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RACINE.

quatre-heures, la pièce étant censée se continuer dans l’intervalle des actes. Elle employait la forme oratoire, en éliminant le lyrisme et le pittoresque, comme moins dramatiques, car le théâtre a pour but de nous montrer des personnages parlant devant nous. Cette éloquence dramatique était raisonneuse, comme l’esprit de notre race, amplement développée et alternée, comme le dialogue réglé par les bienséances dans la vie réelle, noble à l’image d’une société où la vie de cour servait de modèle. Elle s’efforçait de peindre les âmes. Elle étudiait toutes les passions, mais en les groupant autour de l’amour, qui leur donne plus de force. Elle choisissait ses sujets dans la légende et dans l’histoire, moitié par imitation de la tragédie antique, moitié parce que l’éloignement élève l’intérêt. Pour les mêmes motifs, elle mettait en scène des personnages de grande condition.

Corneille avait pris la tragédie au moment où elle arrivait à la perfection technique, mais avant qu’elle l’eût atteinte. Assez longtemps encore on discutera sur les règles, parce que la formation de la tragédie, dont ces règles n’étaient que la définition, n’est pas terminée. Corneille cherchait de très bonne foi à les appliquer, mais il n’y réussissait qu’à moitié, car, outre qu’elles étaient encore obscures, elles contrariaient quelques-unes de ses tendances. Il avait dû son premier chef-d’œuvre à un sujet espagnol, et le théâtre espagnol, par son goût exclusif pour l’action et les scènes historiques, suivait une direction contraire à celle de la tragédie française. Lui-même aimait beaucoup l’histoire, et il