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RACINE.

qui n’empêchaient pas le génie de Corneille d’atteindre le grandiose, l’héroïque et le sublime, mais qui, chez les autres tragiques, arrivaient à l’extraordinaire, à l’emphase et à la subtilité. Molière a chassé le précieux de la comédie, et Racine le romanesque de la tragédie. Ces deux génies, d’ailleurs si différents, se rencontrent dans le même amour du naturel et du vrai.

En cherchant à définir la tragédie de Racine, on est continuellement obligé de rappeler celle de Corneille. C’est le seul moyen, en montrant la profonde différence des deux poètes, de marquer l’originalité de Racine. Tous deux ont atteint le plus haut degré du génie tragique, mais Corneille visait à l’héroïque, c’est-à-dire à l’exceptionnel, Racine regardait l’humanité ordinaire et constante. De la sorte, ils représentent a eux deux les deux formes suprêmes de l’art tragique, comme de tout art, l’une idéaliste, l’autre réaliste. C’est une des causes pour lesquelles, après eux, la tragédie s’est trouvée épuisée. Leurs successeurs n’ont pu donner que l’illusion du génie ou du talent tragique, comme Voltaire et Crébillon, car ne pouvant ou n’osant plus faire grand et vrai, ils sont revenus à l’extraordinaire et au romanesque, voire à l’horrible. Ne sachant pas exciter l’admiration et la pitié, ils n’ont produit que l’étonnement et l’horreur.