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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/123

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RETOUR À LA POÉSIE DRAMATIQUE.

visibles pour tous, il en était de secrets et d’intimes : en exhalant la plainte des filles de Sion, le poète exprimait celle qui pleurait silencieusement au fond de son cœur sur les malheurs de Port-Royal.

Le seul inconvénient du sujet, c’est que, en permettant à Racine d’exprimer ses sentiments pour le roi et son épouse secrète, elle l’obligeait à marquer quelque ingratitude pour la favorite disgraciée, Mme de Montespan, et peut-être pour Louvois, dont le crédit baissait près de son maître et qui pouvait se reconnaître dans quelques traits au caractère d’Aman. Mais cet obstacle n’était pas pour arrêter un courtisan ; Racine l’était, et il payait son tribut aux défauts inévitables de l’espèce. Il dut écrire sans remords les vers, dont l’application s’imposait, sur « la fameuse disgrâce de l’altière Vasthi ».

Après des répétitions que le roi avait par deux fois honorées de sa présence et que Racine, assisté de Boileau, avait dirigées de manière à faire de ses interprètes d’« excellentes actrices », la pièce, mise en scène avec un grand luxe, fut représentée le 26 janvier 1689, accompagnée d’une partition écrite par Jean-Baptiste Moreau, organiste de Saint-Cyr, devant un cercle de courtisans choisis et le personnel de la maison, dames et élèves. Le succès fut des plus grands, et Racine, qui, à la suite de ses tragédies profanes, n’avait jamais parlé de ses interprètes, écrivait cette fois : « Ces jeunes demoiselles ont déclamé et chanté cet ouvrage avec tant de grâce, tant de modestie et tant de piété, qu’il n’a pas été possible qu’il demeurât renfermé dans le secret