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Elle s’est prêtée docilement à ce calcul, et Mardochée n’a qu’à lui rappeler les grands desseins qui reposent sur elle pour qu’elle risque son rang et sa vie au profit d’Israël. Lorsque le ton du xviie siècle risque d’abuser sur la vérité locale de la psychologie féminine dans Racine, il n’y a qu’à se rappeler un caractère comme celui d’Esther pour rendre justice à l’attention avec laquelle le poète observait la différence des races et des pays. Roxane offrait déjà cette preuve. Elle est encore plus frappante dans Esther. Mais, par une loi constante de mesure, Racine voile et enveloppe ce que d’autres étaleraient.

J’ai dit pourquoi les amoureuses sont presque toujours au premier plan dans la tragédie de Racine. Dès que la nature du sujet, sa largeur ou sa complexité le permettent, il en profite pour y introduire des figures de femmes qui ont renoncé à l’amour, mais qui appliquent à d’autres objets la même ardeur passionnée qu’une Hermione ou une Roxane. Le trait commun de ces femmes, Agrippine, Clyteranestre, Athalie, c’est encore qu’elles sentent plus qu’elles ne raisonnent. Si énergiques ou si habiles qu’elles soient, elles sont à la merci de leur sensibilité.

Agrippine veut conserver son pouvoir sur Néron, Clytemnestre veut sauver sa fille, Athalie veut abattre une famille rivale de la sienne. Mais l’orgueil, l’instinct, la violence les poussent d’une impulsion irrésistible sur laquelle raison, prudence, avis ne peuvent rien. Ce que Tacite dit d’Agrippine, l’impuissance de la femme à gouverner sa sensibilité, impotentia muliebris, est aussi vrai de Clytemnestre