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remplir le rôle d’entremetteuse, ou du moins de complaisante. Très-nombreuses sont les satires contre les papelards, la papelarderïe, le béguinage, mots très-fréquents dans la poésie de cette époque, et qui lui ont été empruntés par Rabelais. Les textes les moins irréligieux racontent des farces faites par les habitants du paradis, par son portier surtout, à quelque démon. Le plus joli fabliau, le plus original qui nous reste sur ce.singulier sujet, ’ est d’un auteur anonyme ; il a pour titre : Saint Pierre et le jongleur. Le diable, allant en tournée, confie la garde de l’enfer à un nouveau venu, ménétrier de profession, joueur passionné. Saint Pierre profite de l’absence du diable, et, s’étant muni de dés pipés, il va proposer un brelan au jongleur, lui gagne une âme damnée, puis deux, dix, cent et jusqu’à la moitié de tous les détenus de la prison infernale. Désespéré, le ménétrier fait son va-tout : il perd encore et saint Pierre emmène l’enfer entier en paradis.

D’autres sont moins édifiants ; pour s’en convaincre, il n’y a qu’à ouvrir l’œuvre de Rutebeuf et à lire au choix le Testament de l’âne, la Jeune fille déguisée en cordelier, ou bien encore la dame qui fuit

Trois tours entour lemoustier,

qui y rencontre le provoiré et parvient ensuite à tranquilliser son mari sur les causes de son absence.

Le théâtre des fabliaux est aussi bien sur la terre que dans le paradis ; ses personnages ne sont pas seulement la "Vierge, les anges, les saints, mais encore le clergé et les moines, les barons, les bourgeois et même les vilains. On peut deviner dans ces récits quelle était la condition sociale des malheureux qui composaient cette dernière classe, les laboureurs et les paysans, haïs, méprisés, opprimés ; on les voit, ces hommes qui n’étaient pas encore comptés dans le tiers état, courbés sous l’oppression et la haine de tous, même des ■ bourgeois, même des jongleurs et des ménétriers qui, pour flatter sans doute les seigneurs, épousaient leurs préjugés. Quelquefois cependant ils relèvent la tête, ils se révoltent, ils réclament leurs droits, comme dans la Vitain au buffet. Un bon seigneur avait annoncé qu’il voulait tenir cour pour tout le inonde : le vilain, décidé à prendre sa part d’une fête où les gens de tout rang étaient invités, prie le sénéchal de lui procurer un siège pour qu’il puisse manger et boire. L’avare et orgueilleux sénéchal, irrité de l’outrecuidance du manant, lui donne une bu/fe (un soufflet) et lui dit : « Assieds-toi sur ce buffet-là. » Lorsque la fête commence et que le prix proposé par le seigneur, une belle robe d écarlate, est disputé entre les ménestrels, le vilain y prétend à son tour ; et, au moment où l’on est dans l’attente de ce qu’il va faire, il donne une grande bu/fe au sénéchal. Interrogé par le seigneur, qui s’étonne de cette audace : « J’ai voulu, répond-il simplement, lui rendre son buffet. » Le comte décerne le prix à un débiteur qui s’acquitte si bien et les ménestrels applaudissent.

11 n’y a là ni beaucoup d’originalité ni. grande invention, mais le récit est vif et coloré, et ce soufflet, donné par un vilain à un puissant sénéchal, î-ésonne à nos oreilles comme le premier tintement du tocsin qui soulèvera le peuple cinq siècles plus tard.

Il est un autre petit fabliau que nous analyserons encore ; c’est celui du Vitain qui conquist paradis par plaid. « Nulle part le bon sens du vilain, avec son âpre sentiment de l’équité, n’éclata mieux, dit V. Le Clerc, que dans ce conte vraiment hardi et presque prophétique. Imbert, qui en trouve le sujet assez fou, paraît, tout en l’imitant, n’y avoir rien compris. Gudin, qui, du moins, y reconnaît un chef-d’œuvre des trouvères, a eu cependant le tort de prétendre le refaire et l’augmenter.

> Un vilain meurt, sans que diable ni ange ne s’en inquiète ; mais son âme, en regardant à droite vers le ciel, aperçoit l’archange saint Michel conduisant un élu et le suit jusqu’au paradis. Saint Pierre, après avoir laissé entrer l’élu, repousse, en jurant par eaint Guilain, l’autre âme que personne n’a recommandée :

Par saint Guilain !

Nos n’avons cure de vilain.

« Beau sire Pierre, dit l’âme éconduite, Dieu s’est bien trompé quand il vous a fait son apôtre et ensuite son portier, vous qui l’a> ^ez renié trois fois. Laissez passer plus, loyal que vous. ■> Saint Pierre, tout honteux, vient «e plaindre à son confrère saint Thomas, qui essaye à son tour de faire vider le fiaradis à l’insolent. Nouvelle boutade du viain : «Thomas, dit-il, c’est bien à toi de faire le fier, lorsque tu n’as voulu croire à Dieu qu’après avoir touché ses plaies. » Saint Thomas a recours à saint Paul, qui s’attire, en voulant se mêler de l’affaire, cette autre vérité : « N’est-ce pas vous, uom Paul le Chauve, qui avez lapidé saint Étienne et à j qui le bon Dieu a donné un grand soufnet ? » ■

Pierre, Thomas, Paul, n’ayant rien à répondre, s’en vont porter leurs plaintes à Dieu lui-même, devant qui l’accusé, le serf affranchi par la parole, se justifie et gagne sa cause. »

Chaque fablier illustre et chaque fabliau. célèbre a un article particulier dans notre Dictionnaire ; nous ne ferons donc qu’éuuraé FABL

rer en passant Levis, Rutebeuf, Basir, Audefroy le Bâtard, et leurs imitateurs plus modernes, Marguerite de Navarre, Rabelais, Verville, Desperriers, Bouchet, Pétrarque, Boccace, La Fontaine. Les poètes et conteurs du xvie et du xvuo siècle se sont évidemment inspirés d’eux ; mais il faut ajouter aussi qu’ils ont souvent remonté aux sources communes, à la littérature orientale importée par les croisés. « Avec les croisades, en effet, s’introduisirent en France le roman, les contes de chevalerie, la ballade, les géants et les enchanteurs. L’esprit, excité par cette grande épopée réelle, par la nature même des lieux ou l’on allait combattre, rapporta, avec le besoin de récits invraisemblables, une confiance religieuse en des choses surnaturelles singulièrement favorables au roman. Pour les trouvères et les professeurs de la gaie science, c’était un domaine immense à exploiter que cet Orient qui ne se révélait que par la tradition, par les produits d’un luxe inconnu et les récits des pèlerins, frères souvent des fabléors, môme lorsqu’ils montraient leurs reliques de saints. Beaucoup de nos fabliaux furent traduits dél’arabe, et s’ils ne conservèrent pas plus de couleur locale, c’est qu’alors il fallait plaire aux masses, les intéresser et non faire preuve de savoir. Autant, dit M. Raoul deCroy, il est facile, en admettant cette origine, de suivre ensuite le développement du genre romanesque, autant il

deviendrait épineux de vouloir séparer ce qui appartient aux croisades de ce qui pourrait en être indépendant. Nous voyons bien dans de vieux auteurs ce que quelques croyances superstitieuses, antérieures au xne siècle, prêtèrent aux fables qui furent racontées depuis ; mais il demeure douteux qu’alors l’omnipotence de la féerie, de ces génies doués d’une poésie si gracieuse, fils par le souvenir des druidesses celtiques, ne fut pas un article de foi plutôt qu’une occasion de plaisir. En descendant vers notre époque, au contraire, les fabliaux, tels qu’ils naquirent ensuite des conquêtes d’Orient, produisirent des résultats féconds, utiles à constnter. Racontés de château en château, ces petits posmes, tantôt rimes et pouvant servir de récitatif, tantôt ornant seulement d’une diction poétique des événements extraordinaires, devinrent, sans nul doute, la première école où se développa notre poésie. La Provence, l’Italie et l’Espagne acceptèrent nos fabliaux. »

On a contesté que Pétrarque, Boccace, La Fontaine aient emprunté, même en partie, aux fabliaux les matériaux et les modèles de leurs poëmes ou de leurs contes ; c’est du moins l’avis de Chénier dans son Discours sur l’état des lettres en France au suie siècle. Nous ne pouvons être de cet avis : Boccace est trop voisin des temps où les fabliaux se composaient, se récitaient dans les châteaux, dans les cours, dans toutes les sociétés de l’Europe occidentale, pour n’en avoir pas eu connaissance. Il était né avant la mort de Rutebeuf et de bien d’autres trouvères ;’il avait, dans sa jeunesse, fréquenté des troubadours, et peut - être même séjourné ou

voyagé en France. Il rassemblait de toutes parts les matériaux de son Décaméron ; les poëmes français qui en contenaient un grand nombre étaient alors récents et trop renommés pour qu’il n’eût pas l’envie et les moyens d’en profiter. Que sa prose les ait Surpassés et’fait oublier, ce point n’est-pas mis en doute ; mais tout nous porte à croire qu’ils lui étaient plus accessibles que les modèles primitifs, nés de l’Orient et bien éloignés depuis qu’il n’y avait plus de croisades. Après Boccace, il nous paraît infiniment probable que Sabadino et Sacchetti, qui ont écrit vers 1400, connaissaient les fabliaux des trouvères, qu’ils y ont puisé à pleines mains, et nous ne craignons pas d’en dire autant du Pogge, d’Arlotto, de Masuccio, auteurs de facéties et de contes au xve siècle. A plus forte raison croirons-nous puisées, en partie, à cette source les Cent nouvelles, écrites en prose française, à la cour de Bourgogne, avant 1450 : les.rédacteurs de ce recueil étaient à peine à un siècle et demi de distance de Rutebeuf et de Jean de Boves. La question devient plus problématique pour les nouvellistes du xvie siècle ; ceux-ci disposaient déjà du •travail de ceux du xive et du xve, et c’était un fonds assez riche pour leur suffire. Cependant il ne serait pas impossible encore que la reine de Navarre, Desperriers, Béroalde de Verville, Henri Estienne et Guillaume Bouchet aient recouru directement aux compositions des trouvères qui les avaient rimées trois cents ans auparavant. Cette remarque ne serait pas justifiée pour les Italiens Malespini, Granucci, Bandello, Doinenichi, Sansovino, Strapparola ; et elle ne pourrait atteindre ni Bebelius, ni Friochlin, ni d’autres Allemands ou Hollandais, compilateurs latins d’historiettes facétieuses, quoiqu’on retombe sans cesse, en parcourant tous ces recueils, sur des sujets traités par les trouvères. Quant à nos écrivains français du xviib siècle, ils n’avaient nul besoin et presque plus aucun moyen de remonter si haut : ils trouvaient à leur portée, et en des idiomes plus intelligibles, tous les matériaux»qu’il leur plaisait de mettre en œuvre ; Boccace et ses nombreux successeurs étaient à leur disposition. Nous ne dirons donc pas avec Caylus que Molière et La Fontaine passaient leur vie à lire et à relire les fabliaux : ces vieilles poésies, toutes manuscrites alors et enseve FABR

lies au fond’des bibliothèques, ont été à peine connues de Du Cange. et de La Monnaie, érudits de profession. Molière trouvait le Vilain Mire dans les Sérées de Bouchet, et le troisième acte de Georges Dandîn dans Boccace, bien plus aisément que dans Pierre d’Anfol, auteur du fabliau de la Femme qui, avant tort, parut avoir raison. Il faut noter, d ailleurs, qu’avant "Pierre d’Anfol ce" conte faisait déjà partie du Dolopathos, que Molière devait connaître par des versions ou imiftitions françaises du xve et du xvie siècle. Nous savons bien qu’en recherchant l’origine de plusieurs contes de La Fontaine, de Vergier et de Grécourt on remontera jusqu’aux fabliaux, et plus haut encore si Ton veut ; mais on aura rencontré sur la route tant de copies moins anciennes, qu’il sera peu raisonnable de supposer que La Fontaine ait

cherché si’loin ce qu’il trouvait tout près de lui. Le mérite des trouvères se réduit donc à avoir introduit dans notre littérature des narrations ingénieuses, presque toutes d’origine orientale, et à les avoir transmises à Boccace et aux autres conteurs antérieurs à l’année 1500, desquels nos écrivains modernes les ont reçues. Quant à la langue, ses progrès, quoique bien lents, sont sensibles dans les fabliaux : les tours y ont de la vivacité, l’expression revêt quelquefois une forme précise qu’il serait permis de regretter même aujourd’hui. Chénier a rabaissé un peu trop le3 trouvères, quand il a dit que ■ leur style est toujours sans art ; que, chez eux, la langue et la versification n’avancent point ; qu’ils ne nous offrent jamais ces vers bien tournés que l’on rencontre avec plaisir dans Thibaut, roi de Navarre, et dans Guillaume deLorris ; encore moins cette gaieté que la langue française acquérait déjà sous la plume de Jean de Meung. »

— Bibliogr. Consulter : Caytus, Mémoire sur les fabliaux, dans le tome XX des Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, p. 352 ; Cours d’histoire de ta littérature atf moyen âge, par Villemain ; Analyse du cours de M. Ampère (1839) sur les origines dénos fabliaux, dans le Journal général de l’instruction publique ; le tome XXIII de l’Histoire littéraire de la France, où M. Victor Le Clerc a consacré une intéressante notice aux fabliaux ; et aussi au tome XVI, Daunou, Discours sur l’étal des lettres.

Recueils de fabliaux : Fabliaux et contes des poètes français des xio, xne, xme, xivo et xve siècles, publiés par Et. Barbazan (Paris, 1756, 3 vol. in-12) ; Fabliaux et contes, etc., par le même, édition augmentée, revue par Méon (Paris, 1808, 4 vol. in-8°, figures) ; Recueil de fabliaux et contes inédits, par Méon (Paris, 1823, 2 vol. in-8°) ; Fabliaux ou contes, fables et romans, traduits ou extraits des manuscrits du xnc et du xine siècle, par Legrand d’Aussy (1829, 5 vol. in-S°,3e édit., figures) ; Fabliaux inédits tirés au manuscrit de la Bibliothèque royale, par A.-C.-M. Robert (Paris, 1834, in-so) ; le Fabel dou Diou d’amours, publié pour la première fois par A. Jubinal (Paris, 1834, in-8°) ; Nouveau recueil de contes, dits, fabliaux et autres pièces inédites des xnie, Xive et xve siècles, mis au jour pour la première fois par A. Jubinal (1839, in-8<>).


FABLIER s. m. (fa-bli-é — rad. fable). Auteur de fables : J/me de La Sablière disait que son fablier produisait des fables aussi naturellement qu’un poirier produit des poires. Tallemant était né anecdotier comme La Fontaine était né fablier. Il Ce mot est dû à Mme de Bouillon.

— Recueil de fables, d’apologues : Le fablier de la jeunesse. Savoir son fablier par cœur.


FABRE (della), médecin italien. V. Fabbra.


FABRE (Jean-Claude), oratorien et écrivain français, né à Paris en 1668, mort en 1753. Il’professa avec distinction la philosophie et la théologie. Il avait une extrême facilité et une mémoire étonnante, mais il*nanquait d’esprit critique et de goût. On a de lui : Generalis Diction, latino - gallici Epilome (Lyon, 1715, in-8°) ; Entreliens de Christine et de Pélagie (Douai, 1717) ; une continuation de l’Histoire ecclésiastique de l’abbé Fleury (Paris, 1734, 16 vol. in-4<>), etc.


FABRE (Pierre), chirurgien français, né à Tarascon en 1716, mort vers 1791. Il devint, en 1751, membre de la Société académique des chirurgiens de Paris, et publia plusieurs ouvrages, dont les principaux sont : Traité des maladies vénériennes (Paris, 1758) ; Recherches sur la nature de l’homme, considéré dans l’état de santé et dans l’état de maladie (Paris, 1776, in-s°) ; Essais sur les facultés de l’âme, considérées dans leurs rapports avec la sensibilité et l’irritabilité de nos organes (Paris, 1785) ; Recherches sur les vrais principes de l’art de guérir (Paris, 1790, in-s°).


FABRE (Jean), dit l’Honnête criminel, protestant, célèbre par son amour filial, né à Nîmes en 1727, mort à Cette le 31 mai S797. Ils’occupait avec quelque succès delà fabrication des bas de soie, et, après une attente de quatorze années, son mariage avec une de ses proches parentes allait enfin s’accomplir lorsqu’il fut victime de la catastrophe qui devait donner à son nom une si touchante célébrité. Après la révocation de l’édit de Nantes, les huguenots, chassés do leurs temples, transportèrent dans lesVïhamps le léger

FABR

matériel de leur culte et donnèrent le nom de désert aux lieux écartés qui leur servaient de sanctuaire. Les familles- réformées de Nîmes s’étaient donné rendez-vous le l«r janvier 1756 au désert, pour consacrer à Dieu une nouvelle année de périls, d’abnégation et de courage. L’assemblée était formée à peine quand elle fut surprise par les soldats de Louis XV ; chacun cherche son salut dans la fuite. Jean Fabre, alors âgé de vingt-neuf ans, se trouve bientôt en lieu de sûreté ; mais, regardant autour de lui et n’apercevant pas son vieux père, il revient sur ses pas, et, le voyant prisonnier, se jette au milieu des sotdats, supplie le vieillard de lui céder sa place, sur ses refus le saisit à bras-le-corps, et, à deux reprises, l’arrache malgré lui à «es gardiens. Le sergent qui commandait le détachement accorde au fils, comme une faveur signalée, l’autorisation de prendre la place du père, ■pendant que ce dernier, âgé de soixante-dix-huit ans, est emmené de force par quelques amis. Jean Fabre resta donc entre les mains des soldats avec un ami de son père, nommé Jean Turges, arrêté pour le même crime, et sa première action lut de calmer quelques protestants indignés qui s’armaient de pierres et menaçaient de les jeter aux soldats si leurs deuxprisonniersn’étaientdélivrés. « C’étaient là, dit M. le pasteur A. Coquerel fils, des manifestations imprudentes, auxquelles les troupes répondaient par des décharges de mousqueterie, et qui, dans les mémoires envoyés à Versailles, faisaient accuser les assemblées protestantes de révolte à main armée. » Jean ■ Fabre fut écouté de ses coreligionnaires, qui cessèrent toute résistance et laissèrent conduire les deux captifs à la citadelle. Le dévouement de Fabre n’était pas sans exemple parmi les huguenots, mais il ne réussit pas toujours si bien. Peu de mois auparavant, " près de Clairac, un jeune homme appelé Bareire avait essayé en vain de remplacer son vieux père entre les mains des dragons du roi. Un soldat impatienté répondit à ses instances en le tuant d’un coup de fusil. Jean Fabre, après avoir langui plus de deux mois dans les prisons, fut traduit à Montpellier devant le duc de Mirepoix, commandant en chef la province du Languedoc. Déjà le nom du forçat volontaire était dans toutes les bouches. Le duc imagina d’exploiter contre les protestants eux-mêmes l’attendrissement général. Il offrit à Fabre et à Jean Turges, condamnés aux galères à perpétuité par jugement du 12 mars 1756, leur grâce entière, à condition que Paul Rabaut, l’infatigable pasteur du désert, le chef vénéré des protestants de France, consentirait à sortir duroyaume. Ce piège ne réussit point. Les grâces auxquelles M. de Mirepoix mettait un tel prix furent froidement refusées. Jean Fabre et son compagnon endossèrent don’c la livrée du crime, frétait ainsi que, au nom d’une religion de paix et de miséricorde, les catholiques traitaient alors leurs frères ; c’était ainsi qu’ils prétendaient leur faire franchir le peu dé distance qui sépare leurs.dogmes des dogmes catholiques.

Au bagne de Toulon, de dures épreuves attendaient le fils héroïque ; le comte de Saint-Florentin, alors ministre de Louis XV, donna les ordres les plus sévères contre lui, et menaça d’une prompte disgrâce ceux des officiers de la marine qui s’étaient empressés d’adoucir le sort de ce malheureux. Ce ministre, qui croyait encore parvenir à convertir tous les Français à la religion du roi, s’irritait de la renommée de Jean Fabre et du retentissement qu’obtenait sa noble action, « Il semble avoir pris à tâche de donner le change à l’opinion, dit M. Coquerel, et d’écraser sous son despotisme dédaigneux le forçat dont on parlait trop et dont les souffrances imméritées attendrissaient trop les cœurs. L’instinct et l’expérience consommée de ce tyran subalterne ne le trompaient point. L’admiration, l’émotion qu’inspira Fabre servirent puissamment ces deux objets des haines invétérées de Saint-Florentin, l’Église prétendue réformée et la liberté de conscience. « Plus de six années se passèrent, pendant lesquelles sa famille, ses amis, ses coreligionnaires ne cessèrent de solliciter la grâce de Jean Fabre, toujours refusée par l’inflexible Saint-Florentin. Le duc de Choiseul, ministre de la marine, fut enfin instruit de l’histoire du galérien. Plus juste et plus humain que son collègue, il s’empressa de briser ses fers par un brevet de congé qu’il présenta à la signature du roi le 13 mai 1762. Le 22 du mime mois, Jean Fabre vit s’ouvrir devant lui les portes du bagne de Toulon. Il devait ce brevet de congé à l’intervention d’un des frères Johannot, négociants protestants réfugiés àFrancfort-sur-le-Mein, ancêtres de deux autres frères du même nom, Alfred et Tony Johannot, célèbres de nos jours comme peintres et dessinateurs. Saint-Florentin, à 1 insu de qui le congé de Fabre avait été obtenu, irrité de cette indulgence, ne trouva rien de mieux, pour en diminuer le retentissement, que de gracier lui-même le compagnon de Fabre, Jean Turges, comme s’il eut reconnu quelque défaut de forme ou quelque méprise dans la double arrestation du l" janvier 1756. L’irritation du ministre vint à la connaissance de Fabre, qui dut se cacher et retarder encore son mariage, que les événements avaient si cruellement empêché jusque-là. Le manque de ressources et la position précaire du forçat, qui se trouvait en dehors de