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RACINE.

trière, par jalousie, de son amant et de sa rivale, comme Roxane ; une belle-mère éprise de son beau-fils, comme Phèdre, les personnages de ce genre ne cessent d’alimenter la Gazette des Tribunaux.

Il ne s’ensuit pas que la tragédie de Racine soit plus vraie que celle de Corneille. Leur vérité est égale et différente. Il y a dans la vie des faits exceptionnels, et il y en a d’ordinaires. Devant le spectacle de la vie. Corneille et Racine ont choisi chacun ce qui convenait à la nature de son génie, l’un avec le sentiment de la grandeur humaine, l’autre avec celui de notre infirmité.

Luttant contre des situations qu’ils n’ont pas créées, les personnages de Corneille les subissent, et, si leur volonté résiste aux événements, leurs actions n’en sont pas moins commandées par ceux-ci. Ils sont le jouet d’une destinée au niveau de laquelle ils élèvent leurs âmes et leur courage. Dans la tragédie de Racine, au contraire, les événements sont la conséquence nécessaire des passions mises en jeu. La volonté des personnages, poursuivant la satisfaction de ces passions, provoque ces événements, et, par cela seul qu’ils agissent dans la logique de leurs sentiments, ils doivent, au bout de leurs actes, en rencontrer la conséquence nécessaire. Lorsque Oreste, sachant qu’Hermione ne l’aime pas, consent à tuer Pyrrhus, sur la promesse qu’elle sera le prix du crime, il ne doit s’en prendre qu’à lui-même de son double malheur, lorsqu’il se trouve assassin et frustré. Pourtant il accuse le ciel :

Grâce aux Dieux, mon malheur passe mon espérance.
Oui, je te loue, ô Ciel, de ta persévérance…