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puis celui de Bréda... Toutefois, quelques villes restent encore debout, entre autres Tournay, des plus redoutées de l’ennemi, moins encore à cause des remparts qui l’entouraient que parce que l’homme qui la commandait était renommé par ses talents militaires autant que par sa bravoure ; il était, en outre, l’ami particulier de Guillaume de Nassau : c’était le prince d’Espinoy. Comprenant néanmoins qu’il ne pourrait résister longtemps aux assiégeants, il sortit avec la meilleure partie de la garnison pour aller fortifier Saint-Gilhain. Mais, en partant, il confia la défense de la ville {défense déses Eérée) à la princesse, sa femme, qui répondit éroïquement à sa confiance,

Le siège fut long ; il dura du 4 octobre au dernier jour de novembre ; il fut meurtrier, acharné : Maximilien de Longueval, le seigneur de Glacion, bien d’autres grands d’Espagne et militaires fameux y trouvèrent la mort. Cependant le courage dût céder au nombre ; la ville de Tournay capitula. La princesse d’Espinoy seule avait conduit la défense ; sans trêve, sans repos, sans faiblesse, durant près de deux mois elle avait lutté, disputé pied à pied le terrain à l’ennemi ; tantôt dirigeant les travaux en véritable ingénieur, en intelligent tacticien ; tantôt, 1 épée à la main, sur la brèche, au plus fort de la mêlée. Un jour, elle est blessée au bras ; elle bande la plaie et continue le- cornbat.

Lorsque les Espagnols apprirent qu’ils n’avaient pas eu affaireau prince d Espinoy, mais à une femme, loin’d’être froissés en leur orgueil, ils furent saisis d’admiration, et c’est en considération de celle qui les avait tenus en échec, qui avait failli les vaincre, qu’ils accordèrent aux vaincus une capitulation honorable.

La princesse d’Espinoy est peu et môme point connue. Son nom, celui d’une héroïne cependant, ne figure dans aucun dictionnaire biographique (Didot, Michaud, etc.). Moréri n’en dit rien. Pourquoi ? Le voici peut-être.

Jean Cousin, le plus ancien historien de Tournay (Histoire de Tournay, Douai, 1G20, 4 vol. in-4o), raconte, tout le long de quatre pages, le siège mémorable que nous venons de rappeler ; il compte avec une sorte de complaisance peu chrétienne et peu patriotique le nombre des assauts, celui des morts, il note même que « par grand malheur fut brisée unei.vitre de Notre-Dame, » mais du prince d’Espinoy à peine une ligne dédaigneuse, et de la princesse sa femme, pas un traître mot. C’est que Jean Cousin était prêtre, était chanoine de la cathédrale de Tournay, et que, avec presque tout le clergé de cette ville, il avait trahi son pays, s’était vendu à Phi- ■ lippe II ; il le raconte lui-même, le saint homme. Et puis, quand il écrivait son histoire, Alexandre Farnèse gouvernait encore, et sans doute il s’imagina qu’il ne plairait pas au vainqueur d’entendre 1 éloge des vaincus. Voilà donc le secret du silence du pieux chanoine de la cathédrale de Tournay au sujet do la princesse d’Espinoy.

La princesse d’Espinoy n’en est pas moins, non pas la Jeanne Darc— il n’y a qu’une Jeanne Darc — mais la Jeanne Hachette de la Belgique, et la ville de Tournay lut devait bien une statue de bronze sur sa grande place.

ESPINOY (Philippe de L’), vicomte de Térouanne et seigneur de La Chapelle, historien . flamand, né à Gand vers 1552, mort vers 1G33. Il était fils d’un jurisconsulte distingué, Charles de L’Espinoy. Après avoir suivi la carrière des armes, il se retira du service pour se livrer tout entier aux travaux historiques. Il a écrit : Recherches des antiquités et noblesse de Flandres (Douai, 1631, in-fol.) ; Prélais, barons, chevaliers, escuiers, villes, franchises et officiers de ceste illustre duchée de Brabant (Gand, 1028, in-4«), et un grand nombre de généalogies.

ESPION, IONNE s. (è-spi-on, i-o-ne — pour l’étym., v. la partie encycl.) Art. milit. Personne qui se glisse parmi les troupes ennemies, pour étudier leur situation et surprendre le secret des intentions de leurs chefs : Payer des espions. Envoyer des espions. Prendre et fusiller un espion. Autrefois, aux temps de troubles, les espions se déguisaient en trouvères ; c’était la harpe à la main qu’ils étudiaient les dispositions et le nombre des ennemis. (A. Achard.) Il Espion double, Espion qui sert a la fois les deux partis.

— Par anal. Agent secret de la police, chargé d’épier les actes et les discours des personnes qui lui sont désignées : Quand les espions n’ont rien découvert, ils inventent. (B.

— Const.) Le batteur de pavé ne se sert jamais de voitures ; aussi use-t-il plus de souliers qu’un espion de police ou un facteur de la petite poste. (Audiffret.)

... De tous les emplois, le plus lâche aujourd’hui Est d’être l’espion des paroles d’autrui.

BOUItSAUXT.

— Par ext. Personne qui guette, épie ce qui se fait ou se dit, qui cherche à surprendre les secrets d’autrui, dans un but d’intérêt ou de malignité : Un espion de collège. Je ne veux point avoir un espion qui furète de tous eûtes pour voir s’il n’y a rien à voler. (Mol.)

— En bonne part, Personne qui épie quelqu’un ou quelque chose dans un but honnête : Aussitôt AT. Colbert, gui avait des espions

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pour découvrir le mérite caché ou naissant, déterra M. Rolle dans l’extrême obscurité où il vivait. (Foxiten.) Elle en avait fait un vertueux espion, chargé de découvrir les endroits où il y avait une souffrance à calmer, une misère à adoucir, (Balz.)

— Miroir que, dans certaines contrées, on pose sur le rebord de sa fenêtre dans une position inclinée, afin’que, l’image des gens qui entrent dans la maison venant s’y réfléchir, on soit averti de leur arrivée : L’usage des espions est assez répandu en Angleterre.

— ; Fam. Ne pas se ruiner en espions, Être très-mal informé, il Tromper l’espion, Dérouter par un langage calculé, par une conduite habile, les gens par qui l’on est surveillé, espionné.

— Ornith. Espèce de merle d’Afrique, qui est très-rusé, tl On l’appelle aussi espionmeur.

— Encycl. Linguist. Ce mot se rattache directement au germanique, ancien haut allemand spehon, épier, et remonte assurément aux premiers temps de la race. C’est ce que prouve le groupe des noms de l’espion qui s’est maintenu en sanscrit comme dans plusieurs langues européennes. Le sanscrit spaça, espion, émissaire, agent secret, vient do spaç, proprement toucher, puis, "d’après Wilsori, informer, rendre clair, évident, d’où spashla, manifeste, évident, comme nous disons : ce qui se touche du doigt. La forme paç, qui y tient de près, a pris le sens de voir, et fournit quelques temps à la racine irrégulièro darc, voir. En grec, spaç devient skep, par inversion, pour spefc ; skeptomai, je considère, je regarde au loin, et à spaça répond skopos, espion, gardien, d’où skopeà, j’épie, je surveille, qui nous a fourni notre mot évêque, episcopus. Le corrélatif latin spex ne s’emploie qu’en composition dans auspex, aruspex, etc., et le nom de l’espion, speculator, se rattache, à speculari, de spécula, et de spt-cio, specto, en sanscrit spaç. L’ancien allemand spehari, espion, speha, exploration, spehon, épier, spahi, circonspect, sage, spahida, sagesse, prudence ; le Scandinave spâ, tirer les présages, spakr, prudent, sage, etc., font présumer un verbe gothique spaihnn, spah, spèhun. C’est du germanique qù est provenu 1 italien spia ; espagnol espia, exactement notre espie, espion ; anglais spy, ainsi que le cymrique yspiwz ; armoricain spier, et l’irlandais erse spin, espion, tandis que le cymrique peithiwz, de peitltiaw, yspeithiaw, paith, vue, aspect, parait se rattacher au latin specto. M. Pictet, auteur de tous ces ingénieux rapprochements, ne sait si le polonais szpieg, et le lithuanien spegas, espion, sont indigènes ou empruntés au germanique.

— Hist. V. ESPIONNAGE.


Espion (L’), roman anglo-américain de Fenimore Cooper (1821), qui a été traduit en français, notamment par Defauconpret, et dans la plupart des autres langues, même en persan. Ce fut le second roman de cet auteur aujourd’hui si populaire, et le premier de toute la série qu’il a consacrée à là guerre de l’indépendance américaine. Cooper a su élever

l’intérêt de son livre à la hauteur du grand événement dont il a peint, sous les plus vives couleurs, un des mille épisodes ; il y a montré, comme Walter Scott, le plus grand art à rattacher la réalité à la Action. Le colporteur Hervey Birch, l’espion, est un héros ; un autre personnage, le capitaine virginien Lawston, est aussi très-heureusement peint ; mais tous les autres ne sont guère que des comparses, même Washington, qui apparaît un moment, dans une scène capitale. La lumière est concentrée tout entière sur Hervey Birch ; c’est pour Washington qu’il espionne : subjugué par l’ascendant de cet homme supérieur, il a renoncé pour le servir à l’estime de ses amis, de ses proches, il en a fait le dieu de sa conscience. Dévoué à une cause qui purifie bien des actions, la liberté de son pays, -le pauvre colporteur vit en paix avec lui-même : il a le suffrage de Washington. Seulement, quand le malheur est plus fort que son courage, quand il se voit repoussé par ses concitoyens comme une bête immonde, quand il n’a plus dans sa patrie un asile où il puisse reposer une heure sans danger, à se plaint avec une mélancolique résignation à’un être absent ; il murmure à voix basse ce mot mystérieux : Lui. S’il osait nommer Washington, il retrouverait la réputation et le repos, mais sa mission est de mourir déshonoré ; il doit tenir cachée jusqu’à sa mort une lettre qui lui rend l’honneur, et qu’on ne lira qu’à côté de son cadavre. Trente ans après cette première guerre, alors que l’Amérique est libre et florissante, Washington étant prématurément descendu dans la tombe, .Hervey Birch, essayant de faire un prisonnier et de rendre un dernier service à son pays, tombe frappé d’un coup mortel ; on découvre alors sur son sein une petite botte de plomb qui renfermait la lettre de Washington, et trois ou quatre témoins surent que le colporteur était mort comme Al avait vécu, dévoué à sa patrie et martyr de là liberté.

On trouve dans ce récit ces mâles accents patriotiques qui, plus que son talent peut-être, ont contribué à rendre Cooper populaire aux États-Unis.


ESPIONNAGE s. m. (è-spi-o-na-je — rad. espionner). Action d’espionner, métier d’espion : ^’espionnage serait peut-être tolérable s’il pouvait être exercé par d’honnêtes gens.

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(Montesq.) De /’espionnage à la provocation, l’intervalle est court et le chemin glissant. (Guizot.) Tout pouvoir qui se sert de J’bspionnage s’avilit lui-même. (Mme L. Colet.) Il Surveillance secrète et désobligeante : Etablir ^’espionnage dans sa maison, il On dit quelfois espionnement.

— Encycl. Hist. Observer dans ses moindres détails la situation d’un homme auprès duquel un titre faux vous accrédite, vous glisser dans son intimité, provoquer s’il est possible ses confidences ; puis aller tout reporter, tout vendre à qui vous a chargé de cette mission honteuse, tel est l’espionnage, tel est le rôle, nous dirions presque le devoir de l’espion. L’espion, en effet, agit toujours d’une manière occulte : la feinte et l’hypocrisie sont ses deux qualités essentielles et les deux garanties de îa bonne exécution des ordres qu’il a reçus. De bonne heure" les hommes eurent recours à l’espionnage, reconnaissant ainsi l’insuffisance des moyens loyaux, des relations sincères d’homme a homme, de

euple à peupla, de famille à famille. Avec e premier meurtre naquit la guerre, et avec la guerre le désir de surprendre son ennemi pour l’écraser plus sûrement : de ce désir naquit à son tour l’espionnage. Cet acte, condamné par tous, et dont personne peut-être n’oserait prendre sur lui de prononcer la suppression définitive, est mentionné pour la première fois dans la Bible. On y voit, en effet, Joseph, ministre de Pharaon, retenir ses frères sous le prétexte qu’ils sont des espions. Les Romains, dans leurs armées, se servaient également d’espions, et l’on sait que Néron et Caligula en eurent, pour ainsi aire, une armée invisible. Plus tard, au moyen âge, Alfred le Grand lui-même ne craignit pas de revêtir un costume de barde, de prendre une harpe, et, dans cet équipage, d’aller saisir les secrets du camp ennemi. Il dut à ce stratagème, qui n’était que de l’espionnage, de remporter une victoire définitive et de remonter sur le trône d’Angleterre. Alfred le Grand, il est vrai, travaillait pour lui-même et courait un danger terrible s’il était reconnu. § on cas doit donc être classé à part dans l’espionnage, ordinairement vil et honteux. La chevalerie, tout en dédaignant les espions par fierté, ne les Connut pas moins ; enfin, au xvie siècle, les gouvernements organisèrent définitivement, non-seulement l’espionnage de guerre, mais l’espionnage de l’intérieur pour faciliter aux magistrats la connaissance des propos tenus contre le roi, ou la reine, ou les ministres. Les guerres de religion virent foisonner les espions de toute nature ; parfois même un huguenot d’un rang élevé ne dédaigna pas, dans l’espoir de venger ses frères massacrés, d’endosser un déguisement et d’aller, comme Alfred le Grand, surprendre les secrets du camp ennemi. Enfin, au xvue siècle, on jugera des progrès que l’espionnage avait accomplis, par ce mot de l’historien contemporain Strada : « Les espions sont les oreilles et les yeux de ceux qui gouvernent. » Il est impossible de mieux poser en principe la quasi-légitimité de l’observation occulte, au profit des chefs de nations. Richelieu fut le premier qui donna à ce principe son application la plus terrible. Sous ses ordres, le père Joseph devint le directeur d’une affiliation d’espionnage à laquelle se rattachaient non-seulement tous les ordres religieux de France, mais encore un grand nombre de personnages de noblesse ou de bourgeoisie. Cette affiliation eut des correspondants jusqu’à l’étranger.

La police, déjà fortement organisée sous Louis XIV, trouva dans l’espionnage un puissant concours ; mais les Pontchartrain et les La Reynie furent effacés, sous Louis XV, par le trop fameux de Sartines, lieutenant de police du royaume, qui érigea l’espionnage en institution civile et lui donna une extension vraiment prodigieuse pour l’époque. Sous le gouvernement de Sartines, il y avait des espions chargés de suivre la cour, et dont l’entretien était à la charge du prévôt de l’hôtel ; il y avait des espions politiques, employés

Ïiar le ministre des affaires étrangères, et dont a mission consistait à informer ce fonctionnaire, des faits et gestes des étrangers de condition récemment arrivés à Paris, ainsi que des motifs.prôsumés de leur voyage. Il y avait enfin les espions vulgaires, les plus terribles, si on veut bien peser les lignes suivantes, extraites d’un rapport attribué au lieutenant de police de Louis XV : ■ La famille vit parmi nous sous la protection d’une renommée de vertu que la magistrature tremble de suspecter ; la famille est un répertoire de crimes, un arsenal d’infamies... L hypocrisie des fausses caresses qui s’y prodiguent a passé dans le style des soiiges-cçaux. Dans une famille de vingt personnes, la police devrait poser quarante espions. » On peut juger de ce que devait ètv&Y espionnage sous un pouvoir qui formulait un pareil verdict. Cependant, d’après les registres officiels de la police à cette époque, 1 entretien des espions seuls ne dépassait pas 20,000 livres. Aussi faut-il se hâter d’ajouter à ce chiffre celui bien plus considérable, mais inconnu, qui représentait les innombrables rétributions prélevées directement sur les académies de jeux ou sur les affaires par eux découvertes, amendes, rançons, etc.

Après Sartines, le lieutenant Berryer ne laissa pas déchoir la tradition : le premier, Berryer songea à utiliser comme espions les criminels (principalement les voleurs) en rup ESPI

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ture de ban, sous le coup dos poursuites de la police. Ces misérables, enrégimentés dans l’armée d’observation occulte, ne péchaient ordinairement que par excès de zèle ; à la moindre prévarication, le délinquant était arrêté et réintégré soit au bagne, soit à Bicètre, et, cette fois, il n’y avait pas à craindre qu’il tentât de s’échapper de nouveau, car ses anciens camarades d’espi’omi«</e lui eussent fait un mauvais parti, pour montrer leur soumission au lieutenant de police. Les cochers de place, les logeurs, les maîtresses de maisons publiques furent aussi à la même époque d’un précieux concours pour l’espionnage, définitivement organisé. Enfin, on essaya d’y faire entrer les domestiques et on y réussit plus d’une fois. Que de lettres de cachets inexpliquées prirent alors leur origine d’un mot échappé distraitement devant un valet de chambre corrompu par le lieutenant Berryer !

La Révolution essaya, non pas de supprimer l’espionnage, —elle en reconnut l’utilité, — mais de le nationaliser, $our ainsi dire. Nous trouvons, en effet, dans le Rapport du comité de ; recherches aux représentants de la Commune, rédigé par Agier père, à la date du 30 novembre 1789, le passage significatif qui suit : Nous avons été privés d’un nombre suffisant d’observateurs, espèce d’armée qui était aux ordres de l’ancienne police et dont elle faisait un si grand usage. Si tous les districts étaient bien organisés, si leurs comités étaient bien choisis et peu nombreux, nous n’aurions vraisemblablement aucun sujet do regretter la privation d’une ressource odieuse, que nos oppresseurs ont si longtemps employée contre nous. » Le rapporteur ne s’apercevait pas qu’il proposait naïvement un système de dénonciation ouverte, aux lieu et place du système ■d’espionnage occulte, et que la dénonciation ouverte n’est possible qu’après un temps plus qù moins long d’observation occulte. Néanmoins, la police de la Révolution sut se passer d’espions directs, enrégimentés et soldés, jusqu’en 1793 : les dénonciateurs officieux y suppléèrent, et au delà. Mais Robespierre ne parait pas avoir été ennemi des anciens errements, et tout semble indiquer qu’il reconnut l’utilité d’une réorganisation, complète de l’ancien système d’espionnage. Puis vint l’Empire et son préfet Fouché, qui donna à l’espionnage l’importance d’une science. Enfin, en 1812, parait la brigade de sûreté, d’abord composée de quatre agents, et qui, en 1823 et 1824, toujours sous la direction du célèbre Vidocq, en comptait jusqu’à vingt et même vingt-huit. Elle ne coûtait cependant à cette époque pas plus de 50,000 fr. par an. Le préfet de police (Delavau) lui avait permis d’établir sur la voie publique un jeu de trou-madame, et ce jeu, excellent traquenard pour les badauds et les passants, dont les fins limiers de la police espionnaient tranquillement les paroles et les gestes, produisit du 20 juillet au 4 août 1823 un bénéfice net de 4,364 fr. Ce bénéfice s’ajoutait à la subvention.

Le préfet Delavau recommença les errements du lieutenant Berryer en employant comme lui des repris de justice, qu’il réintégrait dans leur résidence dès la moindre faute. Un de ses prédécesseurs, le baron Pasquier ; avait essayé, toujours comme Berryer, d’enrégimenter les domestiques dans sa police occulte : il renouvela dans ce but une ancienne ordonnance motivée, leur enjoignant de recourir aux livrets et de les faire viser à la préfecture, chaque, fois qu’ils entraient dans une maison et chaque fois qu’ils en sortaient. Presque tous, heureusement, sentirent le but, et s’abstinrent ; cependant nous citerons plus loin un odieux épisode où un. domestique ingrat et suborné joua le principal rôle. La mesure n’eut pas d’effet général, et l’on dut renoncer à l’espionnage des familles, sur lequel on avait quelque temps compté. Delavau, qui exagéra encore, s’il est possible, les mesures de son prédécesseur Pasquier, sédédommagea complètement de cet échec en multipliant ses espions tarés et mal famés, qui, s’ils ne pouvaient pénétrer dans l’intérieur des familles, surveillaient du moins les réunions populaires et n’en laissaient échapper ni un mot ni un geste malsonnants, ’ mêlés qu’ils étaient, par leur condition, à ceux qu’ils étaient, chargés d’espionner : « Mais, dit l’historien 1 Peuchet, dans ses Mémoires tirés des archives de la police, entre le bas peuple et les subalternes de la police, il y a lutta continuelle : ce sont des chiens mal appris qui saisissent avec fureur l’occasion Je mordre. La police n’apprendra pas à respecter l’ordre tant que ses surveillants seront tirés du bagne et auront des revanches à prendre sur le tiers et le quart. Quand ces deux éléments sont en contact, ils entrent en fermentation. » On a fini, croyons-nous, par reconnaître la profonde justesse de cette remarque : déjà le successeur de Delavau, l’honorable et regretté M. de Belleyme, avait eu pour premier soin de congédier et même de réintégrer dans leurs’prisons respectives cette nuée d’espions de sac et de corde, si longtemps au" service de ses prédécesseurs. Aujourd hui, bien que le métier n’en soit guère plus relevé pour cela aux yeux do l’opinion, l’espion de police n’en est pas moins un citoyen comme un autre, jouissant de tous ses droits de Français, et qui n’obtient de la préfecture son brevet d’agent de la sûreté qu’après de minutieuses informations sur sa