle, né à Alais (Gard) en 1800. Comme beaucoup de chimistes illustres, comme Scheele, comme Gerhardt, comme Balard, il débuta par la pharmacie, qu’il étudia de bonne heure dans sa ville natale. Les circonstances le conduisirent ensuite à Genève, où il perfectionna notamment son éducation scientifique dans le commerce de la botanique et de la médecine, qu’il cultivait concurremment avec la chimie. De Candolle et Prévost le remarquèrent. Ce dernier l’associa même à ses travaux sur la génération et sur la physiologie du système nerveux, travaux qui sont restés célèbres. À la fin de 1821, M. Dumas vint se fixer à Paris, où il apportait à Thenard plusieurs lettres de recommandation. Son ardeur, ses aptitudes scientifiques et sa vivacité intellectuelle frappèrent le maître, sur les instances duquel l’heureux jeune homme fut bientôt nommé répétiteur à l’École polytechnique et professeur à l’Athénée. Bien plus M. Dumas se maria, à peine âgé de vingt-cinq ans, avec Mlle  Brongniart, fille de l’illustre et actif minéralogiste dont le crédit était alors si considérable. Un pareil mariage était une assurance d’avenir. M. Dumas profita des avantages de toute sorte que lui offrait sa nouvelle position, c’est-à-dire un entourage d’élite, des ressources nombreuses pour le travail, et ce fut pour lui un engagement permanent à s’élever plus haut. Thenard avait dit, en présentant M. Dumas à la famille Brongniart : « Je réponds de lui. » Ces espérances ne furent point démenties, car dès 1826 M. Dumas adressait à l’Académie des sciences les beaux travaux que nous mentionnerons plus loin. La série de ces travaux s’augmenta désormais dans une proportion croissante par le nombre et par l’intérêt. En 1832, M. Dumas fut nommé membre de l’Académie des sciences ; puis successivement professeur à la Faculté des sciences de Paris, à la Faculté de médecine et au Collège de France. C’est à la même époque qu’il fonda l’École centrale des arts et manufactures, destinée à un si brillant avenir. En 1840, M. Dumas se trouvait être le chimiste le plus célèbre, le plus accrédité et le plus fortuné de son pays. Toutes les faveurs que donnent la science et la popularité, il les avait. Les honneurs politiques l’attendaient. Jusqu’en 1849 il avait été appelé officieusement dans les commissions de la Chambre des députés pour y aider à l’étude des projets de loi relatifs à la refonte des monnaies de billon, aux papiers timbrés, à la falsification des actes publics, à l’impôt sur le sel, sur le sucre, etc. À cette époque, il fut envoyé à l’Assemblée législative, où il se montra très-dévoué à l’autorité et aux intérêts du prince-président. Chargé, au mois d’octobre 1850, du portefeuille de l’agriculture et du commerce, il ne le conserva que trois mois ; mais, après le coup d’État, il fut un des premiers sénateurs nommés. Depuis son entrée au Sénat, par une modestie difficile à comprendre ou par une prudence plus concevable, M. Dumas s’était abstenu de toucher aux questions politiques proprement dites. En pareille matière, il ne discutait pas et votait sans hésiter avec le gouvernement, sachant bien que c’est là le meilleur moyen de conserver certaine influence. Il n’aborda la discussion que dans les questions industrielles, commerciales ou scientifiques. C’est là, sur son terrain, qu’il se meut avec une aisance remarquable et qu’il trouve de temps à autre l’occasion de prononcer des discours aussi éclatants par la forme que justes dans le fond. La fameuse pétition envoyée en 1865 par des homœopathes, réclamant plus de liberté pour la diffusion de leurs pratiques charlatanesques, donna lieu de sa part à un morceau de véritable éloquence. Cependant M. Dumas n’est pas né avec le don de la parole, et si l’on peut aujourd’hui dire de lui qu’il est un orateur accompli, il faut ajouter qu’il l’est devenu à force d’études, de soins et de persévérance. Chargé, en 1825, de l’enseignement de la chimie à l’Athénée de Paris, en remplacement de Robiquet, ses débuts ne furent pas ceux d’un homme destiné à charmer plus tard les auditeurs nombreux et difficiles qui lui étaient réservés en de plus illustres enceintes. Sa parole embarrassée, pénible, lourde et incorrecte, n’avait aucune sorte d’attrait. À l’inverse de beaucoup de savants, qui négligent ce puissant moyen d’action, ce talent qui rehausse d’une façon brillante tous les autres, M. Dumas résolut d’apprendre à parler. Je ne sais s’il y employa autant de zèle que Démosthène ; ce qu’il y a de positif, c’est qu’il réussit à se perfectionner notablement ; pas tout d’un coup pourtant :en cessant d’être pesant, diffus et gauche, il tomba dans l’excès contraire et devint un professeur emphatique, prétentieux, recherché, posant un peu, je dirais même bel esprit si ce mot n’était réservé pour un autre genre d’affectation. Heureusement ces défauts de la seconde heure devaient disparaître comme ceux de la première, et c’est aujourd’hui un plaisir d’entendre M. Dumas ; un plaisir dans lequel il entre du dilettantisme, tant il y a d’harmonie et de justesse dans ces phrases aisées, fines, mesurées, habilement et élégamment tournées, d’une clarté singulière et souvent éloquentes. Elles ne sont pas toujours improvisées ni spontanées, on le sent bien ; mais n’est-ce rien que de bien parler, même après une préparation ?

M. Dumas, avons-nous dit, a professé la chimie à l’École centrale des arts et manufactures dont il est un des fondateurs, au Collège de France, à la Faculté des sciences et à la Faculté de médecine de Paris. C’est à ce dernier établissement que son enseignement a eu le plus d’éclat et le plus de succès, ce qui tient à deux causes notoires. D’abord les étudiants en médecins viennent écouter leurs maîtres de chimie, ensuite il y a lieu pour ces maîtres à de vastes et intéressants rapprochements avec l’art de guérir, et à de précieuses indications touchant les phénomènes les plus cachés de l’organisation. Dans les autres cours de chimie, il n’y a pas d’auditeurs et l’enseignement tout théorique n’y diffère guère de ce qu’on trouve dans les livres. L’industrie française a largement profité des excellentes leçons de M. Dumas à l’École centrale, cela va sans dire, mais là encore la partie importante de l’enseignement se donne au laboratoire ; il n’en reste pas moins vrai que M. Dumas est, avec Ortila, Thenard et Fourcroy, un des premiers professeurs de chimie de notre temps. Le style de M. Dumas n’a pas eu à subir les mêmes évolutions que sa parole, et il nous confirme dans cette opinion que la parole et le style sont loin d’aller toujours de pair chez un même homme. Du premier coup M. Dumas a bien écrit, si l’on compare, du moins, la langue qu’il parle à celle dont se servent les autres chimistes. Aujourd’hui son style est ample, magistral, élevé.

Passons maintenant à l’esprit de M. Dumas. L’esprit d’un homme n’est pas autre chose que sa manière habituelle de penser, l’allure caractéristique qui se retrouve dans tous ses actes, dans tous ses écrits et dans tous ses propos. Or l’esprit de M. Dumas se résume dans une ambition excessive et dans l’envie impérieuse de dominer partout. Disons tout de suite que cette ambition n’a rien de vulgaire et que les mobiles en sont toujours élevés, de même que cette envie n’a rien de mesquin ni de dissimulé. Depuis le premier jour où il a été lancé dans le tourbillon de l’enseignement et du monde scientifique, M. Dumas n’a cessé d’y déployer tous les talents et toutes les habiletés nécessaires pour s’y faire une place de plus en plus grande. Le jour où il a pu se proclamer maître, il s’est fait appeler maître. Il a rendu service à ses élèves, les a poussés et en a fait des partisans. Tous ont vanté la bienveillance de ses manières et la puissance de son patronage. À vrai dire, il importe peu qu’il les ait patronnés pour eux ou pour lui, du moment qu’il leur a rendu service ; mais, comme tous les esprits ambitieux et dominateurs, il n’a point patronné tout le monde. Il s’est montré favorable aux élèves soumis et aux disciples révérencieux, tandis que les natures indépendantes, rebelles, personnelles, ont pu s’apercevoir du côté ombrageux de sa nature et ont dû en souffrir plus d’une fois. Laurent et Gerhardt sont là pour en témoigner, ou du moins leur souvenir est là, car eux, pauvres martyrs, lutteurs sacrifiés dans le noble combat de la science, sont morts avant l’âge, victimes de leur amour pour cette science et de l’indépendance de leur grand caractère. C’est l’amour de la domination et de la supériorité qui a poussé M. Dumas vers la carrière politique, qui lui fait rechercher la société des gens les plus influents. Dans la discussion que l’éminent chimiste a eue, en 1858 et en 1850, avec M. Despretz, au sujet de la nature des corps simples, on a eu dans le langage insolent, prétentieux et suffisant de M. Dumas, opposé à l’argumentation courtoise et mesurée de son confrère, une preuve des habitudes que donne l’esprit dominateur. L’esprit dominateur se traduit dans la science par l’entêtement ; et M. Dumas est entêté plus que qui que ce soit dans ses idées. Il ne fera aucune concession aux idées modernes ni aucune grâce aux hommes qui les défendent ; non qu’il soit malveillant ou intolérant, mais il manifestera en toute occurrence, sous des dehors le plus souvent ironiques, le peu de sympathie que lui inspirent telles ou telles théories à l’instauration desquelles il n’a pas contribué, tel ou tel livre en désaccord avec sa manière de voir, manière vieillie, surannée puisqu’il ne se tient plus au courant de la science ; car, pour ses fonctions politiques, il a depuis longtemps déserté l’enseignement et malheureusement aussi la science, il quitta d’abord l’École centrale et le Collège de France, puis en 1849 l’École de médecine, où M. Wurtz le remplaça, et peu après la Faculté des sciences, où M. Sainte-Claire Deville a été chargé, à titre de suppléant, de continuer son enseignement. Il serait trop long d’énumérer les titres et les fonctions de M. Dumas. Il est de toutes les Académies, de toutes les commissions et de tous les ordres du monde, grand-croix de la Légion d’honneur, membre de l’Institut, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences depuis la mort de M. Flourens (1868), membre du conseil supérieur de l’instruction publique ; il était naguère encore président du conseil municipal de Paris, etc. Bref, c’est une des notabilités les plus considérables de notre époque.

Les travaux de M. Dumas ont fait avancer toutes les parties de la chimie, la chimie organique et—la chimie minérale. Les plus importants sont relatifs à l’étude complète de l’alcool amylique, qui fut pour M. Dumas le point de départ de considérations très-fécondes sur l’ensemble des alcools ; à la découverte de l’oxamide, qui est le type d’une classe de corps extrêmement importante en chimie organique. M. Dumas découvrit le premier tes anomalies curieuses que présente la densité de la vapeur de soufre lorsqu’on en élève graduellement la température, et joignit à ce travail de belles études sur les densités de vapeur d’autres corps simples et composés. Ses recherches sur la substitution du chlore à l’hydrogène et réciproquement dans les substances organiques lui donnèrent l’idée de la loi des substitutions, qui a renouvelé la chimie organique et où l’on trouve le germe des développements si importants qui devaient surgir plus tard. La composition précise et définitive de l’air et de l’eau n’a été établie d’une manière péremptoire que par les minutieuses recherches du chimiste éminent dont nous analysons ici l’œuvre. L’équivalent du carbone n’a été fixé que par ses longues et laborieuses investigations, et c’est de nos jours qu’on a pu voir clairement les liens qui unissent les équivalents des différents corps simples, grâce aux disquisitions délicates et clairvoyantes de M. Dumas à ce sujet, disquisitions appuyées sur des expériences nombreuses et souvent répétées.

En collaboration soit avec M. Boussingault, soit avec M. Peligot, soit avec M. Cahours, M. Dumas a élucidé une foule de questions importantes sur lesquelles nous ne pouvons pas insister ici. Disons seulement qu’il a découvert presque tout ce que l’on sait relativement à l’indigo, qu’il a exécuté de nombreuses analyses des matières albuminoïdes, qu’il a fait connaître beaucoup de vérités afférentes à la chimie physiologique, et enfin que la philosophie chimique lui doit une impulsion notable. Toute sa vie il a été l’homme de théorie et a eu souci des notions générales par lesquelles la science s’ordonne et s’illumine. Dédaignant l’empirisme et l’industrialisme, ne désirant que la lumière du vrai et l’amélioration sérieuse des procédés de l’art, il a compris que le meilleur moyen d’arriver au but est de constituer une science puissante, et qu’il n’y a de science puissante que dans la théorie. De là sont nés ses travaux théoriques, sa classification des métalloïdes, sa loi des substitutions, sa doctrine des types et ses attaques contre la fausse théorie du dualisme. Les Mémoires de M. Dumas sur les types sont les plus remarquables qu’il ait écrits. On y sent la main d’un maître. Ramener les combinaisons chimiques à un certain nombre de moules suprêmes, de formes primordiales dont elles dérivent toutes par des substitutions de diverses natures et des altérations régulièrement déterminées, voilà certes une grande idée, que la science contemporaine n’a point rejetée et dont elle profite largement. En 1869, la Société de chimie de Londres a décerné à M. Dumas la médaille d’or qu’elle a instituée pour honorer la mémoire de Faraday. C’est la première fois qu’un Français est honoré de cette distinction.

M. Dumas a publié, de 1828 à 1840, un grand Traité de chimie appliquée aux arts (6 vol. in-8o, avec planches), qui a été lu, étudié et consulté par des milliers de chimistes et d’industriels. Aussi remarquable par la sûreté des informations et la précision des données que par la bonne ordonnance des matériaux et l’extraordinaire clarté du style, ce livre a eu un grand succès. Malheureusement, il vieillit comme tous les livres de science, que rien ne saurait préserver de la caducité. Le Précis de chimie physiologique et médicale et

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