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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/167

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LES SUJETS.

Jamais l’infinie tristesse des séparations définitives ne s’est exprimée de manière plus déchirante et plus délicieuse que dans la plainte de Bérénice :

Pour jamais ! Ah ! Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel esl affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence el que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus.

Dans toutes les littératures, l’amour le plus sincère et la galanterie la plus ingénieuse ne vont pas sans convention et sans fadeur. L’amour et la galanterie du xviie siècle avaient donc leur jargon et leurs lieux communs. Les lieux communs, c’étaient la souveraineté de l’amour et l’obligation de la tendresse ; le jargon, c’était l’exagération des métaphores : tout amant brûlait, gelait, pleurait, mourait. Le type de ce genre déplorable est dans le théâtre de Quinault,

Où, jusqu’à je vous hais, tout se dit tendrement.


Racine débutait au moment où Quinault abandonnait la tragédie pour l’opéra. Il empruntait à son prédécesseur une part de sa défroque galante, pour se mettre à la mode, dans un genre où la mode est souveraine. Lui aussi abuse des soupirs, des pleurs, des protestations, des serments, des phrases toutes faites. Ses amants parlent trop souvent de mourir, et, quoique l’on fît alors le sacrifice de la vie, la sienne et celle des autres, avec moins de façon qu’aujourd’hui, il y a vraiment quelque excès dans les surenchères de suicide auxquelles ils se livrent. Mais, comme on aurait tort avec Racine de juger