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Page:Larra - Le Pauvre Petit Causeur, trad. Mars, 1870.djvu/135

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mon père et même mon aïeul n’eurent jamais la moindre idée de ce qu’était un livre ; tout au plus s’ils savaient signer, mais l’un mourut à 85 ans, l’autre à 90, aucun des deux ne connut la plus mince maladie ; et n’allez pas croire que ce fussent de pauvres hères, au contraire, employés toute leur vie, on peut dire d’eux qu’ils mirent leurs dents à leur bureau et qu’ils les y laissèrent, et lorsqu’ils moururent l’un avait une croix et l’autre deux. »

Il avait raison le Batuèque. Tu peux donc le voir, si je ne prétends à rien, ce n’est pas faute de savoir ce qu’entraîne avec elle une place. Je ne trouve pas cette manière de vivre plus mauvaise qu’une autre, mais il y en a peu de places, sans cela j’aurais la mienne ; voici notre malheur : ainsi qu’il en a été sous tous les régimes, tout est aujourd’hui question de nombre, toute l’affaire est dans les hauts et les bas ; il s’agit de savoir simplement lesquels seront maîtres des places. Il y a dix emplois, voilà le mal et vingt prétendants. Je considère que tout serait réglé s’il y avait vingt emplois et dix prétendants ; je ne sais même comment on ne s’est pas arrangé pour cela, car c’est une vérité qui saute aux yeux.

Étonne-toi pourtant : comme il y a des hommes de toute sorte, un Batuèque, de ceux qui par moments ne le paraissent pas, me disait hier à ce sujet : « Les Batuèques bien intentionnés pour leur patrie doivent commencer par mettre de côté la manie des emplois, et brûler tous les mémoires faits et à faire ; si le gouvernement a besoin d’hommes, il en cherchera, on sait où ils sont, on les connaît assez, celui qu’on ne cherche pas ne doit pas se faire chercher, mais réfléchir et travailler. S’il y a un pays où un homme puisse se créer un bien-être dans une branche quel-