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RACINE.

mémoire de son mari et veut sauver son fils. Pyrrhus, qui aime Andromaque et veut l’épouser, fait de ce mariage une condition de salut pour le fils de sa captive. Tout le rôle d’Andromaque est une délibération morale où elle pèse d’un côté ses devoir de veuve, de l’autre ses devoirs de mère. Tout le rôle de Pyrrhus, engagé avec Hermione, est commandé par celui d’Andromaque. Découragé par celle-ci, il revient vers Hermione ; encouragé par la première, il s’écarte de la seconde. De même les sentiments d’Hermione changent, selon que Pyrrhus se rapproche ou s’éloigne d’elle. Preste aime Hermione ; il espère ou désespère selon qu’Hermione l’attire ou le repousse. Ainsi tous les personnages se trouvent dans la dépendance morale d’Andromaque, protagoniste de la pièce. Mais Andromaque elle-même subit, dans ses espérances et dans ses craintes, le contre-coup des sentiments qu’elle a provoqués.

Il n’y a pas un seul fait de la pièce qui soit produit autrement que par ce jeu d’actions et de réactions. Les personnages, esclaves d’eux-mêmes et les uns des autres, des sentiments qu’ils inspirent et de ceux qu’ils éprouvent, sont comme emprisonnés dans un cercle de fer. Ils se heurtent et se meurtrissent, jusqu’à ce que la mort et la folie les délivrent. Seule, Andromaque, qui ne poursuivait pas un but égoïste, mais l’accomplissement d’un devoir, sort pure et sauve de cette lutte effroyable.

On pourrait analyser de même toutes les tragédies de Racine ; on y trouverait la même sûreté logique dans le maniement des passions et la même habileté à conduire le drame sans autre intervention