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RACINE.

entourée d’égards et aussi chaste qu’Andromaque, offre la dignité de l’épouse chrétienne. La Bible n’est plus ici l’expression dure d’un génie farouche, mais le livre vénéré où le respect de la parole de Dieu ne veut voir qu’un texte édifiant. Non seulement ce respect permet à Racine d’être vrai, mais il le lui commande. Le poète s’en sert pour faire parler la piété de son temps et sa propre foi. L’harmonie d’Esther est comme la plainte de son âme, émue par l’amour de Dieu. Il y joint l’angoisse qu’il éprouve pour ses amis, la reconnaissance envers ses protecteurs, le culte de son roi. Ainsi Esther et Athalie joignent à la vérité hébraïque la vérité chrétienne et la vérité monarchique. Le résultat de deux mille ans d’histoire et de religion est fondu eu un seul tableau.

Une telle poétique exclut ce que les romantiques devaient appeler la « couleur locale », c’est-à-dire l’exactitude archéologique. Faute du mot, le xviie siècle connaissait la chose, mais, pour l’écarter du théâtre tel qu’il l’entendait, il avait de bonnes raisons. D’abord, l’enquête sur l’antiquité, instituée par la Renaissance, continuait encore. Elle devait être si longue que, s’il faut en croire nos archéologues, elle commence tout juste à donner des résultats acceptables.

Racine connaissait de l’archéologie tout ce qu’on en pouvait connaître en son temps. S’il en a peu mis dans ses pièces, c’est que, outre la médiocre importance de la mise en scène dans la tragédie, spectacle plus intellectuel que matériel, il se rendait compte que le théâtre est chose vivante,