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sus de la têta des autres ; mais les bancs s’élevaient en gradins, comme les degrés d’un escalier,

> Les Erythréens furent les premiers qui placèrent un double rang de rames ; Aménoclès, dit-on, en ajouta un troisième {Clément d’Alexandrie dit que ce furent les Sidoniens) ; Aristotélès, le Carthaginois, un quatrième ; Nésichton, d’après Pline, ou Denys lo Sicilien, d’après Diodore, un cinquième ; Xénagorus, de Syracuse, un sixième ; Nésigiton accrut le nombre des rangs jusqu’à dix ; Alexandre le Grand le porta à douze ; Ptolémée Soter à quinze ; Philippe, père de Persée, à seize ; Démétrius, fils d’Antigonus, bâtit un vaisseau à trente rangs de rames.

■ Ptolémée Philopator, mû par le désir de surpasser tout ce qu’on avait fait avant lui, augmenta, dit-on, le nombre des bancs de rames jusqu’à quarante. Le vaisseau qu’il fit construire à cet effet avait des proportions telles que, de loin, on le prenait pour une lie flottante, et, de près, pour un immense château bâti sur la mer. Sa longueur était de 280 coudées, sa largeur de 38 et sa hauteur de 48. Il portait 400 rameurs, 400 matelots pour la manœuvre des voiles et 3,000 soldats. Le même prince fit construire, pour naviguer sur le Nil, un vaisseau qui avait un stade en longueur. Cependant ces deux navires gigantesques n’étaient rien en comparaison du vaisseau de Hiéron, construit sous la direction d’Archimède, et dont la description a fourni à Moschion la matière d’un volume entier.

« Suivant cet auteur, on avait employé pour le bâtir autant de bois qu’il en eût fallu pour cinquante galères ordinaires. Il renfermait une grande variété d’appartements, des salles de banquets, des salles de bains, une bibliothèque, des jardins, des étangs remplis de poissons, des écuries et même un temple dédié à Vénus. Les lambris des principaux appartements étaient couverts de riches incrustations, et leurs panneaux, peints de brillantes couleurs, représentaient les principaux événements de l’Iliade ; les plafonds, les fenêtres et toutes les autres parties étaient ornés avec un art et une magnificence admirables. Dans la partie supérieure des appartements, il y avait un gymnase, c’est-à-dire une vaste pièce destinée aux jeux et exercices du corps. Le pavé du temple de Vénus était incrusté d’agates et d’autres pierres précieuses ; les lambris étaient en bois de cyprès et les fenêtres ornées de peinture sur ivoire. Ce fameux vaisseau avait vingt rangs de rames. Il était entouré d’un rempart en fer, flanqué de huit tours garnies de machines de guerre, qui pouvaient lancer à un demi-mille une pierre pesant 300 livres ou un dard de 12 coudées de long. Athenœus donne beaucoup d’autres détails sur ce chef-d’œuvre d’architecture navale. »

Les galères bien construites, bien dirigées, allaient avec une vitesse comparable, dit-on, à celle do nos bateaux à vapeur, surtout celles que l’on appelait galères subtiles, par opposition aux grosses galères.

La galère moderne était un vaisseau à rames en usage surtout dans la Méditerranée. Elle exista sur cette mer depuis le xuo siècle jusqu’au xvno. C’était un navire effilé, éminemment propre aux évolutions rapides, dont la largeur, comparée à la longueur, était ordinairement dans le rapport de 1 à 7, mais souvent dans celui de 1 à S ou 9. Ses dimensions étaient d’ailleurs très-variables. Elle était pontée, gouvernait à barre franche et allait à la voile ou à la rame. Les voiles étaient fixées à des antennes suspendues à un, deux ou trois mâts verticaux. On les fit carrées jusqu’au xme siècle ; elles commencèrent alors à devenir triangulaires, et cette nouvelle forme fut trouvée tellement supérieure à l’ancienne qu’elle finit par être exclusivement adoptée. La disposition des rames, varia plusieurs fois. Dans les derniers temps, c’est-à-dire au xvie et au xvir» siècle, elles étaient placées sur une seule file, et chacune d’elles, longue d’environ 10 mètres, était manœuvrée par plusieurs hommes. On en comptait vingt-cinq ou vingt-six sur chaque bord, dans les galères ordinaires. C’est sur le pont, ou couverte, que se tenaient les rameurs : ils étaient assis sur des bancs. Un officier, nommé comité, qui avait pour fonction de les surveiller, se promenait dans un couloir, appelé la coursie ou le coursier, qui était pratiqué au milieu du pont et allait de la poupe à la proue. Avant l’invention de la poudre, le bordage des galères était surmonté d’une muraille de planches, et l’on élevait, tantôt à leur centre, tantôt à leurs extrémités, des tours ou de petits châteaux en charpente, d’où les défenseurs lançaient des projectiles. Comme ces navires combattaient de l’avant, ils étaient armés à la proue d’un éperon de bois garni de fer pour éventrer les bâtiments ennemis. L’adoption des armes à feu fit supprimer les châtelets et l’éperon. On mit alors à l’extrémité de la coursie, à la proue, un canon de gros calibre, que l’on appela coursier ou canon de coursie, et à droite et à gauche duquel on plaça des pièces plus petites et montées sur de forts chandeliers de bois. Pour protéger cette artillerie, on établit par-dessus une espèce de pont, nommé rambade ou rambate, sur lequel on faisait monter d’adroits tireurs au moment du combat. Enfin, pour empêcher le navire d’être pris en enfilade, on construisit transversalement sur la couverte un rempart mobile de bois et de cordages, qui

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passait par-dessus les rameurs. La poupe, qui était plus élevée que la proue, fut, suivant les temps, protégée par un mur de bois percé de créneaux, ou par une rangée de grands boucliers ou enfin par un parapet de planches assez minces et appelées bandins. C est dans cette partie du navire qu’était le poste du commandant.

Le recrutement des rameurs, de la chiourme, a beaucoup varié avec les époques. Le maniement de l’aviron commença, chez les anciens, par être considéré comme un service honorable, et Virgile nous montre dans YEnéide la jeunesse troyenne s’adonnant à cet exercice. Plus tard la rame fut mise en mouvement par les prisonniers de guerre ou les esclaves noirs que les Carthaginois achetaient aux Maures du Phason et aux Garamantes. Un seul passage douteux, dans les auteurs latins, pourrait faire croire qu’on employait les criminels comme rameurs. C’est un passage de Valère-Ma-xiine.

Au moyen âge, tout avait changé : on accouplait sur les bancs les infidèles prisonniers et les criminels ; aussi, suivant le besoin qu’on avait de rameurs, la justice devait se montrer plus ou moins sévère. Henri II ordonna de ne plus prononcer la peine des galères, parce qu’il avait désarmé plusieurs bâtiments, et les paysans furent condamnés à être pendus haut et court. Richelieu, au contraire, ayant besoin de compléter sa chiourme, prescrivit la condamnation aux galères, dans une instruction curieuse à tous égards. Les rameurs que préférait surtout le grand ministre étaient les hérétiques, qu’il faisait rechercher avec grand soin. V. CHIOURME.

— Zooph. On donne le nom vulgaire de galère à un acalèphe du genre vélelle, dont le corps cartilagineux est émaillédes plus vives couleurs ; le violet y domine. On le voit flotter sur l’eau comme une espèce de vessie transparente munie d’une aile qui ressemble à une voile latine. On le regarde comme prédisant le calme ou la tempête, suivant qu’il se montre en grande abondance au large ou près des côtes. On lui a attribué la propriété de corrompre et d’empoisonner la chair des poissons qui en ont mangé, sans pourtant les faire mourir. Il produit la vésication, comme les méduses et les actinies, lorsqu’il s’attache à quelque partie du corps. V, velelle.

— Hortic. La galère est une espèce de petite charrue à roulettes, dont on se sert dans les jardins pour ratisser et unir le sol, surtout le sol meuble et sablé des grandes allées. On se sert alors de la galère k main. Pour les avenues dont la terre est plus solide et humectée par la pluie, on emploie la galère à cheval. Ce dernier instrument se compose d’un fer tranchant et de deux brancards réunis par deux traverses surmontées, à l’arrière, de deux mancherons recourbés. On attelle un cheval entre les deux brancards. Suivant qu’on appuie plus ou moins sur les mancherons, la lame s’enfonce plus ou moins dans le sol. On fait ainsi trois fois plus d’ouvrage qu’avec les ratissoires ordinaires.

— AllUB. litt. Qn’allait-Sl faire dans celle galère ? Exclamation comique qui se trouve répétée une dizaine de fois dans l’acte II, scène xi, de la pièce de Molière intitulée les Fourberies de Scapin.

Scapin est valet de Léandre, fils de Géronte, lequel est la personnification la plus vraie et la plus complète de l’avarice. Scapin et Léandre sont naturellement les meilleurs amis du monde. Léandre veut épouser Zerbinette ; mais, pour faire sa cour plus facilement, il lui faut de l’argent, et l’on sait que Géronte n’aime pas à desserrer les cordons de sa bourse. De là, tentative de Scapin.

Cette scène est si comique que nous ne pouvons résister au plaisir de la rapporter tout entière.

« Scapin, faisant semblant de ne pas voir Géronte. — O ciel ! ô disgrâce imprévue ! ô misérable père ! Pauvre Géronte ! que feras-tu ?

Géronte, à part. — Que dit-il là de moi, avec ce visage affligé ?

Scapin. — N’y a-t-il personne qui puisse me dire où est le seigneur Géronte ?

Géronte. — Qu’y a-t-il, Scapin ?

Scapin, courant sur le théâtre, sans vouloir entendre ni voir Géronte. — Où-pourrai-je le rencontrer, pour lui dire cette infortune ?

Géronte, courant après Scapin. — Qu’estce que c’est donc ?

Scapin. — En vain je cours de tous côtés pour le pouvoir trouver.

Géronte. — Me voici.

Scapin. — 11 faut qu’il soit caché en quelque endroit qu’on ne puisse point deviner.

Gbronte, arrêtant Scapin. — Holà ! es-tu aveugle, que tu ne me vois pas ?

Scapin. — Ah ! monsieur, il n’y a pas moyen de vous rencontrer !

Géronte. — Il y a une heure que je suis devant toi. Qu’est-ce que c’est donc qu’il y a ?

Scapin. — Monsieur...

Géronte. — Quoi ?

Scapin. — Monsieur votre fils...

Géronte. — Eh bien, mon fils...

Scapin. — Est tombé dans une disgrâce la plus étrange du monde,

Géronte. — Et quelle ?

Scapin. — Je l’ai trouvé tantôt tout triste de je ne sais quoi que vou3 lui avez dit, où vous m’avez mêlé assez mal à propos, et, cherchant à divertir cette tristesse, nous nous

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sommes allés promener sur le port. Là, entre autres plusieurs choses, nous avons arrêté nos yeux sur une galère turque assez bien équipée. Un jeune Turc de bonne mine nous a invités d’y entrer, et nous a présenté la main. Nous y avons passé. Il nous a fait mille civilités, nous a donné la collation, où nous avons mangé des fruits les plus excellents qui se puissent voir, et bu du vin que nous avons trouvé le meilleur du monde.

Géronte. — Qu’y a-t-il de si affligeant à tout cela ?

Scapin. — Attendez, monsieur, nous y voici. Pendant que nous mangions, il a fait mettre la galère en mer ; et, se voyant éloigné du port, il m’a Fait mettre dans un esquif, et m’envoie vous dire que si vous ne lui envoyez par moi, tout à l’heure, cinq cents écus, il va vous emmener votre fils en Alger.

Géronte. — Comment, diantre ! cinq cents écus !

Scapin. — Oui, monsieur ; et, de plus, il ne m’a donné pour cela que deux heures.

Géronte. — Ah ! le pendard de Turc ! m’assassiner de la façon !

Scapin. — C’est à vous, monsieur, d’aviser promptement aux moyens de sauver des fers un fils que vous aimez avec tant de tendresse.

Géronte.Que diable alloit-il faire dans cette galère" !

Scapin. — Il ne songeoit pas à ce qui est arrivé.

Géronte. — Va-t’en, Scapin, va-t’en vite dire à ce Turc que je vais envoyer la justice après lui.

Scapin. — La justice en pleine mer ! vous moquez-vous des gens ?

Géronte.Que diable alloit-il faire dans cette galère ?

Scapin. — Une méchante destinée conduit quelquefois les personnes.

Géronte. — Il faut, Scapin, il faut que tu fasses ici l’action d’un serviteur fidèle.

Scapin. — Quoi, monsieur ?

Géronte. — Que tu ailles dire à ce Turc qu’il me renvoie mon fils, et que tu te mettes à sa place jusqu’à ce que j’aie amassé la somme qu’il demande.

Scapin. — Eh I monsieur, songez-vous à ce que vous dites ? et vous figurez-vous que ce Turc ait si peu de sens que d’aller recevoir un misérable comme moi à la place de votre fils ?

Géronte.Que diable alloit-il faire dans cette galère ?

Scapin. — Il ne devinoit pas ce malheur. Songez, monsieur, qu’il ne m’a donné que deux heures.

Géronte. — Tu dis qu’il demande...

Scapin. — Cinq cents écus.

Géronte. — Cinq cents écus ! n’a-t-il point de conscience ?

Scapin. — Vraiment oui, de la conscience à un Turc !

Géronte. — Sait-il bien ce que c’est que cinq cents écus ?

Scapin". — Oui, monsieur ; il sait que c’est mille cinq cents livres.

Géronte. — Croit-il, le traître] que mille cinq cents livres se trouvent dans le pas d’un cheval ?

Scapin. — Ce sont des gens qui n’entendent point de raison.

Géronte.Mais que diable alloit-il faire dans cette galère ?

Scapin. — Il est vrai. Mais quoi ! on ne prévoyoit pas les choses. De grâce, monsieur, dépêchez.

Géronte. — Tiens, voilà la clef de mon armoire.

Scapin. — Bon.

Géronte. — Tu l’ouvriras.

Scapin. — Fort bien.

Géronte. — Tu trouveras une grosse clef du côté gauche, qui est celle de mon grenier.

Scapin. — Oui.

Géronte. — Tu iras prendre toutes les hardes qui sont dans cette grande manne, et tu les vendras aux fripiers pour aller racheter mon fils.

Scapin, en lui rendant la clef. — Eh ! monsieur, rêvez-vous ? Je n’aurois pas cent francs de tout ce que vous dites ; et, de plus, vous savez le peu de temps qu’on m’a donné.

Géronte.Mais que diable alloit-il faire dans cette galère ?

Scapin. — Oh ! que de paroles perdues 1 Laissez là cette galère, et songez que le temps presse, et que vous courez risque de perdre votre fils. Hélas ! mon pauvre maître ! peut-être que je ne te verrai de ma vie, et qu’à l’heure que je parle on t’emmène esclave en Alger ! Mais le ciel me sera témoin que j’ai fait pour toi tout ce que j’ai pu, et que, si tu manques à être racheté, il n en faut accuser que le peu d’amitié d’un père.

Géronte. — Attends, Scapin, je m’en vais quérir cette somme.

Scapin. — Dépêchez donc vite, monsieur ; je tremble que l’heure ne sonne !

Géronte. — N’est-ce pas quatre cents écus que tu dis ?

Scapin. — Non ; cinq cents écus.

Géronte. — Cinq cents écusl

Scapin. — Oui.

Géronte.Que diable alloit-il faire dans cette galère ?

Scapin. — Vous avez raison ; mais hâtezvous.

Gérontb. — N’y avoit-il point d’autre promenade ?

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Scapin. — Cela est vrai ; mais faites promptement.

Géronte. — Ah ! maudite galère !

Scapin, à pari, — Cette galère lui tient au cœur.

Géronte. — Tiens, Scapin, je ne me souvenois pas que je viens justement de recevoir cette somme en or, et je ne croyois pas qu’elle dût m’être sitôt ravie. (Tirant sa bourse de sa poche, et la présentant à Scapin.) Tiens, va-t’en racheter mon fils.

Scapin, tendant la main. — Oui, monsieur.

Géronte, retenant sa bourse, qu’il fait semblant de vouloir donner à Saapin. — Mais dis à ce Turc que c’est un scélérat !

Scapin, tendant encore la main. — Oui.

Géronte, recommençant la même action.-Un infâme !

Scapin, tendant toujours la main. — Oui.

Géronte, de même. — Un homme sans foi, un voleur !

Scapin. — Laissez-moi faire.

Géronte, de même. — Qu’il me tire cinq cents écus contre toute sorte de droit.

Scapin. — Oui.

Géronte, de même. — Que je ne les lui donne ni à la mort ni à la vie.

Scapin. — Fort bien.

Géronte, de même. — Et que si jamais jo l’attrape je saurai me venger de lui.

Scapin. — Oui.

Géronte, remettant sa bourse dans sa poche, et s’en allant. — Va vite requérir mon fils.

Scapin, courant après Géronte. — Holà, monsieur !

Géronte. — Quoi ?

Scapin. — Où est donc cet argent ?

Géronte. — Ne te l’ai-je pas donné ?

Scapin. — Non, vraiment ; vous l’avez remis dans votre poche.

Géronte. — Ah ! c’est la douleur qui me trouble l’esprit.

Scapin. — Je le vois bien.

Géronte.Que diable alloit-il faire dans cette galère ? Ah I maudite galère ! traître de Turc ! à tous les diables ! »

Tout ne finit pas encore là : Zerbinette, qui a été mise au courant de l’histoire par Scapin, veut rire à son tour tout à son aise du bonhomme Géronte, et yoici comment elle s’en tire dans la scène m de l’acte IIIe.

« Zerbinette, riant, sans voir Géronte.-Ah ! ah ! Je veux prendre un peu l’air.

Géronte, à part, sans voir Zerbinette.-Tu me le payeras, je te jure !

Zerbinette, sans voir Géronte. — Ah ! ah ! ah ! ah 1 La plaisante histoire ! et la bonne dupe que ce vieillard !

Géronte. — Il n’y a rien de plaisant à cela ; et vous n’avez que faire d’en rire.

Zerbinette. — Quoi ? Que voulez-vous dire, monsieur ?

Géronte. — Je veux dire que vous ne devez pas vous moquer de moi.

Zerbinette. — De vous ?

Géronte. Oui.

Zerbinette. — Comment I qui songe à se moquer de vous ?

Géronte. — Pourquoi venez-vous ici me rire au nez ?

Zerbinette.— Cela ne vous regarde point ; et je ris toute seule d’un conte qu’on vient de me faire, le plus plaisant qu’on puisse entendre. Je ne sais pas si c’est parce que je suis intéressée dans la chose ; niais je n’ai jamais trouvé rien de si drôle qu’un tour qui vient d’être joué par un fils à son père, pour en attraper de l’argent ?

Géronte. — Par un fils à son père, pour en attraper de l’argent ?

Zerbinette. — Oui. Pour peu que vous me pressiez, vous me trouverez assez disposée à vous dire l’affaire ; et j’ai une démangeaison naturelle à faire part des contes que je sais.

Géronte. — Je vous prie de me dire cette histoire.

Zerbinette. — Je le veux bien. Je ne risquerai pas grand’chose à vous la dire, et c’est une aventure qui n’est pas pour être longtemps secrète. La destinée a voulu que je me trouvasse parmi une bande de ces personnes qu’on appelle Égyptiens, et qui, rôdant de province en province, se mêlent de dire la bonne fortune, et quelquefois de beaucoup d’autres choses. En arrivant dans cette ville, un jeune homme me vit, et conçut pour moi de l’amour. Dès ce moment, il s’attacha à mes pas ; et le voilà d’abord comme tous les jeunes gens, qui croient qu’il n’y a qu’à parler, et qu’au moindre mot qu’ils nous disent leurs affaires sont faites ; mais il trouva une fierté qui lui fit un peu corriger ses premières pensées. Il fit connoître sa passion aux gens qui nie tenoient, et il les trouva disposés à me laissera lui, moyennant quelque somme. Mais le mal de l’affaire étoit que mon amant se trouvoit dans l’état où l’on voit très-souvent la plupart des fils de famille, c’est-à-dire qu’il étoit un peu dénué d’argent. Il a un père qui, quoique riche, est un avaricieux fieffé, le plus vilain homme du monde. Attendez. Ne me saurois-je souvenir de son nom ? Haie ! Aidez-moi un peu. Ne pouvez-vous me nommer quelqu’un de cette ville qui soit connu pour être un avare au dernier point ?

Géronte. — Non.

Zerbinette. — Il y a à son nom du ron... ronte... Or... Oronte. Non. Gé... Géronte. Oui, Géronte, justement ; voilà mon vilain, je l’ai trouvé ; c’est ce ladre-là que je dis. Pour venir à notre conte, nos gens ont voulu au-