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Page:Larra - Le Pauvre Petit Causeur, trad. Mars, 1870.djvu/67

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finesses de l’art, particulièrement si cet acteur n’a de sa vie ouvert un livre, ni étudié un mot ? Car il est bon d’avertir qu’en matière de poésie, celui qui lit le plus et qui le plus étudie est celui qui s’y entend le moins. Grâces encore que le coutelas de ce barbare sacrificateur n’ait pas supprimé le rôle tout entier d’un personnage, du protagoniste, par exemple, qui est celui dont on a le moins besoin et qui est le plus hors de son lieu.

Et, mutilée de la sorte, la comédie est-elle goûtée ? Fort bien, car en ce cas il n’y aura pas de farce mesquine, de drame furibond, de traduction mercenaire à qui l’on ne donne le nom de l’auteur une fois applaudi.

Tel est le sans-souci des acteurs de province ; pour eux tous les hommes et tous les auteurs sont égaux du haut de leurs trônes fictifs, ils voient tous les plus grands génies volumineux comme de menues noisettes, font justice des uns et des autres, et mettent sur le même rang, dans le même tas, toutes leurs œuvres, se fondant sur ce que si tel auteur n’a pas fait tel ouvrage, il aurait bien pu le faire ; devant le suprême tribunal de ces nombreux dispensateurs de la renommée, un Juan Perez a la même valeur qu’un Pedro Fernandez.

Finissons donc en disant que le poète est le seul qui ne soit ni fils, ni même père de ses œuvres. Adonnez-vous vite aux lettres, camarades, voilà le prix qui vous attend. Et plaignez-vous du moins, infortunés ; aussitôt vous entendrez une tourbe de criards vous arrêter au premier mot : « Quelle insolence ! diront-ils, quel motif a-t-il de se plaindre ? On permet cela ? Quel scandale ? Un homme qui réclame ce qui lui appartient ; un fou qui ne veut pas avoir d’égards