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RACINE.

La piété s’alarmait de ces dangers. Si plusieurs évèques, parmi lesquels Bossuet, avaient cru pouvoir assister aux représentations, le curé de Versailles, Hébert, avait obstinément refusé d’y paraître, et les Dames de Saint-Cyr « n’y furent présentes que les yeux baissés et occupées à dire leur chapelet ». Mme de Maintenon, après avoir refusé de croire au danger, dut le reconnaître. Dès 1690, il n’y eut plus de représentations d’Esther publiques et en costumes. On se contentait de les reprendre quelquefois, avec l’habit de la maison, devant quelques dames.

Le privilège d’Esther donné aux Dames de Saint-Cyr défendait aux comédiens déjouer la pièce. Cette défense ne fut levée qu’au bout de trente-deux ans, le 8 mai 1721. « Le poème, disent les frères Parfaict, supérieurement rendu par les acteurs, ne fît pas tout l’effet qu’on s’en étoit promis. » Les comédiens en avaient retranché la musique et la plus grande partie des chœurs. C’était en affaiblir grandement l’impression, mais, intacte ou mutilée, Esther n’a guère trouvé plus de faveur auprès du public, lors des reprises, assez rares, qui en ont été faites. Il en est de cette élégie comme de Bérénice : elle s’écarte trop du ton habituel à la tragédie française pour causer au public le genre de plaisir auquel il s’attend. Mais c’était plutôt la faute du public que celle du sujet ou du poète. S’il est difficile d’accepter le jugement de Sainte-Beuve, à qui Esther « semble le fruit le plus naturel qu’ait porté le génie de Racine », il est certain que cette œuvre charmante et forte enrichissait la tragédie